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Pas d’amélioration en vue

Toujours des éoliennes au travers des sapins,

toujours des barbelés en travers des chemins,

toujours des chasseurs à travers bois et maquis,

toujours de vastes barrages pour noyer la vie,

 

toujours plus de jeux pour divertir la tribu,

toujours des corridas, des taureaux pourfendus,

toujours la loterie pour donner de l’espoir,

toujours la matraque à l’autre bout du couloir,

 

toujours la redevance pour des crimes, des urgences,

toujours des compromis, toujours des accointances,

toujours plus de téléréalités malsaines,

toujours plus de chansons à donner la migraine,

 

toujours plus de journaux télé subliminaux,

toujours plus de premiers de la classe, de fayots,

toujours plus de mensonges, toujours plus de non-dits,

toujours d’autres ministres, toujours plus de bandits,

 

toujours des gens de cour entourant notre roi,

toujours des sentinelles au sommet des beffrois,

toujours le faste, les courbettes et le dédain,

toujours le peuple qui a de plus en plus faim,

 

toujours les guerres ailleurs qui rapportent beaucoup,

toujours les entourloupes, toujours les sales coups,

toujours plus de gavés du commerce de l’homme,

toujours plus de fachos se croyant des surhommes,

 

toujours la condition féminine qui recule,

toujours des gens qu’on bat et qu’on viole et qu’on brûle,

toujours la misère de la rue qu’on ne combat,

toujours plus d’autos qui glissent sur le verglas,

 

toujours plus de radars pour la moisson finale,

toujours plus de cow-boys à la municipale,

toujours plus de pression, de burnouts, de suicides,

toujours plus d’histoires familiales sordides,

 

toujours plus de quidams qu’on se doit d’abêtir,

toujours des pauvres gens qui n’ont plus qu’à s’enfuir,

toujours la planète qui va de mal en pis,

et toujours la faute au réchauffement, pardi,

 

toujours ce dieu dont on parle sans jamais le voir,

toujours cet autre de l’autre côté du miroir,

toujours ces croyances pour lesquelles on se tue,

toujours ces hommes qui choisissent de vivre reclus,

 

toujours ces femmes qui offrent leur corps volontiers,

toujours celles qui le vendent pour quelques deniers,

et toujours cette pièce que l’on donne à la quête,

et toujours un papillon sur les serre-têtes,

 

toujours le sourire au bout de l’hypocrisie,

toujours Montaigne plutôt que La Boétie,

toujours Mozart plutôt que Saint-Saëns ou Lully,

toujours la sagesse à la place de la folie,

 

toujours l’écrivain et toujours ses idées noires,

toujours ses heures perdues devant l’écritoire,

et toujours celui qui ne lit pas, qui s’en fout,

et toujours celui qui aime porter le licou…

 

et toujours Garrigou vous offrant ses pensées

comme des bonbons au miel, comme un verre de rosé…

et toujours Garrigou, nu devant le poème,

cherchant à travers mots à vous dire qu’il vous aime,

 

et toujours et toujours, et toujours et encore…

La princesse éreintée

Enfin seuls, ma princesse, le jour s’achève, alors

laisse un peu ta fatigue et tes maux dormir dehors ;

j’ai verrouillé la porte, et les doux camaïeux

de l’amour absolu et des lueurs du feu

depuis le crépuscule ont parfait le décor.

 

Qu’elle fut longue ta journée, qu’elle fut harassante,

que tes pieds sont meurtris, que ta bouche est croquante…

je rajoute du bois, glisse sur mon épaule,

conte-moi tes désirs, tes envies les plus folles,

redis-moi ces histoires d’étoiles filantes,

 

conte-moi ce qui passe, ce qui court, ce qui vole,

et tout ce que tu aimes et tout ce qui est drôle,

ce que tu voudrais qu’il nous advienne demain…

glisse sur mon épaule et donne-moi la main,

voici qu’en la pénombre nos lèvres se frôlent.

 

Dehors il n’est plus de bruit, tes maux s’en sont allés,

enfin seuls sous les musiques de la cheminée

tu souris ma princesse, la faiblesse te quitte,

écoute les mots doux de mon corps qui t’invite

à te serrer plus fort, à te laisser aller

 

contre lui, sommeiller, changer d’air, évoquer

les cieux multicolores de la liberté,

la vie qui fleurira de nos profonds labours,

cette sérénité qui sera nôtre un jour

et ces lieux enjoués où nous pourrons guincher !

 

La lune vient tout juste, déjà tes yeux se closent,

tu es sublime comme le sont les boutons de rose…

qu’elle fut longue ta journée, qu’elle fut harassante,

que tes pieds sont meurtris, que ta bouche est croquante…

est-il encore trop tard pour changer les choses ?

 

Je m’agrippe à ton souffle, à ce vent bienheureux,

au doux chant de la chouette des couvre-feux ;

certes à l’aube tes maux toqueront à la porte,

certes à l’aube tu t’en iras beaucoup plus forte,

certes nous ne sommes guère dans le giron de Dieu…

 

certes nous ne sommes guère dans le giron de Dieu !

Le mémorialiste

Ils étaient treize à table et la soupe fumante

embuait les yeux noirs du vigneron heureux.

Des planches sur des tréteaux, une nappe amarante

comme le jus des raisins charnus et soyeux

qui cranaient au soleil, par-dessus les ridelles…

puis le sourire à l’âme, le sourcil perspicace

des braves vendangeurs aux ceintures de ficèle

qui trempaient dans leur soupe de gros bouts de fougasse.

 

Ils étaient treize à table, les cieux étaient limpides,

si limpides qu’on pouvait y voir Dieu satisfait

d’une pareille récolte sur ses terres arides

et des tonneaux qui boudineraient dans le chai ;

et pêle-mêle, dans l’herbe, la fatigue et les seaux,

les sécateurs et la hotte un instant à l’écart,

la bonbonne de moût et les bouteilles d’eau,

les ponchos, les bonnets, les musettes, les foulards.

 

Ils étaient treize à table et le pâté maison

côtoyait le civet et les haricots blancs,

les fromages, le pain noir et le saucisson

sur la nappe amarante au giron bon enfant ;

et bon enfant le vent qui caressait la table,

les souches et le coteau, la remorque croulante,

l’amitié de ces gens, toujours infatigable,

blanche comme l’aube des anciennes communiantes.

 

Ils étaient treize à table et je n’en voyais qu’un ;

tant ils étaient unis un seul corps s’avérait !

un unique regard, un sublime parfum,

un présent éternel plus qu’un plus-que-parfait !

Ils étaient treize à table, nul ne l’avait remarqué,

pourtant, chez ces gens-là empreints de dévotion

on signe toujours le pain avant de le briser

et le Vendredi Saint fait frire ses poissons !

 

Ils étaient treize à table et Dieu se délectait,

tout comme moi d’ailleurs, de ce tendre tableau.

Sur la rive les rosiers des chiens s’embranchaient

et les rouges-queues promenaient leur pinceau.

Cette année-là septembre se voulait obligeant

tant pour les gens de vigne que les mémorialistes,

alors je pris pour plume le plus fin des sarments

et mit une virgule sur chaque fleur de ciste.

Le Poète d’en bas

C’est moi, le Poète d’en bas,

celui qui parle des garrigues,

de la vigne dans tous ses émois,

des perdrix grises et du bec-figue ;

du drapeau rouge de l’ouvrier,

de Jaurès et de Marcelin,

du bleu de la méditerranée,

des tuiles ocre du patelin !

 

C’est moi, le Poète d’en bas,

jamais je n’évoque le crime

et rarement les scélérats

qui nous gouvernent à la cime ;

je parle bien peu des bourgeois,

et les aristos ne s’invitent

dans mes rimes où les Albigeois

avec les bûchers cohabitent !

 

C’est moi, le Poète d’en bas,

celui qui peint la vendangeuse

non pas avec des bas de soie

et la quincaillerie des précieuses,

mais sans fard et sans maquillage,

des bottes vertes au genou,

pigmentant notre paysage

de ce que la vie a de plus doux !

 

C’est moi, le poète d’en bas,

celui du cassoulet qui cloque

entre un grand cru du Minervois

et deux vers d’une verte époque…

celui qui a connu Alaric,

les chevaliers de Carcassonne,

Hugo, Delteil et Copernic,

et bu le muscat aux bonbonnes !

 

C’est moi, le poète d’en bas,

je ne versifie pas la guerre,

la peste ni le choléra,

ni toutes folies passagères,

mais j’aime faire chanter l’amour

l’après-midi, à tire d’aile,

et jeter des fleurs alentour

des couches de femmes infidèles !

 

C’est moi, le Poète d’en bas,

celui que les médias s’arrache…

raient s’ils voulaient faire un pas,

voir ce qu’il y a sous ma moustache,

voir ce qu’il est de notre temps

sous une plume réaliste

où la métaphore, en coulant,

se veut moins acerbe qu’altruiste !

 

Alors je viens à vous Madame,

ouvrez-moi la porte des cieux,

parlez donc de moi à Paname,

et précisez à ces Messieurs

que si c’est la croix occitane

qui embue encore leurs yeux…

un bouquet de thym en tisane

est apaisant et délicieux ;

 

Dernière contredanse

Promis, quand ma belle reviendra

alors j’ouvrirai les volets,

je ferai de mon trou à rat

la cassine la plus huppée

où je pourrai l’entendre rire,

où je pourrai la voir danser,

alors ça sentira la cire

et la fleur fraîchement coupée ;

ensuite elle y chantonnera

en écoutant de la musique

comme elle le faisait autrefois,

avant… avant qu’elle ne me quitte…

parce que je me suis mis à boire,

parce que je ne me suis plus lavé,

parce qu’en ma tête c’est la foire,

que mon corps a démissionné,

parce que mon esprit m’abandonne,

que flotte un brouillard permanent,

parce que le diable m’aiguillonne,

et que tout devient pestilent !

 

Promis, quand ma belle reviendra

je laverai à fond l’intérieur

de la maison… et puis de moi…

bien sûr j’y mettrai tout mon cœur,

je briquerai tout, jour et nuit,

je désempilerai les livres,

et nous lirons des poésies ;

alors je ne serai plus ivre

que d’elle, de ses fêtes charnelles,

et nous sortirons comme avant

écouter le chant des sittelles

le soir sur le cèdre du Liban ;

je remplacerai mes guenilles

par des vêtements à la mode,

je prendrai le fil et l’aiguille

pour coudre un nouvel épisode…

puis je me parfumerai même,

je redeviendrai le gars d’avant…

avant de lui poser problème…

avant qu’elle ne prenne le vent !

 

Promis, quand ma belle reviendra

nous retrouverons d’autres amis…

parce que je ne vois plus ceux-là…

et parce que j’ai perdu ceux-ci…

et le dimanche, comme elle aimait,

nous irons au bord de la mer

écrire près de l’eau, à grands traits,

nos initiales à cœur ouvert ;

puis à la place de la gnole

sur les étagères, le buffet,

je ferai une farandole

de desserts, de plats cuisinés…

ça embaumera le café,

l’air des garrigues, et le soleil

des quatre saisons viendra bercer

les draps blancs de notre sommeil !

 

Mais quand me raserais-je encore ?

Quand ouvrirais-je les volets ?

Comment croire à cette aurore

qui me ramènera l’être aimé ?

 

La bouteille verse sur le lit

le nectar de la déchéance…

dois-je donc éteindre ma vie

d’une dernière contredanse ?

Un après-midi majuscule

Bien sûr qu’ils se foutent de nous

tous ces souverains démocrates

avec leurs costards, leurs cravates,

leur fausseté, leurs sales coups,

leur immunité, leurs dictats,

leurs mensonges, leur arrogance,

leur main sur le cœur pour la France,

leurs promesses de candidat,

au bec toujours la même chanson,

battant le pavé pour la gloire

fort persuadés que l’histoire

 immortalisera leur nom…

 

mais tu es là et je suis là

et l’on a fermé la fenêtre ;

enfin en paix, sans dieu ni maître,

nos doigts liés… et cætera…

 

Bien sûr qu’on parle de chômage,

d’immigration, de préjudices,

d’endettement, de sacrifices,

de canicule, de gros orages,

de pouvoir d’achat, de retraite,

de start-up, du vieux nucléaire,

de fous, de violeurs, d’incendiaires,

de criminels, de trouble-fêtes…

qu’on vante les châteaux, les jardins,

le bénévolat à la mode,

les hommes qui tissent, les enfants qui brodent,

et ceux qui changent de chemin…

 

mais tu es là et je suis là

et l’on a fermé la fenêtre ;

sans la télé, sans dieu ni maître,

nos lèvres collées… et cætera…

 

Bien sûr que la ville est grouillante,

qu’on y parle d’insécurité,

que la campagne est constellée

de lucioles et d’étoiles filantes…

comme de déserts médicaux,

de riflettes de voisinage,

de chants de coqs, de commérages,

de moustiques et de corbeaux…

bien sûr que pour ses ambitions

l’état nous prend tout ce qu’on a,

nous laissant juste Mardi Gras

le stress et la désillusion…

 

mais tu es là et je suis là

et l’on a fermé la fenêtre ;

abandonnés, sans dieu ni maître,

à nos caresses… et cætera…

 

Bien sûr qu’on travaille le dimanche,

que les familles sont démantelées,

déchirées et recomposées…

que les jonquilles s’accouplent aux pervenches,

que les ânes s’accouplent aux mulets,

que les manants s’accouplent aux vicomtes…

chacun y trouverait son compte

et les honneurs de la société !

c’est vrai que les vieux de la vielle

ne sont plus guère consultés,

c’est vrai que les jeunes ont étudié

comment mettre Paname en bouteille…

 

mais tu es là et je suis là

et l’on a fermé la fenêtre ;

dans la pénombre, sans dieu ni maître,

nos corps mêlés… et cætera…

 

mais tu es là et je suis là

et tout s’efface tout autour ;

 

demeurent les arômes de l’amour,

demeure l’insouciance d’autrefois…

demeurent nos corps qui ondulent…

un après-midi majuscule…

et cætera… et cætera… et cætera…

Nuit de veille

Dans une maison paysanne

où je prenais hier la tisane

entre la Beauce et le Berry,

on veillait une vielle femme ;

bien sûr on priait pour son âme,

 et pour la nôtre, certes, aussi !

 

Elle, raide comme le tisonnier,

semblait encore se régaler

des histoires de ceux d’ici,

et la famille, fort éprouvée,

avait sorti pour la veiller

quelques gâteaux et l’eau de vie…

 

car de la Beauce au Berry,

de Gallardon à Saint-Aigny,

des champs d’orge aux étangs de Brenne

on ne veille les morts à demi ;

on vient ici passer la nuit,

partager le pain et la peine !

 

Elle, blanche comme son drap de toile,

courait le chemin des étoiles

sous la fumée grise des bougies ;

puis les commères ôtèrent leur châle

sous les crépitements du poêle

et les lampées de riquiqui.

 

L’ombre vacillante des chandelles

en bouquets de blé et de prêle

dansait sur des murs sans couleur ;

parfois une brève étincelle

sautait d’un œil, d’une mamelle,

d’un souvenir haut en couleur.

 

Des confessions de fenaison,

de fêtes, de mauvaises saisons,

et puis d’amours illégitimes…

toujours le même feuilleton,

comme qui dirait « la tradition »…

on chante les mêmes comptines !

 

La morte semblait en rire aussi,

elle avait veillé tant d’amis

qu’elle connaissait bien ces soirées !

elle aimait que les copines rient,

ensemble elles avaient fait leur vie !

et là-haut c’est triste à pleurer.

 

Ensuite, d’un pas de déterré,

sur les tommettes on vit passer

un mulot gras comme un cochon…

et comme dans un ciel d’été

une comète vint raser

de ses cheveux verts le plafond.

 

Chacun allait d’une anecdote

sur la défunte, et la parlote

à tous donna soif et grand faim ;

alors ils sortirent la cocotte

et la farcirent d’une popote

qui mit des parfums au chagrin.

 

Le soleil retrouvait Paname

qu’on vantait encore son âme

et l’alouette de Pithiviers…

il n’y avait plus guère de flamme

aux bougies ni aux yeux des femmes,

le rata était terminé.

 

Le pâté de Chartres était loin,

Sancerre n’avait plus de vin,

la morte était couleur de blé ;

on rangea les chaises dans un coin,

et comme venait le matin

on s’embrassa main dans la main ;

 

la larme à l’œil on prit congé.

Le vent n’est jamais bleu, le vent n’est jamais rose

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

 

En ce temps-là sous le café

était la télé communale ;

je ne veux pas rouvrir la malle

remplie d’étoiles surannées,

 

ni rouvrir mon âme aux regrets,

ni choisir entre deux époques,

ou deux amours, ou deux bicoques…

de tout il faut s’accommoder…

 

mais puisque deux bribes me reviennent

laissez-moi vous conter la chose ;

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

revenons aux choses anciennes.

 

Le conseil avait installé

la télé sur une étagère

fixée entre deux murs de pierres

et les vivats de l’assemblée ;

 

nous étions soixante au village,

et sur les deux rangées de banc

nous étions là soixante enfants

à boire les mêmes images !

 

Je revois encore, bouche bée,

des papillons dans le regard,

ces ménines 1 et ces vieux brisquards

que la vie avait martelés…

 

je les revois rire de bon cœur

en se trémoussant sur les planches

et se frottant le nez des manches,

unis en un simple bonheur…

 

 je les entends pester parfois,

je les revois lever le poing,

réagir à brûle-pourpoint

contre les menteurs de l’Etat…

 

je les revois encore au débat

suivant « Les Dossiers de l’écran 2 »

pesant la grive et l’ortolan

le plus naïvement qu’il soit !

 

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

 

Je me souviens des « Raisins verts »,

de « La Caméra invisible »…

des sautes d’humeur du fusible,

des fichus de la vieille Esther…

 

du « Palmarès de la Chanson 4 »,

comme de « Chef-d’œuvre en péril 5 »,

des réparties du brave Emile

et des rires fous de Gaston…

 

Je revois « La Piste aux Etoiles 3 »,

et les adieux de Jacques Brel 6 »…

la télé sur le maître-autel

et les fidèles autour du poêle…

 

je me souviens d’ « Au Théâtre ce soir 6 »…

du tintement des derniers verres,

des bises sous le réverbère,

des pas repartant dans le noir.

 

Puisque deux bribes me reviennent

laissez-moi vous conter la chose ;

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

on se perd dans les choses anciennes !

 

L’Emile acheta la télé

et ne revint plus à la salle ;

bientôt on ne vit plus ses châles,

Esther acheta la télé…

 

puis comme un virus qui se donne

par le désir ou la fierté

d’autres achetèrent la télé…

l’un au printemps, Gaston en automne…

 

une poignée encore pour Noël…

peu à peu la salle se vida.

La télé ? On la débrancha.

Ce jour-là on perdit le ciel !

 

Le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

mais je vous ai conté ces choses…

bien qu’elles n’aient rien d’exceptionnel !

 

1: ménine : de l’occitan menina (grand-mère)
2 : Emissions TV 1967 
3 : Emissions TV 1964 
4 : Emissions TV 1965
5 : Emissions TV 1962 
6 : Concert J.Brel 1966 / Emissions TV 1966

 

A vous quatre

Peu importe qu’un jour le thym ne fleurisse plus ;

pour qui exhale-t-il encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour proche le soleil implose ;

pour qui s’entête-t-il encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour le ruisseau soit à sec ;

pour qui serpente-t-il encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour les cigales se taisent ;

pour qui craquètent-elles encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour les gratte-culs s’étiolent ;

pour qui mûrissent-ils encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour l’école ferme ses portes ;

pour qui le poêle fume-t-il encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour brûlent les cahiers de morale ;

pour qui la déférence subsiste-t-elle encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour se fanent les drapeaux rouges ;

pour qui la lutte est-elle le point du jour encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour gauche et droite se perdent ;

pour qui les idées usées prônent-elles encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour la petite église s’effondre ;

pour qui doit-elle demeurer debout encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour nous ayons cru à Dieu ;

pour qui sa main sera-t-elle salvatrice encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour on nous donna le message ;

pour qui a-t-il l’odeur de la justesse encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour la camarde nous alpague ;

pour qui la fin est-elle une idée noire encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour je ne cuisine plus

ces tendres allégories que je cueille dans les nues ;

pour qui donc mes images clopinent-elles encore

sinon les gens de vignes, vous quatre, et les grillons ?

 

L’homme nu

I

  

La pleine lune avait, déjà plus de cent fois,

du jeu perpétuel dont l’astre blond jouit,

à savoir se vêtir d’un apparat de soie

où de brumes rosées broder son fol esprit,

 

tiré l’épingle au gré des voluptés cosmiques

de la nuit qui s’égrène le long des sons glaireux,

archanges de mots doux, ronflements syllabiques,

pure fantasmagorie de tous gens orgueilleux !

 

Tel ce Dieu accoudé au balcon de l’Olympe

j’humais dans l’air du soir quelque éclat de bonté ;

philosophant au fil des valeurs les plus simples,

mon âme se gorgeait de vertus vanillées…

 

la fleur de bruyère ne convient pas au lieu ;

trop aride ; si beau sans le moindre artifice,

qu’au temps des folles amours j’y attèle mes vœux

et tire en sifflotant la houe de mes caprices…

 

le roulis des cyprès, étiolés à la taille,

dans l’azur pigmenté de papillons nacrés,

pareil aux filles des bals de la fin des semailles,

caressait sous les cieux un quatre temps parfait…

 

une onde claire allait, sans se presser vraiment,

léchant les rocs moussus d’une arrière-saison,

clapotant par ici, par-là se lamentant,

errant par habitude, sans but et sans raison…

 

afin qu’entre les plis de leur ventre adipeux

ne s’égarent en chemin les messagers d’Eole,

les candélabres, jaunis par la fumée des vieux,

accrochaient dans la plaine leurs mornes girandoles…

 

l’aurore était honnête et respectait les lois,

la logique sacrée, la gouverne des temps ;

le souffle d’Artémis, sur mon chemin de croix,

vint comme une promesse… et fût envoûtement !

 

la grive, si criarde, en son lit de feuillage

susurrait en silence, par ses vols éreintée,

les abeilles et les baies de ses papillotages ;

oiselle, mon amie, que demain te soit gai !

 

de ma blague polie au velours côtelé

d’un fond de poche usé par des ongles trop lourds,

quelques brins de tabac, à trois herbes mêlés,

sautaient en persillant, ô fieu, les alentours…

 

d’entre mes doigts brunâtres au travers de ma lippe,

d’un geste familier, d’un plaisir méthodique,

fidèle au règlement des étranges principes,

je bordais, là, ma nuit, d’un drapé féerique !

 

Apollon, par mégarde, me pensant assoupi

ou sur l’heure asservi à l’emprise des sens,

saupoudra les volutes de mes rêveries

de perles de folie et de poudre d’encens.

 

 II

 

 Au nirvana bleuté de l’extase empirique,

fidèle au souvenir des voyages d’antan,

lorsque la brume ôtait ses voiles impudiques

ma couche s’entrouvrait sur des lieux bienfaisants…

 

alors, l’esprit vidé d’encombre matérielle

j’atteignais l’océan de la sérénité ;

pendant que tremblements, sueurs et ribambelles

empoignaient ma tête et faisaient tout sauter

 

mon âme, elle, dansait au pays des sorcières

dont elle perçait la nuit de rires pénétrants ;

 apparaissaient alors aux reflets des cuillères,

Baudelaire et Gautier et l’hôtel Pimodan,

 

la confiture verdâtre des jeunes initiés,

les moqueries d’anciens, les réunions secrètes ;

les coches de l’île saint Louis, les délires programmés

mêlaient dans l’air ambiant, les Dieux, les hommes aux bêtes !

 

bien sûr, je n’étais rien qu’un corps dans la garrigue,

avachi en bordure des rives de l’enfer…

du « Paradis » dirait le père de Rodrigue !

ô Corneille, l’ami, pardonnes mes éthers…

 

quand tout tourne, sais-tu, de Ronsard et sa rose,

des orphelins de Rimbaud au triste hiver d’Eluard,

le passage clandestin des rimes à la prose

fiance les tragédies au roman de Renart !

 

chacun n’est que lui-même ! à quoi bon se mentir ?

Soi, en fait, est tout autre… et c’est Dieu que voici !

au balcon de l’Olympe Dieu SOI se fait plaisir

et nos corps dénudés redeviennent fourbis !

 

bientôt, d’ici, naîtra un monde unique et rond,

incontestablement j’en serai le maître !

les Dieux, au pinacle, unis me porteront !

qui pourrait sous vos cieux dire qu’il s’est vu renaître ?

 

ô nuages enfuis, ô lune galopante…

qu’il est doux, aujourd’hui, ce semblant de retour !

ô pays de l’absinthe, ô prairies d’acanthes,

ô pétales de rimes, ô couleurs de l’amour !

 

Apollon, par mégarde, me pensant assoupi

où sur l’heure asservi aux effets de la drogue,

saupoudra les volutes de mes rêveries

de poudre de folie et pensés interlopes.

  

III

  

Sur le char d’Apollon, Phaéton, les larmes aux yeux,

ordonnait aux chevaux de calmer leur ardeur,

car où Phaéton passait, tout n’était plus que feu ;

 vint le bruit du tonnerre, puis le calme enchanteur…

 

l’ondine, si tranquille, qui courait à mes pieds,

se fendit par là même où les ajoncs, tantôt,

jouant aux clapotis comme des gosses désœuvrés

riaient en aspergeant leurs superbes manteaux…

 

quand un chant mélodieux, entrecoupé de voix,

me parvint du ruisseau en un halo doré,

trois créatures de chair, vêtues de draps de soie,

dessinaient le profil d’une étrange destinée…

 

les nymphes allaient souffler une chaleur intense,

un bonheur sans pareil, une ivresse lucide ;

comme bouquet final de mes dernières transes,

je régnais désormais sur les terres d’Euripide !

  

IV

 

Bien sûr, la lune avait, une nouvelle fois,

du jeu perpétuel dont l’astre blond jouit,

à savoir se vêtir d’un apparat de soie

ou de brumes rosées troubler mon fol esprit,

 

tiré l’épingle au gré des volontés humaines,

rassasié l’un des siens, réconforté un brin !

 

A chacun son histoire, à tous la même peine

à tous le même but… à chacun ses chemins.