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Ni vigneron ni força

Je ne sais si cette année les souches ont la rondeur

des femmes en délicatesse de huit mois ;

des ventres lisses et ronds chantant dans leur chaleur

les trésors de la vie, de leur plus douce voix…

 

je ne sais si le vent marin boit aux rameaux

ni si le soleil coule sur le pourpre des grains,

si les cigales solfient dans leurs soirs rougeauds,

si d’autres abreuveront de moût leurs fols quatrains…

 

je ne peux faire de pronostic de vendange,

vous dire si le cru va tenir ses promesses,

si les cueilleurs bûcheront les pieds dans la fange

ou si fuseront dans l’azur des traits de liesse…

 

vous dire si ailleurs les machines sont prêtes

à enjamber les ceps et avaler l’offrande,

comme le font, au ruisseau sacré, les poètes,

et la tramontane vorace sur la brande…

 

je ne sais si la musique des barriques qu’on roule,

ou l’alcool des anges sous les voutes des caves,

ou les senteurs ferrées des outils qu’on émoule

rempliront l’âme de mes frères les plus braves…

 

je ne sais à quelle sauce cuira la saison,

si les foudres cuveront un automne charnel,

s’il fera bon, ensuite, sous les coups de tisons,

et ce que chanteront les futurs ménestrels…

 

je ne sais

 

car mon corps s’est éteint juste avant la récolte,

roulé par les déferlantes de temps ingrats ;

et je suis là, couché face aux vieilles archivoltes,

sur un drap à longs pans et sous un ciel extra…

 

je suis là, rouge encore, comme ceux des révoltes !

je suis là, raide et blanc, comme ceux du trépas !

je suis là, au milieu d’amours qui virevoltent ;

je ne suis plus rien, ni vigneron ni força !

Soixante-dix ans en partage

Tant de soleils ont tout blanchi,

tant de pluies ont tout lessivées,

tant de grêlons ont rebondi

sur les lames de nos parquets,

tant de gelées ont racorni

le bout de nos souliers ferrés,

tant de boutons d’or ont fleuri

sur nos rêves d’égalité…

 

tant de progrès en peu de temps,

tant de vitesse, tant de violence,

tant d’espoirs, tant de différends,

tant de baisers, tant de démence,

tant de fêtes et tant d’absents,

tant de chardons dans la balance,

tant de pierres, tant de chiendent,

tant de sueurs et de souffrances…

 

tant de musiques sont passées,

tant d’amis lointains sont venus,

tant de fricots ont mijoté,

tant de chocolats ont fondu

et tant de verres ont tinté,

tant d’embrassades de bienvenue,

tant de nappes blanches ont flotté

comme des drapeaux de salut…

 

tant de lundis gris et cassants,

tant de souches à la rangée

tant de « bofanèlas », de sarments,

tant de capelines ajustées

et tant de sourires brûlants,

tant de rouquettes à couper,

tant de raisins noirs et craquants,

tant de misère à supporter…

 

puis tant d’hivers et tant de bûches,

tant de langes épais étendus

sur de longs fils de fanfreluches,

tant de saucisse dépendue

et de pain volé à la huche,

tant de crucifix, de statues,

de laurier bénit et d’embuches,

tant de secrets dans le bahut…

 

tant de vendanges en chemisettes

tant de tombereaux attelés,

tant de biscuits et d’anisette

pour le repas sous le noyer,

tant d’anecdotes dans les assiettes,

d’abeilles dans les seaux sucrés,

tant de sécateurs, d’oreillettes

et de bonheur à partager…

 

et tant de valses pour lesquelles

nous avons couru à vélo

tant de chemins où la dentelle

coulait le long des caracos ;

au pédalier tant d’étincelles

et tant de frissons dans le dos,

non tant pour la fête charnelle

mais pour l’ivresse du tango !

 

Depuis nos jambes se sont tues,

on ne marche plus, on fait rouler,

et si notre monde exigu

de souvenirs est tapissé,

comme deux jeunes ingénus

on tue nos journées à s’aimer,

puis on sommeille confondus

en écoutant le vent chanter.

 

« bofanèlas » :   fagots de sarments de vigne en langue d’Oc.

 

L’églantine

J’aurais pu trembler quand ses mots ont ensemencé

mon ciel ;

J’aurais pu trembler quand de ses doigts elle a couvert

mes doigts ;

J’aurais pu trembler quand ses lèvres ont déposé sur mes lèvres

la paix ;

J’aurais pu trembler quand le murmure de ses râles a étreint

ma raison ;

J’aurais pu trembler quand sa bouche a muselé

mes sens ;

J’aurais pu trembler quand sa jambe a coiffé

ma jambe ;

J’aurais pu trembler quand elle a clos ses yeux sur

mes désirs ;

J’aurais pu trembler quand ses désirs ont perforé

l’instant ;

J’aurais pu trembler quand l’instant fut mûr

à point ;

J’aurais pu trembler quand son allant a pris

ma peau,

J’aurais pu trembler quand mes mains ont sculpté

son corps ;

J’aurais pu trembler quand mon agonie a perlé sur

son cou ;

J’aurais pu trembler quand m’ont étreint

ses silences ;

J’aurais pu trembler quand mes doigts ont dansé sous

sa robe ;

J’aurais pu trembler quand l’éther a ouvert

ses grilles ;

j’aurais pu trembler quand ses alcools se sont

épanchés ;

 

j’aurais pu trembler mais le diable n’attendait que ça.

 

En effleurant ses pétales je tremblerai déjà

lorsque l’églantine éclora pour la seconde fois.

Alphabet d’une perturbation

Un, le bruit de la ville avalant goulument le hoquet des pigeons,

deux, les ballets de la pluie sur l’élasticité d’un extérieur fuligineux,

trois, le calme apparent d’un intérieur tranquille,

quatre, un chat lové dans un panier de château,

cinq, le vent jouant au cerceau dans les coursives…

et Nina, des arômes d’été sur des coussins d’automne.

 

Six, un paradis artificiel où domine le noir,

sept, un rai de soleil sur un faisceau de jour,

huit, la peau à nu du temps qui stoppe là sa course,

neuf, un univers tout neuf vernit l’immobilisme,

dix, la sueur coule sur les doigts longs de l’orage…

et Nina, des arômes d’été sur des coussins d’automne.

 

Onze, douze, treize et quatorze, la furie de la conjonction,

quinze, seize et dix-sept, le chant pantelant de l’orage qui s’exile,

dix-huit, les larmes de foudre à livre ouvert,

dix-neuf, je lis,

vingt, je pleure…

et Nina, des arômes d’été sur des coussins d’automne.

 

Vingt-et-un, le soleil lèche à nouveau les barreaux de la balustrade,

vingt-deux, la vie tape à la vitre, je n’ouvre pas,

vingt-trois, sur le livre ouvert perle un sanglot perdu,

vingt-quatre, le monde nouveau m’embrasse et disparaît,

vingt-cinq, Nina, mon rêve, court parmi les nuages…

vingt-six, l’hiver se love sur des coussins de deuil.

 

Visite inattendue

Mercredi soir, après dîner, j’avais jeté

mon corps, un crayon noir, deux feuilles de papier,

(il en est ainsi quand je sens naître la fibre)

une idée assez folle et un brin de temps libre

sur les velours anthracite du canapé.

 

J’enfilais des perles à mes colliers de quatrains,

plutôt humoristiques d’ailleurs, quand soudain,

d’un pommeau de canne on vint toquer à la porte.

Soupirant à l’idée que l’affaire était morte,

je posais là l’histoire, les rimes et le sous-main…

 

croyez qu’être coupé en pleine inspiration

vous file les abeilles autant que le bourdon !

Le pommeau de la canne toquait à nouveau.

J’ouvris. Comme l’eau de pluie versait du chéneau,

je fis vite entrer mon hôte  dans le salon !

 

La coule et la cuculle noires comme chagrin,

les spartiates… je crus voir un bénédictin…

un moine égaré sous cette averse battante !

que nenni, la faucheuse, la vieille diligente

venait bien me quérir en plein alexandrin !

 

Percevant sous sa capuche son teint blafard,

comme il se doit j’ouvris grand les portes du bar

et lui versais, comme il se fait en Amérique,

un scotch sur de la glace, alcool emblématique…

chez nous accompagné de fritons de canard !

 

Comprenant que je dus terminer l’épigramme

avant de m’en remettre à elle corps et âme,

posant dans le fond d’un fauteuil club son derrière

elle m’accorda une demi-heure supplémentaire.

Elle prit le remontant, je repris le cinname.

 

Voyant qu’elle prenait goût au scotch et au musqué

et qu’elle rêvait d’un autre verre dans le nez,

pour satisfaire les douces envies de la vieille,

brave comme le pain, je lui offris la bouteille

et forcément la vieille finit par s’ivrogner !

 

Puis elle se mit à rire si fort dans sa barbiche

qu’elle stoppa les muses courant sur l’hémistiche ;

je crus alors que mon heure était arrivée !

que nenni, la vieille, hilare, alors s’est levée

et titubant s’en est allée ; noire godiche !

 

L’écho me ramena que nous étions amis

et qu’elle reviendrait dans quelques décennies

voir si mon épigramme est enfin terminée.

Il va de soi que j’aurai du scotch, du musqué,

un poème sur le feu, de la glace pilée…

et mes textes garnis de lapsus-calami !

La balade autour du lac

Histoire de sortir le derrière du hamac,

nous avions décidé de faire le tour du lac ;

les vacances ont ceci qu’elles sont abêtissantes,

aussi, prendre l’air frais et les senteurs des plantes

nous semblait être un exercice des plus sain

avant d’aller croquer le broutard au cumin !

nous marchions toujours main dans la main, d’un pas lent ;

d’un pas de juilletiste ou de convalescent !

 

Les joncs, épars, bordaient, comme de bien entendu,

les berges enracinées de la retenue

et les colverts allaient en bandes de copains

parmi les nénuphars et les touffes de plantain ;

l’eau laissait onduler ses gerçures légères,

quand les oiseaux poussaient la chanson forestière

orchestrée par un pic sur un billot de bois,

et nous suivions, radieux, la rive de guingois.

 

Nous évoquions le broutard au cumin,  les toasts,

puis, ne sachant par quel biais, l’aporie de Faust ;

oui, l’âme vagabondant en de tels endroits,

amplement décalée allègue ce qu’elle perçoit,

aussi, nous respirions tant l’humus de l’esprit

que celui des fougères et des millepertuis !

il est de doux moments où tout vous appartient,

la terre et le ciel, l’amour, en un tournemain !

 

Bien. Naturellement, d’une éclipse de lumière,

(il est là métaphore), d’un buisson mellifère,

la lune et le soleil, d’un coup de cul rageur,

pieds par-dessus cap, dans l’exigence de nos cœurs

se sont frottés sur les trompettes de méduse ;

permettez de temps en temps que le corps s’amuse !

puis, pleins d’amour, nous avons repris le chemin

guidés par le fumet du broutard au cumin.

 

Quant à savoir pourquoi j’ai composé ces rimes,

sachez

que de toute anecdote la poésie se grime !

Fleur de lotus

Un petit air de violoncelle:

la “Ballade pour un trois-quart“,

un va-et-vient de balancelle,

une capeline, un foulard,

 une longue robe d’organdi,

 sautoir Hermès et escarpins,

un rouge à lèvres Givenchy,

des gants résilles en satin,

des clés à cheval sur un sac,

table de bronze ciselé,

deux verres, ice et applejack,

 une Jaguar bleue mal garée…

 

un saule pleureur, une barque,

une allée de quartz vert amande

bordée des trois statues des Parques,

des romarins en plates-bandes,

l’eau calme de la retenue,

carolins, mandarins, sarcelles,

des pizzicatos trotte-menu,

l’ombre furtive d’une ombrelle,

un subtil parfum de lilas

et des mésanges alentours,

des roses étagées ci-et-là,

deux cyprès chandelle dans la cour…

 

un violoncelle qui s’éteint,

une porte à petits carreaux

qu’on ouvre au museau d’un carlin,

un chien baveux, noir et lourdaud,

puis deux verres qui s’entrechoquent

dans un tintement de cristal

et de la musique baroque

entre les voiles du mistral,

une robe qui git à terre,

une Jaguar vitres ouvertes ;

 

juste une histoire d’adultère ;

une fleur de lotus offerte.

Les enfants

Ils venaient contre moi, nous mettions la musique,

leur esprit s’égarait en ces landes magiques

qui sorties du vinyle prenaient vie sur les murs,

et leurs bras étaient chauds et leur regard si pur;

 

leur souffle, sur ma peau, comme un parfum sauvage

exhibait la candeur des enfants de leur âge.

Ils aimaient, en suivant les anges dans le ciel,

écouter chaque soir les contes de Noël !

 

Ils venaient se blottir et je ne sais des trois

qui tenait la main de Dieu, mes enfants ou moi !

les anges et les bergères promenaient au plafond

leurs sabots de buis blanc, leurs chiens et leurs moutons !

 

Parfois, sortis d’un rêve, ils me disaient « papa ! »

je n’avais le temps de répondre que déjà

ils chevauchaient Pégase, je chevauchais le vent ;

avec mes deux petits nous étions trois enfants !

 

Comme les flocons au dehors, chez nous voletaient

les perles de bonheur et les bulles de gaieté ;

nous ne brûlions guère de bois à la saison

mais nos longs câlins réchauffaient notre salon !

 

Puis les enfants ont atteint l’âge de raison

et la mode n’est plus aux vieux microsillons …

mais un jour, à Noël, nous nous embrasserons

et chanterons en choeur nos anciennes chansons !

 

Avec eux j’ai grandi, avec eux j’ai passé

tant de moments à croire à l’immortalité ;

avec eux j’ai vieilli et je saurai bientôt

si de croire au divin rend l’homme bon ou sot !

Pour rien

Je suis passé par la chapelle

où Gladys priait, autrefois,

les mains croisées sur le missel

et les yeux rivés sur la croix ;

 

Gladys implorait, à genoux,

toute la noblesse des cieux …

pour rien,

car jamais l’un de ces ripoux

n’exauça le moindre de ses vœux !

 

Combien de jours et de semaines,

sur ces malons de pierre humide

elle fit trace de sa peine,

de larmes sillonnèrent ses rides ?

 

Dieu (Père et Fils), Marie, Joseph,

Saint Antoine, toute la cohorte

des anges ailés de la nef…

pour rien !

même si Gladys était forte,

 

même si Gladys était belle,

même si ses dix-huit ans hurlaient,

même si Gladys portait en elle

quelque bâtard comme ils disaient,

 

sa place était avec les siens,

aux champs, au chaud des cheminées,

à préparer comme il convient

la paillasse du futur bébé !

 

Pour rien Gladys n’aurait souhaité

que son rejeton eut pour père

un saisonnier, un feu follet !

mais l’amour frappe à sa manière,

   vous le savez ?

 

sinon courrez le rattraper,

lancez les chiens et les rapaces,

creusez des pièges, faites brûler

tous les cierges de la paroisse…

pour rien !

 

J’ai traîné ma vieille carcasse

où Gladys priait à genoux

pour retrouver un peu de grâce

auprès des femmes de chez nous.

 

Quand l’angélus donna le ton,

elle mit sa couronne de houx ;

son monde alors était si flou

qu’elle sauta par-dessus le pont…

pour rien !

 

La grande noblesse céleste

n’ayant pas daignée faire un geste,

les innocentes au cœur de pierre

mirent Gladys et bâtard en terre…

c’est tout !

 

Je passe devant la chapelle

pour m’en aller cueillir du houx,

mais comme là rien ne m’interpelle

jamais je ne tire les verrous ;

au ciel on se moque de nous

et ma maigre foi bat de l’aile ;

de la famille machin je m’en fouts

je ne suis plus de la clientèle !

 
 

Un jour la chapelle tombera !

quant aux prières de Gladys,

Vade rétro, De Profundis,

d’un rien, le lierre les recouvrira…

 

c’est la seule loi, ici bas !

Le dernier automne

A travers sa vitre embuée

elle boit la pluie de la grand-rue,

à présent les trottoirs sont nus,

c’est l’automne qui paie la tournée !

 

Quand on est vieille et fatiguée,

quand ses pieds font la sourde oreille,

quand le vieux temps vous ensommeille,

l’eau bénite se boit à gorgées !

 

C’est le cliquetis dans les flaques

qu’elle affectionne, paupières closes;

quand on est triste, faut pas grand chose !

quand on est triste et puis patraque

 

les premières notes qui viennent,

les seules musiques qui passent,

on les accroche, on les enlace,

on les embrasse, on les malmène…

 

puis, comme les perles de buée

elles glissent le long du carreau

et rejoignent au caniveau

les cliquetis de la chaussée !

 

Les saisons prennent, une à une,

les coeurs, les vies, les vieilles vestes,

les souvenirs et tout le reste;

même la blancheur à la lune !

 

Même l’esprit passe à la meule !

le jour prend tout, la nuit le reste,

l’un s’en fout et l’autre proteste;

les saisons font ce qu’elles veulent !

 

Devant sa fenêtre embuée

le soleil éclaire la grand-rue,

l’habitude prend le dessus,

 le nez à la vitre; collé !

                                       

                                       Devant une vitre embuée

                                     son dernier automne sévit;

                                   certains diront que c’est la vie;

                                                           

                                       je serai le seul à pleurer!