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Pas d’amélioration en vue

Toujours des éoliennes au travers des sapins,

toujours des barbelés en travers des chemins,

toujours des chasseurs à travers bois et maquis,

toujours de vastes barrages pour noyer la vie,

 

toujours plus de jeux pour divertir la tribu,

toujours des corridas, des taureaux pourfendus,

toujours la loterie pour donner de l’espoir,

toujours la matraque à l’autre bout du couloir,

 

toujours la redevance pour des crimes, des urgences,

toujours des compromis, toujours des accointances,

toujours plus de téléréalités malsaines,

toujours plus de chansons à donner la migraine,

 

toujours plus de journaux télé subliminaux,

toujours plus de premiers de la classe, de fayots,

toujours plus de mensonges, toujours plus de non-dits,

toujours d’autres ministres, toujours plus de bandits,

 

toujours des gens de cour entourant notre roi,

toujours des sentinelles au sommet des beffrois,

toujours le faste, les courbettes et le dédain,

toujours le peuple qui a de plus en plus faim,

 

toujours les guerres ailleurs qui rapportent beaucoup,

toujours les entourloupes, toujours les sales coups,

toujours plus de gavés du commerce de l’homme,

toujours plus de fachos se croyant des surhommes,

 

toujours la condition féminine qui recule,

toujours des gens qu’on bat et qu’on viole et qu’on brûle,

toujours la misère de la rue qu’on ne combat,

toujours plus d’autos qui glissent sur le verglas,

 

toujours plus de radars pour la moisson finale,

toujours plus de cow-boys à la municipale,

toujours plus de pression, de burnouts, de suicides,

toujours plus d’histoires familiales sordides,

 

toujours plus de quidams qu’on se doit d’abêtir,

toujours des pauvres gens qui n’ont plus qu’à s’enfuir,

toujours la planète qui va de mal en pis,

et toujours la faute au réchauffement, pardi,

 

toujours ce dieu dont on parle sans jamais le voir,

toujours cet autre de l’autre côté du miroir,

toujours ces croyances pour lesquelles on se tue,

toujours ces hommes qui choisissent de vivre reclus,

 

toujours ces femmes qui offrent leur corps volontiers,

toujours celles qui le vendent pour quelques deniers,

et toujours cette pièce que l’on donne à la quête,

et toujours un papillon sur les serre-têtes,

 

toujours le sourire au bout de l’hypocrisie,

toujours Montaigne plutôt que La Boétie,

toujours Mozart plutôt que Saint-Saëns ou Lully,

toujours la sagesse à la place de la folie,

 

toujours l’écrivain et toujours ses idées noires,

toujours ses heures perdues devant l’écritoire,

et toujours celui qui ne lit pas, qui s’en fout,

et toujours celui qui aime porter le licou…

 

et toujours Garrigou vous offrant ses pensées

comme des bonbons au miel, comme un verre de rosé…

et toujours Garrigou, nu devant le poème,

cherchant à travers mots à vous dire qu’il vous aime,

 

et toujours et toujours, et toujours et encore…

Le vent n’est jamais bleu, le vent n’est jamais rose

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

 

En ce temps-là sous le café

était la télé communale ;

je ne veux pas rouvrir la malle

remplie d’étoiles surannées,

 

ni rouvrir mon âme aux regrets,

ni choisir entre deux époques,

ou deux amours, ou deux bicoques…

de tout il faut s’accommoder…

 

mais puisque deux bribes me reviennent

laissez-moi vous conter la chose ;

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

revenons aux choses anciennes.

 

Le conseil avait installé

la télé sur une étagère

fixée entre deux murs de pierres

et les vivats de l’assemblée ;

 

nous étions soixante au village,

et sur les deux rangées de banc

nous étions là soixante enfants

à boire les mêmes images !

 

Je revois encore, bouche bée,

des papillons dans le regard,

ces ménines 1 et ces vieux brisquards

que la vie avait martelés…

 

je les revois rire de bon cœur

en se trémoussant sur les planches

et se frottant le nez des manches,

unis en un simple bonheur…

 

 je les entends pester parfois,

je les revois lever le poing,

réagir à brûle-pourpoint

contre les menteurs de l’Etat…

 

je les revois encore au débat

suivant « Les Dossiers de l’écran 2 »

pesant la grive et l’ortolan

le plus naïvement qu’il soit !

 

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

 

Je me souviens des « Raisins verts »,

de « La Caméra invisible »…

des sautes d’humeur du fusible,

des fichus de la vieille Esther…

 

du « Palmarès de la Chanson 4 »,

comme de « Chef-d’œuvre en péril 5 »,

des réparties du brave Emile

et des rires fous de Gaston…

 

Je revois « La Piste aux Etoiles 3 »,

et les adieux de Jacques Brel 6 »…

la télé sur le maître-autel

et les fidèles autour du poêle…

 

je me souviens d’ « Au Théâtre ce soir 6 »…

du tintement des derniers verres,

des bises sous le réverbère,

des pas repartant dans le noir.

 

Puisque deux bribes me reviennent

laissez-moi vous conter la chose ;

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

on se perd dans les choses anciennes !

 

L’Emile acheta la télé

et ne revint plus à la salle ;

bientôt on ne vit plus ses châles,

Esther acheta la télé…

 

puis comme un virus qui se donne

par le désir ou la fierté

d’autres achetèrent la télé…

l’un au printemps, Gaston en automne…

 

une poignée encore pour Noël…

peu à peu la salle se vida.

La télé ? On la débrancha.

Ce jour-là on perdit le ciel !

 

Le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

mais je vous ai conté ces choses…

bien qu’elles n’aient rien d’exceptionnel !

 

1: ménine : de l’occitan menina (grand-mère)
2 : Emissions TV 1967 
3 : Emissions TV 1964 
4 : Emissions TV 1965
5 : Emissions TV 1962 
6 : Concert J.Brel 1966 / Emissions TV 1966

 

L’homme nu

I

  

La pleine lune avait, déjà plus de cent fois,

du jeu perpétuel dont l’astre blond jouit,

à savoir se vêtir d’un apparat de soie

où de brumes rosées broder son fol esprit,

 

tiré l’épingle au gré des voluptés cosmiques

de la nuit qui s’égrène le long des sons glaireux,

archanges de mots doux, ronflements syllabiques,

pure fantasmagorie de tous gens orgueilleux !

 

Tel ce Dieu accoudé au balcon de l’Olympe

j’humais dans l’air du soir quelque éclat de bonté ;

philosophant au fil des valeurs les plus simples,

mon âme se gorgeait de vertus vanillées…

 

la fleur de bruyère ne convient pas au lieu ;

trop aride ; si beau sans le moindre artifice,

qu’au temps des folles amours j’y attèle mes vœux

et tire en sifflotant la houe de mes caprices…

 

le roulis des cyprès, étiolés à la taille,

dans l’azur pigmenté de papillons nacrés,

pareil aux filles des bals de la fin des semailles,

caressait sous les cieux un quatre temps parfait…

 

une onde claire allait, sans se presser vraiment,

léchant les rocs moussus d’une arrière-saison,

clapotant par ici, par-là se lamentant,

errant par habitude, sans but et sans raison…

 

afin qu’entre les plis de leur ventre adipeux

ne s’égarent en chemin les messagers d’Eole,

les candélabres, jaunis par la fumée des vieux,

accrochaient dans la plaine leurs mornes girandoles…

 

l’aurore était honnête et respectait les lois,

la logique sacrée, la gouverne des temps ;

le souffle d’Artémis, sur mon chemin de croix,

vint comme une promesse… et fût envoûtement !

 

la grive, si criarde, en son lit de feuillage

susurrait en silence, par ses vols éreintée,

les abeilles et les baies de ses papillotages ;

oiselle, mon amie, que demain te soit gai !

 

de ma blague polie au velours côtelé

d’un fond de poche usé par des ongles trop lourds,

quelques brins de tabac, à trois herbes mêlés,

sautaient en persillant, ô fieu, les alentours…

 

d’entre mes doigts brunâtres au travers de ma lippe,

d’un geste familier, d’un plaisir méthodique,

fidèle au règlement des étranges principes,

je bordais, là, ma nuit, d’un drapé féerique !

 

Apollon, par mégarde, me pensant assoupi

ou sur l’heure asservi à l’emprise des sens,

saupoudra les volutes de mes rêveries

de perles de folie et de poudre d’encens.

 

 II

 

 Au nirvana bleuté de l’extase empirique,

fidèle au souvenir des voyages d’antan,

lorsque la brume ôtait ses voiles impudiques

ma couche s’entrouvrait sur des lieux bienfaisants…

 

alors, l’esprit vidé d’encombre matérielle

j’atteignais l’océan de la sérénité ;

pendant que tremblements, sueurs et ribambelles

empoignaient ma tête et faisaient tout sauter

 

mon âme, elle, dansait au pays des sorcières

dont elle perçait la nuit de rires pénétrants ;

 apparaissaient alors aux reflets des cuillères,

Baudelaire et Gautier et l’hôtel Pimodan,

 

la confiture verdâtre des jeunes initiés,

les moqueries d’anciens, les réunions secrètes ;

les coches de l’île saint Louis, les délires programmés

mêlaient dans l’air ambiant, les Dieux, les hommes aux bêtes !

 

bien sûr, je n’étais rien qu’un corps dans la garrigue,

avachi en bordure des rives de l’enfer…

du « Paradis » dirait le père de Rodrigue !

ô Corneille, l’ami, pardonnes mes éthers…

 

quand tout tourne, sais-tu, de Ronsard et sa rose,

des orphelins de Rimbaud au triste hiver d’Eluard,

le passage clandestin des rimes à la prose

fiance les tragédies au roman de Renart !

 

chacun n’est que lui-même ! à quoi bon se mentir ?

Soi, en fait, est tout autre… et c’est Dieu que voici !

au balcon de l’Olympe Dieu SOI se fait plaisir

et nos corps dénudés redeviennent fourbis !

 

bientôt, d’ici, naîtra un monde unique et rond,

incontestablement j’en serai le maître !

les Dieux, au pinacle, unis me porteront !

qui pourrait sous vos cieux dire qu’il s’est vu renaître ?

 

ô nuages enfuis, ô lune galopante…

qu’il est doux, aujourd’hui, ce semblant de retour !

ô pays de l’absinthe, ô prairies d’acanthes,

ô pétales de rimes, ô couleurs de l’amour !

 

Apollon, par mégarde, me pensant assoupi

où sur l’heure asservi aux effets de la drogue,

saupoudra les volutes de mes rêveries

de poudre de folie et pensés interlopes.

  

III

  

Sur le char d’Apollon, Phaéton, les larmes aux yeux,

ordonnait aux chevaux de calmer leur ardeur,

car où Phaéton passait, tout n’était plus que feu ;

 vint le bruit du tonnerre, puis le calme enchanteur…

 

l’ondine, si tranquille, qui courait à mes pieds,

se fendit par là même où les ajoncs, tantôt,

jouant aux clapotis comme des gosses désœuvrés

riaient en aspergeant leurs superbes manteaux…

 

quand un chant mélodieux, entrecoupé de voix,

me parvint du ruisseau en un halo doré,

trois créatures de chair, vêtues de draps de soie,

dessinaient le profil d’une étrange destinée…

 

les nymphes allaient souffler une chaleur intense,

un bonheur sans pareil, une ivresse lucide ;

comme bouquet final de mes dernières transes,

je régnais désormais sur les terres d’Euripide !

  

IV

 

Bien sûr, la lune avait, une nouvelle fois,

du jeu perpétuel dont l’astre blond jouit,

à savoir se vêtir d’un apparat de soie

ou de brumes rosées troubler mon fol esprit,

 

tiré l’épingle au gré des volontés humaines,

rassasié l’un des siens, réconforté un brin !

 

A chacun son histoire, à tous la même peine

à tous le même but… à chacun ses chemins.

Le doute affreux

Nitrates, paracétamols,

perturbateurs endocriniens,

pesticides, séléniums,

bactéries, radioactivité…

 

chéri, prenez un verre d’eau du robinet !

 

bactérie Eschérichia coli,

antibiotiques, salmonelles,

dioxines, activateurs de croissance,

biocides, métaux lourds…

 

chéri, laissez-vous tenter par un succulent steak haché !

 

fongicides, herbicides,

nématicides, insecticides,

désherbants, phosphates,

xénobiotiques, tensioactifs…

 

chéri, consommez-vous vos cinq fruits et légumes au quotidien ?

 

méthylmercure, dioxine,

polychlorobiphényles,

cadmium, plomb,

arsenic, organo-étains…

 

Chéri, que diriez-vous d’un poisson pour varier le menu ?

 

particules, ozone,

oxydes d’azote,

dioxine de soufre,

ammoniac, benzène…

 

chéri, prenez donc un grand bol d’air frais !

 

Syphilis, condylome,

blennorragies, Chlamydia trachomatis,

mycoses, herpès, sida,

lymphogranulomatose vénérienne rectale…

 

chéri, le sexe est excellent pour le moral !

 

Voyez-vous, amis, parfois je me demande si l’amour que me voue cette femme est des plus sincère…

Mon Pierre, as-tu trouvé la paix ?

Depuis que tu es parti, mon Pierre, en ces prairies

où tu voyais la paix fleurir sous chaque pas,

je n’ai pas pu prendre une seconde pour toi ;

pardonne-moi, tu sais la course de la vie !

 

As-tu fait bon voyage par les strates célestes…

ne t’es-tu pas perdu par ces voies encombrées…

as-tu trouvé l’endroit, la porte dérobée…

t’es-tu abonné à quelque autre palimpseste ?

 

Dis-moi, mon Pierre, dis, au creux de mon oreille,

est-ce conforme au moins à ce que tu espérais…

as-tu vu la Famille Divine… et Beaumarchais…

et les meubles sentent-ils la cire d’abeille ?

 

Nous avons tant et tant de fois, devant un verre,

croqué la philo et les olives ici-bas,

imaginé les nues remplies de nymphéas,

de vignes à longs doigts, de plantes fourragères

 

enguirlandées de pourpre et de jaune et de bleu…

et combattu l’absurde à coup de mots choisis,

et fait coulisser les verrous du Paradis ;

tu me manques, mon Pierre, sous mon ciel ténébreux !

 

Parfois, l’arc en ciel enjambe le Lauraguais

et les tuiles d’Alzonne scintillent sous la rosée ;

le soir, quand tous les autres sont devant la télé

le cul bien enfoncé et les neurones en biais,

 

je pense à toi, mon Pierre, et j’envie le grand jour

où devant un rosé, des olives à la main

 nous trinquerons encore à d’autres lendemains,

nous foutant pas mal du cours du topinambour !

 

Entité en goguette, si tu passes par-là

viens me joindre à la fête, je n’attends plus que ça !

pardonne-moi, tu sais la course de la vie,

je dois te laisser les emmerdes cognent à l’huis !

Si je peux me permettre

Ecris avec les yeux, écris avec le cœur, écris avec la peau,

ne cherche pas à versifier absolument ;

laisse les vieilles règles aux malheureux défunts !

ne compte les syllabes, il n’est là que foutaise ;

la musique n’est que le tempo de ta foi !

crée des codes qui te conviennent, des lois qui te soient propres !

écris seulement ce que ton âme te dicte,

cette pureté virginale qui bande ton esprit et fait frémir tes lèvres !

prends une feuille blanche, attache tes cheveux

pour que tes rideaux noirs ne bloquent la lumière,

et mets-toi à pleurer, à rire et à gueuler…

et tout en même temps ; écrire est une transe !

lentement pétris les mots, comme on pétrit la glaise,

comme on caresse un corps, avec délectation…

l’écriture poétique est une jouissance !

sois infidèle au sujet, va où l’inspiration te mène,

embrasse une idée et pose ton doigt sur l’autre

puis donne-toi aux nues et charge-toi d’extases…

alors tu ramèneras du ciel des fagots de lumière,

des bouffées de délires et la clé de toute béatitude !

ne cherche pas sur terre quelque illumination

et n’attends d’être triste ou gaie pour travailler ;

l’acte poétique vient naturellement

et se fout du roulis des sentiments qui passent !

lorsque l’instant poindra

tu verras un sanglot courir entre tes doigts,

puis un frisson remonter la joue et la tempe;

alors prends du papier, un stylo, une chaise,

lève le nez au ciel, plonge dans l’évanescent…

pour le reste, sois confiante… et attends !

Saisir le troisième degré

Lisez-vous les poèmes entre les lignes au moins ?

Buvez-vous les liqueurs de troisième pression,

celles dont on s’abreuve avec délectation…

sous lesquelles on découvre Dieu à brûle-pourpoint ?

 

Que pensez-vous donc pêcher, amis, en surface,

si ce n’est que la friture la plus commune ?

Croyez-moi, si vous voulez pêcher la fortune

déchiffrez la métaphore, soyez coriaces !

 

L’un clamait haut « Travaillez, prenez de la peine,

c’est le fond qui manque le moins… » comprenez bien

que l’âme est tourmentée, le message cornélien

et la syntaxe rajoute son doigt de peine !

 

Dans tous les cas soyez lucides seulement,

ne cueillez que l’épice qu’il faut pour le pot-bouille !

et par quelque hasard, si vous rentriez bredouille

c’est que le dit poème n’est guère éloquent…

 

changez alors d’histoire ou changez de poète,

« remuez tous vos champs, sans attendre fin août »

prenez un bol d’air frais, un verre de Vermouth,

puis, amis, reprenez patiemment votre quête !

Routine

La voisine d’en bas fait tourner la cocotte

et les vapeurs de soupe se faufilent chez moi ;

la voisine d’en bas fait chuchoter la croute,

il est sept heures du mat et les vélos s’en vont.

La voisine d’en bas, par-dessus le balcon

jette quelques tendresses au soleil engourdi.

La voisine d’en bas ne se maquille guère

que pour sortir le chien entre deux mots fléchés.

La voisine d’en bas se lève avec le jour

comme pour ne pas perdre une miette de vie.

La voisine d’en bas fait tourner la cocotte

des visages perdus et des saveurs anciennes

et ses sourires alors se faufilent chez moi.

La voisine a monté le son de la télé,

c’est l’heure du feuilleton, les vélos sont partis,

et déjà alignés dans des abris d’usine,

guidon contre guidon dans l’odeur du cambouis

ils discutent limaille et puis de l’eau de pluie.

La voisine d’en bas a éteint la télé

et sa cocotte largue la vapeur à plein gaz

sur mes draps assoupis en travers du balcon,

mes souvenirs perdus et mes chansons passées.

La voisine d’en bas sourit à petits pas

lorsqu’elle pousse bon an mal an ses charentaises ;

la voisine d’en bas pousse ses habitudes

d’une heure à l’autre toujours dans le même sens

et chiffonne la poussière depuis mille ans.

Puis le reste du temps, entre ses chats, ses vases,

posée sur les coussins de son fauteuil pliant,

la voisine d’en bas, le nez dans le menton,

quitte un brin les nuages et pique un roupillon.

Mais jamais la voisine d’en bas ne manque l’heure

du timbre rigolard des vélos qui reviennent

et quand on ferme à clé le dernier dans son box,

quelques parfums de soupe se faufilent chez moi.

La voisine d’en bas est alors à l’ouvrage

son pot-au-feu vient comme une bénédiction ;

puis j’entends son assiette cliqueter dans l’évier

et ses volets couiner dans un recoin de mur.

Puis je n’entends plus rien ; pour tous les temps sont durs.

Le temps des deux écoles

Il a passe Montaigne en revue et Zola,

d’Italo Calvino à marché sur les pas ;

il a planché sur Sartre et Pascal et Camus

qu’il a visités de son âge, sans abus…

 

on lui a rempli l’esprit d’idées “à la va-vite“,

quand le programme vous emmène d’Héraclite

au slam en quelques mois, bon ado malgré soi,

plein de vie, de critique, bourré de “Je sais, moi !“…

 

les cours n’apprennent pas à lire entre les lignes,

que des vents et des cieux l’homme est toujours indigne,

qu’il faut fermer les yeux et lire avec le nez

les parfums qu’en rêvant l’ouvrage vous remet,

 

qu’il faut ravir l’oreille aux bruits de la marée,

au sable qui obstrue le chenal des pensées,

qu’il faut s’émerveiller au chant d’une sirène,

aux pleurs du baleinier, aux cris de la baleine !

 

on finit par délaisser la ponctuation,

dans la littérature comme dans la chanson ;

on respirait au point, riait à la virgule,

mettait les guillemets, l’illustre majuscule !

 

Ce sont les jours d’hiver, quand les strophes à larmes

des poèmes récents, profondes de vacarme

viennent, impétueuses, vous glacer le sang,

que l’interligne alors fait le plus de boucan…

 

et l’auteur et l’ouvrage passent au second plan,

et l’on hurle comme on hurlait étant enfant,

et l’on apprend enfin qu’au bout de chaque cri

la cloche qui résonne est celle de la vie !

 

Il a passé Montaigne en revue et Zola,

de Prévert à Rimbaud a marché sur les pas.

L’histoire m’a conté qu’il aurait commencé

à lire entre les lignes ; il a donc progressé !

 

l’homme a besoin de temps pour comprendre l’hiver,

le poème éternel, à l’endroit, à l’envers ;

lorsqu’il l’aura saisi, alors il comprendra

le souffle familier qui remontait ses draps…

 

tout ne serait bien sûr qu’une question de temps !

il quittera l’hiver et vivra au printemps,

au présent, rempli d’amour, de soleil, de joie

et puis viendra l’été et nous serons tous là.

 

Je vais passer Montaigne en revue et Zola,

moi qui sais le comment, j’apprendrai le pourquoi

lorsqu’on boit ses vingt ans l’on se prend pour le roi,

et cinquante accourus l’on se sent dévêtu !

De l’inconscient à la raison

Je voudrais être ce soir dans la peau d’un autre,

pour une fois, peut-être bien, prendre la vôtre,

connaître la douceur de manger à ma faim,

retrouver le goût du sourire et du bon vin,

le parfum des excès sans heure et sans compter ;

je voudrais revêtir votre peau apaisée…

 

car vous êtes pour moi “d’infinis paysages“ !

 

Je voudrais être ce soir dans la peau d’un autre,

pour une fois, peut-être bien, prendre la vôtre,

écouter vos musiques, boire votre soleil,

connaître les songes exquis de votre sommeil,

me laisser porter par de longs flots de caresses,

me laisser submerger par une mer d’ivresses !

 

Je voudrais être ce soir dans la peau d’un autre,

pour une fois, peut-être bien, prendre la vôtre,

revêtir un temps la peau de la réussite,

la peau de l’homme qui pense libre et court vite,

de celui qui peut encore avoir Dieu en face

sans lui jeter le moindre juron à la face…

 

car vous êtes pour moi “d’infinis paysages“ !

 

Je voudrais être ce soir dans la peau d’un autre,

pour une fois, peut-être bien, prendre la vôtre,

je voudrais être vous, vous voudriez être moi,

pourquoi veut-on être quelqu’un d’autre à la fois ?

je voudrais être vous car votre herbe est plus verte,

je voudrais être vous pour cette rose offerte…

 

car rien ne m’est acquis sauf une fleur fanée

que sur mon triste cœur une amour a plantée.

Je voudrais être heureux le temps d’un brin de chance,

sur le chemin de vie je n’ai guère d’avance,

le temps d’une éclaircie dans mon ciel encombré

puis succomber si tel est le prix à payer…

 

car vous êtes pour moi “d’infinis paysages“ !

 

mais la revêtir sans l’avoir passée au crible,

certes, une peau d’emprunt me semble difficile !

mais vous ne semblez, hélas, mieux lotis que moi

et votre peau serait un fardeau, une croix !

ma croix, cela fait bien longtemps que je la porte ;

je voulais votre peau puisque la mienne est morte…

 

toujours “l’autre“ est pour soi “d’infinis paysages“ !

 

Gardez donc vos ciels bleus, vos dives régalades,

la vie, soyez-en sûr, n’est qu’une mascarade !

en lieu d’un chemin bien sombre et des plus banals

je rêvais d’un surmoi qui fut original !

mais je n’ai pas choisi cet éther qui m’habite,

et ne lave guère mes yeux à l’eau bénite…

 

chacun ne traîne que le surmoi qu’il mérite !

 

Suis-je donc d’infinis paysages à moi seul ?

l’envie de “plus“ n’est qu’un scintillant linceul ?

 

… d’infinis paysages en infinies prisons,

Kant,

quelle est la voie de l’inconscient à la raison ?