Rss

Tant que j’aurai du pain, du vin et de l’amour (livre 3) 2008

à Claude SUBREVILLE, mon ami.

à la lutte contre l’injustice,

à la paix durable.


Mise en bouche

 

        Bien entendu on évoque à nouveau « Mai 68 », mais j’ai l’impression que cela dérange un peu le pouvoir et les médias ; allez savoir pourquoi ! Ne serait-ce politiquement correct ?

  Il me semble pourtant parfaitement normal de fêter dignement le quarantième anniversaire d’un mouvement populaire de cette envergure, non ?

  Pour beaucoup ce fut un début, pour d’autres une fin. Pour les uns les barrières s’ouvraient sur un monde florissant de nouvelles libertés, pour d’autres l’anarchie était en route ; allez contenter tout le monde !

  Quelques rimes sur le sujet qui vous permettrons de voir à nouveau flotter dans l’azur la bannière de votre choix ; rouge, noire ou bleu blanc rouge, c’est comme il vous plaira.

  Quarante ans après la vie continue ; elle est ce que nous avons pu ou su en faire ; le soleil se lève toujours à l’est, partout des millions d’hommes et de femmes ont le pied à l’étrier et luttent pour que les rires supplantent les pleurs au quotidien. J’ai confiance en mes frères et sœurs !

 Si parfois la rime est pourvue de métaphores engagées et qu’elle affiche donc clairement son approbation ou son dégoût face à telle ou telle situation, le plus clair de son temps elle suscite l’émotion, elle invite au voyage, elle encourage l’amour, elle réconforte les âmes, elle distrait les esprits, elle apaise les cœurs ; la politique change, mais la poésie demeure, fidèle à ses vertus !

  J’ai bien l’impression, là aussi, vu le ton employé, ironique bien souvent, que lorsque l’on montre tel homme du doigt en s’exclamant « c’est un poète ! » cela dérange un peu ; comme si le terme sentait le gasoil ou était aujourd’hui galvaudé ! Pourtant il me semble bien normal de nommer ainsi celui qui passe le plus clair de son temps au lit des muses, non ?

  Finalement, ne serait-ce pas l’inconnu, l’immaitrisable qui dérangerait l’humain au plus haut point ?

  Pour ce qui est du poète, en tout cas soyez rassurés, il n’est qu’un honnête excentrique qui fait bon usage de la clé universelle qu’il trouva un jour dans le fond de son berceau ; le passe partout des cieux ! Ce qui ne fait donc de lui un quelconque illuminé ni quelque sympathique foldingue, mais un homme Poète, comme il existe des hommes politiques, des hommes-grenouilles, des hommes-orchestres et des hommes-sandwichs ! Comme vous et moi, tantôt à la sieste, tantôt au charbon, il œuvre activement pour que la société aille de « l’avent », tous les jours, toute l’année et non seulement les quatre semaines qui précèdent et préparent les fêtes de Noël comme le font les curés, ou les quatre semaines qui précèdent et préparent les élections municipales comme le font les candidats à la mairie, mais cela ne nous regarde pas !

  Ajoutez à notre douce liberté d’expression (terrible enfant du mois de Mai), une passion fusionnelle pour le texte poétique et vous comprendrez aisément ces douceurs qui m’envahissent lorsque je débouche l’encrier ; une drogue, sans aucun doute !

  Une drogue, comme l’amour que je voue à mes Corbières ainsi qu’à mes congénères ! « Etre né quelque part est toujours un hasard… » nous chante Le Forestier, et tant mieux si parfois le hasard est heureux ! Dieu merci… et quoi qu’en dise Brassens de sa plage de Sète, s’il est « des cons qui ne dorment heureux qu’à l’ombre de leur clocher », j’éprouve une grande fierté à trôner dans le groupe !

  Par conséquent vous aurez droit, cette fois encore, à la série d’anecdotes sur le terroir, nous arpenterons les vignes d’un bon pied, je vous emmènerai à la chasse au sanglier et nous en profiterons pour relever quelques pièges. Charlou, de Labastide, nous accompagnera forcément et nous profiterons de quelques rimes pour embrasser les enfants.

  J’évoquerai l’amour, ce nerf de la guerre, et vous présenterai deux ou trois filles nouvelles puis vous quitterai sur le bout des pieds afin de ne pas perturber vos rêveries parfumées…

  adessiatz !

         J.G


Table des poèmes

 

  1. Lettre à ma mère.
  2. Contre idée.
  3. Demain les femmes !
  4. Quarante ans plus tard.
  5. Energie
  6. Une vie ordinaire.
  7. Son amour des moulins.
  8. Big-bang harmonie.
  9. Etude
  10. Les sœurs de St Germain.
  11. fruit défendu.
  12. Dur métier.
  13. L’amour est châtelaine.
  14. La mort du Frenchi.
  15. Un mercredi néfaste.
  16. Le nouveau printemps des libertés.
  17. L’escapade.
  18. Alchimie.
  19. L’homme habité.
  20. Le poste des crêtes.
  21. Rencontre attendue.
  22. La part du diable.
  23. Le dépossédé.
  24. Hommes libres, debout !
  25. Accolade à Claude.
  26. Les enfants.
  27. Le point nommé 43.
  28. Intrus parmi les petits êtres.
  29. Identité inconnue.
  30. Etat second.

 


1. Lettre à ma mère

 

                                                                                                                        Nanterre, le 3 mai 1968,

                                                                                                                        Ma chère maman,

 

  Tu sais que depuis le 22 mars nous occupons les locaux de notre université. Le Président De Gaulle a, ce matin même, proclamé la fermeture de cet établissement, aussi, c’est à la Sorbonne que nous tiendrons, dès demain, notre prochain meeting.

  Comme tu as dû le subir, nous ne plierons jamais plus la tête sous le joug ferré de cette bourgeoisie qui tient les reines de notre pays ; pour tous le soleil brille de la même manière ; quelque chose doit et va bouger !

  Depuis 1960, en huit ans, nous sommes en France deux fois plus d’étudiants ; nous manquons de locaux, nous manquons d’enseignants ; en toute logique nous ne trouverons plus de travail à la fin de nos études !

  De ma chambre, maman, je surplombe un bidonville comme on peut en voir de nombreux dans la banlieue parisienne ; la misère est grande, partout ; partout l’homme avance à coups de trique ; il est temps de stopper toute injustice !

  Oui maman, nous voulons casser ce système universitaire, pilier de la société bourgeoise, oui les enseignants sont de notre côté, oui nous refusons toutes les contraintes du passé, oui nous demandons le libre accès aux bâtiments des filles, oui il est temps de parler de romantisme à haute voix, oui nous aspirons d’exotisme, oui nous rêvons d’égalité, oui nous implosons !

  Que la raison ne soit plus celle du plus fort, mais celle du plus libre !

  Maman, nous apprenons chaque jour à analyser, nous mettons tout en œuvre pour que demain soit meilleur pour tous !

  Aujourd’hui, maman, nous nous retrouvons dans les poèmes d’Ossian, de Lamartine, d’Hugo ; les idées de Vigny, de Rousseau, de Michelet, de Sainte-Beuve nous enchantent !

  Nous sommes sensibles à la peinture, fini le néoclassicisme de l’école de David, nous rêvons au travers des toiles de Géricault, Delacroix, Dévéria, les sculptures de David d’Anger… quant aux musiques qui bercent notre idéal, elles se nomment « Songes d’une nuit de sabbat » de Berlioz, « Les amours du poète » de Schumann, « Rigoletto » de Verdi, « Tristan et Isolde » de Wagner ; nous voulons de la couleur dans la mélodie, des instruments qui exultent !

  Nous buvons aux fontaines de Mao, Trotski, Ché-Guévara ; nous avons vingt ans et nous voulons vivre nos pulsions jusqu’au dernier frisson !

  Je dois te laisser, maman, j’entends leurs pas dans l’escalier, les amis arrivent, chacun va donner son idée, nous avons du travail pour préparer demain… et demain sera bleu comme le ciel de chez nous, promis !

Ma chère maman, je t’embrasse très fort !


2.  Contre idée

 

A trop vouloir changer la société, jeunesse,

à faire flotter vos drapeaux noirs dans l’air pur,

à casser les vitrines, démanteler les murs

et croire que sous les pavés gît quelque ivresse,

 

vous vous heurterez aux longs rayons aveuglants

de ces faux soleils qui font un tour sous l’orage,

laissant présager que le temps tourne la page !

toujours quelque illusion peint en bleu le néant !

 

Ne soyez dupe et regardez les temps passé ;

croyez-vous que le sang aujourd’hui fasse mouche ?

croyez-vous qu’il soit bon d’en remettre une couche

alors qu’il y a vingt ans chaque taillis pleurait ?

 

Vous êtes jeunes, vous apprendrez à bien vivre !

honorez les patrons qui nous donnent la croûte !

allons d’un même pas, tous sur la même route !

laissez la fantaisie et lisez de bons livres !

 

A trop vouloir gagner, vous perdrez vos vertus

et connaîtrez un monde où régnera le vice !

vous en perdrez même le goût du sacrifice

et la honte, à midi, dévalera les rues !

 

Laissez la politique aux hommes de bon sens !

la liberté se muselle comme un chien faux ;

caressez lui l’échine et vous verrez ses crocs !

demain ne naîtra de coucheries ni de transes !

 

Adieu veaux, vaches, cochons, jeunesse vermoulue,

aux compagnies républicaines chantez donc

les couplets enjoués de vos nouvelles chansons ;

la matraque apprécie les mélodies de rues…

 

la matraque apprécie les mélodies de rues !


3.  Demain, les femmes !

 

C’est pour la femme que le monde a vu le jour,

que les saisons s’enchaînent, que les cycles éternels

des marées, des équinoxes et des fleurs du ciel

s’en viennent, haletants, pleins de chair et d’amour !

 

C’est pour la femme, que l’homme, enfin libéré

 des cauchemars de l’inexistence, s’en vient

pousser le premier cri, au bout du premier sein,

en un premier matin de caresses et de lait !

 

C’est en la femme que Dieu mit ses espérances,

mais c’est elle qui charrie le bois sur ses épaules,

toujours elle qui n’a pas droit à la parole,

qui, sans la moindre plainte assume sa souffrance !

 

La femme, alors, s’en vient dire qu’il en est assez

d’être la matrice à bébés, la ménagère !

qu’entre les pantalons de Monsieur, les cuillères,

le lavoir, la couture, les plats à gratiner,

 

vient le soir, où, éreintée, jamais elle ne rêve !

la femme alors s’en vient, emmenant sa palette

où les couleurs de l’âme y sont couleurs de fête !

 

« Toutes avec moi, que la moins que rien se soulève !

brisons les tabous, les carcans, les habitudes !

que l’on agisse aujourd’hui selon notre choix !

amies, l’homme a fini d’imposer son dictât !

les larmes aujourd’hui, demain la plénitude !

soyez convaincues que hurler ne vous salit !

il est des saisons, où sous les pavés, les anges

viennent siffler plus fort, plus haut que les mésanges !

la musique naîtra de la cacophonie !

 

toutes debout, amies ! »


4.  Quarante ans plus tard

 

Le temps passe sur tout, le bon et le mauvais,

la nuit nivelle l’ordre et le matin renaît

amnésique, folâtre, naïf un tantinet

tandis que l’homme baille sous un épais duvet.

 

C’est à se demander s’il fut à l’avant-veille

tout ce chambardement, tous ces feux de merveilles,

ces rires et ces heurts que la presse relate !

A croire les médias, le monde, à quatre pattes,

 

s’enfuyait aux abris, tant une canonnade

de mots et d’étincelles roulait sur l’esplanade,

pour l’ultime grillade, les fagots Molotov,

les cagoules trotskistes, les képis de sous-off !

 

Mais une brise douce, sous un soleil de plomb,

rafraîchit les poitrines et frise les chignons ;

les gens en ont assez des flous de la semaine

et lutter pour demain a des airs de rengaine !

 

Chacun prendra l’auto et la fin de semaine,

parmi les fleurs des champs, sera bien plus sereine !

tous rêvasseront, allongés sur l’herbe folle,

sans se rendre compte que le mur de nos geôles

 

s’épaissit peu à peu, que sans lutter, jamais,

les cocher, à leurs rennes, commettront leurs forfaits

dans l’ignorance générale, l’impunité !

 

Mais qui se sent aujourd’hui profondément ouvrier ?

Hélas, la fin du printemps sent déjà l’été !


5.  Energie 

 

Elle hurle sur les barricades,

à Paris, Liverpool, Berlin ;

où ça pue elle lève le poing,

elle harangue la cantonade !

 

La mal bouffe la met en transes,

les O.G.M elle n’en veut pas

et ne veut fixer son trépas

aux basques floues de la finance !

 

Elle a vécu le mois de Mai

et pioché le mur d’Allemagne ;

elle a la foi, elle a la hargne

et prône toute liberté !

 

Elle combat toute injustice,

refuse l’inégalité ;

elle jette aux cognes les pavés,

ses cris aux magouilles et aux vices !

 

Elle boit l’amour et vit d’eau fraîche,

fauche les champs, c’est entendu ;

aux préfets elle montre le cul,

c’est elle qui allume la mèche !

 

Elle est vivante, elle est jolie,

elle crée l’avenir, hue la guerre ;

sûr qu’elle a tout pour leur déplaire…

mais lorsqu’elle ôte ses habits

 

elle sent la menthe et la verveine,

le myosotis et le lilas,

alors, en silence, je bois

toutes les eaux de sa fontaine !

 

Elle est révolte, je la comprends,

je tiens sa main dans le brouillard ;

de port en port, de gare en gare

je l’accompagne assidûment !

 

Un soir, nous poserons nos valoches

au pied d’un chêne, ô bon Saint-Louis,

nous entendrons sonner minuit

au chant sucré de quelque cloche…

 

nous construirons un nid de plumes,

puis, sur une large paillasse,

– puisque l’anecdote est cocasse –

à deux nous goberons la lune !


6.  Une vie ordinaire

 

Son job était alimentaire ;

comme des millions d’autres elle allait

fardée du bleu réglementaire,

couverte de perles de lait !

 

comme des millions d’autres, un café,

deux tartines dans l’estomac,

la carte du métro poinçonnée,

le sac léger à bout de bras !

 

Comme des millions d’autres elle pleurait ;

elle semait sa jeunesse aux vents

d’une usine où elle subissait

les pressions de chefs arrogants !

 

Comme des millions d’autres elle pestait

contre le saint gouvernement,

les syndicats, l’autorité

et les salaires indécents !

 

Comme les autres elle attendait

le bus sous les intempéries ;

entre deux averses elle grattait

des billets de la loterie !

 

Elle pensait à ceux qui se vautrent

sur le sable de Polynésie,

mais comme tant de millions d’autres

elle passait ses congés au lit !

 

Puis elle a vieilli, la madone,

sous le ciel gris de quatre amants

à qui Dieu a voulu qu’elle donne

quatre magnifiques enfants !

 

Le soleil brillait à moitié ;

comme pour tant d’autres, sa saison

n’était ni l’hiver, ni l’été…

juste un mariage de raison !

 

Les diamants n’encombraient ses doigts

lorsqu’elle travaillait à la chaîne !

à quoi bon, lorsqu’on scie du bois,

porter les bijoux d’une reine ?

 

Comme des millions d’autres, allongée

sur un passé sans étincelle,

en un anonymat complet

elle brûlait l’ultime chandelle !

 

En guise d’épitaphe on peut lire :

« Comme des millions d’autres elle dort ! »

sur d’autres épitaphes, c’est pire,

avouez  amis que c’est fort…

 

sur d’autres, vous trouverez à lire

quelques fiers éloges à la mort !


7.  Son amour des moulins

 

Elle aime les moulins et saurait bien marcher

quatre à cinq lieues, je crois, si elle en savait un,

qui, ogre en sa jeunesse, bien qu’aujourd’hui à jeun,

au bout d’un chemin creux quille encore le nez !

 

Car elle est bien à jeun la marmaille du vent !

Les temps modernes font fi des charmes d’Eole

et prennent grand plaisir à se payer sa fiole ;

Don Quichotte, nos éoliennes sont des géants !

 

Je crois qu’elle a la nostalgie des temps passés,

quand on menait à bien la tâche calmement,

quand partout la mouture laissait un voile blanc,

quand l’âne, aux bats d’osier, montait les sacs de blé…

 

« Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin bat trop vite,

meunier tu dors, ton moulin, ton moulin bat trop fort ! »

à moins qu’en son esprit ne résonne un accord,

une image bénie des anciennes comptines :

 

la forme du moulin, le mur de pierres épais,

les histoires grimpant à l’échelle du meunier

et la meule qui grinçait du goulot, du gésier,

la romance du grain et les longues tablées

 

où sur des nappes blanches ruisselaient vingt volailles,

des anecdotes au sucre, des flans et des pâtés,

des barricots de vin, des pains chauds et dorés,

quand sous les ailes vives exultait la marmaille !

 

Je crois qu’elle accrochait ses rêves à la voilure

et que les ailes vives projetaient dans le ciel

tout ce qu’une enfance a de beau et de cruel !

Sachant que toujours l’enfance perdure,

 

je peux assurément prétendre, qu’aujourd’hui,

à l’idée qu’un moulin puisse pointer son nez,

quatre à cinq lieues durant elle saurait bien marcher !

 

L’idée d’emboîter son pas déjà me ravit…

car qui marche au printemps a le cœur qui fleurit !


   8.   Big-bang harmonie

 

       Merci mon Dieu pour ce moment où nos corps se fondent en un seul souffle, un seul parfum, en un seul bloc, un seul mouvement circulaire et lent, loin de toute construction raisonnée, croqués de proportions empiriques.

  Le souffle serait imperceptible si ce n’était une nuée d’anges haletant, voletant depuis les entrailles de la terre, de l’éternité, chauds de magma, brûlants d’amour et de vie, réconfortant de leurs lèvres humides et gonflées ; réalités célestes à l’aile diaphane qui de leurs doigts de nues et leur langue d’éther caressent allègrement nos enveloppes d’apparat !

  Deux corps ; l’un terrestre, l’autre céleste ; un seul parfum, un parfum universel ; l’universalité des sens ! Mais le parfum serait imperceptible s’il n’était un bloc léché d’extases, quatre fragrances pour un seul corps : l’amour, la vie, l’évolution, la mort – substances aromatiques naturelles – s’il n’amenait à l’extase le pas nouveau !

  Quatre parfums pour quatre couleurs ; quatre couleurs pour quatre fleurs : la blanche printanière, la rouge estivale, la pourpre automnale, et l’hivernale, bleue sous l’ozone des cieux !

  Un seul bloc ! Mais le bloc serait imperceptible, même de l’intérieur, si le drap transparent recueillant un amour passionnel ne laissait échapper un pli, une virgule, une quelconque ponctuation, défi que la matière jette à l’instinct au plus profond de l’émoi !

 Un seul bloc de sommeil, de membres esthétiques entrelacés, de chevauchements de courbes et de surlignages essentiels ; un enchevêtrement de volcans assoupis, fumants, broyant et déchiquetant l’espace clos de la nuit !

  Un seul mouvement circulaire et lent ! Mais le mouvement serait imperceptible s’il ne s’inscrivait dans l’irrationalité de l’entendement ! la rotation universelle entraînée par les poulies du présent et les cordages de l’avenir ! un mouvement réfléchi, calcul minutieux inconsciemment mûri ; l’instinct !

 Loin de toute construction artificielle, loin de toute intervention humaine ! Mais la construction originelle serait imperceptible si ce n’était un battement de cœur, vierge de particule, de soumission, de pollution, modelé de pureté, couvert d’échanges et de clarté ; nature vibrante de pulsions métissées, de pulsations rythmées ; musique intense !

  Mouvement de toute proportion, de toutes les proportions, schémas de la perfection, de l’onctuosité, de la tendresse immodérée, du parfait frisson, de la parfaite fusion, moment privilégié de la reconnaissance, de connexion et de foi !

  Merci mon Dieu pour ce moment, où, unis l’un contre l’autre, au repos dans l’antre clos de la nuit, un simple battement de cil accompli survit aux bombances de l’exil et acquiesce des vertus de l’irréel !

  L’amour est là et tout vous appartient !


9.  Etude

 

C’est un petit jardin d’une beauté sublime,

triangulaire et noir comme l’œil du destin,

quand le destin s’affiche en roi illégitime,

baisant le pli gonflé des nuisettes satins.

 

Quand le vent des jasmins, sous les arches d’alcôves,

lève de ses parfums le lin des baldaquins

et caresse à foison le poison des guimauves,

merci, grand Dieu, d’ouvrir la porte du jardin !

 

Quand le désir surgit des entrailles de la terre,

quand la rosée y fait rosir les euchéras,

qu’à la fontaine aux anges les saveurs printanières

du nectar infernal appellent au magma,

 

merci, grand Dieu, d’ouvrir l’enclos au grand soleil !

Quand la matière boit la lumière vibrante,

avant que ne s’enlacent des membres de sommeil,

quand les spasmes fleuris se meurent de mort lente,

 

ouvrez-moi le portail, déesses libertines,

que je respire les fragrances de l’extase

et faites en sorte, jouissances divines,

que sous le fin cresson qui retombe du vase,

 

pour une fois encore, parmi les euchéras,

quand la lune poindra, que les vents en furie

courberont l’échine, j’exhibe à bout de bras,

heureux comme Baptiste, les nerfs de la folie !


 10.  Mes sœurs de Saint-Germain des Prés

 

J’ai hâte de retrouver ces belles

qui déclament à Saint-Germain

leurs vieux sonnets à tire d’aile,

sous de longs boas, des dentelles,

des strass rutilants aux deux mains !

 

Elles sont toutes de noir vêtues,

jusqu’au tremblement de la voix !

elles accompagnent vers les nues

leurs amours du coin de la rue

en ouvrant le ciel de leur doigt !

 

Elles paraissent d’une autre époque

aspergées de rêves et d’encens !

quand la nuit descend elles troquent

un soleil contre une vie glauque ;

elles vivent à contresens !

 

Leurs âmes sont pures ; chez elles

tout est délicat, tout est vrai !

anges de la nuit, asphodèles,

leur souffle incandescent modèle

un long cheminement de paix !

 

Je connais le sel de leurs larmes,

j’ai bu, souvent, à leurs Rimmels !

je connais trop les vieilles armes

de la solitude et du charme,

les longues tirades au ciel !

 

Nous partageons  la même scène,

nous tricotons le même vers,

nous cumulons les mêmes peines ;

sous la rime qui coule en nos veines

nous jouissons de l’univers !

 

J’ai hâte de retrouver mes sœurs

qui déclament à Saint-Germain,

le diable et les anges au cœur,

des sonnets ronflants de couleurs

et des cascades de quatrains !

 

Sous le halo du projecteur,

je reviendrai dans l’antre obscur

prendre, dans la douce chaleur

de nos fervents admirateurs,

un peu d’air frais, beaucoup d’air pur !


11.  Le fruit défendu

 

Une jolie fille, au supermarché,

me roulait des billes vanille café ;

une jolie fille, au coin du rayon,

me roulait des billes framboise citron !

 

Une ménagère à qui je plaisais

des râpes à gruyère au gruyère râpé…

une ménagère avait au dessert

des envies, ma chère, de bonheur en chair !

 

Une ménagère qui cherchait le ciel

dans les pommes de terre et les pots de miel,

une belle femme, le caddie rempli

de boites d’aspartam, de crème qui mincit,

 

une belle femme, le soleil aux yeux,

des milliers d’étoiles pendues aux cheveux,

une belle femme, le soleil aux yeux

et le mal à l’âme courait le monsieur !

 

Au bout du rayon, devant le poisson,

mon Dieu que c’est con, j’allais aux oignons,

elle n’était pas moche, mais loupait le coche,

les mains dans les poches je tournais à gauche…

 

aux oignons, trop fort, je n’ai pas pleuré,

je n’offre pas mon corps à ces dévoyées

des supermarchés, qui, à coups de chariot

viennent vous voler votre libido !

 

V’la t’i qu’à la caisse elle frottait hargneuse

ses seins de diablesse sur ma peau rugueuse,

je me suis enfui sans même payer,

je ne suis pas de ces fruits que l’on peut croquer !

 

A ceux qui diront que l’homme ne sait

jamais dire non quand l’amour parait,

j’apporte la preuve que l’homme est sérieux,

qu’il vente ou qu’il pleuve… que vienne le feu !

 

Mais sur le parking, lorsque je sentis

que j’avais aux trousses la brûlante envie,

faisant fi des courses et faisant fi du temps,

je trouvais un nid sous son doux caban !

 

La pluie cessa, le soleil revint au galop,

j’ouvris un paquet et pris un choco

tandis que ma belle, d’un signe de main,

regagnait ses pénates le corps serein !


12.  Dur métier –

 

Elle serrait son carnet à souche,

et lui, redoublait d’un verbiage,

d’un de ces satanés langages

dont seule la colère accouche !

 

Elle en prenait tant pour son grade

qu’elle en demeurait hébétée !

Lui, déclamait ses vérités,

et ce fut une régalade

 

d’ouïr sur le bord de la chaussée

une populace de brigands,

le verbe vif et l’œil brillant,

débattre de la société !

 

On y criait comme sous les halles !

police, gendarmes et préfet,

tout croquant connu y passait !

la contractuelle était pale…

 

puis elle se mit à sangloter,

devint rouge et tapa des pieds,

frotta ses yeux, moucha son nez,

mit six balles en son pistolet,

 

arma le flingue et arrosa

tout ce qui bougeait à la ronde !

Quand le pétard fut à la bonde,

deux autres chargeurs elle enfila

 

et fière laissa sur le carreau

hommes, femmes, enfants et vieillards,

tous ceux qui sur le boulevard

avaient eu un rire de trop !

 

Sur la populace trouée

elle jeta son voile de haine,

puis partit sans la moindre peine ;

contractuelle, quel dur métier !

 

A cet instant, un claquement

d’essuie-glace sur mon pare brise

m’ôta de la sanglante frise,

d’un cauchemar des plus navrants !

 

Une maigre, en complet bleuté,

m’épinglait un vert papillon,

– trente euros de contravention –

la moutarde me vint au nez !

 

Quand mes jurons, au coin des lèvres,

dressèrent des cheveux noirs de rage,

soucieux d’éviter un carnage,

je ne voulus la rendre chèvre !

 

Sans moufter un mot de travers

je roulai une fine clope ;

le jour viendra où ses salopes

finiront toutes en enfer !

 

Mais la question demeure ouverte :

faut-il équiper de vraies balles

la police municipale ?

Ne courons-nous à notre perte ?


13.  L’amour est chatelaine !

 

En entrant en vos murs, Madame,

fier et modeste troubadour,

cigale d’alcôve et de cour

qui panse les blessures de l’âme…

 

en foulant votre pont-levis,

sachant le seigneur à la guerre,

tout, ici, orphelin de père,

et voyant vos roses flétries

 

je compatis à vos douleurs !

qu’un château est triste sans maître,

sans destrier, lance ni guêtre !

que sans homme un château se meurt !

 

Que sans chaleur vous étiez blanche,

douce mésange ; vous siffliez

des airs de princesse délaissée ;

vous alliez sans rondeurs sur les hanches,

 

et vos soies, froissées de remords,

flamboyaient en hurlant au vent,

du feu qui vous brûlait dedans,

de tous les maux de votre corps !

 

Puis j’ai composé pour vos soirs

tant de rimes multicolores

que j’eus la grâce de voir éclore

boutons de rose, boutons d’espoir,

 

votre teint rougir à nouveau

et cent violettes sortir de l’herbe !

je vous vis couverte de gerbes,

et les pétales, sur votre peau,

 

dansaient comme les hirondelles

sur la voilure des prairies !

Madame, vous avez joui

de mes dernières ritournelles !

 

Le seigneur tardant à quitter

ses guerroiements en terre lointaine,

vous me priâtes, châtelaine,

– j’en fus tant et tant apaisé  –

 

d’ôter une à une vos laines,

vos soies… et votre fin duvet

m’apparût gorgé de rosée !

Mêlant vos folles envies aux miennes

 

nous n’avons vu passer l’été.

Puis il revint de quarantaine

et je dus prendre, châtelaine,

le chemin empli de regrets !

 

Quand je vois éclore une rose,

sortir de l’herbe le muguet,

mes larmes viennent à verser ;

le cœur marche à l’envers des choses !


14.  La mort du Frenchi

 

Ne me demandez pas, ma pauvre missis Bee,

s’il reste encore quelques pierres en mon pays

à acheter ; je crains que vous ayez tout pris !

les pierres et le bois des ruches, mon amie !

 

Ne me demandez pas, ma pauvre missis Bee,

si la Corbière est belle quand l’automne la prend,

l’enveloppe de soies, la frise et la rougit,

lorsque la pleine lune scintille au firmament !

 

Ne me demandez pas si le sucre, brillant,

cicatrisant les plaies des raisins éventrés,

au mustimètre fait chanter le nouvel an ;

si le viticulteur porte encore le béret !

 

Ne me demandez pas, ma pauvre missis Bee,

si le lièvre gîte toujours dans les herbages,

si le sanglier trottine en plein cœur de la nuit,

si la perdrix caquette dans les blés ou en cage !

 

Ne me demandez pas si la garrigue sent

l’agneau pascal, la chèvre, le thym et le laurier,

si l’escargot, filant toujours les cornes au vent,

de pousses de fenouil fait encore son dîner !

 

Ne me demandez pas, ma pauvre missis Bee,

si Marcelin Albert s’en va toujours la clope au bec,

si de sa poche dépasse le paquet de gris,

si la voix du « Tigre » claque comme du bois sec !

 

Ne me demandez pas si la lie, dans l’azur,

fait rougir le drapeau des hommes en colère,

si la clé de Saint-Pierre, par les fentes du mur

voit se lever le soleil d’une nouvelle ère !

 

Ne me demandez pas, ma pauvre missis Bee,

si le miel de châtaigne vaut celui de colza ;

j’ai tout vendu, ma chère, et je me suis enfui ;

chez nous, la guerre sociale sévit une autre fois !

 

Nous n’avons plus le sou, nous avons faim et froid,

déménagez l’Angleterre, tout est à vous !

je n’ai plus une seule tuile sur mon toit,

mon ballon de rugby gît dans un jardin de boue !

 

Ne me demandez rien, je suis déconnecté

et ne peut vous répondre ma pauvre missis Bee ;

j’attends des jours meilleurs et je vous saurais gré

de ne pas larmoyer sur le pauvre Frenchi !

 

Si vous venez ici chercher le réconfort,

sur la pierre brûlante, l’âme du gratte-cul,

c’est que chez vous, peut-être, ça sent aussi la mort !

 

si telle est la raison,

alors, ma demi-sœur, soyez la bienvenue !


15.  Un mercredi néfaste

 

Les cyprès ne cessaient de pointer vers le ciel

un doigt long d’ironie, d’amertume et de fiel,

les fleurs courbaient la tête, les abeilles rentraient,

les loupiotes de ruches peu à peu s’éteignaient ;

 

les hérissons ne traversaient plus hors des clous,

les mulots regagnaient leurs rives et leurs trous,

les hirondelles boutonnaient leur martingale,

sous les poutres, les araignées pliaient leurs toiles ;

 

les grues sur une patte, ignoraient les poissons,

les grues sur deux pattes, cessaient leurs rotations ;

seuls les corbeaux riaient, charognards insolents

qui claquent du bec quand d’autres claquent des dents !

 

Les vieilles tiraient les rideaux de leur cuisine,

sous les fagots les vieux terminaient leur chopine,

les chattes regagnaient leur panière d’osier,

dans les volières plus une perruche ne chantait !

 

A la sortie des classes, les petites fillettes

montaient d’un geste grave leurs petites socquettes

et leur instituteur, homme sage et prudent,

s’assurait qu’un cheveu ne dépasse du rang !

 

Les cerceaux et les billes n’avaient plus d’ambition,

on eut dit que plus grand-chose ne tournait rond !

les chouettes ne mettaient guère de sentiment

dans la voix et livraient de tristes hululements !

 

Comble du comble, en ces landes où règne le vent,

où les curés et les cornards, aux cerfs-volants

passent la matinée, tout paraissait désert ;

pas une âme qui vive, pas le moindre courant d’air !

 

Le jour s’épaississait. Les candélabres éteints,

les grillons assoupis et la fumée du train

qui montait dans un ciel sans ange ni soleil,

on eut cru, je le dis, à un pays pareil

 

à ces contrées fantômes qui vous glacent d’effroi !

mais je compris enfin le comment du pourquoi !

– là, nul n’aurait pu demeurer indifférent ! –

là, tout était en berne et c’était évident…

 

il en est ainsi quand le peuple, mécontent,

un mercredi midi, reçoit son président !


16.  Le nouveau printemps des libertés

 

Depuis que l’huissier a volé mes quatre champs,

mes oliviers, mes ruches, mes vignes et mon tracteur,

mon chien de chasse, mon fusil, ma bonne humeur,

les soleils de mon cœur, mes géraniums, mon banc,

 

le service de table de l’arrière grand-mère,

le dessus-de-lit qu’elle avait brodé durant

les années de disette – l’absence des enfants –

ses trois cruches de terre dont elle était si fière,

 

les collections d’images du chocolat Poulain

qui révélaient un an deux mille époustouflant,

tout ce qui, à mes yeux, n’était que sentiment,

la couleur de mes vases et la croûte du pain,

 

qu’il a posé ses pieds sur les tommettes rouges

où mes enfants tiraient leur vieux cheval de bois,

où ma femme pleurait tant de peur que de froid,

dans ce triste univers, aujourd’hui rien ne bouge !

 

Les volets sont clos, et sur la porte un scellé

pour m’interdire l’accès au vieux matelas ;

– croque mort qui courait même après mes deux chats –

et ma femme en a quitté la terre excédée !

 

Depuis qu’il est venu, je ne suis plus l’ami

que du vent du nord et de ses nuages gris.

Au village, à présent, les amis me renient ;

eux qui n’ont même plus d’amour à mettre au lit !

 

L’an deux mille à passé sur les rêves éclatants.

Nous n’aurions jamais présagé que la gangrène

– croquant en une nuit notre région lointaine –

serait l’enfant de notre propre gouvernement !

 

Hier, mes enfants sont rentrés dans la vie active ;

un acquéreur, je crois, lorgne sur ma chaumine ;

il est de ces heures où l’homme excédé chemine…

je pars rejoindre ma douce sur l’autre rive !

 

 Je l’entendrai alors rire à chaque flambée,

puisque au ciel, à la saison, le bois est rentré !

je lui tiendrai la main, quand de nos doigts serrés

montera le nouveau printemps des libertés !


17.  L’escapade

 

Le chemin débouchait sur l’une de ces clairières

où la vigne s’empresse d’enfoncer ses pieds

entre les pins, les roches, les ruches, les renardières,

pour s’abriter des froids et des soleils d’été.

 

Large d’une trentaine de rangées de cent ceps,

légèrement en pente vers un talus profond,

on eut dit un château entre les pins d’Alep,

dont un cyprès superbe en était le donjon.

 

Un enchaînement de collines suspendait

ses dégradés de vert aux fils de l’horizon

et de la terre rouge qu’une brise caressait

montaient les vocalises d’un peuple de grillons.

 

Quelques grappillons survivaient à la vendange

et de leur robe pourpre le sucre perlait ;

nectar que dégustait un couple de mésanges,

quand au bas du talus les perdrix caquetaient.

 

J’étais là, sans fusil, la gibecière pleine

de senteurs de résine et d’images sublimes ;

j’avais pour douze jours quitté mes bords de Seine

et cueillais dans le Midi des vers pour mes rimes !

 

Un romarin me délestait de ma musette

que je délestais d’une gourde de rosé,

d’un oignon, quatre anchois, d’un fromage de chevrette,

de ces figues qu’octobre porte à maturité !

 

Les crottes de lapins, les traces de sanglier,

l’herbe couchée, où la sauvagine, la nuit,

en hardes haletantes boit les cieux étoilés,

prouvaient combien cette clairière fleurait la vie !

 

Je restais là, longtemps, habité de douceur ;

c’est un lièvre, je crois, bondissant sur mes songes,

qui me ramena à ces splendides lueurs,

ces enluminures dont le crépuscule nous plonge !

 

Le village était proche, j’y étais attendu ;

le chemin débouchait sur l’une de ces placettes

où la vie, à cent à l’heure, montant des rues

avait déjà revêtu ses habits de fête !


18.  Alchimie

 

Je m’étais allongé sur des aiguilles de pins,

n’ayant plus de force pour suivre mon chemin ;

je venais de bien loin et j’étais éreinté.

Je vous le donne en mille, savez-vous où j’étais ?

 

Là, tout près de Fontiès, je voyais les fumées

joyeuses en un ciel blanc d’hiver, s’entortiller.

La neige, ici et là, avait laissé ses doigts

et j’aimais en son cœur voir l’empreinte des pas…

 

les animaux sont à l’œil si rares aujourd’hui,

que leurs traces dans la neige fleurent déjà la vie !

Il n’est jamais ici quelque hiver rigoureux

et la moindre bûchette vient à bout de tout feu !

 

Malgré le temps frisquet j’étais tout en sueur

et suais tant du corps que de l’âme d’ailleurs,

envoûté par les senteurs de cent fleurs célestes,

par la beauté des mots, par la douceur des gestes

 

de déesses aux dentelles fines et dorées !

il est temps de vous dire auprès de qui j’étais ;

il n’est là balivernes, ni rêve, ni ruse,

j’avais été convié sur les terres des muses !

 

Ne me demandez pas si j’avais, en partant,

semé pour le retour de petits cailloux blancs,

si là-bas règne le jour ou brille la nuit,

si les licornes dorment au pied des grands lits,

 

si les muses sont grandes, si leurs cheveux sont blancs,

s’il est le pays des sages et des grands enfants,

si leurs pinèdes, comme les nôtres, sont douces,

si les bords de leurs ruisseaux sont tapis de mousse…

 

ne me demandez rien car j’ai tout oublié !

est-ce la faute à l’un de ces philtres enchantés

– liqueur d’ambroisie aux pouvoirs surnaturels –

à quelque met que j’aurais dégusté au ciel ?

 

Là, près de Fontiès où la résine de pin

fleure bon le pays méditerranéen,

regardant en arrière une nouvelle fois

je remerciais les muses d’avoir pris soin de moi

 

puis versais la dernière larme de mon corps,

quand sur le sol tintait une paillette d’or !


19.  L’homme habité

 

Les champignons ne semblaient être au rendez-vous.

La lune brillait encore, il avait bien plu,

le sous-bois était gras, la mousse avait bien bu,

je cheminais tranquille parmi les brins de houx,

 

pensais à ces gens, qui, tête sur le billot

affirmeraient encore qu’en ces lieux à l’écart

ils admirent fréquemment le cerf et le renard,

la biche et le sangler, le faisan, le blaireau !

 

Suis-je aveugle ou bien sot, ou quelqu’un de la sorte ?

Ai-je une odeur qui fasse fuir la sauvagine ?

 Du matin jusqu’au soir, je bats, sans carabine,

la contrée ne trouvant qu’une nature morte !

 

Ou bien, chose possible, la populace ment,

ou, jusqu’aux livres d’école, pour inciter

l’innocence à aimer les bois obscurs, les prés,

on déforme le réel en le magnifiant !

 

A quoi bon, il n’est là propos de bonnes gens.

Je cheminais, disais-je. Mon haleine fumante

déposait ses perles fines sur mes baccantes

et j’allais, goutte au nez, sans heure et droit devant.

 

Dieu vint à ma rencontre, à cheval sur un rai

de soleil que la canopée laissait filtrer ;

alors, chemin faisant, nous nous mîmes à parler

de curés, de ministres, de guerres et de paix.

 

Il marchait près de moi, jetant ici et là

un regard de côté, soulevant les fougères,

m’étonnant quelque peu par son grand savoir faire,

il cherchait quatre cèpes mais ne les trouvait pas !

 

Il souhaitait tant remplir mes deux paniers d’osier,

qu’il pestait autant contre le temps que la terre !

Comprenant qu’hélas nous ne pouvions rien y faire

il fit ouvrir les cieux de son sceptre doré,

 

puis enfourcha le rai de soleil et me dit

qu’il allait remédier à la situation,

que tous cèpes et girolles sortiraient à foison,

que je demeure en place, car avant la mi-nuit

 

j’allais être comblé ! Je posai mes paniers

et n’en crus pas mes yeux. Je vis passer des biches,

des cerfs et des sangliers, une faune si riche

de faisans et de bécasses que je crus rêver !

 

 Depuis,

je suis habité par l’esprit saint des forêts !

 

Mes yeux pétillent à l’idée d’aller en balade,

j’ai toujours le pied levé pour la promenade !

si l’air vous sied, ma sœur, ne vous faites prier,

c’est avec grand plaisir que vous êtes conviée !


20.  Le poste des crêtes

 

La musique montait de la forêt en liesse ;

les notes dévalaient et grimpaient les sentiers ;

on courait sous les arbres de haute futaie.

En cet hiver, le gel étendait ses largesses

 

et les feuilles raidies craquaient sous les souliers ;

la mousse fumait sur les racines des chênes.

Chasseurs, coutumiers de cette splendide scène,

nous attendions, l’œil sur les deux canons d’acier.

 

Les chiens chantaient d’une voix limpide, aiguisée,

que l’absence de vent portait au paroxysme.

Enveloppé d’un fin soupçon de fanatisme,

chacun, à son poste, espérait le gros gibier ;

 

j’écris, pour vous, « gibier » en lettres de noblesse,

sous lesquelles j’englobe le lièvre et la perdrix,

mais il est le sanglier qu’on vénère au pays,

comme le miel, les figues, le lait de nos ânesses !

 

La musique montait de la forêt en liesse

car la bête trottait devant les chiens hardis ;

elle finirait sa course au bout de nos fusils

en un dernier sursaut, en une ultime ivresse.

 

Nous étions sur les crêtes, en bordure du bois,

et tout chemin menant à Rome fatalement,

les musiques animales du grand chambardement

montaient à nos oreilles en un morceau de choix !

 

Qui sait écouter le silence des grands espaces

appréciera la meute, chorale de l’instinct,

donner, à quatre pattes, le son du clavecin,

les oreilles aux aguets, la truffe dans la trace !

 

Quand le coup retentit, que la balle jouit,

le cœur ne tape plus car tout est mort déjà !

ne cherchez pas la barbarie où elle n’est pas,

même pas une culture, pas une philosophie,

 

pt’être un bout de ciel bleu sur les nuages gris ;

la chasse se pratique mais ne se définit !


21.  Rencontre attendue

 

En ce moment Charlou ne va plus à la pêche,

pas plus à la chasse d’ailleurs qu’aux champignons ;

il ne promène plus sa canne sur le pont

et ne tient guère plus le manche de la bêche !

 

C’est ainsi qu’en mon esprit, quotidiennement,

je le vois occupant son éternel repos ;

n’étant homme à patienter sa mort sur le dos,

je le vois affairé, de mes grands yeux d’enfant !

 

Seulement, depuis quelques jours je vois pousser

les taupinières entre les blettes et les dahlias,

ne sens plus le crin coulisser entre ses doigts

et de son demi choque n’entends plus les plombs chanter…

 

je ne sens plus chauffer le charbon de sa forge,

n’entends plus raisonner son marteau sur l’enclume,

n’aperçois plus son bourgeron percer les brumes,

ne vois sous le vent flotter ses blés et son orge !

 

Il n’a, depuis longtemps, caressé mes cheveux,

posé sur ma tête un affectueux baiser !

il y a si longtemps qu’il ne m’a pas adressé

l’un de ses regards clairs qui me rendaient heureux,

 

que je ne sais s’il dort ou s’il est en vacances !

Peut-être s’est-il acoquiné de copains,

qu’il tape, rigolard, le carton dans un coin,

ou qu’il roule le tabac de la délivrance !

 

Il a bien délaissé Labastide, en tout cas,

et se fout que fume son ancienne cheminée ;

il nous faudra bien un jour tout abandonner,

laisser la porte ouverte et filer d’un bon pas !

 

J’ai seulement besoin d’être avec lui parfois,

d’entendre sa voix pour que tout reprenne vie

– fusse alors au travers des forces de l’esprit –

car j’ai besoin de lui, car j’ai besoin de toi !

 

Viens à la maison, tu verras tout a changé ;

tu n’as qu’à dévaler le petit raccourci

qui relie la terre ferme et le Paradis !

Après la belote tu n’as qu’à prétexter

 

qu’il est tard, qu’il fait froid, que tu es bien fatigué,

une bonne excuse et viens tremper les moustaches

une fois encore dans un verre de grenache ;

depuis combien, grand-père, n’avons-nous pas trinqué ?


22.  La part du diable

 

Une haie de peupliers sifflait

courbant l’échine au vent du Nord,

la folle avoine dansait

et tout penchait dans le décor !

 

La bise soufflait de travers,

les nuages couraient de travers,

la cascade pissait de travers,

les poissons frayaient de travers,

 

j’allais de travers, vent de face,

entre les thyms, les serpolets ;

du fil de cuivre en ma besace

je posais de nouveaux collets !

 

Comme tout allait de travers

depuis qu’un roi était élu,

je prenais le pas sur l’hiver

– café bouillu, café foutu –

 

Je savais quelques lièvres, en haut,

au royaume de la bruyère,

et plus bas de gros lapereaux

qui rôtiraient en ma chaumière !

 

En outre, je savais un passage

où l’un de ces cochons rayés

– dans l’inexpérience de l’âge –

se prendrait au câble d’acier !

 

J’avais tendu les pièges à grives,

mais en passant les relever

je prolongeais jusqu’à la rive

voir si l’anguille s’y lamentait !

 

En hâte je levais les encordes,

car en ces endroits découverts

la bise et les vieux gardes mordent

de dos, de face… et de travers…

 

ils sont là les chiens de l’hiver !

Les fumées fuyaient de travers,

le sentier roulait de travers,

et la goutte au nez de travers

 

je pressais le pas sous la nuit

qui descendait l’échelle des cieux,

tant par travers que par demie,

puis j’aspirais à ce grand feu

 

près duquel mes chaussons fourrés

veillaient trois pelletées de braise,

qui, lorsque je m’assoupirais

tête nue, le cul sur la chaise,

 

l’écuelle de soupe à mes pieds,

réchaufferaient un peu mon cœur,

oubliant toute pauvreté,

le roi et ses admirateurs !

 

Avant que le jour cligne de l’œil

je partirai lever mes pièges ;

Satan m’avancera le fauteuil

si Dieu me laisse sur mon siège !

 

Si Dieu me fait dîner « recueil »,

le diable le fera « florilège » !


23.  Le dépossédé

 

Mes quatre cerisiers blanchissaient à vue d’œil,

mes mousseronnières verdissaient paisiblement,

mes souvenirs d’hiver fumaient en mes recueils

l’épicéa, le chêne et la fleur de tourment ;

il fallait bien encore couper un peu de bois,

nous étions un de ces beaux hivers qui s’attardent,

où l’humidité se plaît à survivre au froid !

 

Mes champs givraient, martelés aux sabots des hardes,

mes prairies s’engrossaient aux granules d’azote,

sur mes toits zigzaguaient mille constellations !

 

Je n’avais rien de Bayard ni de Don Quichotte,

point de femme ne gérait le sel en ma maison,

point de main délicate ne retendait les plis

des draps où mulle fée n’avait posé son cœur,

nulle âme ne venait ronronner dans mes nuits,

nul ventre attendri ne m’offrait douce chaleur !

 

Tout autour du bassin les cosmos bleuissaient,

mes poissons rouges dansaient sous les nénuphars,

jusqu’au crépuscule mes grenouilles chantaient

et flottaient de longues guirlandes de têtards.

Mes colverts somnolaient dans les avoines folles

où le soleil pénétrait, chineur et câlin.

Contre le tronc d’un figuier, quelque vieille gaule

rouillait en attendant de nouveaux lendemains !

 

Certes, il restait encore quelques tuiles cassées

et l’eau de Dieu, perverse, prenait un grand plaisir

à courir sur les chevrons cintrés du grenier ;

les mulots, au blé, n’avaient plus qu’à se servir !

 

Souvent je regardais filer la corde à linge,

j’aurais aimé y voir une robe flotter,

que deux ou trois marmots viennent y faire les singes,

que dans les rideaux blancs ils viennent s’entortiller,

que sur les tommettes de la salle à manger

hennisse chaque soir un fier cheval de bois !

je leur aurai conté, près de la cheminée,

des histoires de princesses, de sorcières et de rois !

 

J’avais vingt brebis qui bêlaient naïvement,

un vieux poêle qui fumait et me piquait aux yeux,

je vous l’ai dit, cent poèmes gras de tourments,

des milliers de fils blancs pendus à mes cheveux !

 

De ma cuisine la vue était imprenable,

je voyais au loin les sommets des Pyrénées ;

j’avais un morceau de Bethmale sur la table,

j’étais heureux mais la solitude me pesait !

depuis mes vingt ans je n’ai plus connu de fille ;

je vivais de la terre et de l’air frais du temps,

je n’ai pas goûté la rose qu’on déshabille !

 

Sans choisir, mon métier fut celui de mes parents !

fallait bien que quelqu’un s’occupe du troupeau,

bêche le potager et passe le tracteur !

j’ai tout donné, mes forces et la peau de mes os

et peu à peu fermé la porte de mon cœur !

 

De ma chambre, à l’hospice, en trois ultimes vers,

en vous parlant de moi je repasse ma vie ;

avant que mon esprit ne se foute en travers,

une dernière fois je prends l’air du pays.

 

Aujourd’hui, je sais que l’air est vicié là-bas.

Le modernisme écrasant tout sur son passage,

l’autoroute a mangé et mes champs et mes chats,

a bu ma ferme, mon tracteur et mon potage ;

quatre générations et tout s’est envolé !

 

Si l’aéroport n’a pas pris le cimetière,

s’il est encore temps, je vous en prie, creusez !

couchez-moi dans un coin, mais un coin de ma terre,

puis brûlez mes poèmes et foutez-moi la paix !


24.  Hommes libres, debout !

 

Les anciens vignerons, qu’autrefois je connus,

mangent aujourd’hui la rouquette par la racine,

si bien qu’ils ne souffrent, ne sulfatent ni ne binent

et moins encore ne pissent sur les gratte-culs !

 

Les dits gratte-cul qui donc ne fleurissent plus

que dans l’imaginaire des gens du pays ;

tout ce qui avait du charme, ici-bas, a péri,

mais la vie, victorieuse a pris le pas dessus !

 

A tous ceux qui croyaient qu’après eux le déluge

emporterait les ceps, les femmes et les cyprès,

force est de constater que le ciel, toujours gai,

réchauffe autant la pègre, les bourreaux et les juges !

 

je leur dirai merci braves gens et bravo,

la place aux jeunes, laissez les donc cravacher…

et si les vignes causent aujourd’hui polonais,

le rouge est excellent avec les escargots !

 

Même si les dits escargots sont sans coquille,

les pesticides déciment cigales et rats,

même si l’araignée campe par les syrahs,

il est toujours, là-haut, quelque étoile qui brille ;

 

la vie prend le dessus ! Dans les vignes arrachées,

où hier la perdrix rouge bâtissait son empire,

on crayonne à nouveau et l’homme vient écrire

à grands rires la date du bonheur retrouvé !

 

Les vieux s’en sont allés par les rases du ciel

où la rouquette a fini de fleurir déjà ;

ici les uns charruent, d’autres rentrent le bois,

nombreux tournent la veste ; c’est le cycle éternel !

 

Retroussons-nous les manches, il faut en mettre un coup !

l’encre est chaude, je versifierai jours et nuits ;

je ne pleurerai plus la Corbière meurtrie

puisque à présent la vie chante sur les cailloux !

 

unissons nos efforts ; hommes libres, debout !


25.  Accolade à Claude

 

Il écrit sur le coin des nappes ;

chaque bistro, chaque resto

le voit se plonger dans les mots ;

il marque l’enseigne de sa frappe !

 

pourquoi ?

 

Parce que ses textes ont du corps

comme le rouge de chez nous !

il écrira sur vous, sur tout,

sur l’amitié, la vie, la mort,

sur les cuistots et l’hôtelier,

sur le plafond à la française…

sûr qu’il ferait rimer mortaise

avec tenon s’il le souhaitait !

 

pourquoi ?

 

Parce qu’il écrit avec le cœur,

parce qu’il se donne sans calcul

et qu’il sait prendre du recul

face aux métaphores, aux douleurs !

 

pourquoi ?

 

Parce que Claude est tombé dedans

à la naissance ! Croyez-moi,

poète on ne le devient pas,

on l’est avec sa première dent !

 

pourquoi ?

 

Oh, là ce serait compliqué ;

en fait, neuf muses entrent en jeu,

auxquelles il faut croire, comme à Dieu !

après, le six est sur les dés !

 

tiens donc !

 

Son truc à lui, c’est le social !

Il compte le nombre de pieds

pour vous séduire, vous courtiser,

puis il vous passe, c’est infernal,

la main gantée sur les épaules…

alors il déclame ; c’est gagné !

conquis vous en redemandez !

 

Ouvre les portes de nos geôles,

Claude,

colore pour nous la liberté !


26.  Les enfants

 

Ils venaient contre moi, nous mettions la musique,

leur esprit s’égarait en ces landes magiques

qui sorties du vinyle prenaient vie sur les murs,

et leurs bras étaient chauds et leur regard si pur.

 

Leur souffle, sur ma peau, comme un parfum sauvage

exhibait la candeur des enfants de leur âge ;

ils aimaient, en suivant les anges dans le ciel,

écouter chaque soir les contes de Noël !

 

Ils venaient se blottir et je ne sais, des trois,

qui tenait la main de Dieu, mes enfants ou moi !

les anges et les bergères promenaient au plafond

leurs sabots de buis blanc, leurs chiens et leurs moutons !

 

Parfois, sortis d’un rêve, ils me disaient « papa ! »

je n’avais le temps de répondre que déjà

ils chevauchaient Pégase, je chevauchais le vent ;

avec mes deux petits nous étions trois enfants !

 

Comme les flocons au dehors, chez nous voletaient

les perles de bonheur et les bulles de gaieté ;

nous ne brûlions guère de bois à la saison

mais nos longs câlins réchauffaient notre salon !

 

Puis les enfants ont atteint l’âge de raison

et la mode n’est plus aux vieux microsillons :

mais un jour, à Noël, nous nous embrasserons

et chanterons en chœur nos anciennes chansons !

 

Avec eux j’ai grandi, avec eux j’ai passé

tant de moments à croire à l’immortalité ;

avec eux j’ai vieilli et je saurai bientôt

si de croire au divin rend l’homme bon ou sot !


27.  Le point nommé 43

 

Surtout, ne pas rater le soir

où la soucoupe atterrira

au point nommé 43,

à l’angle sud-ouest du manoir…

 

la manœuvre toujours identique

et toujours par des cieux cléments ;

toujours quand la lune descend,

toujours aussi énigmatique !

 

Stabilisée, moteurs stoppés,

jamais personne n’en descend ;

pas un bruit, pas un mouvement

tel un vaisseau abandonné !

 

jusqu’à deux heures quelquefois

sans un soupçon de vie interne !

froide au beau milieu des luzernes,

la nuit luisant sur ses parois !

 

Individus étranges, jamais

une poignée de main, un mot,

jamais une tête au hublot

ni geste hostile ni de paix !

 

Puis une loupiote clignote,

la soucoupe alors se soulève,

puis lentement elle s’élève,

gronde, s’illumine et pivote,

 

puis décrit un cercle parfait

sur le manoir et la luzerne,

et dans les rais de ses lanternes

file au cœur des cieux étoilés !

 

Cycle de quarante trois jours

au point nommé 43 ;

hier, ce fut la treizième fois

que l’engin était de retour !

 

Surtout, ne pas rater le jour

où quelque trappe s’ouvrira,

où, bonhommes, viendront à moi

d’interstellaires troubadours…

 

surtout ne pas rater l’instant

où fiers d’être entrés en contact

nous bâtirons à l’Armagnac

le pont

à deux voies pour le firmament !


28.  Intrus parmi les petits êtres

 

Ils dorment entre les passants,

les tringles, les rideaux et le vent,

rêvassent au cœur des ramages

de la jungle épaisse des voilages…

 

intrus parmi les petits êtres,

sautent de fenêtre en fenêtre,

laissant leurs empreintes salées

sur les lampes et les canapés.

 

Réfractaires aux insecticides,

sournois, insolents et perfides

ils courent sur le carrelage,

plongent en riant dans le potage,

 

font éclabousser les humeurs,

vous enserrent la tête et le cœur,

sont des sales gosses, des voyous !

invisibles, toujours avec vous !

 

Il en vient des mille et des cents,

l’œil vif, le regard innocent,

en kyrielles, armés jusqu’aux dents,

fanions et clairons devant…

 

et grattent et grugent et minent et rognent,

exécutent leur sale besogne,

alors, repus de sentiments,

regagnent leurs rideaux en chantant…

 

attendent une faim prochaine,

des jours meilleurs gorgés de haine !

 

Entre les passants des voilages,

mains croisées, tels des enfants sages,

ils font de l’hiver un tombeau,

 

les sanglots !


29.  Identité inconnue !

 

C’est par les volutes des mégots,

dans l’obscurité des veillées,

quand se meurent les grandes flambées

qu’elles entrent en votre cerveau !

 

Elles viennent de je ne sais où,

joviales, des présents pleins les bras,

sans crier gare les neuf sont là,

sans exception, toutes en vous !

 

Elles gazouillent tendrement,

vous adorent, à n’en nul douter !

vous en oubliez d’exister !

tout scintille indifféremment !

 

Vos yeux noirs sont à peine éclos,

la douceur de l’âtre s’y suspend,

quand d’un éther concupiscent

naissent vos guirlandes de mots !

 

Etes-vous en leur royaume,

sont-elles en votre Moi profond ?

Vous les nommez “Muses“ à quoi bon,

ces ensorceleuses fantômes ?

 

Poètes, faites-nous avancer,

usez de votre don du ciel,

amusez-nous bons ménestrels,

pendez des strophes à vos souliers !

 

vous êtes nus, vous n’êtes rien

qu’un souffle chaud dans le frimas,

le pas nouveau, la douce voix,

la croix, la croisée des chemins !

 

Est-ce bien vous, sont-ce les Muses,

à qui ais-je l’honneur, parleurs,

qui me plaît ou me fend le cœur,

qui m’ennuie ou qui m’amuse ?

 

Par les volutes de vos mégots,

par vos oreilles ou votre nez,

à confesse ou à la veillée,

par voie de fait, par le chapeau

 

ouvrez toutes grandes vos portes,

laissez entrer le vent meilleur,

celui de l’âme et du grand cœur,

du renouveau, des amours mortes !

 

Poètes, existez par vous-même,

rajoutez une bûche au feu ;

que ça versifie nom de Dieu !

 

Qu’importe le thème et le lieu,

Dieu sourit à celui qui sème !


30.  Etat second

 

On tamise la lumière, les spectateurs sont prêts,

sur le plafond flotte comme un voile étoilé ;

comme sur le parvis d’une église, ils chuchotent ;

ils attendent que l’harmonium lâche trois notes,

 

ils cherchent un regard, quelque geste complice,

un mot qui se ferait la malle des coulisses ;

je les sais impatients, avides de senteurs,

pour l’occasion, béats devant la moindre fleur !

 

Ce sont des gens à part, qui butinent les rêves,

qui croquent la folie sans dimanche et sans trêve,

qui boivent en la rime le soleil du décor,

qui engrossent la vie et filoutent la mort,

 

qui cherchent dans les yeux de l’abbé à voir Dieu,

qui, respirant par l’âme, ne sont ni jeunes ni vieux.

Ils gobent la rosée sur le coquelicot

et puisent dans l’air frais le bonheur à pleins seaux !

 

des esprits longuement mûris en réflexion,

jugeant par l’expérience, la foi et la raison,

qui ne viennent ici pour vénérer l’oracle,

qui ne vont le pied fou comme on va au spectacle !

 

On éteint la lumière et tout s’ébroue enfin ;

aux croches comme aux dièses qu’ils serrent entre leurs mains

les musiciens donnent le La de l’envolée !

et déployant leurs ailes vers le voile étoilé,

 

les mots de leur volière de chair et de cristal,

ceux qui chantent le bien, ceux qui pleurent le mal,

rugissant en sourdine une dernière fois,

se collent à l’hexamètre et prennent le bon pas.

 

L’azur est martelé d’un écho vivifiant ;

le cœur gonflé des dames, l’oreille des enfants

jubile à la douceur d’images retrouvées ;

les steppes sont en fleurs, les fauves sont lâchés !

 

Je ne suis plus sur scène, je suis cet iris bleu

que le doux vent caresse sous les satins de Dieu ;

je ne suis plus qu’un souffle que le texte entretient,

vacillant avec la nuit, le clap de vos mains !

 

Applaudissez encore, applaudissez toujours

que je gobe le fruit défendu de l’amour…

et qu’à l’heure où viendra le temps de s’émouvoir,

nous éprouvions le même désir de nous revoir !