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Jouissances de rue

En ce vide-greniers on y vendait des âmes,

des pièces de cinq francs et des bonnets de nuit ;

une table était recouverte de bonnets d’âne,

et l’on pouvait acheter des corps alanguis ;

une brouette de chaussures attendait des pieds,

trois paires de gants de laine attendaient l’hiver,

un chien bleu à roulettes de se faire adopter,

un chat maigre y faisait les cent pas à l’envers ;

des fantômes, sur des cintres, se balançaient au vent,

on y trouvait les chaînes d’un château hanté,

les songes érotiques d’une fille de couvent

et quatre paires de skis en pâte à modeler ;

en ce vide-greniers se côtoyaient le fol,

l’original, l’absurde, le malheur et l’espoir,

de vieilles cages pleines de vieux rossignols,

d’autres plus grandes où chantaient les lueurs d’un soir ;

une remorque débordait de rêves chimériques,

une soutane était en vente quelques sous,

des souris blanches à cheval sur de lourdes barriques

vendaient des fromages à attraper les matous ;

on pouvait se procurer un tracteur bleu marine

à labourer les crânes des malades mentaux,

des pelles et des fourches à trancher la margarine,

une clé des champs et des bouteilles à échos,

un fauteuil de dentiste en papier crépon rouge

et la roulette en or qui fait tourner le monde,

pour la plage arrière l’un de ces lévriers qui bouge

les cils, le popotin et sa tignasse blonde ;

les étals étaient achalandés comme jamais,

les vendeurs se vendaient comme des bouchées de pain,

des bouquets de fleurs achetaient des sacs d’engrais,

des chinois s’arrachaient des boîtes de baisemains ;

des escargots s’emportaient de l’anti-limace

et l’on vendait du souffre à des enfants souffrants,

on y trouvait des comètes et des morceaux d’espace

mais c’était beaucoup trop cher pour des paysans

qui préféraient acheter des rires en rubans

et des cornes de cheveux noirs pour leurs vieux jours ;

posés à même les planches vertes d’un banc

grouillaient derrière un grillage des calembours ;

des recueils de poèmes à écrire trônaient

au milieu de bouquins d’histoires à inventer,

un extraterrestre lisait un livre de français,

une vieille pleurait des perles à enfiler ;

une femme, sur une porte, avait suspendu

des doigts de sorcières montés en portemanteaux…

le vide-greniers se tortillait dans la rue

comme la chenille des enfants sous le préau.

Mon sac rempli de poudre aux yeux je m’en allais

laissant derrière moi l’ultime déglutition,

la danse revigorante des bruyères à balais,

et mes frères à leurs dernières fornications !

Le Poète d’en bas

C’est moi, le Poète d’en bas,

celui qui parle des garrigues,

de la vigne dans tous ses émois,

des perdrix grises et du bec-figue ;

du drapeau rouge de l’ouvrier,

de Jaurès et de Marcelin,

du bleu de la méditerranée,

des tuiles ocre du patelin !

 

C’est moi, le Poète d’en bas,

jamais je n’évoque le crime

et rarement les scélérats

qui nous gouvernent à la cime ;

je parle bien peu des bourgeois,

et les aristos ne s’invitent

dans mes rimes où les Albigeois

avec les bûchers cohabitent !

 

C’est moi, le Poète d’en bas,

celui qui peint la vendangeuse

non pas avec des bas de soie

et la quincaillerie des précieuses,

mais sans fard et sans maquillage,

des bottes vertes au genou,

pigmentant notre paysage

de ce que la vie a de plus doux !

 

C’est moi, le poète d’en bas,

celui du cassoulet qui cloque

entre un grand cru du Minervois

et deux vers d’une verte époque…

celui qui a connu Alaric,

les chevaliers de Carcassonne,

Hugo, Delteil et Copernic,

et bu le muscat aux bonbonnes !

 

C’est moi, le poète d’en bas,

je ne versifie pas la guerre,

la peste ni le choléra,

ni toutes folies passagères,

mais j’aime faire chanter l’amour

l’après-midi, à tire d’aile,

et jeter des fleurs alentour

des couches de femmes infidèles !

 

C’est moi, le Poète d’en bas,

celui que les médias s’arrache…

raient s’ils voulaient faire un pas,

voir ce qu’il y a sous ma moustache,

voir ce qu’il est de notre temps

sous une plume réaliste

où la métaphore, en coulant,

se veut moins acerbe qu’altruiste !

 

Alors je viens à vous Madame,

ouvrez-moi la porte des cieux,

parlez donc de moi à Paname,

et précisez à ces Messieurs

que si c’est la croix occitane

qui embue encore leurs yeux…

un bouquet de thym en tisane

est apaisant et délicieux ;

 

Le vent n’est jamais bleu, le vent n’est jamais rose

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

 

En ce temps-là sous le café

était la télé communale ;

je ne veux pas rouvrir la malle

remplie d’étoiles surannées,

 

ni rouvrir mon âme aux regrets,

ni choisir entre deux époques,

ou deux amours, ou deux bicoques…

de tout il faut s’accommoder…

 

mais puisque deux bribes me reviennent

laissez-moi vous conter la chose ;

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

revenons aux choses anciennes.

 

Le conseil avait installé

la télé sur une étagère

fixée entre deux murs de pierres

et les vivats de l’assemblée ;

 

nous étions soixante au village,

et sur les deux rangées de banc

nous étions là soixante enfants

à boire les mêmes images !

 

Je revois encore, bouche bée,

des papillons dans le regard,

ces ménines 1 et ces vieux brisquards

que la vie avait martelés…

 

je les revois rire de bon cœur

en se trémoussant sur les planches

et se frottant le nez des manches,

unis en un simple bonheur…

 

 je les entends pester parfois,

je les revois lever le poing,

réagir à brûle-pourpoint

contre les menteurs de l’Etat…

 

je les revois encore au débat

suivant « Les Dossiers de l’écran 2 »

pesant la grive et l’ortolan

le plus naïvement qu’il soit !

 

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

 

Je me souviens des « Raisins verts »,

de « La Caméra invisible »…

des sautes d’humeur du fusible,

des fichus de la vieille Esther…

 

du « Palmarès de la Chanson 4 »,

comme de « Chef-d’œuvre en péril 5 »,

des réparties du brave Emile

et des rires fous de Gaston…

 

Je revois « La Piste aux Etoiles 3 »,

et les adieux de Jacques Brel 6 »…

la télé sur le maître-autel

et les fidèles autour du poêle…

 

je me souviens d’ « Au Théâtre ce soir 6 »…

du tintement des derniers verres,

des bises sous le réverbère,

des pas repartant dans le noir.

 

Puisque deux bribes me reviennent

laissez-moi vous conter la chose ;

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

on se perd dans les choses anciennes !

 

L’Emile acheta la télé

et ne revint plus à la salle ;

bientôt on ne vit plus ses châles,

Esther acheta la télé…

 

puis comme un virus qui se donne

par le désir ou la fierté

d’autres achetèrent la télé…

l’un au printemps, Gaston en automne…

 

une poignée encore pour Noël…

peu à peu la salle se vida.

La télé ? On la débrancha.

Ce jour-là on perdit le ciel !

 

Le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

mais je vous ai conté ces choses…

bien qu’elles n’aient rien d’exceptionnel !

 

1: ménine : de l’occitan menina (grand-mère)
2 : Emissions TV 1967 
3 : Emissions TV 1964 
4 : Emissions TV 1965
5 : Emissions TV 1962 
6 : Concert J.Brel 1966 / Emissions TV 1966

 

L’homme nu

I

  

La pleine lune avait, déjà plus de cent fois,

du jeu perpétuel dont l’astre blond jouit,

à savoir se vêtir d’un apparat de soie

où de brumes rosées broder son fol esprit,

 

tiré l’épingle au gré des voluptés cosmiques

de la nuit qui s’égrène le long des sons glaireux,

archanges de mots doux, ronflements syllabiques,

pure fantasmagorie de tous gens orgueilleux !

 

Tel ce Dieu accoudé au balcon de l’Olympe

j’humais dans l’air du soir quelque éclat de bonté ;

philosophant au fil des valeurs les plus simples,

mon âme se gorgeait de vertus vanillées…

 

la fleur de bruyère ne convient pas au lieu ;

trop aride ; si beau sans le moindre artifice,

qu’au temps des folles amours j’y attèle mes vœux

et tire en sifflotant la houe de mes caprices…

 

le roulis des cyprès, étiolés à la taille,

dans l’azur pigmenté de papillons nacrés,

pareil aux filles des bals de la fin des semailles,

caressait sous les cieux un quatre temps parfait…

 

une onde claire allait, sans se presser vraiment,

léchant les rocs moussus d’une arrière-saison,

clapotant par ici, par-là se lamentant,

errant par habitude, sans but et sans raison…

 

afin qu’entre les plis de leur ventre adipeux

ne s’égarent en chemin les messagers d’Eole,

les candélabres, jaunis par la fumée des vieux,

accrochaient dans la plaine leurs mornes girandoles…

 

l’aurore était honnête et respectait les lois,

la logique sacrée, la gouverne des temps ;

le souffle d’Artémis, sur mon chemin de croix,

vint comme une promesse… et fût envoûtement !

 

la grive, si criarde, en son lit de feuillage

susurrait en silence, par ses vols éreintée,

les abeilles et les baies de ses papillotages ;

oiselle, mon amie, que demain te soit gai !

 

de ma blague polie au velours côtelé

d’un fond de poche usé par des ongles trop lourds,

quelques brins de tabac, à trois herbes mêlés,

sautaient en persillant, ô fieu, les alentours…

 

d’entre mes doigts brunâtres au travers de ma lippe,

d’un geste familier, d’un plaisir méthodique,

fidèle au règlement des étranges principes,

je bordais, là, ma nuit, d’un drapé féerique !

 

Apollon, par mégarde, me pensant assoupi

ou sur l’heure asservi à l’emprise des sens,

saupoudra les volutes de mes rêveries

de perles de folie et de poudre d’encens.

 

 II

 

 Au nirvana bleuté de l’extase empirique,

fidèle au souvenir des voyages d’antan,

lorsque la brume ôtait ses voiles impudiques

ma couche s’entrouvrait sur des lieux bienfaisants…

 

alors, l’esprit vidé d’encombre matérielle

j’atteignais l’océan de la sérénité ;

pendant que tremblements, sueurs et ribambelles

empoignaient ma tête et faisaient tout sauter

 

mon âme, elle, dansait au pays des sorcières

dont elle perçait la nuit de rires pénétrants ;

 apparaissaient alors aux reflets des cuillères,

Baudelaire et Gautier et l’hôtel Pimodan,

 

la confiture verdâtre des jeunes initiés,

les moqueries d’anciens, les réunions secrètes ;

les coches de l’île saint Louis, les délires programmés

mêlaient dans l’air ambiant, les Dieux, les hommes aux bêtes !

 

bien sûr, je n’étais rien qu’un corps dans la garrigue,

avachi en bordure des rives de l’enfer…

du « Paradis » dirait le père de Rodrigue !

ô Corneille, l’ami, pardonnes mes éthers…

 

quand tout tourne, sais-tu, de Ronsard et sa rose,

des orphelins de Rimbaud au triste hiver d’Eluard,

le passage clandestin des rimes à la prose

fiance les tragédies au roman de Renart !

 

chacun n’est que lui-même ! à quoi bon se mentir ?

Soi, en fait, est tout autre… et c’est Dieu que voici !

au balcon de l’Olympe Dieu SOI se fait plaisir

et nos corps dénudés redeviennent fourbis !

 

bientôt, d’ici, naîtra un monde unique et rond,

incontestablement j’en serai le maître !

les Dieux, au pinacle, unis me porteront !

qui pourrait sous vos cieux dire qu’il s’est vu renaître ?

 

ô nuages enfuis, ô lune galopante…

qu’il est doux, aujourd’hui, ce semblant de retour !

ô pays de l’absinthe, ô prairies d’acanthes,

ô pétales de rimes, ô couleurs de l’amour !

 

Apollon, par mégarde, me pensant assoupi

où sur l’heure asservi aux effets de la drogue,

saupoudra les volutes de mes rêveries

de poudre de folie et pensés interlopes.

  

III

  

Sur le char d’Apollon, Phaéton, les larmes aux yeux,

ordonnait aux chevaux de calmer leur ardeur,

car où Phaéton passait, tout n’était plus que feu ;

 vint le bruit du tonnerre, puis le calme enchanteur…

 

l’ondine, si tranquille, qui courait à mes pieds,

se fendit par là même où les ajoncs, tantôt,

jouant aux clapotis comme des gosses désœuvrés

riaient en aspergeant leurs superbes manteaux…

 

quand un chant mélodieux, entrecoupé de voix,

me parvint du ruisseau en un halo doré,

trois créatures de chair, vêtues de draps de soie,

dessinaient le profil d’une étrange destinée…

 

les nymphes allaient souffler une chaleur intense,

un bonheur sans pareil, une ivresse lucide ;

comme bouquet final de mes dernières transes,

je régnais désormais sur les terres d’Euripide !

  

IV

 

Bien sûr, la lune avait, une nouvelle fois,

du jeu perpétuel dont l’astre blond jouit,

à savoir se vêtir d’un apparat de soie

ou de brumes rosées troubler mon fol esprit,

 

tiré l’épingle au gré des volontés humaines,

rassasié l’un des siens, réconforté un brin !

 

A chacun son histoire, à tous la même peine

à tous le même but… à chacun ses chemins.

Si je peux me permettre

Ecris avec les yeux, écris avec le cœur, écris avec la peau,

ne cherche pas à versifier absolument ;

laisse les vieilles règles aux malheureux défunts !

ne compte les syllabes, il n’est là que foutaise ;

la musique n’est que le tempo de ta foi !

crée des codes qui te conviennent, des lois qui te soient propres !

écris seulement ce que ton âme te dicte,

cette pureté virginale qui bande ton esprit et fait frémir tes lèvres !

prends une feuille blanche, attache tes cheveux

pour que tes rideaux noirs ne bloquent la lumière,

et mets-toi à pleurer, à rire et à gueuler…

et tout en même temps ; écrire est une transe !

lentement pétris les mots, comme on pétrit la glaise,

comme on caresse un corps, avec délectation…

l’écriture poétique est une jouissance !

sois infidèle au sujet, va où l’inspiration te mène,

embrasse une idée et pose ton doigt sur l’autre

puis donne-toi aux nues et charge-toi d’extases…

alors tu ramèneras du ciel des fagots de lumière,

des bouffées de délires et la clé de toute béatitude !

ne cherche pas sur terre quelque illumination

et n’attends d’être triste ou gaie pour travailler ;

l’acte poétique vient naturellement

et se fout du roulis des sentiments qui passent !

lorsque l’instant poindra

tu verras un sanglot courir entre tes doigts,

puis un frisson remonter la joue et la tempe;

alors prends du papier, un stylo, une chaise,

lève le nez au ciel, plonge dans l’évanescent…

pour le reste, sois confiante… et attends !

Nuit blanche

Je me fouts de la nuit,

des affres de la mort,

des âtres de l’enfer…

 

me fouts de ses envies,

des humeurs de son corps,

de son humour amer;

 

je me fouts du sale temps,

des quatre vents qui braillent

sur la lande incendiée…

 

me fouts de ses draps blancs,

comme des petites mailles

de son déshabillé;

 

que Bacchus me protège,

je suis ivre et me livre

une guerre acharnée

 aux relents d’un manège

où l’encens et le givre

ne cessent de parader !

 

je me fouts des jonquilles,

du doux parfum des roses,

des frais coquelicots…

 

me fouts de tout ce qui brille,

des rimes et de la prose,

l’encre bleue du stylo;

 

je me fouts du centre ville,

des néons des boutiques,

de l’odeur des boulevards…

 

des traces indélébiles,

du trop peu éclectique

des croix de leurs brassards;

 

que Bacchus me protège,

je suis ivre et me livre

une guerre acharnée

aux relents d’un manège

où l’or blanc passe au cuivre

l’anneau des fiancés !

 

 bien sur je me fouts du feu

qui s’endort ou se meurt

abandonnant mes pieds…

 

la pègue en mes cheveux,

la raison ou le coeur

semblent m’interpeller

 

loin des flammes où dansaient

mes colères, mes dégoûts

au rythme du tison;

 

je ne suis qu’un corps vautré

sur un canapé mou,

mais grand Dieu, qu’il est bon

 

de n’être rien du tout!