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Demain cette étoile lointaine (livre 2) 2012

à ma rose, à ma fleur,

au soleil dans ses yeux;


Mise en bouche

 

          L’hiver est bel et bien passé sur cette terrible période de transition qu’est la cinquantaine, ne résolvant qu’une partie de mes chagrins, de mes chicanes, de toutes ces incommodités que la vie s’est bel et bien chargée de faire pousser en mon jardin, comme de tous ces tourments que l’âge m’a gentiment offerts comme cadeaux d’anniversaire.

  L’hiver se mourant, et même s’il en demeure quelques réminiscences, c’est vers les premiers balbutiements du printemps que nous allons nous tourner ; et comment !

    Avec les beaux jours ce recueil sentira la jonquille de la montagne de Lacamp, l’ophrys jaune et l’orchis pyramidal des garrigues, surtout l’optimisme une bonne partie du chemin !

   Si le temps s’y prête nous sortirons la chaise longue du hangar et nous nous gargariserons d’excellents auteurs. Le soir venu nous coucherons quelques idées sur du papier, légères en cette saison. Quoi qu’il en soit nous demeurerons fidèles à cette locution du bon Horace : « quam minimum credula postero » ; en d’autres mots « carpe diem ! ».

   Après nous être suspendus à trois épingles d’ironie et quatre de plaisanterie je vous raconterai ce martien qu’il m’a été donné de rencontrer en sortant le chien ; nous rencontrerons aussi un voyant, une entité inconnue, divers personnages de ma contrée, et je vous inviterai à dîner chez un ami bourgeois en compagnie de mes acolytes poètes. Nous passerons aussi un moment chez Madame la Marquise à qui je donnerai peut-être la fessée. Au retour nous passerons par la montagne, par ces magnifiques endroits que l’homme a délaissés et nous en profiterons pour pleurer le vieux frêne calciné.

  Après quelques rimes à maman, à papa et à mamie, quelques souvenirs de « la Caubit », et comme il sera l’heure de conclure nous irons prendre le frais à l’ombre d’un figuier où nous croiserons un cercueil à deux places faisant une dernière escale avant son ultime demeure.

   Tout un programme, non ?

   Ciao l’ami, et à plus tard dans nos vies !

J.G


Table des poèmes

 

  1. A Ferrat, à Aragon.
  2. Appel au changement.
  3. Sous un ciel de cigales vives.
  4. Temps libre.
  5. Lettre aux novices
  6. « L’idée » c’est la chose première.
  7. Un chat de poète.
  8. Les carottes sont cuites.
  9. Sacré dragueur !
  10. Vous et l’autre.
  11. Le jeu des sortilèges.
  12. Monotonie.
  13. Affaire de « ça ».
  14. Fin de bise.
  15. Phénomène paranormal.
  16. Jeanne.
  17. Figuier, pinson.
  18. Ici.
  19. Les choses sérieuses.
  20. Chez Madame la Marquise.
  21. Pigeon aux fèves.
  22. Le choix.
  23. Le frêne calciné.
  24. Nouvelle vie.
  25. L’automne à Saint-Aventin.
  26. Maman.
  27. Papa.
  28. La femme ailleurs.
  29. Le temps de « la Caubit ».
  30. De l’été à l’automne.
  31. Des funérailles de l’ancien temps.
  32. Pause.

1.  – à Ferrat, à Aragon

 

Que vos amours et vos guerres sont mêlées mes frères !

les yeux d’Elsa brillent sur l’eau claire d’Ardèche,

les fusils montent encore à l’assaut d’une brèche ;

vivre le poing levé, le vent à la crinière !

 

Que vos rimes ont rougies sous le drapeau de paix,

que votre verbe est haut enserrant la souffrance

et votre voix posée quand elle dépeint la France

et griffonne demain sur un coin de buffet !

 

Aujourd’hui sur les lèvres et pieds nus sur l’ancien

vous aimiez rajouter du bleu à la superbe

et refondre et sculpter l’adjectif et l’adverbe ;

lâchez vôtre âme, ici il fait un temps de chien !

 

“Ma môme est à l’usine“, mais “La montagne est belle“,

ce nouvel automne est le temps du “Crève cœur“,

un jour “Les guérilleros“ deviendront des chanteurs

mais l’art a quitté les bas-fonds, les ruelles !

 

“C’est beau la vie“, le surréalisme a coulé

des “Beaux quartiers“ au grand moulin de Villeneuve,

mais est-il nécessaire d’en faire un roman fleuve ?

sous l’arche à Pont d’Arc tout Aubenas a pleuré !

 

“Que serais-je sans toi“, qu’aurais-je à partager

toi l’idée qui me fuit pour renaître sans cesse,

mettons-nous en commun cette ultime richesse ?

Aragon l’a écrit et Ferrat l’a chanté…

 

mais passe chaque mode et passe chaque idée ;

voyez comme les rats se repeuplent à souhait !


2.  – Appel au changement

 

Ouvrez vos caves, libertines,

qu’on s’en paie une tranche, enfin !

depuis qu’on reste sur sa faim,

qu’il n’y a plus rien voisin-voisine,

 

qu’on ne se prête plus le pain,

l’huile d’olive et les épices,

depuis qu’il n’y a plus rien qui glisse

ni qui coulisse entre vos reins,

 

depuis que le jeune, au village,

tient place et lieu de religion,

qu’on ne fait la génuflexion

derrière les beautés du bel âge

 

conformément aux écritures

d’une politique nouvelle,

qui, faisant fi de la dentelle

porte tort aux femmes mâtures,

 

depuis qu’on suit aveuglément

les lois tronquées de l’évêché,

amendements et députés

vérolés du gouvernement,

 

depuis qu’on va droit dans le mur,

que l’on mondialise à tout va,

qu’on met en poste des scélérats

et que tout devient dictature…

 

je crie, je grogne, je tourne en rond,

je prends des suées anormales,

et par ces pulsions animales

j’en appelle à la réflexion !

 

Impliquez-vous, prenez la mouche,

pensez enfin à vos enfants !

où sont les jours heureux d’antan ?

et s’il le faut prenez la fourche !

 

Ouvrez vos caves, libertines,

à la lumière du pas nouveau !

ouvrez la porte de vos tombeaux !

 

il fait si beau sur la colline

que nous pourrions y entremêler

nos cœurs et nos corps alanguis !

 

ouvrez ! ouvrez ! qu’une ère de paix

enfin abreuve nos sillons !


3.  – Sous un ciel de cigales vives

 

J’avais étendu là la nappe

sous un ciel de cigales vives,

ouvert un Château Neuf du Pape

et disposé quelques olives,

 

j’avais sorti quelques glaçons

pour rafraîchir quelque breuvage,

quelque  “spécialité maison“

qu’on prend au dessert, à mon âge,

 

et si cela vous intéresse

j’avais roulé du bon tabac,

puis  jeté dans l’herbe mes fesses

sous une souche de muscat !

 

Il est des instants délectables

où seul le tendre bruissement

des pins s’invite à votre table ;

et les cigales, évidemment !

 

Je traînais un brin d’amertume,

suffisamment pour m’obséder,

traînais partout comme une brume

qui assombrissait mes journées…

 

indéfinissables soucis

qui crottaient mes guêtres et mes bottes,

qui dispersaient mes rêveries

et les plumes de mes hulottes !

 

Comme les cigales crissaient

haut par-dessus le cri des femmes,

dans cette nature j’oubliais

l’air vicié de mes états d’âme !

 

Sur quelques toasts de pain grillé

j’avais jeté quelques rondelles

de sourires en pointillés

et trois cubes de mortadelle…

 

puis quelques verres dans le nez

j’admettais que “ça vaut la peine“

de se forcer à pique-niquer,

d’aller mouiller sa madeleine

 

en un bol de senteurs sauvages,

– cher Proust, à chacun sa méthode ! –

tremper en un autre langage

son encéphale qui s’inféode !

 

Puis je suis parti, laissant là

dans l’herbe folle, agoniser

le Tupperware de mes tracas,

croyez-le, parti du bon pied !

 

Depuis, je cours et cours encore

et n’ai le temps d’aller plier

la nappe, les miettes de la mort,

les restes des saisons passées !

 

A l’heure de mon dernier repas,

si j’avais une madeleine,

la tremperais-je dans le muscat,

dans le souvenir ou la peine ?

 

J’avais étendu là la nappe

sous un ciel de cigales vives,

fini le Château Neuf du Pape,

la mortadelle et les olives,

 

j’avais terminé le tabac

et levé mes fesses de l’herbe ;

la madeleine était extra,

le chant des cigales superbe !


4.  – Temps libre

 

Quelques rimes pour me détendre,

quelques images pour m’éclipser

dans l’espace, puis redescendre

de larges ailes à mes souliers !

 

prendre la vie du bon côté,

peindre la métaphore en rose,

en quelques vers “philosopher“

pour trouver la vie moins morose !

 

Ce sont les fêtes de fin d’année,

la garrigue est blanche de neige,

mes merles se sont fait berner

retenus par les pattes aux pièges !

 

Les jours allongent leurs enjambées,

leurs pas sur la poudre sont crissant ;

tuer le temps à rêvasser

de quoi nourrir mon inconscient !

 

Quelques rimes pour me détendre,

pour tenir le sein à mes muses

car au téton je sais entendre

la cithare et la cornemuse…

 

et sous leurs yeux de demi-reines,

et sous leurs lèvres de fruits mûrs

je sais entendre la fontaine

miraculeuse de l’azur !

 

Demeurez donc à la flambée,

chauffez-donc vos chausses de laine,

je vais aller passer veillée

où l’on n’a besoin de mitaine…

 

juste du papier pour la chose

et l’encre pourpre des grands soirs,

l’œil ouvert, la paupière close

d’un coup je me laisserai choir…

 

je reviendrai avec le verbe

à des temps nouveaux conjugué

et sur l’âme de folles herbes

qu’une étoile aura déposée !

 

L’envie vous sied, j’en suis fort aise,

courrez vous jeter dans les nues

car sous la paille d’une chaise

ne niche de muse éperdue !


5.  – Lettre aux novices

 

Les yeux dans le néant, un pliant sur la rive,

écoutez se mêler le vent et les eaux vives,

suivez les papillons qui passent en votre esprit,

les fleurs de l’illusion et les voies d’Arcadie,

oubliez la matière et buvez le présent

dans un battement d’aile ou quelque bruissement,

fondez-vous dans le bleu et l’argent du décor ;

sachez une fois libérer l’âme et le corps…

 

alors elles viendront, ou de l’air ou des eaux,

les dives créatures revêtues d’oripeaux,

la chevelure lourde, le sourire apaisant,

et elles danseront à travers vous, longuement,

elles parleront peu mais vous comprendrez leurs signes

et croquerez bientôt les raisins de leurs vignes !

 

Puis vous vous assiérez sur le petit pliant

chaque fois que la vie vous offrira du temps ;

alors ce temps-là deviendra prioritaire,

de plus en plus souvent vous quitterez la terre,

vous oublierez parfois qu’à l’aube il faut rentrer ;

il en est ainsi quand on use de la clé !

 

Si la folie ne vient nicher en vos entrailles,

si vous êtes un excellent “Passe muraille“,

si la rime vous sied – la pantoufle de vair –

et mettez à l’endroit ce qui dort à l’envers,

si vous n’avez ni le tournis ni le vertige,

la phobie des idées qui éclatent ou se figent,

si vous voulez ouvrir la porte au renouveau,

si vous voulez être un peu le berger des mots,

au bord de la rivière posez votre pliant,

regardez vers les nues avec des yeux d’enfant…

 

ne cherchez à comprendre, à parler, à écrire,

assimilez d’abord, puis vous saurez décrire !

 

Si vous trouvez que mes muses ont la peau flétrie,

faites à votre tête, vous n’avez rien compris !

 mais si vous trouvez qu’elles ont toujours les yeux clairs,

comme le disent les jeunes, «alors ça va le faire !»

 

amis,

la poésie n’est qu’un mélange d’eau et d’air !


6.  – “L’idée“, c’est la chose première ! –

 

Laisse venir de l’inconscient

“l’idée“, c’est la chose première !

si elle ne vient pas par devant

bien sûr qu’elle viendra par derrière !

 

Jamais elle ne se fait prier,

– raffinée, naïve ou grossière –

parfois même elle vient de biais

se suspendre à ta boutonnière !

 

Avant qu’elle ne fuit, saisis-là,

noie-là dans une goutte d’encre ;

de ton buvard amuse-là,

il est bon de jouer au cancre !

 

Quand elle croit que tout est perdu

elle t’offre alors des mots bénits

pour qu’à ton tour tu sois pendu

aux charmes de la poésie,

 

au jeu du chat et de la souris !

L’idée fait la morte et le mot

du coin de la rime jouit

à trouver une place au chaud !

 

Tu crois enfin tenir le bout

du quatrain, mais le vers, espiègle,

pour une syllabe te rend fou ;

chacun pour soi et pas de règle !

 

L’idée, le mot, le vers, la rime,

quand tout alors paraît foutu,

monte du trou noir des abîmes,

ou descend du bleu roi des nues

 

en une lueur immaculée

que seul “l’élu“, dans son errance,

saura d’instinct canaliser :

“la lueur de la délivrance“ !

 

Le reste n’est que mathématique…

équations d’accents et de pieds,

multiplications de logique

et d’images à fractionner !

 

Prends une feuille et laisse aller

trois mots au son de ta musique,

“des sentiments bien colorés“

car il faut soigner l’esthétique !

 

laisse flotter l’encre en tous sens,

“l’idée“ c’est la chose première,

elle doit surgir de l’inconscient,

soit par devant, soit par derrière…

 

et puis un jour, habituée,

– raffinée, naïve ou grossière –

câline elle viendra nicher

dans le jour de ta boutonnière

 

montant la poétique à cru,

– ou sur la tête, ou sur le cul –

certes, tu tomberas des nues

mais tu seras le nouvel “élu“ !


7.  – Un chat de poète

 

Assis sur l’herbe sèche je taquine l’ablette ;

sa chair est ferme, mais elle est farcie d’arrêtes !

sachez donc que je ne m’emploie pour mon repas,

car de plus, la friture est mauvaise pour mon foie !

 

Si je vais à la pêche c’est pour plaire à mon chat

qui ronronne d’amour la nuit au fond des draps ;

c’est parce que jamais il ne vient chasser mes muses

lorsque le vers m’agrippe et la rime m’amuse !

 

Des arrêtes d’ablette en griffes acérées,

des yeux ronds et de superbes moustaches jais

c’est un chat de poète, il rêvasse souvent

en se léchant la patte une souris aux dents !

 

C’est un chat de poète, l’encre noire lui sied ;

lorsque je poétise je sais qu’il prend son pied !

si je répète mes quatrains à haute voix

il boit la métaphore allongé contre moi…

 

et si jamais un quatrain lui semble bancal

il se met à hurler comme un jeune chacal,

puis se lustre à nouveau des oreilles à la queue

dès que l’alexandrin a douze pieds heureux !

 

C’est un chat de poète, il hoquette en dormant ;

il rêve de mulots gros comme des éléphants,

de ces bêtes des nues qui effraient les enfants !

“chat de poète“, sensible et extravagant !

 

Si je pêche l’ablette les soirs de pleine lune,

sachez que ce n’est pas un problème de “tunes“ ;

mon chat mange des boîtes, des restes et des croquettes

mais pour l’inspiration il préfère l’ablette…

 

je soupçonne qu’une muse le titille aussi !

nous sommes, je le pense, deux poètes au logis

à moins que ma femme ait deux bêtes à la maison ;

l’une au bout de ses draps, l’autre sous l’édredon !

 

Avant de me coucher j’ai préparé les plombs,

les vers rouges, les moulinets et les bouchons ;

n’ayez crainte, à l’heure où l’ablette piquera

le félin, insomniaque, me réveillera !

 

Puis, quand les poissons rendront leur dernier soupir,

qu’à l’aube le panier cessera de frémir,

se léchant les babines avec délectation,

quittant la rêverie pour la dégustation,

 

je verrai le matou, le nez dans le guidon,

titiller la muse aux entrailles de poisson !

j’irai dormir un peu car le sommeil me manque

puis je rejoindrai mes potes au club de pétanque !


8.  – Les carottes sont cuites

 

Je conduis, dit le père,

le bus de ramassage ;

je me brûle, dit la mère,

les ongles au repassage ;

le fils dit, j’étudie

“l’Idée“ de Maupassant ;

et la fille jouit

toujours intensément !

 

Le père fume la pipe,

la mère ses sodokus ;

le fils colle à la lippe

des herbes de Katmandou ;

la fille, dénudée,

chique le coquelicot,

toutes les fleurs des près,

sur le ventre ou le dos !

 

Le père est en alerte

à chacun des arrêts ;

la mère toute offerte

aux mots placés, casés ;

le fils boutonneux boit

la philo à lampées ;

et les sens en émoi,

la fille d’hoqueter !

 

Le père rentre harassé,

par la jeune kyrielle,

la mère terrassée

par ses mots pêle-mêle ;

le fils des vers au cœur,

la fille des fleurs au cul ;

à chacun son malheur…

diable, rien n’est foutu !

 

Voici donc la famille

des hommes d’aujourd’hui ;

à l’extérieur tout brille,

à l’intérieur tout fuit !

tout fout le camp dit-on,

jusqu’où ira la fuite ?

où Kant est la raison ?

les carottes sont cuites !


9.  – Sacré dragueur ! –

 

Un martien, sur un mur, le regard dans les nues

conversait avec une amie au firmament ;

l’amour en était le sujet, probablement

puisqu’ils mouraient chacun d’un amour éperdu !

 

On l’avait, semble t’il, envoyé sur la terre

pour une mission “secrète“, c’est entendu ;

mais même solitaire en nos contrées perdues,

même un blanc sec en main, une choppe de bière,

 

on sait que les martiens ne se mélangent point

avec les gens du cru ! tantinet snobinards

– rendons à César ce qui appartient à César –

jamais ils ne rappliquent lorsqu’on fume le joint !

 

Je passais par hasard ; je sortais le caniche

quant de l’angle du mur j’entrevis le tableau.

Sa bouche articulée ne lâchait aucun mot,

mais leur conversation était tellement riche

 

que jamais ils ne détectèrent ma présence !

ses antennes, pourtant, battaient l’air en cadence !

mon caniche, ce soir là, jappait en silence ;

on peut dire, il est vrai, que j’eus beaucoup de chance !

 

Quant à décrire son amie, c’est difficile.

Je la crus tout d’abord assise sur un banc,

puis sur l’une de ces licornes à dos blanc…

quoi qu’il en fut, la femme était bien son idylle

 

car je voyais planer au travers des comètes

de longues girandoles de langoureux baisers

que quelques sanglots d’argent venaient ponctuer !

il ne s’agissait là d’une simple amourette !

 

Gêné dans cette situation indiscrète,

au rythme des envies saccadées de mon chien

je partis alors, zigzaguant sur le chemin,

laissant mon Roméo coucouner sa Juliette !

 

Moi qui pensais que les martiens étaient sans cœur,

qu’ils étaient vils et froids dans leurs soucoupes noires,

sans les voir pour autant comme des larrons en foire

j’ai la preuve qu’ils aiment à butiner la fleur !

 

fins limiers je ne sais, mais de sacrés dragueurs !


10.  – Vous et l’autre

 

C’était un soir banal d’un été ordinaire,

l’obscurité recouvrait mon lopin de terre,

mes belles-de-nuit dansaient les yeux grands ouverts

et les grillons m’offraient un éclatant concert !

 

Comme autres bruits distincts, seuls un zeste de vent

entre mes roses rouges et mes lauriers blancs

et deux chauves-souris qui se coursaient derrière

le vieil abri de bois et le haut mur de pierres.

 

Une fois n’est coutume, enfin j’avais du temps

à revendre et le rêve est un doux passe-temps !

par hasard, mon regard sur Vénus se posa

et je sentis la paix m’enserrer dans ses bras.

 

C’était un soir ordinaire d’un été banal

et j’allais entre Terre et Vénus à cheval

sur un songe paisible, les cheveux au vent ;

pour une fois je sommeillais en souriant…

 

 je laissais mes tracas à la pierre des fours,

au grand soleil qui brûlait mes belles-de-jour !

Au clou de l’abandon ma musette flottait

sous l’air du soir qui sans coup férir me happait.

 

Que vous dire de plus ? Si le rêve est stupide

il est peut-être vrai que les nues sont frigides

et que les muses, alors, si chères au poète,

ne sont guère plus que les maux de ses tempêtes !

 

Croyez ce qu’il vous plaît sans chercher à comprendre

ce qui par les cieux est à louer ou à vendre !

une nuit en plein air, une nuit, simplement,

le regard vers l’étoile et les yeux de l’enfant…

 

à demi vous, à demi l’autre, sans faux-semblant ;

une nuit de plein air, une nuit, simplement !


11.  – Le jeu des sortilèges

 

Monsieur, dis-moi de belles choses,

Monsieur, dis-moi ce que j’attends,

que ma vie, demain, sera rose,

brodée de pain pour mes enfants !

 

Que vois-tu donc en cette boule ?

Pourquoi s’assombrit ton regard ?

Dis-moi, Monsieur, comment ça roule !

ta boule aurait-elle le cafard ?

 

Dis-moi ce que je veux entendre ;

tais si je dois mourir demain

car j’aurai bien le temps d’apprendre

quand la faux croisera mon chemin !

 

Vois-tu les rubans de l’amour

flotter le long de mes persiennes…

à la première heure du jour

sa main parfumée dans la mienne ?

 

Et vois-tu le petit chemin

où batifolent mes rêveries ?

Vois-tu mes songes de gamin,

loin du chemin, évanouis ?

 

Monsieur, entrevois-tu au moins

mes incertitudes, mes tracas ;

dans la boule, de près ou de loin,

mes “pas de chance“ et mes faux pas ?

 

L’avenir, pour toi, cher Monsieur,

toi que je consulte en tremblant,

toi qui possède ce don de Dieu

d’être à demain, déjà ; “voyant“…

 

cet avenir que tu t’emploies

à lire consciencieusement,

– dont je suis le serf ou le roi –

semble t’il aride ou clément ?

 

Dis-moi, Monsieur, de belles choses,

Monsieur, dis-moi ce que j’attends,

que ma vie, demain, sera rose,

que reste à venir le pain blanc !

 

Que vois-tu donc en cette boule ?

Pourquoi s’assombrit ton regard ?

Faudra-t-il que mes larmes coulent ?

Suis-je à temps, est-ce donc trop tard ?

 

Tout est écrit depuis longtemps ;

les torrents finissent au lac !

Le train s’en va, ai-je le temps

de prendre mes clics et mes clacs ?

 

Si l’avenir m’était conté,

en  rimes riches ou en prose,

devrais-je, par nécessité,

prendre à la lettre toute chose ?

 

Faut-il ignorer ou savoir ?

Faut-il découvrir, oublier ?

Qui sera là dans le miroir

quand la saison aura passé ?

 

ô monsieur, dis-moi, toi qui sais,

si face au jeu des sortilèges

je finirai par être en paix !

et quand bien même le serais-je…


12.  – Monotonie

 

C’est écrit, le lundi je dois aller pointer,

le mardi, quel souci, que vais-je donc manger ?

en vérité je vous le dis, le mercredi,

belle enfant, je le réserve aux jeux interdits !

 

 harassé je retourne pointer le jeudi ;

vendredi, les amis, c’est jour de poésie !

si le samedi je fais la grasse matinée,

mon esprit, le dimanche, se met à cogiter

 

car,

 

le lundi, c’est écrit, je dois aller pointer,

le mardi, quel souci, les factures vont tomber ;

mercredi, mes amis, la tendresse finie

déjà se profile à l’horizon le jeudi !

 

 le jeudi, réunion, je ne vois plus le jour,

je n’ai guère le temps d’appeler mon amour ;

vendredi, méfiance, l’horoscope est mauvais ;

samedi, quelle chance, l’astrologue s’est planté !

 

dimanche, après la messe, quoi qu’en dise Sarco,

d’un coup de moto j’irai prendre l’apéro ;

je m’enquillerai une douzaine de demis,

je me mettrai minable en pensant à lundi…

 

et la gueule de bois, lundi j’irai pointer !

jamais le mardi je ne peux faire le marché ;

mercredi, rituel, en grimpant l’arc en ciel

l’après-midi m’ouvrira les portes du ciel !

 

mais,

 

le jeudi, harassé, je retournerai pointer ;

vendredi, c’est écrit, le soleil va briller ;

samedi, le loto, c’est moi qui vais gagner…

et qui le sait, peut-être dimanche le quinté !

 

lundi je n’aurai plus besoin d’aller pointer,

dès mardi j’entamerai de grasses matinées ;

mercredi je n’aurai plus qu’à faire l’amour

et peut-être bien même tous les autres jours !

 

je ne ferai que manger, je vais prendre du poids,

enchainer sans complexe les semaines et les mois

et si la bonne chère m’envoie au Paradis,

je m’en fouts car là-haut c’est toujours mercredi !

 

jamais l’on n’y pointe ; sans souci du lendemain

on s’y trimbale toujours un soda à la main !

partout des hamacs se balancent au vent léger,

plus d’heures supplémentaires, de factures impayées…

plus du tabac amer de la vache enragée !

 

adieu monotonie, quelle est drôle la vie !


13.  – Affaire de ça (ça psychologique) –

 

Je voudrais être ce soir dans la peau d’un autre,

pour une fois, peut-être bien, prendre la vôtre,

connaître la douceur de manger à ma faim,

retrouver le goût du sourire et du bon vin,

le parfum des excès sans heure et sans compter ;

je voudrais revêtir votre peau apaisée…

 

car vous êtes pour moi “d’infinis paysages“ !

 

Je voudrais être ce soir dans la peau d’un autre,

pour une fois, peut-être bien, prendre la vôtre,

écouter vos musiques, boire votre soleil,

connaître les songes exquis de votre sommeil,

me laisser porter par de longs flots de caresses,

me laisser submerger par une mer d’ivresses !

 

Je voudrais être ce soir dans la peau d’un autre,

pour une fois, peut-être bien, prendre la vôtre,

revêtir un temps la peau de la réussite,

la peau de l’homme qui pense libre et court vite,

de celui qui peut encore avoir Dieu en face

sans lui jeter le moindre juron à la face…

 

car vous êtes pour moi “d’infinis paysages“ !

 

Je voudrais être ce soir dans la peau d’un autre,

pour une fois, peut-être bien, prendre la vôtre,

je voudrais être vous, vous voudriez être moi,

pourquoi veut-on être quelqu’un d’autre à la fois ?

je voudrais être vous car votre herbe est plus verte,

je voudrais être vous pour cette rose offerte…

 

car rien ne m’est acquis sauf une fleur fanée

que sur mon triste cœur une amour a plantée.

Je voudrais être heureux le temps d’un brin de chance,

sur le chemin de vie je n’ai guère d’avance,

le temps d’une éclaircie dans mon ciel encombré

puis succomber si tel est le prix à payer…

 

car vous êtes pour moi “d’infinis paysages“ !

 

Mais la revêtir sans l’avoir passé au crible,

certes, une peau d’emprunt me semble difficile !

mais vous ne semblez, hélas, mieux lotis que moi

et votre peau serait un fardeau, une croix !

ma croix, cela fait bien longtemps que je la porte ;

je voulais votre peau puisque la mienne est morte…

 

toujours “l’autre“ est pour soi “d’infinis paysages“ !

 

Gardez donc vos ciels bleus, vos dives régalades,

la vie, soyez-en sûr n’est qu’une mascarade ;

en lieu d’un chemin bien sombre et des plus banals

je rêvais d’un surmoi qui fut original !

mais je n’ai pas choisi cet éther qui m’habite,

et ne lave guère mes yeux à l’eau bénite…

 

chacun ne traîne que le surmoi qu’il mérite !

 

Suis-je donc d’infinis paysages à moi seul ?

l’envie de “plus“ n’est qu’un scintillant linceul ?

 

D’infinis paysages en infinies prisons,

Kant,

quelle est la voie de l’inconscient à la raison ?


14.  – Fin de bise

 

La bise, qui inquiète le marteau de ma porte,

qui, maligne, tournoie autour de mon foyer,

qui de jour, qui de nuit, qui sans cesse colporte

bizarreries, mensonges, noirceurs, naïvetés,

 

fantômes névrosés, fallacieux, moribonds

aux sourires encombrés de querelles intestines,

rongeurs de cervelles et suceurs de raison

enrubannés d’air pur et nourris de vermine…

 

cette bise, qui toujours naît pour faire mal,

qui nous vient l’hiver lorsque les jours raccourcissent,

dont on ne fait jamais état dans le journal

entre un fait banal et quelque erreur de justice…

 

cette bise a cessé ; que cache son silence ?

pourquoi les tracas semblent quitter mon foyer ?

ma porte se méfie de cette délivrance ;

des colères célestes suis-je donc dédouané ?

 

suis-je enfin à la croisée d’un nouveau chemin ?

puis-je donc espérer sous des cieux plus cléments ?

à chaque repas, pourrais-je rompre le pain ?

me sera-t-il permis de manger mon pain blanc ?

 

Le soleil vient, timide, et la bise a cessé ;

je me sens dénudé, allez-vous donc me croire ?

au doute me serais-je donc accoutumé ?

et vivais-je heureux cerné par mes idées noires ?

 

Si la bise a cessé, je vais donc réapprendre

à poser en douceur mes pas sur le chemin…

et d’un pas nouveau permettez-moi d’aller rendre

mes sabots crottés aux sous-fifres du divin…

 

rendre mes idées noires pour de beaux lendemains,

rendre mes sabots crottés pour des mocassins !

La bise, qui inquiétait le marteau de ma porte,

s’est sans doute envolée ; peut-être est-elle morte

d’une indigestion d’acrimonie, de bistorte ?


15.  – Phénomène paranormal

 

Un soleil s’est posé au bout de mes draps blancs ;

la nuit était obscure, les volets clos pourtant !

pour une fois que j’avais snobé mon réveil

une lueur intense a fendu mon sommeil !

 

Trois heures seulement au pied de l’abat-jour !

je ne sus si c’était le taxi de l’amour

ou le bus de la mort qui venait me quérir ;

je ne sus s’il fallait m’habiller et partir !

 

Lueur que n’accompagnait ni parfum, ni croix ;

sans visage, sans forme, sans désir et sans voix,

sans artifice, sans doigt, sans clé, sans raison ;

une lueur rentrée chez moi sans effraction !

 

Que vous dire de plus… ébahi, stupéfait

j’espérais qu’elle allait au moins émettre un souhait !

 mais guère plus loquace qu’un lapin, qu’une fleur,

je ne pus savoir à qui j’avais donc l’honneur !

 

Dès que je lâchais mes premiers mots, hésitant,

la lueur s’emballa, et ce, tambour-battant,

ricocha maintes fois de l’armoire au plafond

puis traversa le mur comme un tas de coton !

 

 Le temps d’entrouvrir la fenêtre et les volets

déjà la folle lueur s’était éclipsée ;

– adieu belle de nuit, adieu clarté de mort –

le silence et la nuit tapissaient le dehors.

 

Ni victime d’un rêve, ni d’un cauchemar,

pensant qu’il valait mieux retourner au plumard

je sombrais à nouveau dans les bras de Morphée,

guère plus inquiété, guère plus éclairé !

 

Je sais que les esprits parfois se manifestent,

qu’ils vous rendent visite et puis au premier geste

ils reprennent l’ascenseur via le Paradis ;

les voyages forment la jeunesse, pardi !

 

Allez,

ne faites un fromage de ce fait banal,

sommeillez sans vous soucier du paranormal…

et sachant que comme on fait son lit on se couche,

tournez plutôt sept fois votre langue dans sa bouche !


16.  – Jeanne –

 

Jeanne, je te vois de l’autre côté du pont,

Jeanne, j’aperçois ton sourire et ton jupon,

Jeanne, vous êtes partis depuis si longtemps !

Jeanne, avec qui fais-tu la causette à présent ?

 

Pouvez-vous au moins être ensemble comme avant,

avant les grands départs et les petits enfants ?

Etes-vous assis sur la planche d’un vieux banc

à regarder passer les nuages et le vent ?

 

Pourquoi, Jeanne, as-tu le panier d’osier au bras ?

Es-tu venue cueillir des parfums d’ici-bas ?

Eprouverais-tu un brin de nostalgie ?

As-tu besoin de prendre l’air du pays ?

 

Tous les tiens ont vieilli ; des petits sont venus,

tant et tant que tu ne t’y reconnaîtrais plus !

Nous qui rêvons de voir Saturne et Vénus

au prochain voyage nous serons dans le bus !

 

Jeanne, embrasse tout le groupe d’amis pour moi ;

quant à grand-père embrasse-le cinquante fois !

Si tu t’en va prend avec toi ces quelques vers,

au creux de ton panier, pour oublier l’hiver…

 

quand je vous rejoindrai, avec tous mes recueils,

– étonnantes guirlandes autour de mon cercueil –

ou vous rirez de lire toutes mes âneries

ou vous pleurerez de voir quelle fut ma vie…

 

je t’embrasse.


17.  – Figuier, pinson –

 

Pas un nuage et pas de vent,

juste une chaleur étouffante ;

Les Fleurs du Mal 1 étaient absentes,

Les Amours Jaunes 2, Les Châtiments 3

 

pas un poème à l’horizon !

Juste un figuier dont la laitance

déversait à flots ses fragrances…

et sur une branche un pinson.

 

Plus de quatrains de mirliton ;

que de larges feuilles en quinconce,

des bols de mûres sur les ronces

et sur sa branche le pinson.

 

Des abeilles, des colimaçons…

un vermisseau dodelinant

qui ondulait naïvement

sous le bec béant du pinson.

 

Sans une feuille qui ne bruisse

à “l’almanach du bon poète“,

juste le silence à la fête

et le rien faire à fleur de cuisse…

 

et le pinson, son ver au bec

sans un sautillement de trop…

et le poète, sans un mot,

lapant son verre de blanc sec…

 

et sur le figuier, le pinson

se délectant de sa chenille

comme l’on picore une fille

à l’italique de la passion !

 

Bientôt le figuier serait nu,

le pinson transi sous les pluies ;

un bourrelet de laine à l’huis

les muses auraient réapparu.

 

Mais pour l’instant je sommeillais,

d’un œil, de l’autre je me délectais

de moutons sur la voie lactée

des ébats du pinson rassasié…

 

1 Les fleurs du mal : recueil de poèmes de Charles Baudelaire publié en 1857.
2 Les amours jaunes : recueil de poèmes de Tristan Corbière publié en 1873.
3 Les Châtiments : recueil de poèmes de Victor Hugo paru en 1852.

18.  – Ici

 

Ici ça cause de cathares,

de Carthagène et de sangliers

dans un délicieux tintamarre

de porcelaines entrechoquées ;

 

ici ça cause entre deux bises,

entre deux braises, entre deux vents,

entre deux ceps, entre deux crises

et deux rouquettes au printemps !

 

ça cause en rond, à la veillée,

sur de petites chaises en paille

et ça “roumègue“ au député,

au renard qui saigne la caille !

 

ça s’encanaille et c’est malin

quand ça veut causer de la chose,

et quand ça cause du machin,

ça délie la langue à la prose !

 

ici ça roule, et c’est marrant,

le R comme en Catalogne,

mais l’adjectif est occitan,

comme alsacienne est la cigogne !

 

ici ça cause, ou pas d’ailleurs,

car le silence seul suffit

à embraser le moindre cœur,

à prendre le jour pour la nuit !

 

ici ça cause du passé,

– la terre est riche d’espérance –

les “ménines“ causent au café,

les autres au marc, de préférence !

 

et la lune suit son chemin,

étrangère, ou peut-être pas,

à la flambée du prix des pains

comme aux grenaches du Minervois !

 

ça cause pour ne rien oublier,

il faut transmettre – ou mourir –

tant le futile que les secrets !

chaque mot construit l’avenir !

 

un jour, en buvant du Corbières,

vous causerez, c’est évident,

du vieux que vous mettrez en bière ;

ça cause dur aux enterrements !

 

ne vous perdez pas en prières,

contez-leur des vers truculents !

 

ceci-dit en passant,

Garrigou vaut bien Baudelaire

au jeu des quatrains pétillants,

non ?

 

ne vous perdez pas en prières,

contez-leur des vers truculents,

puis clouez la boite en chantant !


19.  – Les choses sérieuses –

 

Un Modigliani, dans le hall, faisait face

à quelques visons qui s’étiraient sur la glace ;

une glace aux moulures fraîchement asservies

d’une patine nourrie d’ambre et vert de gris !

 

Ecloses d’une large ronce de noyer

 quatre feuilles d’acanthe, superbement forgées,

supportaient les vareuses et les heures qui fuient ;

 j’allais omettre le pot Ming, à parapluies !

 

La double porte, à petits carreaux ciselés,

laissait entrevoir les lueurs de ces flambées

que l’on pousse à l’extrême les soirs où l’on reçoit ;

j’aimais la blancheur immaculée des vieux bois !

 

Depuis que mon chapeau m’avait été ôté

mon esprit salivait aux senteurs d’un civet

et sachant le talent des deux mains de cuisine,

une vulgaire soupe m’aurait paru bien fine !

 

En entrant au salon Delacroix m’accueillait.

Je vous parle de son immense autoportrait

qui grignote la cimaise et lèche le plafond ;

un exemple vivant d’autosatisfaction !

 

Delacroix, puis Monet sur le pan de travers

dont les coquelicots vibraient au courant d’air !

mes hôtes, bourgeois, de bourse plus que mâture

ne conjuguaient leur vie sans la noble peinture !

 

Certes, aimant les tableaux et la littérature,

je préférais de loin cette large pointure

qui faisait, en cuisine, frire de beaux saumons

au fenouil, à l’absinthe et aux petits oignons !

 

Sur la table de marbre rose, les cocktails

prenaient sur l’heure des allures d’arc en ciel ;

au gré des discutions, j’alliais bien volontiers

les anchois et les câpres aux ballotins sucrés !

 

Du Paradis, Hugo semblait être à la fête,

ce soir là, les convives étaient tous des poètes ;

nous mêlions nos idées, nos critiques aussi

aux rimes de demain comme aux vers d’aujourd’hui !

 

Notre hôtesse laissait échapper une touche

de romantisme sitôt qu’elle ouvrait la bouche,

et pour elle, Ronsard, Maître ès-lettres d’amour,

méritait les lauriers du plus grand troubadour !

 

Sur la table dressée de porcelaines blanches

où des oiseaux rêveurs caquetaient sur des branches,

cent verres qu’on emplissait d’une liqueur dorée

veillaient un régiment de couverts argentés.

 

La nappe, qui finissait en rangs de pompons,

abritait d’autres oiseaux au chaud dans le coton,

oiseaux, qui, bien muets au creux de leur volière

écoutaient déclamer des vers de Baudelaire !

 

Pardonnez-moi de fermer là mon encrier,

la servante emmenant les pâtés de gibier

adieu Desbordes-Valmore, adieu Sainte-Beuve,

fallait, nom de Dieu, qu’on passe aux choses sérieuses !


20 – Chez Madame la Marquise

 

 J’ai donc rêvé d’un mur qu’il fallait remonter ;

un mur de pierres sèches qui s’était écroulé !

cauchemardé plutôt ! car j’étais à l’ouvrage

lié comme est le singe aux barreaux de sa cage…

 

probablement lié avec l’ange cornu

qui toujours sur mes pierres posait sa main velue

et faisait ébouler – toujours empreint de fiel –

le moindre pas que je posais sur l’arc en ciel !

 

Les pierres s’entassaient sur le dos de mes fleurs,

sur les pierres le rire du diable et mes pleurs !

mon sommeil s’en trouvant fortement affligé,

sans ciment ni monnaie je dus me réveiller !

 

« Vous me parliez de poisse, Madame la Marquise ?

servez-nous donc un autre verre que l’on se grise !

vous devez vendre, c’est horrible, vos châteaux ?

moi qui verse trois larmes quand vous jetez trois seaux

 

de peine sur vos écuries et vos bastions,

mes fleurs qui périssent au milieu des gravillons…

que la vie est injuste ! Adès souffle sur nous

le vent des cornemuses, non celui des binious !

 

savez vous qu’au village on y meurt du cancer,

que tant et tant ont déjà perdu l’être cher ?

Notre santé est plus saine que nos murailles,

pourtant nous pleurnichons, heureux sans funérailles !

 

Je vous assure, Marquise, jetons haut nos deux cœur ;

au diable vos châteaux, nos pierres et nos fleurs !

le temps que nous passons sur la terre est si court,

n’offrons par habitude nos sanglots aux vautours !

 

ne pleurons plus, Marquise, n’ayons plus de chagrin,

collons-vous au vitrail, dévoilez votre sein,

dénudez votre corps, notre temps est si court…

sentez donc Marquise la fierté de mes atours…

 

oh comme vous lisez, Marquise, dans mes pensées !

tournez-vous donc, Madame, c’est l’heure de la fessée !


21.  – Pigeon aux fèves

 

Pardonnez si  je vous questionne,

qui donc est Lucile d’amour ?

mais qui est donc cette personne ?

voici que cela fait trois jours

que je questionne et je questionne…

qui donc est Lucile d’amour ?

car avant-hier, à Carcassonne,

sur la fenêtre de ma tour,

 

à l’heure où sont à la sieste

les boulangers, les chausses-petit,

les femmes mûres et le reste

des gens honnêtes du pays,

un ramier blessé dans sa quête

de vite trouver le logis

de Dame Lucile, trouva, du reste,

le râle à l’ombre de mon huis !

 

Hélas maints soins ne suffirent

à maintenir en vie l’oiseau,

qu’avec des fèves l’on fit cuire

comme si ce fut un perdreau !

Que cela ne fasse sourire,

car il portait à un anneau

un court message où j’ai pu lire

un grand amour en petits mots !

 

Pardonnez si je vous questionne,

qui donc est Lucile d’amour ?

mais qui est donc cette personne

vers qui volait ce grand amour ?

voici que cela fait trois jours

qu’elle se questionne et se questionne !

qu’elle ne se jette d’une tour

ni d’un rempart de Carcassonne

 

convaincue de l’amour perdu,

pour n’avoir ouïe au colombier

les roucoulements éperdus

d’un plus que fidèle ramier !

Pigeon vola, pigeon mourut

son message encore bagué,

peut-être à trois ailes de sa rue

d’une flèche dans le gosier !

 

Chantez, riez Dame Lucile,

un ramier volera plus haut

que toutes les flèches imbéciles,

fidèle coursier, bel oiseau…

littérature subtile

roulée sous l’argent de l’anneau,

littérature fragile

à tire d’aile et de coteau !


22.  – Le choix

 

Monarque lové dans sa suite

Monsieur lièvre était au gite,

prostré là dans ses hautes herbes

empreint d’une grâce superbe,

 

pourtant j’ai passé mon chemin

entre cistes et romarins,

mon fusil toujours silencieux,

les canons levés vers les cieux !

 

Le sourcil ras, le pas robuste,

mon Saint-Hubert sous les arbustes

et ma panoplie au complet

sur une âme sensible à souhait,

 

guère pour la caille ou le colvert,

je trottinais dans le grand air

tirant des collines alentours

l’essence même de l’amour !

 

Un éclat de buis à la bouche

je n’usais guère de cartouches,

ni jamais plus que de raison

ne buvais de détonations.

 

Ni lapin, ni panneau routier,

ni ortolan, grive, ni sanglier,

toujours, des coteaux, des bas-fonds

je ramenais mon sac de plombs !

 

Pas de sang dans ma gibecière,

d’hécatombe en mes palombières,

pas de traque, de mise à mort,

il me suffisait d’être dehors !

 

Chasseur le plus fol de la classe

j’ai troqué mon permis de chasse

– amoureux des sentiers perdus –

contre l’accès secret des nues !

 

C’est ainsi qu’à l’orée du bois

– soumis aux charmes de leurs voix –

lorsque paraît le crépuscule,

sur l’aile d’une libellule

 

à trois muses je rends visite !

Monarque lové dans sa suite

je dompte et l’automne et les vents ;

je fais la pluie et le beau temps !

 

Parfois, lorsque la faim me vient

je croque tout crus deux quatrains ;

et comme tous les mets de la vie

l’alcool des nues me rassasie !

 

aux déesses étant promis,

au lièvre j’ai laissé la vie !


23.  – Le frêne calciné

 

C’est un arbre sans chair, sans souffle et sans cheveu,

le fantôme du petit bois de Plante-Queue,

 car il a pris la foudre au plus chaud de juillet,

car il a pris les foudres de Dieu sur le nez !

 

Ô rage, ô désespoir, ainsi le sort funeste

cachant le feu dans quelque repli de sa veste,

mit un terme et sachez combien cela me peine,

en quelques secondes fit griller le grand frêne !

 

Or, sous ce frêne je contais à mes maîtresses

des histoires de chevaliers et de princesses !

or, sous ce frêne, au vent chaud de ma libido

je me livrais sur leur ventre à de fiers galops !

 

C’est un arbre sans chair, sans souffle et sans cheveu

que j’ai trouvé tantôt au bois de Plante-Queue !

la couche sur laquelle scintillaient nos ébats

n’est plus de plume, mais de cendre et de vieux bois !

 

Jamais aux nuages mon frêne n’avait conté

les petits mots intimes ni les râles sucrés

que mes belles échappaient à l’abri du feuillage !

que mes belles étaient loquaces sous les ombrages !

 

Où trouverais-je un bon arbre dans la contrée,

un frêne sûr, sur lequel je puisse compter ?

un frêne sous lequel l’herbe moelleuse à souhait

donnerait à mes belles le goût de s’exclamer ?

 

J’avais reculotté mes histoires de royaume,

sur un ventre chaud fini de croquer mes pommes,

nous étions repartis, l’orage menaçant,

vers la ville, main dans la main, en sifflotant

 

sans se douter qu’en haut du bois de Plante-Queue

le nid de nos amours périrait par le feu ;

nous aurions pu griller, nous pensant à l’abri

sous des feuilles frémissant au chant de la vie !

 

Mes adieux à ce frêne qui connut mes maîtresses,

mes histoires de chevaliers et de princesses…

car il a pris la foudre au plus chaud de juillet ;

car il a pris les foudres de Dieu sur le nez !


24.  – Nouvelle vie

 

Le bitume éventré dans les rues du village,

le cantonnier qui semble avoir tourné la page,

les cheminées éteintes et les piles de bois

qui semblent avoir quitté les sous-pentes des toits,

les gamelles vides des gros chiens de troupeaux

qui semblent attendre la lapée du renouveau,

 

qu’il est triste et beau l’endroit que l’homme déserte !

 

Les coquelicots qui dégueulent des talus,

la pierre et la faux qu’on a laissé suspendues

et les ornières où les eaux de ruissèlement

semblent croupir sous les refrains gelés du vent,

les portes où ne viennent plus toquer les amis,

fermées à double tour aux humeurs de la vie,

 

qu’il est triste et beau l’endroit que l’homme déserte !

 

Plus de chat à l’affût des merles et des mésanges,

seul trois brins de fourrage semblent hanter les granges,

les mûres que les vieilles aiment à grignoter

comme les hirondelles semblent être accolées

sur les fils du départ, les rameaux de l’adieu ;

un vide qui prend ici l’accent d’un aveu !

 

qu’il est triste et beau l’endroit que l’homme déserte !

 

La folle avoine, un jour, sera la seule trace ;

l’homme semble ici trouver la terre trop basse,

il est vrai qu’en ville on voit peu de chèvre paître,

la richesse y semble sortie des boites aux lettres ;

la montagne et l’homme au béret c’est dépassé ;

que demain semble vide sans le cri du berger !

 

Qu’il est triste et beau l’endroit que l’homme déserte !

 

Mais l’air est pur, et toujours le chemin chemine,

il semble qu’ici plus grand-chose ne me chagrine,

je suis de retour et je sens à chaque pas

cet enfant perdu qui semble renaître en moi !

je ne ferai plus le con, ici je tire un trait ;

trop de temps en prison ; je veux mourir en paix !

 

mais que le ciel est bleu et la montagne est verte ;

et qu’elle est triste et belle la vie qui m’est offerte !


25.  – L’automne à Saint-Aventin

 

Le brame du cerf, peut-être,

où la buée sur ma fenêtre,

où mon âme au repos complet,

la fumée dense des cheminées,

la venue d’une autre pénombre,

le jour qui se fond sans encombre…

 

c’est l’automne à Saint Aventin 1.

 

Une cloche qu’un cou brinquebale,

des nuages de neige et d’opale,

les craquements de l’escalier,

le torrent raisonneur à souhait,

les biches entrant dans la ronde,

la lune veillant sur ce monde…

 

c’est l’automne à Saint Aventin !

 

Sur les poutres, les chevrons, les huis

de ma demeure d’une nuit

j’ouïs courir à grandes enjambées

les contes et les rires passés,

j’entrevois les larmes avec

des hivers aux crocs noirs et secs…

 

c’est l’automne à Saint Aventin !

 

Sous le pas lourd du promeneur

la feuille se brise et se meurt,

l’insouciance va son chemin

et l’enjambée happe demain ;

l’ours traîne par ici dit-on,

la veillée cuit lards et marrons…

 

c’est l’automne à Saint Aventin !

 

Le torrent peu à peu s’éteint,

l’astre vient mordre le chemin,

les cerfs et les biches assouvissent

leurs pulsions de sucre et d’épice,

un chien lance quelque aboiement

à mon volet qui claque au vent…

 

c’est l’automne à Saint Aventin !

 

Cache-col serré dans la rue

je serai loin l’hiver venu,

trois cerfs seront morts sous les balles,

la neige couvrira les dalles

et sous son édredon de plumes

chacun aimera sa chacune.

 

Qu’importe la couleur du temps

et le calendrier de l’avant ;

là, tous auront le nez aux cieux,

car, parait-il, pour être heureux

faut un peu de blanc et de bleu

et mille couleurs dans les yeux !

 

1 Saint-Aventin : commune pyrénéenne de la Haute-Garonne.

26.   – Maman

 

Tu tenais la maison, les cordons de la bourse,

implorais le Seigneur pour que l’eau de ta source

apaise notre soif ; trois enfants boivent drus

quand l’été des Corbières déambule dans la rue !

 

Tu surveillais la rue, nos pas, notre langage ;

tu mêlais savamment message et paysage !

sur chaque pied de table était gravée la loi ;

sur les barreaux de chaise pour ceux du quartier bas !

 

Tout était simple alors ; de l’air pur plein la tête !

dès Pâques le pantalon court et les socquettes,

la raie plutôt à gauche, chez nous, de préférence,

tradition ancestrale des pays de souffrance !

 

Le matin tu craquais l’allumette sous la jatte

et le poulet s’accoquinait bien aux patates ;

l’assiette était copieuse et les pattes de poules

soulevaient quelquefois le couvercle de l’oule !

 

Lorsque tout semblait prêt la vigne te hélait ;

à son appel strident aussitôt tu partais

désherber, vendanger ou faire des fagots ;

la vie n’est pas aisée quand on a trois marmots !

 

Tu surveillais la source des fois que par folie

elle ne suspende à jamais son maigre débit ;

chez les gens de la vigne rien n’est jamais acquis,

excepté les taxes prélevées sur l’acquit !

 

Avant qu’à l’eau de ta source ne se reflète

une étoile harassée, burinée et coquette,

tu suspendais encore la braise aux draps de lin

et quatre ou cinq mots tendres aux treilles du divin.

 

Quand sous la danse du pampre le jour fuyait,

que la maison n’était que de songes et de paix,

que seuls les chats au dehors se volaient dans les plumes,

quand dans l’âtre il n’y avait plus grand-chose qui fume,

 

tu te laissais glisser entre tes draps épais

pour colorier déjà la prochaine journée ;

chez les gens de la vigne on cogite sans cesse…

et c’est peut-être là d’ailleurs que le bas blesse !


27.  – Papa

 

Il ne marche plus aujourd’hui

mais il a tant de pas d’avance

que son corps prône l’accalmie

et ses pieds prennent des vacances !

 

Il a chaussé tant de godasses

qui ont foulé tant de labours

dans la poussière ou la bouillasse,

de l’obscurité au grand jour ;

 

ainsi va le viticulteur,

le dos courbé, de souche en souche,

toujours une rouquette au cœur

et le pampre frais à la bouche !

 

Ses pas ne l’emmènent aujourd’hui

près des guirlandes de cinsault

et peu lui importe à midi

qui chantonne à flanc de coteau !

 

Jamais il n’entend un tracteur

mais le rire des vendangeuses

nourrit ses songes en couleurs…

et s’il a l’âme bien rêveuse

 

c’est qu’il arpente, en sifflotant,

ses rangées où le seau charnu

de grenache ou de Carignan

fleure l’époque révolue !

 

La vigne est bien là, tout autour ;

elle ne va pas, elle subsiste !

elle avance à pas de velours ;

comme Papa, elle résiste !

 

Par la moustiquaire, parfois,

entre un bruissement de rameaux

cousus de bourgeons en éclats

doublé du chant d’un passereau.

 

Je l’accompagne, s’il le peut,

sur ces chemins qu’il a courus ;

il est vrai que quand on est deux

on se sent bien moins mal foutu !

 

Il ne marche plus aujourd’hui

mais il a tant de pas d’avance

qu’il foule en tous sens, de son lit,

le vignoble de notre enfance,

les ceps de la réjouissance !


28.  – La femme ailleurs

 

Elle cache sous son chignon des bouffées d’oxygène,

chez elle les saisons passées ne sont bien loin,

et quand sur sa masure il fait un temps de chien

l’oxygène, en étoiles, illumine ses veines ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle est ailleurs, toujours, au bord de la fenêtre,

semblant reconnaître dans les plis de la bise

les manches retroussées, le col de la chemise

de celui qu’elle aimait… et d’un autre… peut-être ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle est ailleurs, toujours, près des flammes mourantes

d’une bûche de chêne trop lourde pour ses bras ;

elle ferme les yeux, puis sourit, ils sont là,

tous, autour de la table, tous l’haleine fumante ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle a le cœur qui bât et le chignon qui gonfle,

un souvenir s’extirpe de sa mélancolie ;

l’oxygène s’écoule, quelques larmes aussi,

et de la chemise entrevue un poitrail ronfle ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle est ailleurs, toujours, lorsque frémit la soupe ;

toujours la même soupe sur le même trépied !

toujours l’odeur du chou vert, de l’os décharné,

du chêne mêlé à la cendre et l’étoupe ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle est ailleurs, toujours, l’œil sur la broderie,

deux lettres majuscules en haut du drap de lin ;

elle causait de trousseau en un été lointain !

qu’elle paraît petite sur le rebord du lit ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle passe ses journées sur sa chaise de paille,

l’esprit vif et le corps au trois-quarts assoupi ;

elle voyage à vélo, elle va danser Mamie,

elle va rire… et vous irez à ses funérailles…

 

ou ailleurs,

 

elle rira toujours de sa caisse de pin

lorsque vous déposerez vos fleurs en pleurant,

sûre de retrouver par les cieux son amant…

quand vos lippes rougies déploreront sa fin !

 

elle rira toujours, d’ailleurs, elle rira…

n’entendez-vous point les rires de l’au-delà ?


29.  – Le temps de “la Caubit“

 

Chez  “la Caubit“,

collée aux fers forgés gelés des chers balcons,

entre l’antirouille et les fruits d’exaltation,

la peau d’un temps béni repose à tout jamais

et les fous-rires flottent sur l’eau des pinceliers !

 

Chez “la Caubit“,

ma jeunesse est gravée dans l’enduit des cloisons,

sur les laques lissées au sel de la passion,

incrustée dans les ocres roux de la patine

et l’esprit volatil de la térébenthine !

 

Chez “la Caubit“,

l’ancien sentait l’humide et le neuf exultait ;

tout renaissait de ses cendres ; tout florissait !

l’âge adulte arrivait, tout se mettait en place

et l’enduit de la veille séchait là sans grimace !

 

Chez “la Caubit“,

la mode était toujours aux papiers d’autrefois

où des feuilles à l’envers et des roses à l’endroit

attestaient d’une époque encore rassurante ;

fier, je gobais chez elle des étoiles ardentes !

 

Chez “la Caubit“,

tout convergeait alors et tout était possible !

chacun, en ce temps là, enluminait sa bible

de psaumes décorés de vérités criardes ;

heureux le cœur qui boit ce que l’âme chaparde !

 

Chez “la Caubit,

j’étais vif, j’étais jeune et je dormais si peu ;

plus l’hiver était dur et plus j’étais heureux !

mais quelle que soit l’heure, ou le jour, ou le mois,

quand on a dix-sept ans on est toujours le roi !

 

Quand une autre insomnie vient tendre ses satins,

ses tapisseries, ses voiles d’huile de lin,

lorsque les pinceaux dansent au dessus de mon lit,

lorsque mes dix-sept ans passent l’œil à mon huis,

 

lustrant  les fers forgés du pays d’Arcadie,

je sourie car toujours je suis chez “la Caubit“ !


30.  – De l’été à l’automne

 

Bien sûr j’attends que le temps passe,

je n’ai plus rien à espérer !

je suis de ceux de la ramasse

et de la prochaine fournée !

 

Je n’ai plus guère de famille,

on me visite rarement ;

chez moi plus grand-chose ne brille

j’ai englouti tant de printemps !

 

Bien sûr je bois le temps qui court,

je n’attends pas que “l’autre“ arrive !

mais je l’entrevois chaque jour

qui jubile sur l’autre rive !

 

Je fais celui qui ne voit rien

et je remue mes confitures ;

je fais semblant d’être serein

en balayant quelques rognures !

 

Bien sûr j’attends que le temps passe,

longtemps je scrute le couchant ;

plus grand-chose ne me tracasse,

“chuis“ fatigué de faire semblant !

 

C’est trop tôt pour le cimetière,

que deviendraient mes chiens, mes chats

qui trouvent l’eau pure aux gouttières

que leur offre mon pauvre toit ?

 

car après moi, le bulldozer,

sur mon lit mes chiens et mes chats

viendra poser sa main de fer ;

juste une heure lui suffira !

 

Que voulez-vous donc que je fasse

la chaise de paille face à l’écran,

les pies dans l’arbre, qui jacassent,

et le passé qui fout le camp ?

 

Pensez, en voyant les débris

de mon nid sans dessus-dessous,

qu’ici j’ai embrassé la vie

sur des paillasses de trois sous !

 

Pensez jeunesse, de temps en temps,

pensez à celles et ceux qui furent

de braves parents en leur temps

dans cette vie où rien ne dure !

 

Bien sûr je suis de la ramasse,

je n’ai plus rien à espérer,

alors j’attends que le temps passe ;

mais nous ne sommes qu’en été…

 

les vieux ne partent qu’en automne

avec les feuilles et le temps chaud ;

puis s’en est d’autres qui bourgeonnent

au temps béni des passereaux !


31.  – Des funérailles de l’ancien temps

 

Un corbillard, chargé d’un cercueil à deux places,

garé à l’ombre des platanes de la place

avant l’ultime course prenait un court instant

pour que les chevaux se ressaisissent… et les gens.

 

Tous étaient assoiffés ; tous étaient en sueur !

mourir en plein été, il faut être sans cœur

car le cortège accompagne les morts à pied

et par chez nous les routes ne cessent de monter !

 

Les chevaux, haletant, prenaient encore un peu

de temps avant de remettre l’oreille au feu,

et les gens, suffocants autour de la fontaine,

mêlaient à l’eau fraîche les sanglots de la peine.

 

Le conducteur, assis, les rennes entre les doigts,

était ici l’homme le plus malheureux qui soit.

La casquette bleue-nuit enfoncée jusqu’aux yeux,

tous le voyaient perdu dans quelque songe creux.

 

Un cercueil à deux places, vous avez bien compris ;

le conducteur emmenait en terre deux amis ;

ses patrons, pour lesquels toute une vie durant

il refendait les bûches et labourait les champs.

 

Ils avaient trop mangé et bu de trop grands vins ;

il est vrai les bourgeois ne se privent de rien !

quoi qu’il en fut, les chevaux bien reconnaissants

claquant du bon sabot partirent en hennissant.

 

Les hommes et les bêtes en un pas cadencé,

les femmes égrenant leurs fichus chapelets,

et les enfants se taquinant dans la poussière,

le cortège avançait vers la demeure dernière

 

où nos aïeux reposeraient enfin en paix

loin des sauces épaisses, des chocolats au lait…

et le soleil cognait fort sur la populace,

les chevaux et les vieux dans leur caisse à deux places !

 

Je n’ai cité l’abbé ni les enfants de cœur,

ni Jésus sur la croix, tous trempes de sueur !

ni le fossoyeur, la bouteille au bord du trou,

ni les héritiers suivant la boite à bijoux…

 

juste dépeint la halte, même si c’est moins marrant ;

d’autres auraient plaisanté sur cet enterrement,

car il est, je le sais, des poètes canailles

qui se gausseraient même de leurs propres funérailles !

 

Mais pour ceux qui n’ont vu le corbillard tiré

par un cheval (ou deux) tout de mauve habillé,

voici ces quelques vers au parfum d’ancien temps,

quand d’être du cortège était fort éprouvant !


32.  – Pause

 

Je souhaite “qu’elles“ laissent mon vieil esprit en paix ;

je tiens à ce qu’il aille à roue libre à présent !

je conjugue l’inspiration à tous les temps

et bois la poétique comme du petit lait,

 

je monte des recueils à lire au coin du feu…

c’est ce qu’elles m’ordonnent ! alors, obéissant,

par les nues je chemine sous n’importe quel temps !

dans la petite poche j’ai la clé des cieux !

 

Je change de chemise et suspend volontiers,

dès que je sorts, la clé à son clou de fer blanc,

mais dans la rue, bien sûr, irrémédiablement,

“elles“ font danser les syllabes sur la chaussée

 

et sachez bien qu’il en est deux ou trois poignées

dont la chorégraphie finit en mon cabas

cachées sous les côtes de blettes ou l’ananas !

les neuf muses me pressent, vous l’aviez deviné !

 

Je souhaite “qu’elles“ laissent mon vieil esprit en paix ;

je veux faire la sieste sous le tilleul

sans qu’une idée ne germe ; je veux être tout seul

et boire le néant comme du petit lait !

 

Je ne veux plus penser, relire simplement

mes vers comme s’ils étaient écrits par un autre,

découvrir d’un œil neuf toutes mes poésies !

me croirez-vous, je n’en ai jamais eu le temps !

 

Je ne veux plus être le “tâcheron“ des cieux

aliéné à la métaphore et au quatrain ;

je veux pouvoir faire la sieste serein

sans entendre les plaintes de ces vents malheureux !

 

Je ne veux plus pêcher au rire de l’enfant

le soleil qui descend et la lune qui monte

et ne veux ramasser, la nuit, après la ponte,

les œufs de la licorne au cœur du firmament !

 

Vide comme le niais, creux comme un coquillage,

sur ma chaise longue, flottant dans l’infini,

je veux être un corps offert à la pauvre vie ;

cet été, mes amis, je veux tourner la page !

 

Octobre reviendra aux senteurs de vendange

et des bennes gorgées de sueur et de sang,

ma plume sortira de longs vers triomphants

à la peau craquelée et au regard de l’ange !