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Le Marinas est rentré (livre 5) 2006

à Estelle,

          qui travaille consciencieusement sa poésie.


  Mise en bouche

 

     Puisqu’il tonne comme si le ciel allait tomber en morceaux, qu’il pleut d’un marinas froid à ne pas mettre un chien dehors, puisque tout est noir, que seuls quelques canards s’approprient l’espace, que même l’électricité fuit ces lieux pourtant enchanteurs d’une Corbière en hiver, alors à la bougie je reprends « mes fonctions ».

  Comme il y eut une cinquième « Ballade au gré du vent de Cers », il fallait une cinquième édition du « Marinas est rentré » pour clôturer le chapitre des vents locaux ; clôturer au sens le plus ironique qui soit, car le rêve et la rime ne se clôturent guère !

  Diable, faites que j’ouïsse la muse chanter tant qu’une once de souffle animera mes poumons !

  A propos de grand air, nous avions préparé les blousons et les casques, les lunettes et les gants, les chaussettes épaisses et les souliers de cuir, dans la rue la moto attendait le signal car nous devions aller du côté de l’errance passer l’après-midi.

  Mais au fond, puisque tout s’enchaîne impeccablement, je garderai le blouson sous une pluie de lettres, boxerai de mes gants quelque rime rebelle, protégerai mes yeux des éclats de métaphores, demeurerai sous mon casque à l’abri des quolibets, et de mes souliers de cuir je vous ouvrirai le sentier de lecture, sur lequel, je l’espère, une fois l’orage passé vous trouverez quelques baies à croquer et quatre « cagaroles 1 » suspendues à la cime des fenouils.

  Alors, le « Marinas » encore !

 Il est vrai que cette année aussi le temps d’août fut désagréable : l’arthrose a été à la fête, les rhumatismes ont été au bal et l’on a vu quelques vertèbres danser aisément le twist, quelques genoux en vrac et tant d’autres esprits échevelés. Mais que voulez-vous, le Marinas c’est tout cela réuni ; c’est le vent de la mer qui « tréboule » la terre !

  Ceci-dit, le vent d’Est a d’autres vertus. Quand il « buffe 3 », les bigotes qui se hâtent pour ne pas manquer l’heure de la messe vont la moustache soyeuse et les bas noirs bien remontés à l’entrecuisse. Elles vont à la musique des cinq centimes de quête cliquetant dans la poche de leur vieux manteau râpé. Mais tout cela ne nous regarde pas.

  Bon, la pluie redouble, les crêpes sentent bon mais pas le droit d’y toucher pour l’instant, la carthagène est au frais. Comme les crêpes mes rimes sont au chaud… dans le sous-main ; comme la carthagène les vitres ont froid, frappées par de longues larmes de ciel congelé.

  Puisque la bougie tient le coup prenons le temps de jeter un œil sur le contenu de ce dernier recueil.

  Fontiès, Labastide, la vigne, les idées de tous les jours … la routine quoi ; sauf qu’au fil du texte vous noterez peut-être que la rime se hâte cette fois-ci d’enchaîner les saisons, comme si elle avait rendez-vous avec Dieu !

  Dieu que vous croiserez plus souvent au cours de cette balade.

  Puisque le temps est plutôt aux ablutions je vais en profiter pour débarbouiller un peu quelques textes en suspens et chiper au passage deux ou trois crêpes à la patronne !

  bon hiver à tous ;

  que la poésie soit avec vous ;

  amen.

J.G

 

1 cagaroles : (dérivé du patois) : escargots jaunes et blancs accrochés aux fenouils.
2 tréboule  : (dérivé du patois) : qui contrarie.
3 buffe : (dérivé du patois) : souffle fort.

   Table des Poèmes

 

  1. Ronde nuptiale.
  2. Construction.
  3. Vertus de poésie.
  4. Le temps des choses.
  5. Ensemble.
  6. Allégro.
  7. L’avenir appartient a celui qui se lève tôt.
  8. L’incorrigible.
  9. Le temps de rien, le temps de tout.
  10. Légions enfantines.
  11. Les augustes chienlits.
  12. Souche d’origine contrôlée.
  13. Tourmalet 1911.
  14. Labastide nouvelle.
  15. Temps béni.
  16. Episode.
  17. Incivilités.
  18. Combien de temps.
  19. Automne armé.
  20. Lombalgie hivernale.
  21. Allégorie.
  22. l’Ange des béguines et salsas.
  23. Interprétations.
  24. La quête de l’hirondelle.
  25. Embellie.
  26. Cœur de lune.
  27. Fragrances nocturnes.
  28. L’envol.
  29. La grande éclosion.
  30. Soir d’automne.
  31. Le vol de l’oiselle.
  32. L’excentrique.

1.  Ronde nuptiale

 

Le soleil a repris ses folles équipées.

 

Que l’homme soit dingo, que le vent s’époumone,

qu’on cause charité, que l’on mande l’aumône,

le soleil a repris l’éternelle virée

parce qu’il en est ainsi depuis la nuit des temps

et qu’on ne change pas la routine céleste !

 

Qu’on hue le choléra, que l’on siffle la peste,

parce qu’il en est ainsi depuis la nuit des temps

le feuillage d’automne se meurt déchiqueté,

l’homme foule de bon pied les idées engrossables

et les faits engrossés s’envolent, misérables,

suspendus au puzzle des feuilles déchiquetées.

 

Oui, tout se désagrège pour renaître dit-on !

 

D’un purin de saison naquît un perce-neige

et la neige a couvert les flonflons du manège

pour que l’enfant, passant, tombe en admiration ;

pour que ses doigts fumants saisissent l’impalpable,

pour qu’un rai de soleil vienne gommer un peu

– lui qui ne connaît guère que l’école des cieux –

quelque zéro pointé souillant son vieux cartable.

 

Parce que Dieu veille au grain, parce qu’on va vers l’été,

voilà pourquoi, d’instinct,

le soleil a repris ses folles équipées !


2.  Construction

 

  D’abord,

 

se fossilise une idée,

accouchant de quelques mots,

timides, maigres, palots.

Viennent les lueurs, pressées,

 

qui naissent en même temps

d’une pareille euphorie,

puis s’acoquinent sans bruit

provoquant un sentiment

 

une implosion pailletée

grondant comme un vieux volcan,

spectaculaire ouragan,

dévastateur enjoué.

 

Les mots, les sens, les couleurs,

les formes, midi, minuit

et les flammes de l’envie

là, vous empoignent le cœur

 

puis vous enserrent l’esprit,

cherchent à comprimer votre âme

qui blêmit, qui souffre et brame ;

votre sang glisse et jouit.

 

Lors d’un bégaiement rature

vous imprimez sur la page

comme une empreinte de rage ;

un chapelet de verdure ;

 

le vent cesse de souffler,

l’histoire vous appartient

et vous poursuivez serein

l’énumération des faits ;

 

voilà,

votre poème est signé !


3.  Vertus de poésie

 

Certains composent des poèmes à tire d’aile

soucieux d’avoir des vers tendus comme ces fils

où s’amassent en automne les nuées d’hirondelles,

pour les voir, au printemps, rentrer de leur exil !

 

qu’ils vous parlent d’amour, qu’ils vous parlent de guerre,

ils ont la plume au bec, le regard dans les nues,

puis, par la magie de leurs rêveries altières

vous saisissent au colback et ne vous lâchent plus !

 

qui sait si la musicalité qu’ils cisèlent

sous les syllabes minutieusement comptées,

s’entremêlant au gazouillis des hirondelles,

aide vos sens terrestres à prendre l’envolée !

 

un autre entendement, un souffle immatériel

que votre âme retient l’espace d’un sanglot

et relâche aussitôt sur les chemins du ciel ;

– les métaphores suivent en exil les oiseaux ! –

 

 Le poète est à cran, le poète est gueulard

et s’il brandit le poing, s’il élève la voix,

le poète connaît les saveurs du nectar,

les errances d’amour, les sueurs de l’émoi !

 

son message alors vient s’écouler en vos veines

comme les pépiements des passereaux au nid,

nourrissant vos bonheurs comme allégeant vos peines,

invitant les amants à s’unir sous le gui !

 

vous qui méditez des poèmes à tire d’aile

soucieux d’accompagner les oiseaux en exil,

peu importe ce que vos songeries révèlent

pourvu que le soleil vous retourne en avril …

 

et qu’alors sur les fils, en nuées bienheureuses

vos âmes sourient à la saison nouvelle !

 

qu’elle m’a donné du mal mon âme voyageuse

à force de poème, indomptée et rebelle …

que de temps passé pour qu’elle entende raison !

 

que de rimes de Maîtres, de vers de mirlitons !


4.  Le temps des choses

 

 Non,

je n’ai pas le souci de rendre page blanche,

la hantise de voir, en un rond de fumée,

le silence de rime et le froid convoler

en justes noces, enfin, se payer une tranche

 

sur le dos de la métaphore en panne sèche…

voir l’inspiration prise à la boue du chemin,

voir mon histoire finir en eau de boudin,

la fibre poétique se barrer à la fraîche !

 

Non,

mais depuis qu’avec elle je partage le lit

je n’ai guère le temps aux joutes littéraires ;

j’ai beau tourner en tous sens la pierre angulaire

je ne jouis plus de ma maîtresse « Poésie » !

 

chez nous, lorsque les lueurs du jour se font rares,

que ses soupirs font flotter nos blancs baldaquins,

qu’en nos corps retentissent six rangées de buccins,

quand nos esprits saouls sous d’autres alcools s’égarent,

 

j’oublie – faute au paradis – certes bien volontiers

les enfilades de rimes au fond du sous-main,

ne compte plus les pattes des alexandrins,

ne baigne plus ma plume aux flots de l’encrier !

 

La lune éclaire peut être alcôves et balconnets,

Hugo se livre à de larges « Contemplations »,

Galilée jouit de quelques constellations,

Baudelaire peut-être fume encore le tarpé…

 

mais demain attendra que raisonne le clairon

pour que l’aube accouche de mes vers de mirliton ;

j’ai beau donner le La, je ne trouver plus le ton,

la poésie a foutu le camp de ma maison !

 

Je n’ai pas le souci de rendre copie blanche,

certes, mes vers, un jour reviendront au créneau…

le jour où ma muse aura du poil plein le dos,

une large bouée de couenne autour des hanches !

 

diable si mon verbiage ne demeure éloquent,

si le quatrain infidèle aujourd’hui découche,

je tournerai ma langue sept fois dans sa bouche

et vous reviendrai après moult apaisements !


   5.  Ensemble

 

Passent les heures, passe le temps,

les kilomètres de bobines,

les scénarios, les héroïnes

et les décors éblouissants …

 

fuient les nuages à tire-d’aile,

les projecteurs, les festivals,

les longues poursuites à cheval

et les jeunes filles aux ombrelles…

 

quand la vie s’assied sur les bancs

des vieux théâtres de verdure,

alors Belzébuth, Epicure

tirent leurs épées de fer-blanc !

 

Oubliés les jours de grisaille,

les galères, la mer en furie,

nos amourettes englouties,

nos premiers rôles, nos feux de pailles…

 

envolés les grandes absences,

les scripts et le trou du souffleur,

les nuées de merles siffleurs

et les rancœurs de l’existence…

 

la vie n’est qu’un vieux cinéma

où le balcon et le parterre

pour des statuettes grimacières

sont bourrés de chaises de bois !

 

Avec ses saisons inversées,

ses ténèbres et le ciel bleu,

avec les éternels adieux

de quelques illustres écorchés…

 

avec ses folies, ses romances,

ses jours pleins et ses demi-nuits,

les concertos d’Albinoni

et nos envies d’extravagance…

 

une scène ouverte où chaque homme

profane, initié « fait son bœuf » ;

la vie n’est qu’un grand coup de bluff,

une farandole fantôme !

 

Puisqu’elle paraît disposée

à nous laisser un jour de chance ;

s’il reste une dernière séance

gardez-moi le dernier billet !

 

Passent les heures, passe le temps,

mes derniers mètres de bobine,

mes scénarios, mes héroïnes

et mes décors éblouissants…

 

nous qui nous sommes tant aimés,

s’il nous reste un dernier baiser,

la caresse d’un vent d’amitié…

je voudrais être à vos côtés ;

 

– j’ai toujours préféré l’été ! –


6.   Allégro !

 

La rocade, noire orangée,

déserte à deux heures « du mat »,

tous ces visages familiers,

le sourd murmure du ballast,

les flashs, les séquences, les clichés,

 

l’enchaînement de la soirée,

les verres et les mots de l’entracte,

les témoignages d’amitié,

toutes les sensations intactes

pour le plaisir de prolonger

 

les sueurs, l’histoire, l’envie,

les joies d’une guitare de feu,

ses doux secrets qu’elle confie ;

le fictif, le réel, le jeu,

l’assistance qui communie ;

 

les coulisses de l’esprit !

 

Grands, maigrichons, illuminés,

les réverbères de la rocade

uniformément alignés

comme des pompons de cavalcade,

tristes maigrichons à l’air niais ;

 

le poste qui murmure en vain,

par habitude ; la vitre ouverte,

le vent, le ballast, le train-train,

la lune, les réverbères inertes ;

la bretelle de sortie … enfin !

 

une enfilade de maisons ;

le concert se fait silencieux,

le sommeil gagne la raison,

le jardin, l’air frais, les cheveux

collés aux vents de la passion ;

 

les lumières, les textes, les micros,

les rires, les applaudissements,

dans la malle – imbriqués – au chaud,

attendront le jour patiemment ;

chacun a besoin de repos ;

 

allégro !


7.  L’avenir appartient à celui qui se lève tôt

 

J’étais déjà debout quand le soleil pointait

son œil rougeâtre entre les rameaux du grand saule.

Au sortir de leurs rêves les merles piaillaient.

La nuit reculait, appuyée sur mon épaule.

 

Les pigeons, sur les toits, dégourdissaient leurs ailes

et de blancs duvets tourbillonnaient dans l’espace.

Une souris descendait au grain par l’échelle,

le chat sommeillait à larges coups de grimaces.

 

Fontiès dormait comme dorment les grands enfants,

sur le ventre, la tête posée sur le bras,

la respiration lente, le soupir innocent,

les sueurs de saison ruisselant sur le drap.

 

J’étais déjà debout, car la vie appartient,

paraît-il, aux rêveurs qui se vêtissent tôt

puis j’avais envie de donner à Dieu la main

et voir éclore quelques vifs coquelicots !

 

Alors, sans avaler la moindre confiture

je partis droit devant boire les gouttes d’azur

que m’offrait volontiers l’éclatante nature ;

un coq rauque chantait la fin du clair-obscur.

 

Fontiès révélait aux astres sa vraie parure ;

l’automne l’habillait d’un dégradé de bruns,

de jaunes craquelés, de roux et de marbrures

et les écureuils prenaient aux pins leurs parfums.

 

Le temps s’égrenait comme l’un de ces beaux poèmes

que l’on savoure le soir sous des éclats de lune

quand l’esprit dit « Chéri » et le cœur dit « je t’aime »,

qu’on se laisse happer par le teint clair de la brume !

 

Sur les fils de fer la vigne étirait ses doigts,

les raisins brunissaient obstinés dans leur quête ;

j’avançais à l’affût laissant au moindre pas

mon instinct s’épanouir au bruit d’une bête.

 

Le soleil jaunissant festoyait au sillon

d’étincelles en boucles, de ciel et de safran ;

on aurait pris septembre pour le mois des moissons,

l’enfer des vendanges pour le calme océan !

 

J’étais déjà debout ; le fenouil se dressait

et grimpaient sur son dos des fils d’escargots blancs,

tant et tant qu’on eut cru à des gouttes de lait

tombées dès l’aube des mamelles du firmament !

 

Des sangliers, dans leur nuit, avaient béni la terre,

de leur groin religieux avaient croqué l’hostie ;

innocents qui jamais ne prennent à la légère

ni les cieux étoilés ni la vierge Marie !

 

Le soleil redressait sa course vaillamment,

je pris place sur l’un de ces trônes de pierre

qui jalonne ma Corbière et veille le sarment,

la côte de velours, l’outre, la gibecière …

 

et de là, les yeux clos, je sentis mon pays

m’envahir et mes larmes murmurer un doux chant ;

qu’y a-t-il de plus précieux ici-bas que la vie ?

de plus noble qu’un clin d’œil au soleil couchant ?

 

Je rentrais bras-dessus, bras-dessous avec vous

qui ne passez le temps à tutoyer les nues ;

comme si je venais d’un galant rendez-vous

j’arrivais plein d’espoir ; j’avais vu et vaincu !

 

Il suffit d’un brin d’air, d’une feuille qui bouge,

d’une heure ensuite pour aligner les images,

d’un simple crayon affûté comme une gouge

et le poète sort à nouveau de sa cage !

 

quand le soleil bisera les rameaux du saule,

alors je jetterai le drap sur mon épaule !


8.  L’incorrigible

 

Tout est en ordre dans le champ.

Le corps massif, cheveux au vent,

les oliviers sont alignés

– diagonales millimétrées ! –

 

pas un brin d’herbe ne dépasse,

pas une avoine n’outrepasse

les lois qu’ici l’homme a dictées ;

chacun sa place et son métier !

 

Au pied des arbres, la terre fine

veille aux nuits noires de naphtaline.

L’air caresse, chante et circule

sous des pulsions de canicule.

 

Tout est dosé, et point ne faut

d’engrais, de charrue, de flûteau,

de mise en bouche, de dimanche,

de lune noire, de gelée blanche…

 

Le ciel est clair, pas un nuage,

chez les oliviers tout est sage ;

le corps noueux, cheveux bouclés,

tout est droit chez les oliviers !

 

Tout est fouillis autour du champ.

Les chênes dispersent leurs glands,

les pins dispersent leurs aiguilles,

le renard hume les jonquilles.

 

Point de plaisir si trop de gêne,

c’est le « boxon » à la garenne !

les lapereaux, musique à « donf »,

fond la « teuf », ça « tchuque » et ça ronfle,

 

ça profite de la saison !

à vingt ans ça doit faire le con !

les tracas viendront assez vite

déposer leurs couches anthracites !

 

ici, la règle est des plus brèves,

dans la forêt : c’est marche ou crève !

aie l’œil et la dent aiguisés,

puis bois les perles de rosée !

 

Il faut de tout pour faire un monde ;

des saintes et des moribondes,

des canicules et des gelées,

des poètes et des illuminés !

 

D’une balle moelleuse de fourrage

je contemplais le paysage,

sommeillant à demi, paisible…

faut qu’à nouveau je joue au scribe ;

 

putain, je suis incorrigible !


9.  Le temps de rien, le temps de tout

 

Le vignoble, à nouveau, pour changer de sujet…

mais que vouliez-vous donc je vous racontasse

quand mes frères ont toujours sur les bras la vinasse

des vendanges dernières, des dernières brassées,

des dernières fatigues, des dernières sueurs,

des dernières colères, des dernières saignées ;

sur les bras, mêlés au sel des aubes de pleurs,

des crépuscules noirs de patates et d’huissiers ?

 

Alors, parlons de souche, de raisin, de beauté

du terroir à midi quand les cigales hurlent,

du soleil au zénith, du pampre ficelé…

mais jamais n’abordons ces énarques « fadurles »

aux ordres d’un drapeau maculé de gadoue

et bouffé par les mites – l’énarque et le drapeau –

tous deux gorgés d’orgueil, tous deux fades de tout,

d’Europe, de lois, de rois, de fous, de chevaux…

 

« le langage des siècles à même l’échiquier ! »

prétendues prétentions volées à la raison !

et nos cuves sont pleines de divinités,

de rires, d’accolades, de nouvelles chansons !

 

Alors parlons plutôt du vignoble, au matin,

quand de rouges nuages zèbrent l’horizon,

que la rosée vient perler sur les romarins,

quand les anges invitent à la valse les démons,

que le bourgeon se donne aux caresses du vent,

quand le frisson parcourt le long rameau fleuri

et que l’homme endeuillé par l’âpreté des temps

colorie son chaos de tendres mélodies !

 

Le vin ne se vend plus, à quoi bon composer

tant de rimes en son nom ; cessons là toute louange.

Prenons nos cordes, frères, allons les accrocher

puis pendons nos énarques aux poutres de nos granges !

Le soleil a chauffé tant de révolutions

et la lune offert tant de croissants aux guerriers

qu’il serait vain d’attendre la nouvelle saison ;

la lutte s’ennoblit chaque jour que Dieu fait !

 

le vin, le sang des hommes, les godillots crottés,

on connaît : Pour demain, lutte, luttons luttez !


10.   Légions enfantines

 

Ils s’en vont à l’affrontement

soleil de face et mors aux dents ;

ils montent au front pour gueuler,

pour eux, c’est une guerre d’idées !

 

pour seule arme des éclats de voix

– ni de sang versé, de trépas –

le désespoir à bout de verbe

même la troupe de soldats imberbes.

 

Soldats d’un peuple à la dérive,

enfants de l’ultime offensive

défilant aux mots cadencés,

battant demain sur le pavé…

 

une place grouillante et ronde

la baïonnette à la faconde

et la musette au ceinturon

comme nos poilus, vieilles légions.

 

Ceux-là s’imbriquent dans la houle

sans manche de pioche, sans cagoule,

la pureté dans l’adjectif

l’adverbe des plus expressifs !

 

Ceux-là bannissent la violence,

les heurts, la casse et la démence.

Ceux-là viennent avant le feu,

comme tenus par la main de Dieu !

 

La soldatesque « jambes blanches »

souhaite que la barque soit étanche ;

que l’on assemble le bon bois

la coque, l’étrave et le pavois !

 

mais l’on dort au cœur des instances ;

on ronfle en se frottant la panse !

« Au diable si le mât se rouille,

la mer est d’huile et de magouilles ! »

 

et les régiments poings levés

de mains calleuses et morve aux nez

déferlent encore sur l’avenue ;

on interviewe Rachid, Manu,

 

pour ne pas causer de « fortunes »,

assied les casseurs « à la une »

et puis l’on tourne en dérision

le nombre d’âmes en rébellion,

 

on envoie la « Républicaine »

trier les carottes des faines

qu’il faut bien au jardinet

rendre sa parure d’été !

 

Dites donc aux feux de l’été,

dites aux pinèdes décharnées

qu’en haut l’on a pris des mesures,

qu’ils se soucient de la nature…

 

Dites aux jeunes sans vélo

qu’un jour viendra… qu’il fera beau !

Mentez si le cœur vous en dit

autant que vous nous avez mentis !

 

A chaque truite un nouveau leurre ;

la matraque à couper le beurre,

les promesses costards-cravates,

Les bombes lacrymales, la baratte…

 

« Si le peuple n’a plus de pain

qu’on lui donne de la brioche ! »

Oui tristes sires le peuple a faim

et vous amassez en vos poches !

 

Marie-Antoinette, Madame,

les affamés liment leurs lames ;

un jour viendra, assurément,

où vous verrez couler le sang !


11.  Les augustes chienlits! (elle)

 

Un diamant sur le nez,

des anneaux aux sourcils,

une perle au nombril,

les oreilles truffées

d’épingles bicolores,

tatouage sur l’épaule,

autant de symboles

que sa boîte de Pandore

assied sur sa beauté !

 

Nous portions des blues jeans

larges, cousus de fleurs,

d’indices révélateurs

et nous parlions de spleen ;

sous les pavés des rues

soixante-huit est passé

portant ses libertés

et tout a disparu…

tombé au fond d’un puits !

 

Les ongles courts et noirs,

des piques sur le crâne ;

provocations, arcanes,

peur de vivre, cris d’espoir

dans l’alcool et les nues,

musiques métalliques,

passe-temps nécrologiques,

un univers qui pue…

marre de la société !

 

– Vous l’avez enjambée ! –

 

« L’amour, pas la guerre ! »

une autre façon

de brandir le bâton ;

de gueuler ses galères…

et toujours ces bourgeois

– peigne-culs ordinaires –

faudrait encore se taire !

faut pas montrer du doigt

leurs augustes chienlits !

 

Vivre son monde à part,

ne plus être concernée ;

révoltée affichée,

insensible aux brocards,

couchée sur le trottoir

contre un chien amaigri

par les feux de la nuit,

l’opulence des miroirs…

le mépris au corset !

 

Puis on t’envoie les flics

pour te mettre hors de vue

de ces guignols repus

d’hypocrisie, de fric !

on t’écoute même plus,

tu ne représentes rien ;

tu n’es qu’un malotru

pour les politiciens…

tu ne votes pas, l’ami !

 

Ta jeunesse toujours

est laissée de côté,

elle est trop insensée ;

toujours le même discours !

 

Mais il n’est plus question

d’amour, de jeans à franges,

on a passé l’orange !

le rouge en éclosion

va fleurir sous nos pieds

et tout ira plus fort

quand la haine et la mort

jetteront les pavés !

 

Déchantez, la jeunesse a changée !


12.  Souche d’origine contrôlée

 

Avec ces nouveaux politiques

aux discours totalitaires,

si « José » a de quoi s’en faire,

« GARRIGOU », du pays des biques,

 

de « la Corbière », comprenez,

vient poser un veto de choix ;

jamais on ne m’expulsera

par de xénophobes décrets !

 

Je suis français de pure souche ;

d’une souche de chasselas

dont on aurait taillé les bois

pour donner du corps à ma couche !

 

Je suis français de pure souche ;

d’une souche de bleu merlot

comme l’azur, la mer, les flots,

les yeux d’une Saint Nitouche !

 

Je suis français de pure souche ;

d’une souche de blond muscat

que dope vos sens, vos émois,

lorsqu’il vous passe par la bouche !

 

Je suis français de pure souche ;

superbe souche de syrah

qui fait lever cuisses et bras

des filles réputées farouches !

 

de pure souche… ou pas très loin ;

certes français, mais ne sait plus

sous vos discours de gratte-cul,

votre cuisine mal en point,

 

s’il faut encore lever le poing,

tourner le froc, baisser les bras !

Mes bons messieurs, le cœur n’y  est pas !

Comme qui peut le plus peut le moins,

 

mes bons vieux tout va à vau-l’eau ;

le carrelage n’a plus de joint,

notre jeunesse fume le foin,

le radeau sombre au fond des eaux !

 

Seules les couleurs de l’automne

rendent le vignoble divin ;

de pure souche… ou pas très loin ;

comprenez ce mot : AUTOCHTONE !


13.  Tourmalet : 1911

 

Le goudron chaud n’avait encore

dispersé ses fumées là-haut ;

les seules fumées qu’on vit éclore

sortaient des naseaux des chevaux !

 

De pierres et de terre battue,

de fatigue, d’épais brouillard,

pour le vainqueur, pour le vaincu,

rouleurs, sprinters ou montagnards,

passer le col du Tourmalet,

chercher l’air à deux mille mètres,

se caler sur le bon braquet

relevait bien d’un coup de maître !

 

Sans vélo ni roue de secours,

sans assistance ni toubib,

et guère de chats aux alentours

pour encourager, peu de cris !

La cime pour seul horizon,

la rage au ventre des guerriers,

de l’eau dans le fond du bidon,

l’obsession de se surpasser ;

franchir le sommet, s’arrêter,

glisser deux feuilles de journal

sur la poitrine et avaler

la descente d’un rythme infernal ;

tout se résumait en ces mots !

 

Une chambre à air en travers

des épaules de nos héros ;

à chaque tour de roue, l’enfer !

 

Qu’il était beau ton Tourmalet

sans jamais mettre pied à terre !

toi le Seigneur des Pyrénées

qui fut canonnier à la guerre !

Entrant à Paris le premier,

franchissant la ligne en vainqueur,

merci Gustave d’avoir hissé

haut ton nom sous les trois couleurs…

 

un nom qui m’est bien familier,

huit lettres qui font battre mon cœur !

toutes mes félicitations…

sans oublier le peloton !

 

et sache combien il m’est doux

de t’offrir ces vers, Garrigou !


14.  Labastide nouvelle

 

Les vieux dorment sous les cyprès ;

Labastide a tourné la page.

Comme si « l’enclos » n’était complet,

avant de clôturer l’image

 

permettez-moi de rajouter

que par excès de copinage

les derniers se hâtent de troquer

leurs bas-reliefs de cheminées

pour ces célestes paysages !

 

ils veulent être tous à l’heure,

tous dans le même paquebot !

tous veulent quitter « la demeure »,

les potes les attendent… en haut !

 

Peu de cheminées, au village,

content leurs histoires de fumées

aux vagues d’automnaux nuages

qui s’égrènent en doux voilages

sur les vendanges à rentrer !

 

mais…

 

le bruit d’une clé qui coulisse

dans une serrure huilée,

un géranium qui se hérisse

sous un vent de nouvelle année,

 

un contrevent mal accroché

qui détache un bout de plâtras

sous une lune mordorée,

un chien qui se plaît à aboyer

à un revenant ou un chat,

 

puis un étranger qui s’éveille

dans sa nouvelle acquisition,

un petit-fils qui s’émerveille

à redresser la vieille maison

 

où moururent tous ses aïeux,

un nouveau soleil de printemps,

celui des fêtes et des jeux,

qui dépose ses paillettes bleues

sur la table basse en entrant,

 

sous les platanes de la place

un coup de klaxon pour le pain…

c’est la vie qui revient, vivace ;

une vie qui ne lâche rien !

 

puis une guirlande de lampions

qui lie le pont neuf au pont vieux…

on danse à nouveau sur les ponts,

tout brille d’aval en amont

et ça sent bon le pot-au-feu !

 

Labastide s’était assoupie.

Mes songes, sous ses réverbères,

sont venus danser chaque nuit

avec leurs spectres de phalènes !

 

Aujourd’hui, je vais d’un bon pas

au fil d’un nouveau patelin ;

 

qu’au paquebot qui emporta

le père, le fils, et cætera,

la mer soit d’huile ; amen… amen !


15.  Temps béni

 

J’ai toujours, dans mes yeux, son image et sa voix,

sa démarche tranquille, son bourgeron troué,

puis ses larges épaules, son pas lent, cadencé,

et son panier teinté par les cèpes et les noix.

 

Au creux de mon ventre bouillonne sa force.

Son langage est gravé aux tables de l’esprit,

et résonnent en moi « ces mots » qu’il m’a appris,

mélange d’eau pure, de soleil et d’écorces,

d’humus noir des forêts, de la chanson des hommes,

de la valeur des jours, de l’œuvre des saisons,

des lettres de noblesse, superbes oraisons,

cueillis au grand verger d’une vie polychrome !

 

A l’école buissonnière nous courrions tous deux ;

j’étais l’unique élève, il était mon mentor !

nous croquions la musique sur les mêmes accords

et nos âmes brûlaient d’un identique feu.

Aux saveurs de la vie, aux odeurs de la terre,

à « l’animalerie » qu’est ce monde caduc

il apposait l’instinct, c’était son sac de trucs ;

il disait que toute matière est éphémère !

 

Suivant sa théorie, il a quitté l’estrade,

le tableau chêne vert et la table des bois,

heureux d’avoir fumé le bonheur près de moi

et mille fois roulé Dieu dans la marinade !

Il est à ses côtés, préparant ma venue

le jour où « la matière » filera en lambeaux,

faisant dans l’ail, pour moi, mijoter deux perdreaux

et cloquer la confiture des gratte-culs !

 

Il est là, près de moi, souriant à l’adulte

que je suis devenu par la farce des choses.

 

Je cours toujours les bois entre deux ecchymoses,

me vouant comme hier toujours au même culte,

nommant un chat, « un chat », sans rond de jambe occulte !


16.  Episode

 

Je revois la place de mes seize ans

coiffée de guirlandes électriques,

comme si les étoiles du firmament

pour mieux profiter de la musique,

 

sous le feuillage des vieux platanes

avaient trouvé leurs quartiers d’été

et la simplicité paysanne

comme duvet pour leurs nids douillets…

 

elles en pinçaient pour le guitariste,

l’accordéon qui l’accompagnait ;

les étoiles sont un brin fantaisistes

et les musiciens craquants à souhait !

 

Je revois les filles de mes seize ans

à peine sorties des fleurs de l’enfance

guetter au bal le prince charmant

et chacun venir tenter sa chance ;

 

je revois leurs dentelles tourner

grisées par les bonheurs de la fête,

les têtes, les rêves et les baisers ;

je revois nos premières conquêtes…

 

elles en pinçaient pour le guitariste,

l’accordéon qui l’accompagnait ;

les filles sont un brin fantaisistes

et les musiciens craquants à souhait !

 

Je vois encore main dans la main

des jeunes rêver sur d’autres musiques

dans des brouillards bleutés et malsains ;

adieu l’air pur des places publiques…

 

adieu les guirlandes électriques,

les baisers donnés furtivement,

adieu les visages angéliques

des amourettes de nos seize ans…

 

adieu mon bon ami guitariste,

l’accordéon qui l’accompagnait,

vous ne ferez tourner sur les pistes

que de chers fantômes désormais !

 

S’il est vrai que là-haut il existe

une scène et des robes à froufrous,

à coup sûr des fantômes fantaisistes

vous verrez, en pinceront pour vous !


17.   Incivilités

 

On a pris à mon âme :

 

de la pierre et du bois,

quatre tuiles romanes,

qui, sous la tramontane

s’imbriquaient de guingois,

 

de longs chêneaux de zinc

ondulants et troués

buvant leurs lessivées

comme qui boirait son vin,

 

le verre de l’œilleton,

puis les volets disjoints

dont il manquait un coin

pour qu’entrent les pigeons,

 

le sol de terre battue

où rêvaient tête bêche

les charrues à la fraîche

et le semoir goulu,

 

le plancher vermoulu,

les chevrons aux termites…

comme aux hermaphrodites

les sillons de laitues,

 

puis la forge, l’enclume,

la charrette bancale,

les patères pour les châles,

les visages posthumes,

 

les sourires et les voix

de « l’autre » génération,

les faiseurs de chansons,

les porteurs de la croix,

 

les fers où s’entassaient

vélos et cannes à pêche,

les montants de calèche,

des sacs moisis d’engrais,

 

le grincement des gonds

et la porte massive,

les crochets pour les grives,

les cages à grillons…

 

donc, amputé mon âme

d’un bric à brac de vie,

de sagesses, de folies,

d’un fervent amalgame

 

de souvenirs, de temps,

de racines, de sels ;

trésors immatériels

d’équilibre évident !

 

Je te plains, ô malfrat

qui végète aux enfers ;

il est d’autres éthers

où tu serais un roi !

 

il est d’autres sentiers

où bourgeonne le rêve,

où le suc de la sève

a le goût de la paix ;

ceux- là te sont ouverts !

 

tu as froissé mon âme,

tu as meurtri ma chair ;

 

tu vois,

elles n’en font ni un drame,

ni quelque épithalame ;

elles remettent le couvert…

de concert !


18.  Combien de temps ? 

 

   Les vendanges reviennent sans baiser, sans rire,

sans seau, sans sécateur, sans jolie vendangeuse,

sans ses yeux dans lesquels on pouvait encore lire

les images d’une flânerie prometteuse…

 

sans ses lèvres entre lesquelles le raisin noir

roulait et se fendait libérant ses soleils ;

sans voir couler, vermeil, le jus des vieux pressoirs,

sans les chants de saison, aujourd’hui en sommeils…

 

sans les festins des dimanches en bord de vigne !

les vendanges reviennent sans un rhume, une toux,

entre les battoirs des machines qui ne rechignent

à suivre la rangée de la boue aux genoux !

 

Vendanges donnant un faux air de Languedoc,

sans patois, sans béret, sans cet aïeul grincheux

seul à tout savoir et « caparrut 1 » comme un roc

mais offrant à la « colle » ses cuvées de mousseux !

 

sans bébé gazouillant dans son panier d’osier

à l’ombre d’une souche, respirant la musique

des cigales d’octobre, les yeux écarquillés

sur les saveurs sucrées d’un monde féerique !

 

Les vendanges reviennent, mais pour combien encore ?

Les petits propriétaires de mon enfance

arrachent leurs vignes et font cramer le folklore

car leurs femmes n’ont plus une pièce d’avance !

 

l’état ruine les siens et les hommes aux abois

s’en vont, perdant la tête, ravager la contrée ;

l’état pousse les siens à faire chacun leurs lois

et puis les emprisonne une fois que c’est fait !

 

Les vendanges reviennent honorer la saison ;

quelque bruine se montera le bourrichon,

dans trois ou quatre semaines les feuilles jauniront

comme la bonne humeur quand les traites tomberont !

 

La désolation polit les pierres des perrons ;

la misère est chez nous sur le pas des maisons !

 

caparrut  : mot occitan qui signifie « très têtu ».
colle : équipe de vendangeurs.

19.  Automne armé

 

Là-bas le décor est planté

de vignes ;

entre les vignes le village

s’endort ;

puis la chanson mélancolique

des chiens ;

le chenil sous la pleine lune

fait fête ;

des bleus de Gascogne, des beagles,

de feu ;

là-bas, les chiens sont choyés comme

des dieux ;

la chasse est bien la religion

d’état ;

enlacés aux vignes, aux rochers,

les bois ;

les chênaies et les pinèdes

espèrent ;

les sangliers fouinent à présent

des glands ;

demain, certes, il sera trop tard

pour eux ;

la lune qui sait tout sourit

en douce ;

le vent promène ses parfums

de vie ;

les sangliers prennent les chemins

fleuris ;

plantés de nuit, de liberté

chérie ;

le village est baigné de rêves

poudrés ;

sur chaque table une musette

attend ;

le soir les fusils sont pendus

aux portes

et les cartouches s’impatientent

serties ;

les souliers, dans l’entrée, trépignent

crottés ;

les réveils sont réglés à l’heure

précise ;

les chiens sont les premiers debout,

toujours ;

accolades aux coins des rues,

ensuite ;

après c’est une stratégie

de guerre ;

alors plus personne ne tient

les chiens ;

lâchez les angles, laissez partir

la joie ;

la joie des uns, la mort des autres,

sans doute ;

quatre sangliers sont alignés

sans souffle ;

les chasseurs ont tué le jour,

gaiement ;

les bois en deuil se vêtissent

de noir ;

pour ces hommes la chasse n’est

un jeu ;

elle est profondément ancrée

en eux ;

là-bas, le décor est planté,

kaki…

 

et tournent l’amour et la mort

sans fin.


20.  Lombalgie hivernale

 

Les vignes décharnées repiquent à la saison,

figées de nudité sous l’haleine hivernale.

L’eau dort dans la rangée ; c’est la génuflexion,

la soumission des ceps aux assauts des rafales !

 

Le cap échevelé ripé aux fils de fer,

l’écorce boursouflée, la ligne lombalgique

tout paraîtrait là biologiquement amer ;

seuls les poètes trouveraient l’air bucolique !

 

L’air vous dis-je, l’air, juste l’air, seulement l’air…

le reste est trop cruel ! bien qu’à mieux regarder,

en fronçant fort les yeux, on peut y voir la chair

et les boitillements des souffrances passées !

 

Cherchant alors quelque profonde perception,

vous ouïrez peut-être des rires féminins !

n’allez pas m’objecter que je suis fanfaron

ou fier d’un tel trésor en ce sol inhumain…

 

et pourtant je le suis, car un soir j’y suis né !

Je connais le chant des entrailles de la terre,

et la vigne, pour moi, n’a guère de secrets ;

et combien j’ai dansé par les souches altières…

 

et combien j’ai peiné pour les rendre si belles,

et combien j’ai passé de nuits au clair de lune

à rêver de les fuir, devenir infidèle,

à troquer mes vieux ceps pour des palmiers, des dunes !

 

Mais je suis toujours là pour les accompagner,

Lorsque, décharnées, elles repiquent à la saison

sous l’haleine hivernale, figées de nudité !

Au fond de moi, je sais que passer l’horizon

 

serait une folie  – ignoble trahison –

je ne pourrais dormir sans l’odeur de ma terre !

n’allez pas m’objecter que « chuis » le roi des cons…

comme ceux de Quatorze qui sifflaient à la guerre !

 

je mourais de chagrin en terre étrangère !


21.  Allégorie

 

Le soleil brillait loin, le blizzard mouillait ras.

Genêts échevelés, buis et fleurs à bisous

cheminaient en riant comme le font les fous,

tandis que l’onde sautait les pierres en deçà.

 

Tout sentait le sous-bois de nos godasses au ciel

et le ciel était bas, les senteurs concentrées !

le sentier s’enfonçait dans la blanche journée ;

l’amour se jouait des courants ascensionnels.

 

Je ne sais si le calme enveloppait l’espace

ou si l’espace avait pris le calme en sa toile,

comme cet insecte raide au cœur de l’étoile,

piège tissé par l’araignée aux yeux de glace !

 

L’oiseau ne chantait pas, le moindre bruit aurait

attiré l’attention du vieux diable assoupi ;

il est des heures où la nature est endormie,

où seul le promeneur agite ses forfaits !

 

Pour unique forfait en ce lieu enchanteur,

en guise de révolution, le vent livrait

le hurlement de nos deux cœurs qui exultaient

et la nudité d’un véritable bonheur !

 

Tout semblait feutré comme nos pas sur la mousse,

comme les cris intérieurs de nos regards brûlants,

nos doigts entrelacés au sortir de nos gants,

les feuilles craquelées sous les nouvelles pousses !

 

Le printemps arrivait, tout était différent ;

la vie n’est qu’une révolution permanente !

tant qu’il en est ainsi pour que la vie enfante,

plions-nous chers humains aux caprices du temps !

 

Le soleil brillait loin, le blizzard mouillait ras.

Genêts échevelés, buis et fleurs à bisous

cheminaient en riant, se tenant par le cou,

sautant, allègres, les dépouilles d’épicéas ;

 

l’hiver usait sa corne, le printemps était là,

sous nos laines fumantes, à chacun de nos pas !


22.   L’ange de béguines et salsas

 

 Le ciel souffle ses étamines ;

que de salsas, que de béguines !

 

un ange vient d’en haut, normal !

un ange sur ma couette, bizarre !

on ne lit pas dans le journal

ce genre de fait, plutôt rare !

 

pourtant cet ange est devant moi,

nu, faudrait pas que ça vous choque !

ma rime ne cherche pas l’émoi ;

ne croyez non plus qu’elle débloque !

 

un ange fait de chair et d’os ;

pas de ceux qui s’ébrouent, mon Dieu,

dans la chapelle, intra-muros,

entre les jambons des gens pieux !

 

enfin quoi, couvert de cheveux,

un peu de rouge aux commissures

des lèvres, un trait noir sous les yeux,

doté d’un petit goût de mûre !

 

je goûte l’ange, quoi d’anormal ?

il est à point sous ma couette !

il est si bon, foi d’animal,

que je n’en laisse pas une miette !

 

un ange n’est plus, je l’ai fini !

voilà qu’il dort à poing fermés

comme à la messe de minuit,

Jésus,

entre le bœuf et le baudet !

 

un ange a glissé sous mon drap ;

le souffle chaud, la main câline ;

plus d’auréole et plus d’aura,

 

plus de salsa, plus de béguine ;

quoi, faut bien que la fête se termine !


23.  Interprétations

 

  Hier je promenais en laisse ma solitude

sur un sentier de chênes, au flan d’une montagne ;

telle une chienne de chasse, ma lassitude

dévorait mon ombre comme une lueur de bagne

– mort coutumière en cette terre de cocagne –

 

Je dormais étendu sur des tas de branchages

creux, dénués de mousse, vides de suc, de sève,

auxquels quelques troupeaux de noirâtres nuages

accordaient à minuit soit une once de rêve,

un répit constellé, une paix ou une trêve.

 

Lorsque les jours de fête l’âcre odeur de l’humus

tapissaient mes bronches de noble pourriture

je ne saluais plus ni Saturne, ni Vénus

qui suspendaient pour moi, haut, leurs enluminures,

où la griffe de Dieu scintillait de dorure.

 

Lorsque pour moi – toujours – l’or du monde venait

sous mes yeux lessivés, hagards, désabusé,

imbus de songes, de plumes et de cris d’orfraies

m’offrir le réconfort – que je ne sus trouver –

 

je ne sentais alors les pierres dans mon dos

au fil de mes parterres, mes coucheries sauvages,

au gré de mes midi, mes envies de repos ;

je ne sentais l’accroc au cœur d’un paysage

sans strass, sans baiser, sans le moindre maquillage…

 

et voilà qu’aujourd’hui l’amour foule mes terres,

que pour lui je balaie la moindre imperfection ;

j’en appelle à la mousse, au foin, toute litière

où je puis déposer le fruit de nos passions ;

une couche secrète de duvet, de coton…

 

et je la trouve enfin, étranger au domaine,

différent au soleil, compatible à l’amour,

me livre corps et âme à cette vie, sans peine,

au regard du Bon Dieu, des vitraux, des vautours,

et voilà que j’exulte et je meurs, tour à tour…

chantez donc troubadours !

 

Deux âmes ne font qu’une quand le frisson accourt ;

deux esprits ne font qu’un … un unique discours !


24.  La quête de l’hirondelle

 

Elle cherchait un nid d’amour

sous les toits, mon hirondelle,

pour marier l’éclat du jour

aux lueurs de ses chandelles…

 

d’où elle entreverrait la rue,

le sourire bleu des étoiles ;

un nid d’amour sur l’avenue

des cœurs qui hissent la grand voile !

 

Elle cherchait un nid douillet

où ses encriers, ses plumes,

ses rimes, ses envies, sa gaieté

battraient fort par-delà les brumes…

 

où du noir satin de la nuit

au rougeâtre des crépuscules,

nos vies entrelacées, chéries,

s’égrèneraient en majuscules !

 

un nid pour que vive l’amour,

pour le feu qui brûle en ses yeux,

nos fous rires et nos mamours ;

pour vivre un conte fabuleux !

 

Alors le nid est apparu

sous le faîte du paradis…

de terre, de duvet, de fétu,

d’or, de topaze, du rubis…

 

elle y a déposé ses diadèmes,

ses mille saveurs, ses ombrelles !

on dit « tourtereaux » quand on aime !

 

et si d’un coup de violoncelle

on se transformait hirondelle ?

 

à demain !


25.  Embellie

 

 Tu es ma petite fleur perdue sur la banquise,

il fait froid, il fait bleu et personne ne vient,

seuls les cris de l’hiver, les tourments de la bise,

seule l’étoile polaire figée sur le chemin.

 

Ici l’été bouillonne, la place ne désemplit

de rires, d’accolades ; la populace va…

va et vient si bruyant qu’on entend à minuit

le bonheur exulter ; et l’amour ne dort pas.

 

Alors les volets clos je repense à l’hiver,

je suis une fleur esseulée sur la banquise.

De la froide saison, qui déroule sa frise,

je maudis le frimas, le nuage et l’éclair ;

 

je suis la blanche fleur, il fait si beau chez toi,

ton été bouillonne, ta place ne désemplit

de rires, d’accolades et le feu brûle en toi.

L’été comme la bise se rient de nos folies ;

 

viens ; viens !

 

Je ne sais plus très bien, viens un peu près de moi,

je boirai ton parfum jusqu’à la lie sans doute ;

tiens, le réverbère nous ensoleille déjà,

déjà la nuit sur nous s’égrène goûte à goûte !

 

viens ma petite fleur, oublions nos banquises,

il fait froid, il fait bleu et ta peau est exquise ;

les nues illuminées et la place déserte,

le paradis fleuri et ses portes ouvertes,

 

ne faisons plus languir l’amour qui nous attend ;

sous nos voiles gonflées, p’tite fleur prenons le vent !


26.  Cœur de lune

 

 Si pour toi je voulais débouler la lune,

je mettrais une clé, de douze à vue de nez,

dans ma salopette verte de jardinier,

puis prendrais l’escabeau dont on cueille les prunes

 

et l’appuierais contre le mur du poulailler.

D’un bon de vieux matou, je serais sur le toit !

– l’amour ne rend aveugle, mais rusé comme un chat ! –

donc, du faîte, à portée des branches du figuier.

 

J’aurais, auparavant, roulé corde et grappin

bien autour des épaules, comme le fit Frison-Roche ;

choisi comme le maître une nuit sans bamboche

pour qu’en haut l’équilibre ne me vire vilain !

 

Je grimperais alors tout en haut du figuier,

où les pies n’osent plus, tant les bois sont si fins,

dérober aux longs fruits l’essence du jardin !

et fort d’avoir vaincu le terrible sommet,

 

d’une élégance folle je jetterais le grappin

– heureux de s’agripper aux cheveux noirs de lune –

(car supposons ensemble, que mon astre soit « brune »,

cela conviendrait bien à mon alexandrin !)

 

puis, le long de la corde je n’aurais qu’à glisser,

déboulonner la lune et vite revenir

pour avoir, heureux comme Baptiste, le plaisir

d’essuyer au retour des salves de baisers !

 

mais, si par-là, d’ailleurs, tu voulais commercer,

ne te soucie pour moi de l’ivresse des cimes

– ce n’était qu’une métaphore pour la rime –

et puis j’ai le vertige quand je suis à six pieds !

– vertige qui par ailleurs n’empêche point d’aimer ! –

 

va,

laissons à Frison-Roche d’être « Premier de cordée » !


27.  Fragrances nocturnes

 

Je l’aime lorsqu’elle dort,

les cheveux en bataille,

la joue au plis du bras,

 

je bois son souffle d’or

sitôt que s’encanaillent

deux soupirs sous son drap !

 

Je butine ses rêves

et cueille par brassées

les fleurs de son allant

 

prie pour que ne s’achève

ce voyage où Morphée

déploie tous ses talents !

 

J’hume alors les saveurs

de pays enchanteurs

où porté par le vent,

 

enfourchant les lueurs

de l’aube, le bonheur

exulte innocemment !

 

Je vole à se atouts

les braises de son corps,

la plume de ses nuits

 

puis me blottis voyou

contre mon fier trésor

au creux de notre nid !

 

A l’abri du regard

indiscret des étoiles,

des déesses du ciel

 

je tends à quelque écart,

à sa peau qui exhale

je recueille le miel…

 

un frisson nous parcourt,

ses paupières mi-closes

chantent un avènement,

 

Au timbre de l’amour

la nuit suspend ses roses…

tout est efflorescent !

 

Je l’aime au doux réveil

quand trois mots balbutiés

sont un enchantement,

 

quand tout plein de sommeil

viennent de longs baisers

apaiser mes volcans !


28.  L’envol

 

 Libère-moi du vieux licol,

emmène-moi vers les nuages

en croupe sur une clé de sol,

où les éthers et les alcools

modèlent d’autres paysages !

 

promène-moi vers le Bon Dieu,

ses boutons-d’or, ses renoncules,

ses étoiles, ses oliviers bleus,

ses figuiers blancs, ces tendres lieux

où rougeoient de longs crépuscules !

 

emporte-moi cheveux au vent,

sans chapeau, sans gant, sans ceinture,

sans lunettes, sans vêtement ;

de nudité – absolument –

faisons notre entité future !

 

quittons l’exigence terrestre,

les toques de la société,

les noires nuits de Saint Sylvestre

où le temps que dure l’orchestre

nos larmes cessent de couler !

 

ne serait-ce le temps d’un rêve,

d’une saison, d’un bref instant,

d’un pied de nez, d’un air de trêve…

fuyons d’une montée de sève,

d’un coup de cœur mirobolant !

 

laissons notre orgueil aux porchères,

au cimetière nos faussetés,

nos lâchetés aux folles enchères,

nos amours aux portes cochères ;

quittons ce monde bien trop laid !

 

libère-moi du vieux licol,

emmène-moi vers les nuages

en coupe sur une clé de sol,

où entre éthers et alcools

gonflent

les voiles d’un nouvel héritage ;

 

le temps est aux lointains voyages !


29.  La grande éclosion

 

  C’était une mer d’huile, un de ces lacs d’hiver

au sourire irisé, au visage serein

qui transportait nos âmes, nos besoins les plus chers,

notre esprit de flanelle et nos cœurs de satin.

 

Nous demeurions debout, comme un phare, enlacés,

collés par le désir, unis au sémaphore,

enraciné sur un amas de lourds galets,

inhalant à lampées nos regards photophores !

 

C’était un jour béni où l’iode et les écumes,

les essences de mer, les brisants assoupis

avaient pourtant chaussé l’indicible costume !

seul notre amour vivait ; la matière engloutie !

 

Le soleil qui brillait, les passants qui passaient,

la digue et le vieux port, moitié vieux, moitié morts,

tes doigts dans mes cheveux, tes lèvres apaisées,

les vapeurs qui montaient des entrailles de nos corps…

 

l’ermitage à deux pas sous l’emprise du froid,

notre chambre à glaçons, notre amour hors saison,

nos chaînes éclatées, l’élan du premier pas…

 

et la mer – en beauté – pour la grande éclosion !


30.  Soir d’automne

 

Vous ne l’auriez jamais deviné :

Dieu se balade à moto,

sur une bécane argentée,

un vieux cuir râpé sur le dos !

 

et moi qui n’allais jamais à la messe

allergique aux vieilles statues,

à la poussière, à confesse,

au prêtre – comme de bien entendu –

réfractaire au chemin de croix,

aux stations gravées dans le buis,

aux enfilades de bancs de bois,

et à la quête et à l’hostie !

 

Sous de longs cheveux poivre et sel

Dieu aime jouer les motards ;

de son cuir, en guise de missel

dépasse le guide du routard !

 

et moi qui n’allais jamais à l’office

convaincu d’y perdre mon temps,

peu prompt au noble sacrifice

hormis les filles et le vin blanc !

toujours le Mont des Oliviers,

crucifixion, résurrection,

la longue marche et les sept plaies

d’Egypte, les pleurs du pharaon…

 

Ce Dieu que je croyais vieillot,

sénile même un tantinet,

parcourt la contrée à moto !

ai-je été vil, ai-je été niais ?

 

Depuis que le boss m’est apparu,

je fais ma prière du soir

mains jointes, le regard dans les nues

et mets un visage à l’espoir !

je le croise cent fois par jour

sur sa machine pétaradant,

répondant au nom de l’amour

par grand soleil et par grand vent !

 

J’ai croisé Dieu dans un tournant

sur sa machine de paradis ;

le destin est bien surprenant

lorsqu’un soir les cieux vous sourient !

je vais donc passer le permis

pour la moto, comme c’est étrange,

et faire des balades avec lui ;

 

sillonner la vie me démange !


31.  Le vol de l’oiselle

 

Il est tard et l’oiselle n’a pas réintégré,

au creux de nos trois branches, la plume du foyer,

et le nid se balance sous la griffe du vent

dans l’âpre turbulence de l’ironie du temps ;

 

il est tard et l’oiselle n’a pas réintégré

la douceur du duvet, ses rêves hauts perchés

où la nuit se balance couverte jusqu’au col,

d’un cache-nez d’étoiles, d’une voix de music-hall ;

 

il est tard et l’oiselle n’a pas réintégré

notre couche céleste, de mousse tapissée,

où la vie se balance sous un feuillage dru

ficelé de clochettes et de pampre barbu ;

 

il est tard et l’oiselle n’a pas réintégré

sa place coutumière, près de la cheminée,

où le doux claquement des becs que l’on balance

vient à la saison contrarier le silence ;

 

il est tard et l’oiselle n’a pas réintégré

ces pénates où j’effeuille le rameau d’olivier ;

je balance deux cris que vient gober la lune

et nous donnons le La à nos plaintes communes…

 

mais,

un pépiement heureux vient percer le cirage

et libérer mes songes de cette haute cage ;

pareil aux passereaux sous un éclair d’été

je poursuis vers demain, serein, illuminé !

 

il est tard et l’oiselle a stoppé son grand vol ;

il est l’heure où l’on s’aime chez les rossignols !

Pour l’oiseau du taillis, le bûcheron, la reine,

il est vrai que chaque jour suffit à sa peine !

 

Nous volons pour celui qui tire les ficelles,

sans calculer jamais, l’oiselle sous mon aile ;

nous allons dans le vent quelle que soit la saison,

forts comme le sont les aigles, gais comme deux pinsons !


32.  L’excentrique

 

J’ai envie de croquer le monde à pleines dents,

croquer les champs de fleurs, croquer les kilomètres ;

sous un chapeau de cuir, de rutilantes guêtres,

croquer la Grande Bleue, croquer chaque océan,

 

chaque mer de nuages, les montagnes, les torrents,

les vallées encaissées, les ports, les pyramides…

de croquer les étoiles, les vents de l’Atlantide,

les soleils des tropiques, les glaces du Groenland !

 

J’ai envie de croquer les filles du monde entier,

leurs parfums, leurs bouquets, leurs bijoux et leurs tresses,

leurs sourires aux cieux, leurs yeux, puis leurs faiblesses,

leurs balades, leurs vélos et leurs paniers d’osier !

 

J’ai envie de croquer les mots de toutes sortes,

imprimés noirs sur blanc, pesés ou échappés,

les rimes de liberté, les syllabes emmurées,

les vers que l’on retient, ceux qui prennent la porte

 

au premier courant d’air, les mots en enfilade

des ouvrages bénits ; j’ai envie de croquer

l’Enéide et la Bible ; l’histoire qui fait rêver !

les Métamorphoses d’Ovide, puis l’Iliade

 

et l’Odyssée d’Homère, Aristote et Platon,

Copernic et Descartes, et Kant et Spinoza,

Nietzsche, Marx, puis Hegel et tout le tralala ;

repartir à l’envers, devenir embryon

 

et croquer les lueurs des aurores boréales !

Croquer le temps qui passe, les horloges de clocher,

les églises entières, les chorales, les curés,

l’harmonium, les bigotes, croquer les cathédrales,

 

croquer les religions, croquer les politiques

et les groupes de jazz, les groupies, les artistes,

les clubs de golf, de gays, de libres échangistes ;

je veux tout croquer car la vie est magnifique !

 

je veux tout roquer car je suis un excentrique ;

mais où tout se complique, où tout devient dément,

c’est que…

contre toute logique, je n’ai plus une dent !