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Demain, cette étoile lointaine (livre 3) 2013

à l’ami Bernard,

cet homme extraordinaire !


Mise en bouche

 

           Si tu poursuis toujours la balade avec moi, l’ami, c’est que tu as aimé mes histoires précédentes et je t’en remercie vivement ; quel chemin nous avons fait ensemble !

    Nous vieillissons, le monde change, la poésie s’adapte mais notre ressenti profond demeure… et demeure intact ! Sommes-nous restés ces enfants du temps où l’informatique et les jeux vidéo n’étaient encore de ce monde, ces enfants du « dehors » qui couraient les garrigues un masque noir sur les yeux pour imiter Zorro, des cailloux plein les poches pour « faire » Thierry la Fronde, ceux qui pêchaient encore la sofie le samedi après-midi dans le ruisseau et qui plus tard trouveraient autant le frisson à danser un slow avec la fille du boulanger qu’en écoutant Deep Purple ou Genesis ?

   Puisque, oui, nous sommes les enfants d’un même bois, alors prenons les mêmes joueurs et continuons ; seules les combines et les couleurs du jeu seront différentes !

   Ce recueil commence un jeudi, non pas à cette époque où nous n’allions pas à l’école primaire l’après-midi, mais un jeudi de septembre 2013 alors que je reviens du centre-ville et que j’ai hâte de rentrer chez moi car les souliers neufs que je viens d’acquérir me font un mal de chien !

   Je rentre donc de la ville par les bords de Garonne, l’esprit encombré par toute cette pollution d’excentriques excités que j’ai croisés tout l’après-midi, autant rue du Taur que du côté de Jeanne d’Arc ou de la place du Capitole. Je vais bien entendu essayer de te décrire cette ville, ces gens, en apportant le plus de soin possible aux détails.

   Tiens, je te parlerai aussi de la « relou », une de mes jeunes voisine qui se teint les cheveux en gris pour être à la mode ; et dire que j’ai toujours vu ma mémé à la mode, sans le savoir, ni elle ni moi, à une époque où cette mode n’était pas encore à la mode !

   Tant que nous serons chez les voisines je te présenterai ma voisine d’en bas qui réveillera chez toi quelques souvenirs j’en suis certain. Je garderai aussi quelques rimes pour une petite fraîchement éclose répondant au doux prénom de Cattleya.

    De Toulouse nous partirons par Saint-Jean saluer mon ami José, un autre José, lui chanteur lyrique.

    Au travers de deux rêves éveillés nous saluerons Boadicée qui me rend visite les nuits de lune noire et nous entendrons les plaintes de Camille Claudel en errances depuis Montdevergues, pour un soir à l’abri sur le rebord de ma fenêtre.

    Nous reprendrons la route via Fontiès mais nous nous arrêterons au préalable au Calice des Muses, piano-bar à Alzonne où L’ami Bernard attendra les clients au clavier du piano. L’ami Bernard, cet homme extraordinaire chez qui nous irons boire le café « maison » en arrivant à Carcassonne.

    Nous ferons un détour au hameau de Touvadetravers et de là nous terminerons la journée à Fontiès où nous rirons un peu avec… et de quelques amis.

    Le lendemain nous partirons pour Labastide où nous rencontrerons Charlou et José occupés, du seuil de leur cave, à regarder tomber la pluie de biais sur la rivière Alzou. Si Jeanne prend le frais sur le banc vert, à côté du béal, nous lui subtiliserons trois ou quatre pâtes de coin qu’elle conserve dans une boite de fer blanc au bas de l’armoire de sa chambre. Nous nous intéresserons aux règles chasseresses de la faune locale puis nous reprendrons la route vers Trèbes où de sa nouvelle résidence Claude nous contera son périple à vélo sous le vent, la pluie et le brouillard jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle.

    Nous en viendrons au moment où le Poète s’invitera en long, en large et en travers dans le recueil. Il s’y réservera le droit d’y colorier ses états d’âme ; lui laisser carte blanche est la moindre des choses que je puisse faire pour lui !

    Ensuite une poignée de ressentiments taillés à la hache, comme chaque fois que colère il y a. Un moment de colère ou la colère du moment, nous verrons bien !

    Pour changer d’air nous pousserons notre envie d’ailleurs au Puy du Fou, rien de tel pour se changer les idées !

   Avec un appel au bonheur et une couillonnade de bistro nous terminerons cet épisode n° 3 de « Demain, cette étoile lointaine ».

    Excellente vadrouille mon ami, à l’an qué ven si tôt va plan (à l’an qui vient si tout va bien !) é porta té plan (et porte toi bien) !

J.G


Table des Poèmes

 

  1. Absurdité.
  2. Comme du papier musique.
  3. Sur le chemin du retour.
  4. La « relou ».
  5. Routine.
  6. Corolle.
  7. Le chanteur lyrique
  8. Les visites de Boadicée.
  9. Lettre à Camille CLAUDEL.
  10. Demain, le départ.
  11. Au hameau de Touvadetravers.
  12. Philosophie locale.
  13. Denise.
  14. Le « Bosc ».
  15. L’Alzou toujours.
  16. Une pâte de coing.
  17. L’enfant et le grand-père.
  18. Moment de pause.
  19. Accent grave sur la faune de mon pays.
  20. A Claude, l’ignivome.
  21. L’ami Bernard.
  22. Le poète au chantier.
  23. La compréhension.
  24. Ces enfants vierges que j’ai conçus.
  25. Le grand jour de l’enfantement.
  26. Le décentré.
  27. Si je peux me permettre.
  28. Des rimes à chaud.
  29. Saisir le troisième degré.
  30. Parlez dents serrées.
  31. Exhortation à l’apostasie.
  32. Songe folâtre.
  33. Appel au bonheur.
  34. Un poème de comptoir.

1.  – Absurdité

 

Je viens de la ville où tout le monde pianote,

femmes, enfants et vieillards sur des I Pad tout noirs

et n’en ai vus aucun marcher la tête haute,

joyeux drille, insouciant, comme allait Titus Plaute

par les rues de Sarsina quand tombait le soir !

 

Je n’ai rencontré qu’une houle de cheveux,

des vagues de tignasses sous d’acres embruns.

Comme ils allaient un voile par-dessus leurs yeux,

je ne voyais leurs barbes, ils ne voyaient les cieux ;

je naviguais dans un univers importun !

 

Jadis, on saluait même le piéton d’en face

et l’on portait les paquets de la dame âgée

quand les trottoirs brillaient au temps des Saints de glace,

ou d’un regard complice on saluait les grâces

d’une passante à la croupe fort bien moulée !

 

Tous pianotaient vous dis-je et je vis tout autour

se tisser un grillage de banalités

dans lequel se prenaient autant les mots d’amour,

que les mots perdus et les appels au secours ;

la décadence orchestrée de la société !

 

Nul ne s’en rendait compte car tous étaient ailleurs

à chercher le bonheur sur une terre inculte !

comme tous étaient les moutons du dictateur,

tous broutaient, naïfs, les fleurs de l’usurpateur

sans en percevoir les rires dans le tumulte !

 

J’ai tenté de lever le doigt vers le soleil

pour montrer… mais sans me voir tous m’ont écrasé.

Pourtant le soir venait dans son simple appareil

poser sur les toitures son oreiller vermeil

et la nuit s’annonçait drôlement étoilée.


2.  – Comme du papier musique

 

Toutes les minutes retentit un klaxon ou une sirène de pompier ;

toutes les deux minutes quelqu’un se gare en double file ;

toutes les trois minutes un avion décolle ou atterrit ;

toutes les quatre minutes une bière est amenée en terrasse ;

 toutes les cinq minutes le métro arrive ;

toutes les six minutes un homme se retourne sur les pas d’une femme ;

toutes les sept minutes le tramway arrive ;

toutes les huit minutes un commerçant nourrit son tiroir-caisse ;

toutes les neuf minutes se produit un vol à l’étalage ;

toutes les dix minutes un P.V est épinglé pour stationnement sans ticket ;

toutes les onze minutes quelqu’un achète un kebab ou un coca ;

toutes les douze minutes quelqu’un urine derrière un véhicule en stationnement ;

toutes les treize minutes un scooter évite de justesse une automobile ou un piéton ;

toutes les quatorze minutes quelqu’un respire fort chez le dentiste ;

toutes les quinze minutes un bus passe bondé ;

toutes les seize minutes un chien de SDF ouvre un œil ;

toutes les dix-sept minutes on nettoie ton pare-brise au feu rouge ;

toutes les dix-huit minutes un camion de livraison bouche la rue ;

toutes les dix-neuf minutes une voiture fait le tour de la place vitres ouvertes, musique à fond ;

toutes les vingt minutes une femme maigre sort de chez Zara ;

toutes les vingt-et-une minutes quelqu’un passe avec un cornet de glace ;

toutes les vingt-deux minutes quelqu’un jette son ticket de transport par terre ;

toutes les vingt-trois minutes un homme statue quitte la pause ;

toutes les vingt-quatre minutes une patrouille de police fait sa ronde ;

toutes les vingt-cinq minutes un chien crotte dans le jardin des plantes ;

toutes les vingt-six minutes un vélib est décroché de son socle ;

toutes les vingt-sept minutes une secrétaire baille à la fenêtre ;

toutes les vingt-huit minutes elle fume en rêvant d’arrêter ;

toutes les vingt-neuf minutes une fille est embrassée place de la mairie…

et toutes les trente minutes les cloches des églises vous indiquent l’heure ;

pourquoi faire ?


3.  – Sur le chemin du retour

 

Je me suis assis pour admirer son manège.

Je rentrais pedibus par les bords de Garonne,

comme à chaque fois qu’une pensée me chiffonne

 (les eaux m’ouvrant ici  leur had oc spicilège),

 

et je vis, en tournant mon regard vers la ville,

le soleil léchant les moulures des façades,

allant d’étreintes hasardeuses en embrassades

sous l’œil des misérables et des sergents de ville.

 

En cette mi-novembre Toulouse se pâme

sous les rayons obliques d’un soleil chineur,

ce qui met à l’automne un peu de baume au cœur

et d’éclatants sourires sur les yeux noirs des femmes.

 

Je me suis assis pour admirer son manège

et le soleil glissait de maison en maison,

épousant chaque ride, chaque ondulation,

chaque brique rose, chaque cheminée grège…

 

et je lus un moment l’éclatant florilège

de la tendresse qui sublimait le décor ;

devant moi les frontispices se couvraient d’or ;

je demeurais assis et buvais le manège.

 

Puis je vis apparaître, comme en un trompe l’œil,

 « Mercure et les Grâces 1» et la main du Tintoret

sur la joue des façades entre deux feux-follets ;

puis la fantaisie vint refermer ses recueils.

 

Et le soleil disparut derrière l’horizon,

et « Madeleine 2» dut allumer sa veilleuse.

Comme elle j’abordais le soir l’âme songeuse ;

je quittais le banc et boutonnais mon veston.

 

L’air se levait un peu, je remontais le col,

deux ou trois cormorans s’emplissaient le gosier

de poissons rouges et noirs aux tons de la cité

et déjà la guinguette pliait ses parasols.

 

Je rentrais pedibus par les bords de Garonne

comme j’aime à le faire quand le temps est clément ;

la nature y dissipe aisément mes tourments…

comme à chaque fois qu’une pensée me chiffonne.

 

1 « Mercure et les Grâces » : Huile sur toile du TINTORET. 1576.
2 « La Madeleine à la veilleuse » Huile sur toile de Georges de La Tour. Vers 1642-1644.

4.  – La relou

 

Elle teint ses cheveux de gris

comme ces nuées aux ventres lourds

qui descendent vers le Midi

par l’autoroute des labours ;

 

Elle teint ses cheveux de gris

comme les volutes d’encens

qui traînent les désirs échampis

et les prières de non-sens ;

 

Elle teint ses cheveux de gris

comme la plume des tourterelles,

et par-dessous, deux confettis

onyx en guise de prunelles ;

 

Elle teint ses cheveux de gris

comme si les guiches d’argent

reflétaient quelque bonhomie,

avaient quelque chose d’avenant ;

 

Même pas d’âge mûr voyez,

même pas par coquetterie !

même pas par excentricité !

elle teint ses cheveux de gris ;

 

« Un coup de tête » me direz-vous !

à moins qu’elle ne fût achromate !

se teindre en gris… elle est relou !

voici qu’elle joue l’aristocrate !

 

« Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,

Assise auprès du feu, dévident et filant,

Direz chantant mes vers, en vous esmerveillant * » :

José me célébroit  du temps que j’estois belle !

 

« Je seray sous la terre et fantaume sans os

Par les ombres myrteux je prendray mon repos ;

Vous serez au fouyer une vieille accroupie,1 »

Et maugréerez alors contre vos cheveux gris !

 

1 : Pardonnez cette intrusion dans l’œuvre de Ronsard : « Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle ».
Certainement que l’auteur lui-même ne m’en voudrait guère pour cette parodie !

5.  – Routine

 

La voisine d’en bas fait tourner la cocotte

et les vapeurs de soupe se faufilent chez moi ;

la voisine d’en bas fait chuchoter la croûte,

il est sept heures du mat et les vélos s’en vont.

La voisine d’en bas, par-dessus le balcon

jette quelques tendresses au soleil engourdi.

La voisine d’en bas ne se maquille guère

que pour sortir le chien entre deux mots fléchés.

La voisine d’en bas se lève avec le jour

comme pour ne pas perdre une miette de vie.

la voisine d’en bas fait tourner la cocotte

des visages perdus et des saveurs anciennes

et ses sourires alors se faufilent chez moi.

La voisine a monté le son de la télé,

c’est l’heure du feuilleton, les vélos sont partis,

et déjà alignés dans des abris d’usine,

guidon contre guidon dans l’odeur du cambouis

ils discutent limaille et puis de l’eau de pluie.

La voisine d’en bas a éteint la télé

et sa cocotte largue la vapeur à plein gaz

sur mes draps assoupis en travers du balcon,

mes souvenirs perdus et mes chansons passées.

La voisine d’en bas sourit à petits pas

lorsqu’elle pousse bon an mal an ses charentaises ;

la voisine d’en bas pousse ses habitudes

d’une heure à l’autre toujours dans le même sens

et chiffonne la poussière depuis mille ans.

Puis le reste du temps, entre ses chats, ses vases,

posée sur les coussins de son fauteuil pliant,

la voisine d’en bas, le nez dans le menton,

quitte un brin les nuages et pique un roupillon.

Mais jamais la voisine d’en bas ne manque l’heure

du timbre rigolard des vélos qui reviennent

et quand on ferme à clé le dernier dans son box,

quelques parfums de soupe se faufilent chez moi.

La voisine d’en bas est alors à l’ouvrage

son pot-au-feu vient comme une bénédiction ;

puis j’entends son assiette cliqueter dans l’évier

et ses volets couiner dans un recoin de mur.

Puis je n’entends plus rien ; pour tous les temps sont durs.


Une amie  a prénommé sa fille Cattleya ; original non ?

 

6.  – Corolle

 

Pour prénom, mes parents ont eu la tendre idée

de cueillir dans les herbes le nom d’une orchidée ;

aussi, reine des berceaux, des cieux et des bois,

aux yeux de l’univers je suis Cattleya !

 

une orchidée qui marche, qui parle et qui sourit,

il fallait y penser ! mais tout bien réfléchi

quel choix doux et léché ! quel présent délicat !

au loin, dans les moussons, dansent les Cattleyas !

 

Moi je flotte dans le vent avec ma tige frêle,

encore petite enfant, dépourvue de mes ailes…

alors je suis papa, alors je suis maman,

et puis je suis les chiens qui courent en jappant…

 

et je prends le soleil, l’amour et les bonbons,

je découvre ce monde fait d’anges et de démons,

je vais chez la nounou, bref, « je mène ma vie »

comme disent les grands, je gère mes envies !

 

Un jour je serai une fleur à tige haute,

un bourdon viendra s’amuser à croque-note

et d’autres orchidées fleuriront dans la plaine ;

 mille fleurs prendront alors des couleurs humaines !

 

Je suis Cattleya, et je suis pour l’instant

la fleur rare et chérie de papa et maman ;

je vous salue du haut de ma tige de trois pouces,

le rhizome au terreau, l’air chaud sur la frimousse !


7.  – Le chanteur lyrique

 

Il ne fronce ses yeux pour appeler les nues,

il ne lève sa main pour agripper l’étoile,

il ne force son souffle pour gonfler sa voile

et sillonne les cieux montant la gamme à cru ;

 

des sueurs et des transes du désir commun,

des parfums et des fleurs de l’amour séculaire,

par l’ardeur de sa voix, que son âme libère,

il fait naître la larme au moment opportun…

 

le chanteur lyrique !

 

Suivez-le dans son chant, suivez-le dans son ciel,

appréciez l’étincelle sur sa lippe habile,

cueillez la vibration quand sa gorge jubile,

poussez la porte de son monde irrationnel ;

 

sa terre est pétrie de passions, d’exaltation,

de soleils, de musiques, de sentiments intimes,

de toutes ces tendresses à nos cœurs légitimes ;

il suspend sans cesse l’amour à nos balcons…

 

le chanteur lyrique !

 

Voyez comme son corps n’est déjà plus matière

aussitôt que le LA a pris le pas dessus !

son message est éclos d’une muse venue,

il est né de Vénus et demeure à Cythère ;

 

si sa lyre a brûlé par une nuit d’hiver

sous des arts populaires sans cesse en renouveau,

ténor ou baryton, soprano ou alto,

quelle que soit sa voix, quel que soit son éther…

 

du jardin de l’Eden aux flammes de l’enfer,

écoutez cette étoile et buvez son écho !


8.  – Les visites de Boadicée

 

Parfois, Boadicée, les nuits de lune noire,

le sourire éclatant des grands soirs de victoire,

sans un mot, sans un souffle apparait sur mon lit,

deux chardons violets roses dans ses roux frisottis.

 

Assise au fond des draps, une lance à la main,

un bouclier dans l’autre, en tunique de lin,

elle attend, immobile ; elle me fixe, elle me veille,

puis provoque l’instant où alors je m’éveille

 

coi de cette rencontre entre songe et réel !

Je me dresse en un mouvement révérenciel,

espérant, avant que l’émergence ne me quitte,

comprendre clairement l’objet de sa visite !

 

Elle parle ; je ne peux entendre son message,

 pas un son ne parvient à quitter son image ;

je tente d’établir entre nous quelque idiome…

comment communiquer avec Mrs fantôme ?

 

Si j’avance la main son image se brouille,

se distord et se meut, s’obscurcit et s’enrouille ;

pourtant la reine ne me visite par hasard,

ni certainement pour me causer de César !

 

Connaîtrons-nous une nuit d’échanges fructueux ?

Aurais-je la faveur de ses derniers aveux ?

Chevaucherons-nous sur les rives de la Tas

pour la St George’s Day ou le prochain Christmas ?

 

Après un signe tendre toujours elle disparaît…

et toujours à la lune noire, stupéfait,

je la retrouve assise sur un pendant de drap ;

pourquoi diable quitte-t-elle ainsi l’au-delà ?

 

Nous n’avons guère en commun, les icénes et moi,

que l’envie d’être en paix par les champs et les bois !

mais la vie renferme tant de couloirs cachés…

voudrais-t-elle m’instruire d’un quelconque secret ?


9.  – Lettre à Camille CLAUDEL

 

Ma chère Camille,

 

   vendredi soir, le vent d’Autan, ce vent au souffle pégueux, au regard biaiseux, aux mains moites et à l’esprit malsain qui souffle de plus en plus souvent sur les vignes, les toitures et les garrigues de mon quotidien, m’a emmené depuis les murailles de Montdevergues vos plaintes perdues.

   Perdus dans le vent, vos maux, vos pleurs, vos cris, vos appels au secours errent inlassablement en un univers où ils ne semblent pouvoir s’accrocher à la moindre empathie. Comme ils ont fait une halte sur le rebord de ma fenêtre, je les ai donc priés de rentrer afin qu’ils puissent  trouver un peu de chaleur et de paix dans la cuisine d’un homme qui éprouve encore le sentiment de compassion d’une manière naturelle et gratuite.

   Ils m’ont longuement évoqué vos conditions d’enfermement, la malnutrition, le froid profond, les cris continuels et déchirants des autres, les fous, et les privations en tout genre, dont ces visites que vous espériez vainement, je pense notamment à Louise… Louise-Athanaïse 1 !

   Je ne sais si pour accéder au repos de l’âme vous ressentiez encore la chaleur des baisers de Louis-Prosper 2 sur votre  peau d’enfant ! Je ne sais si pour accéder au repos de l’âme vous cherchiez le sommeil votre joue contre la barbe d’Auguste 3 ! Je ne sais si pour accéder au repos de l’âme, vous suiviez bien consciencieusement les conseils d’Alfred 4 ! Je ne sais si pour trouver le repos de l’âme vous riiez lorsque vous poussiez Paul 5 sur la balancelle ! Je ne sais si pour trouver le repos de l’âme vous déambuliez encore entre la grande échelle, les tréteaux, les étagères, les bustes de terre glaise et les plâtres du 19 quai de Bourbon 6 ! Je ne sais si pour trouver le repos de l’âme vous vous endormiez alors un maillet, un burin, un rifloir, une pointe d’ébauche, une spatule ou un couteau à la main ! Je ne sais si pour trouver le repos de l’âme vous ressentiez encore les senteurs de cire perdue envelopper votre corps, si vous dégrossissiez, creusiez, modeliez, ciseliez la matière ! Je ne sais si quelques-unes de vos nuits savaient encore être constellées d’éclats de marbre, d’onyx vert absinthe et de poudre de plâtre ! Je ne sais si le souvenir de la mise en forme de la matière pouvait encore être jouissif ! Ou je ne sais si seulement le diable vous assistait alors dans votre quête d’apaisement !

  Que de saisons passées depuis qu’Alfred 4 vous contait Le terrassier, 4/1, La petite moissonneuse 4/1,  Les  volubilis 4/1 et Les baigneuses 4/1 ! Que de gâchis ! Quelle injure à la société que d’être une femme différente, que d’être indépendante, artiste au plus profond de l’âme, du corps et de l’esprit, que d’avoir un immense talent au point que « l’homme» dusse se retrancher, amer, dans les ouates immondes de l’orgueil !

   Ces mêmes hommes qui sont venus vous chercher alors que vous étiez en plein travail, en pleine possession de votre beau talent et de toutes vos facultés intellectuelles et qui vous ont jetée brutalement dans une voiture malgré vos protestations. Trente ans d’agonie.

   Les Causeuses 7, l’Implorante 7, la Jeune femme aux yeux clos 7, la Jeune fille à la gerbe 7, la Niobide blessée 7 et la Petite châtelaine 7 prennent aujourd’hui l’autoroute pour se rendre d’exposition en exposition, l’Age mûr 7 et l’Abandon 7 cherchent une raison à poursuivre leur amour, la Profonde pensée 7 prie sans relâche, la Vague 7 et la Valse 7 ne roulent plus des hanches et le Torse de Clotho 7 se décharne de jour en jour ; Nous vivons une époque formidable !

  Et vendredi soir, le vent d’Autan, ce vent au souffle fétide, au regard fuyant, aux mains molles et à l’esprit vicieux qui souffle de plus en plus souvent sur les fleurs, les amandiers et les romarins de mon quotidien, m’a emmené depuis les murailles de Montdevergues vos plaintes perdues.

  Je pleurais avant qu’elles n’arrivent. Je pleurais sur nos soleils perdus, sur l’avilissement de la société. Je pleurais sur la non reconnaissance de l’art véritable et de ses entremetteurs. Je pleurais sur l’emploi galvaudé du mot « art » affecté à d’amples stupidités. Je pleurais sur notre société de lucre. Je pleurais sur ces artistes qui subissent aujourd’hui l’isolement, la faim, le froid au grand jour parce qu’ils ne font pas partie du « cercle »… et je pleurais car je rentrais des nues, d’un éther où j’avais croisé une fois encore ceux d’avant, les nôtres.

   Ma chère Camille, n’ayez aucun remord à avoir quitté cette terre de misère et rendez-moi visite de temps à autres.

   Très amicalement et très respectueusement.

 

1) Louise-Athanaïse : Mère de Camille
2) Louis-Prosper : Père de Camille
3) Auguste Rodin
4) Alfred Boucher
4/1) Œuvres d’Alfred Boucher
5) Paul : Frère de Camille
6) 19 Quai de Bourbon : appartement-atelier de Camille
7) Œuvres de Camille

10.  – Demain, le départ

 

Où est passée la foule, où sont ce soir les hommes ?

On partage la note, on partage le mot ;

dans la pièce il fait vivre, dans l’espace il fait chaud ;

on partage l’idée et on refond le dogme !

 

ce soir on se rassemble et l’on met en commun

et la force et l’envie, le courage et l’espoir

de bouter de nos âmes et nos cœurs les chats noirs ;

que nos envies soient fidèles à nos parfums !

 

Où sont passées les femmes qui levaient haut le poing,

 que j’entendais railler les puissants de ce monde ?

J’ai ratissé pourtant à cent lieues à la ronde

 et l’heure n’est plus à se vautrer dans les foins !

 

Tant ont été convié pour l’ultime débat

et le chêne crépite dans la cheminée ;

nous avons ensemble tant d’actions à mener,

mais après le vingt heures le quidam ne sort pas…

 

ne sort pas, ne sort plus comme on sortait jadis

à l’heure du sacrifice, à l’heure du ressenti ;

tous demain pleureront de ne pas l’avoir pris

ce train qui réconcilie le père et le fils !

 

Adieu saison perdue, adieu rêve insensé,

au Calice 1 pourtant la porte était ouverte

et culturellement nous avions la main verte,

mais sur nos terres austères à quoi bon jardiner ?

 

L’amorphisme, hélas, prend le pas sur la vie

et les chaines lassèrent l’asphalte de nos rues ;

nous proposions de mettre un coup de pied au cul

de l’enfer et connaitre un brin de paradis !

 

Nous partirons demain, le cœur gros, l’âme lourde,

mais sans larme ni regret puisque leurs vies sont sourdes !

 

1 Le Calice des Muses : ex bar à vin / piano bar situé sur la commune d’Alzonne (Aude).

11.  – Au hameau de Touvadetravers –

 

Aujourd’hui c’est la fête à Touvadetravers,

le thermomètre affiche quarante degrés !

hier encore nous étions en plein cœur de l’hiver,

ce matin nous avons éteint les cheminées.

La tramontane prend des airs de bise folle

et s’engouffre en hurlant dans les trous de souris ;

o yé, nous vivons une époque rock n’ roll…

ce soir nous danserons sous la grêle et la pluie !

 

A Touvadetravers jadis régnait la paix.

Les vieux portaient le béret, les vaches des cornes,

les femmes le tablier et le porte-monnaie

et les poutres des granges avaient le capricorne !

Aujourd’hui, la jeunesse, le froc à moitié cul

cherche le bonheur dans des champignons des prés

qu’ils fument pour oublier que ce soir, au menu,

ils boiront un nouveau bouillon d’austérité !

 

A Touvadetravers, en cas de différend

on se traitait de con puis on faisait la paix

sous quelques pastagas et leur assortiment

de fritons de canard et d’olives anchoitées !

Aujourd’hui, triste époque, on fait parler la poudre !

On se tire dessus pour un oui pour un non ;

chacun, sur le qui-vive, est prêt à en découdre

au lieu de sortir le pastis et les glaçons !

 

A Touvadetravers on suit de très très près

les discours du Président et de ses sous-fifres ;

ce n’est pas possible, on pense qu’ils le font exprès !

on crève la dalle et ces messieurs-dames s’empiffrent !

On est prêt pour le jour où viendra la riposte,

le jour où le peuple reprendra les commandes !

Touvadetravers deviendra un avant-poste

et les parfums de poudre couvriront les lavandes !

 

Aujourd’hui c’est la fête à Touvadetravers,

la scène est dressée devant la stèle des morts.

C’est une nuit d’été chargée de longs éclairs

comme le furent les nuits au Camp du Drap d’Or !

Ce soir nous paierons les cigales au chapeau

si leur musique nous fait oublier la faim,

l’hypocrisie, les manigances des salops…

et le fait qu’on n’ait plus de pain au patelin !


12.  – Philosophie locale

 

Félix promène le chien, Guitou promène le bois,

Gérard et Grégoire promènent le balai,

Jeannot promène sa canne, Paulette promène sa foi,

et pour la Fête Dieu l’abbé promène le dais.

 

Le vent Marin promène, sur les vignes en fleurs,

ses cheveux blancs d’écume et ses doigts de velours ;

quand sous les aubes des nouveaux enfants de chœur

le vent de Cers promène les herbes de l’amour.

 

Alain promène son macaron tricolore,

Serge ses balles pour les chevreuils, les sangliers,

les képis bleus promènent leur boîte à Pandore,

et La Cabrole ses charentaises trouées.

 

Dès l’aurore on y rencontre Pan qui promène

entre les amandiers quelques nuages blancs,

et dans les caves on y voit le brave Diogène

qui cherche un tonneau à se mettre sous la dent.

 

Jeanne promène sa jument, Claude son tombereau,

Rose promène Charles sur son fauteuil roulant,

Michel et Nanie promènent sur les coteaux

leur nez de retraité et leur âme d’enfant.

 

L’automne promène ses syrahs en comportes,

l’été promène ses cigales de pin en pin,

le printemps ses muguets pour les filles accortes ;

l’hiver promène les sueurs des fours à pain.

 

Ici l’on se promène depuis la nuit des temps ;

on n’est que de passage, alors, bon an mal an,

ici on vit en marge, et sur notre ballant

flottent un air de tanins, des plumes de faisans

et puis le rouge et or du drapeau Occitan !


13.  – Denise

 

Elle rentre de la vigne, sa journée est finie,

son dos se courbe assez et ses joues sont rosies

par le vent du coteau, toujours âpre en février,

mais elle rentre heureuse… et disons vivifiée !

 

Elle adore son métier, mais sachez que la taille,

pour l’avoir pratiquée, ne me dit rien qui vaille

tant la tâche est pénible les souliers dans la boue,

le par-dessus bouclé et le froid par-dessous !

 

Bien sûr, certains hivers sont parfois plus cléments

et elle écoute chanter la grive en taillant,

mais les souches brunes en infinies enfilades

sont l’unique décor de l’unique esplanade !

 

Peu de temps pour lever la tête au tableautin,

elle saisit les cheveux du cep par instinct

puis elle tranche et jette les bois dans la rangée

et la souche larmoie sous sa coupe d’été.

 

Mais si la rudesse et le froid sont de saison,

Denise a la nature pendue à son chignon,

pas la liberté, mais ces parfums exaltants

qui rendent immortel aussitôt qu’on les sent !

 

Le soir, dans sa cuisine, près du feu elle mêle

la soupe à l’oignon et la tarte aux mirabelles,

elle rajoute une bûche, elle lit le journal

rêvant peut-être d’un autre monde idéal…

 

mais au petit matin, en ouvrant ses volets

elle jette sur ses vignes un regard apaisé ;

pour rien au monde elle ne quitterait ses bottes,

ses ciseaux à tailler, son tracteur et sa hotte !

 

Elle rentre de la vigne, sa journée est finie,

son dos se courbe assez et ses joues sont rosies

par le vent du coteau, toujours âpre en février ;

elle va faire la soupe, harassée… mais comblée !


14.  – Le “Bosc“

 

La vigne “du bois“, c’est ainsi qu’elle se nomme !

et j’y reviens souvent, quelle que soit la saison,

et toujours à pied, comme le faisaient ces hommes

qui n’accordaient au temps qu’un zeste de raison !

 

j’y reviens à pas lents et la narine ouverte,

l’œil rond du souvenir, et je trouve mon compte

à déguster l’enfance qui me fut offerte

parmi les sarments, les rouquettes et les hottes.

 

Comment ne pas être, pour qui aurait connu

l’œil rempli de grand air et les poches bien vides,

nostalgique, parfois, sous nos cieux vermoulus,

l’abject appât du gain et nos terres acides ?

 

Donc, je marche en flânant, dérobant à la menthe,

au fenouil ou au thym quelque brin pour ma bouche

et parfois il m’arrive, au détour de la sente,

d’avoir en mémoire une vénus dans sa couche !

 

Jamais je ne m’arrête ; pour éviter les pleurs ;

l’atmosphère est pesante sans cette voix aimée

qui ronronnait sur le siège de son tracteur,

quand, jetant le cartable, j’étais à ses côtés.

 

Puis je rentre à pas lents, comme pour ne rien  perdre

des senteurs dont mon âme aurait pu se goinfrer ;

mon poing est détendu mais ma gorge se serre,

mes vœux du temps béni ne seront exaucés.


15.  – L’Alzou toujours

 

L’Alzou c’est la rivière de ces jeunes années

où je craignais encore l’instit et le curé ;

où j’allais à vélo, à fond de pédalier,

le vent de Cers donnant des ailes à mes souliers.

 

Au pays du grenache, du thym, du gratte-cul,

du fenouil, du cyprès et des vieilles poilues,

l’Alzou coule toujours, détendue et limpide ;

en cinquante ans elle n’a pas pris une ride !

 

Je sais que l’anguille y chasse encore sous la berge,

que du cresson des bouquets de joncs bruns émergent,

et j’y vois appuyé contre le tronc d’un saule

mon petit vélo attelé à cent lucioles.

 

J’y vois des dragons dorés se prendre à mes pièges,

des bourres de peuplier se prendre pour de la neige

et le soleil d’été chauffer la retenue

près du gué afin que l’on vint s’y baigner nu.

 

J’entends batte, sur des coquelicots bien mûrs,

le cœur d’une jeune brunette aux yeux d’azur

qui me couvrait alors de longs baisers fougueux

que les flots emmenaient insouciants et joyeux !

 

L’Alzou c’est la rivière du fameux temps béni,

celui qui me forgea à l’enclume de la vie ;

l’Alzou c’est un esprit ; celui de tous ces hommes

qui m’offrirent les reines d’une vie polychrome.

 

L’Alzou c’est un trésor que je caresse quand

tout ce que je touche entre mes doigts fout le camp ;

comme en ces moments-ci, où tout va s’asphyxiant

par les gueules goulues de gras sables mouvants.

 

L’Alzou c’est un fil de prénoms et de visages ;

à chacun son Alzou, chacun son paysage ;

à chacun son histoire, chacun son Paradis ;

à chacun son église… et chacun son parvis !


16.  – Une pâte de coin

 

Dans le fond de sa boîte, l’objet de mon désir

dormait sous un couvercle de fer-blanc embouti ;

un reliquaire au ventre jadis plein de biscuits ;

une boîte que seule grand-mère pouvait ouvrir !

 

Cela faisait peut-être plus de quinze ans déjà

que le dernier gâteau avait crié merci,

mais sitôt le dernier oiseau parti du nid

la pâte de coing vint y coucher ses rastas…

 

et la pâte de coing fut un trésor pour moi !

 

Mais avant d’ôter le couvercle de fer-blanc,

palper du bout des doigts quelque confiserie

je devais user de quelques canailleries

et mener à bien mon parcours du combattant !

 

D’abord, prendre la chaise en paille, haute et bancale,

grimper, attraper tout en haut du vaisselier

entre une vierge de Lourdes et un plat à gibier

la clé du placard dans sa petite timbale,

redescendre,  ouvrir la porte à moustiquaire

du placard où transpirait la pâte de coin,

puis déplacer la pauvre chaise de sainfoin,

surveiller les allées et venues de grand-mère,

remonter sur la chaise, prendre le reliquaire,

soulever le couvercle, commettre mon larcin,

plier la fourragère et tout le saint-frusquin,

bien refermer à clé la porte à moustiquaire,

ranger la chaise, la clé sur le vaisselier…

et sous les traits de ma bonhomie coutumière

m’éloigner à pas de loup de ce sanctuaire,

les yeux brillants de joie et le palais collé.

 

Et jamais ne me vint la moindre réprimande.

Mon univers d’alors était riche de peu ;

je me chauffais l’esprit à la lueur du feu

et mon corps rêvassait dans des draps de lavande.

 

Mes yeux d’alors chantaient sous les flocons de neige

et jamais un bonnet ne me barrait le ciel ;

mon univers d’alors était immatériel ;

je savais la musique, ignorant le solfège.

 

Sans avoir mangé la moindre pâte de coin,

tant d‘hommes, aujourd’hui, marchent l’esprit gâté ;

ceux-là se sont gavés des sucres du progrès ;

ceux-là nous gouvernent et nous sommes mal-en-point.


17.  – L’enfant et le grand-père

 

C’est au bord de l’Alzou, ru aux eaux virginales,

que mon esprit vagabonde en ces temps ingrats ;

il n’est que tonnerre, éclairs et grêle ici-bas ;

mon juillet est privé du choral des cigales !

 

Là-bas, près des eaux blanches de mon ru d’enfant,

un séraphin kaki s’exprimant en patois

– une vapeur d’encens, un éther d’autrefois –

change mes nuages en un ciel au bleu puissant !

 

Sous les cris des averses je ferme alors les yeux

et j’aperçois déjà ses allées et venues ;

l’ange fait les cent pas sur la rive du ru ;

je vais à pas lents dans cet exquis couvre-feu !

 

Que je suis déjà loin lorsque je sens son souffle

sur ma peau… loin dans les méandres infinis

de mon ru paradis et de ma rêverie,

et que craque la branche sous ma lourde pantoufle !

 

De la terre innocente montent alors ces senteurs

qui d’enfant me firent homme par le biais de l’amour ;

puis ma vue se mêlant au tableau alentour

mes troubles mutent enfin en un calme enchanteur !

 

La quiétude retrouvée à claire-voie d’ajoncs,

j’ouvre à nouveau les yeux sur un tiède présent ;

l’espace d’une illusion j’ai aperçu l’enfant

et son grand-père au temps des grandes floraisons.


18.  – Moment de pause

 

Nous sommes sur le seuil de la cave, pensifs,

comme nos songeries la pluie vient de travers

et l’on suit du regard les fleurs de courant d’air,

les voiles d’eau hâtifs et les gouttes de suif…

 

nous pensons en silence aux choses essentielles,

à ces simplicités, qui, misent bout à bout,

font que finalement la journée tient debout

et font que malgré tout les saisons s’entremêlent !

 

Pas de violence dans le geste ni le verbe,

pas de violence dans la terre de chez nous ;

nous vivons à l’écart des sirènes et des fous,

nos musiques naissent du soleil et de l’herbe…

 

nous suivons la charrue d’un œil, tandis que l’autre

caresse la chair brune de la terre tranchée

et nous savons déjà, à l’entendre chanter,

que sera la récolte de raisin ou d’épeautre !

 

chaque jour c’est le dos du calcaire qu’on tisonne ;

admirez le sillon et sentez sa sueur…

la terre est bonne quand on l’ouvre avec le cœur !

sous l’aria du soc terre et laboureur fusionnent !

 

La pluie vient de travers, nous prenons un instant

pour voir tomber la vie en rayures obliques ;

nos fleurs du quotidien, simples et magnifiques,

courbent à présent l’échine sous les baffes du temps ;

 

tant ces lignes de fuite sont drues et aiguisées,

même les chiens mouillés cherchent un toit de fortune !

le temps de lire les gros titres à la une

et de lever les yeux la pluie s’est éloignée.

 

Nous quittons le seuil de notre cave repris

par ces tâches que nous ne finirons jamais ;

sur les tuiles, à nouveau le soleil vient glisser ;

le temps pour nous d’enfiler les bottes, c’est parti ;

 

nous devons cultiver les bienfaits de la vie !


19.  – Accent grave sur la faune de mon pays

 

Le beagle sangliasse, le sanglier beaglote,

le gorgebleue libellasse, la libellule gorgeblote,

le renard galinasse, la poule renardote,

la belette lapinasse, le lapin belote,

la belette relapinasse, le lapin rebelote,

le serpent caillasse, la caille serpinote,

la mésange chenillasse, la chenille mésangeote,

la grenouille sauterellasse, la sauterelle grenouillote,

le rapace sourissasse, le souriceau rapaçote,

l’hirondelle papillasse, le papillon hirondellote,

l’araignée mouchasse, la mouche araignote,

le chat mulotasse, le mulot chatote,

le lézard fourmillasse, la fourmi lézardote,

le bruant cigalasse, la cigale bruantote,

la truite véronasse, le véron truitote,

le brochet carpasse, la carpe brochote,

l’anguille ablettasse, l’ablette anguillote,

la pie escargasse, l’escargot pieote,

le dindon lombricasse, le lombric dindonote,

le hérisson verminasse, la vermine hérissonote,

le scorpion grillonnasse, le grillon scorpionote,

la fouine perdrinasse, la perdrix fouinote,

le blaireau guêpasse, la guêpe blairote,

la coccinelle puceronasse, le puceron coccinellote,

 le crapeau moustiquasse, le moustique crapote,

la mante religieuse sesmâlasse, ses mâles mantotent

l’homme femmenasse, la femme hommenote…

 

et la chenille redémarre !


20.  – à Claude, l’ignivome

 

Oh je ne vous décrirai l’homme

ni côté cœur, ni côté face ;

vous le savez tendre et pugnace

et tant paisible qu’ignivome !

 

Car “ignivome“ est bien le mot !

c’est l’adjectif circonstanciel

qui ouvre les portes du ciel

et botte le cul à l’égo !

 

Car c’est bien “de feu“ qu’il s’agit,

des braises ardentes de son âme !

vous le suivriez, messieurs, mesdames

dans la froidure et sous la pluie ?

 

Mille quatre cent kilomètres

de vent de face et de brouillard,

de neige, que dis-je, de blizzard

sans un rictus au pluviomètre !

 

Au travers de cols “vis sans fin“

et de descentes virginales,

le regard vers la cathédrale,

les pieds aux ailes du moulin

 

il n’avait de cesse que “d’être“ !

n’avait de cesse que de créer

des gueules à sa prosopopée

et des souvenirs à ses guêtres !

 

On parle de surpassement

de soi, de bien être intérieur ;

on dit y trouver la grandeur

de l’âme et Dieu en arrivant.

 

Je ne sais si Claude a trouvé

la paix sur les bords du chemin,

mais je lui serre fort la main,

l’embrasse d’une tendre amitié

 

pour avoir mené jusqu’au bout

son  rêve fou et son vélo

sur le parvis de Santiago,

le rire au bec, la fleur aux roues !


21.  –  L’ami Bernard

 

Que voulez-vous que je vous dise ;

qui se cache sous sa chemise ?

En son sang c’est héréditaire,

cet homme est extraordinaire !

 

Comme toute âme de sa branche

il brille du lundi un dimanche,

et tant son terreau est fécond

il fleurit en toute saison !

 

C’est un motard sexagénaire,

qui par les routes secondaires

fait hennir au flan des collines

les chevaux DIN de sa machine !

 

C’est un ardent célibataire,

saint-homme au parfum débonnaire,

un touche à tout bien réfléchi ;

que vous dire de mon ami ?

 

Ah, vous le verriez au piano,

– raide sur la selle du tempo –

faisant courir sur le clavier

le bonheur d’être et de jouer ;

 

vous l’entendriez, main à la pâte,

interpréter cette “Sonate

au Clair de Lune“ qui me ravit,

me plonge en longue rêverie !

 

Un ami de la vieille école,

toujours altruiste et toujours drôle,

un ami cher, un ami rare ;

un qui fume encore le cigare !

 

Dans la trame de cet impromptu

je ne dépeins qu’un aperçu

de ce qu’est l’homme, évidemment ;

quelques reflets équipollents !

 

Je vais stopper là cet éloge,

car s’il advient que je proroge

de trop ce poème amical,

il ne faudrait, foi d’animal,

que Bernard mute en Persifal ;

monarque au château du Graal !


22.  – Le poète au chantier

 

Je n’ai pas vu l’été

suspendre à ses balcons

ses regards, ses baisers,

ses pots de géraniums…

 

ni l’amour lové au

 cœur de ses champs de blés,

les lampions pendus aux

 toits des festivités…

 

ni senti sur ma peau

la Méditerranée…

je n’ai dansé le tango

 qu’au cœur de mon chantier !

 

Je n’ai vu vers les cieux

quelque étoile qui perle,

vu le moindre ciel bleu,

oui les rires d’un merle…

 

que le bruit de ma scie

et du bois qu’elle mâcha ;

sous les copeaux ma vie

cet été s’enterra !

 

Plus ma vie s’enterrait

et plus je sifflais fort ;

à chaque pelleté

je sortais de la mort…

 

le travail m’accablait

et les muses rieuses

sur ma peine passaient

leurs lèvres affectueuses !

 

Pas de temps pour souffler

un baiser au grand vent ;

passer le chapelet

 au tamis seulement…

 

et couvrir de ciment,

de carreaux, de peinture

mon doux enfermement,

– selon la procédure – !

 

Je n’ai pas vu de fleur,

je n’ai pas vu d’abeille

mais j’ai mis tant de cœur

à pailler mes corbeilles

 

que désormais mon ange

 y peut coucher ses ailes

et chanter ses louanges

à la saison nouvelle !

 

Je n’ai pas vu l’été,

bu aux treilles d’automne ;

l’hiver est à portée,

débouchons les bonbonnes !


23.  – La compréhension

 

J’ai retrouvé la route, le seul chemin qui vaille,

le passage secret, le seul sentier qui aille

de pair à mes foulées, à mes divagations ;

ma tanière dorée, mon repli, ma nation,

 

mon paradis peut-être, une sphère en tout cas

où fleurissent ensemble mes vies et mes trépas !

J’ai retrouvé la route pour mon plus grand bonheur,

mes rimes, mes licornes et mes brassées de fleurs…

 

la liberté en somme, le vent à mes naseaux,

la rondeur de mes vignes, les herbes du coteau,

toutes mes molécules, toute mon énergie,

toutes les muses de ma toxicologie !

 

——

 

Alors j’ai pris la sente, à nouveau dévêtu,

parmi les grandes gueules et les chiennes battues ;

je me suis faufilé, quant au bout de neuf nuits

je posais la dernière plume de mon nid !

 

Depuis, je vais, je viens au gré de mes désirs,

brûlant un souvenir, croquant un devenir ;

sous le temps de saison je vis au jour le jour

comme l’oiseau picorant le ver du labour,

 

je me moque autant de la pluie que du beau temps,

j’ai enfin dépassé les clivages du temps !

j’exulte, en quelque sorte, où hier je périssais

et vais droit comme un I où je marchais en biais !


24.  – Ces enfants vierges que j’ai conçus

 

Je passe ma vie à semer

de l’herbe à mots sur du papier

pour que fleurissent des images,

de la dentelle sur vos corsages !

 

parfois je vous invite à boire

les idées fleurs d’une herbe noire,

parfois la semence, en couleur,

accouche de fins accroche-cœurs !

 

parfois la graine est indocile ;

elle me fait faire de la bile

et je dois élever la voix

pour que mes quatrains filent droit !

 

et puis d’autres soirs c’est la fête,

les muses valsent en ma tête !

je les croque, pleines d’ardeurs,

de la dent, de l’âme et du cœur…

 

je les couche sur le papier,

puis, nu, je me jette à leurs pieds

comme un mort de faim, un voyou !

je prends du fil d’encre et je couds

 

des déesses et des couleuvres ;

tout fait ventre au ventre de l’œuvre !

et puis je succombe haletant

à la folle extase de l’instant !

 

je m’éveille ivre sur les planches

d’une scène un soir de dimanche

et la salle est vide à crever ;

Poète est un sale métier !

 

alors je remballe mes images

entre les barreaux de ma cage

 et je gueule mon soûl, suffocant !

j’emmerde les cieux et le néant !

 

puis je m’endors, noir de colère,

quand partout dans mon antre austère,

aux lampes, au moindre clou s’arriment

de folles guirlandes de rimes

 

et de longs fils de vers luisants,

et tous se rient de moi sachant

qu’après la pluie vient le beau temps…

et demain c’est vrai, c’est navrant,

 

je tuerai mon temps à semer

de l’herbe à mots sur du papier

pour que fleurissent des images,

de la dentelle sur vos corsages !

 

je vous inviterai à boire

les idées fleurs d’une herbe noire,

ou bien la semence, en couleur,

accouchera d’accroche-cœurs !

 

ou bien je serai mort, peut-être,

ivre, le cul à la fenêtre

d’où pendront des festons de rimes !

alors, en un pays sublime

 

où les Poètes seront choyés,

fier comme Artaban, je dirai,

devant un parterre d’élus,

mes œuvres,

ces enfants vierges que j’ai conçus.


25.   – Le grand jour de l’enfantement

 

Il formulait des vœux et les criait au vent ;

et le vent les happait dans sa fuite éternelle

puis lâchait ses proies comme des cristaux de grêle

sitôt passé les haies de songes et de tourments.

 

Il les criait au vent et se mettait à nu

et du cœur et de l’âme et de l’esprit, pourtant,

des brises de l’aurore aux bises du couchant,

des nues jamais un signe, un sourire entendu !

 

Chaque jour, de la paille d’une crèche nouvelle

il hélait ces fantômes et ces dieux scélérats

qui sautent en ronds de jambes comme en tout petits pas

sur les prières longues encordées de ficelle !

 

Puis il jetait au vent le fil de ses propos,

comme si le vent, ivre d’un remoud dans l’éther,

portait par une brèche faite d’un courant d’air

au bon Dieu la musique et les pizzicatos !

 

Pauvre homme ne sais-tu qu’il n’est, à quémander,

que les feux de l’enfer en réponse à tes pleurs ?

sur quelle terre espères-tu cueillir la fleur ?

la fleur bleue de l’espoir n’est pas herbe à bouquet !

 

Il formulait des vœux et les criait au vent

et le vent les happait dans sa fuite égoïste ;

il n’est qu’un mot à dire à cet homme : résiste !

frère,

demain nous connaitrons une journée sans vent,

frère,

demain sera le grand jour de l’enfantement !


26.  – Le décentré

 

Bien conscient qu’il n’est là que pour un laps de temps

qui ne lui laisse guère le temps de jouir

d’amours ardentes, de lunes rousses de printemps,

de tout vent bienheureux il se laisse couvrir.

 

Il est là, près de vous, mais le pensez ailleurs

et le voyez muer de la voix, de la peau,

de la verve et de l’âme, de la barbe et du cœur

et dites en riant du mal de ce héro !

 

Lui va son chemin n’ayant rien d’autre à souffrir

que le ciel lourd de ses errances chimériques,

et tente de survivre à l’appel du mourir

par la douce chaleur du comptage syllabique !

 

Alors vous pouvez ironiser sur sa tête,

il ne vous entend pas, car son monde intérieur

fait d’anges et de paillettes est une étoile en fête,

et son encre cruor dessine sa grandeur !

 

Vous le trouvez étrange et cela vous dérange

car ses yeux sont un appel au simple et au beau ;

hissez donc vos mœurs hors du feu et de la fange,

puis retrouvez-le à la cime du coteau !

 

Vous le voyez assis à même son perron,

bien souvent affalé, le béret sur le nez,

les yeux écarquillés vers Mercure ou Pluton

remuant du genou sous son falzar troué,

 

passez votre chemin car l’homme est loin d’ici

assis à la table de quelque amphitryon

d’où ils refont le monde d’une autre galaxie

à grands verres de vin et gros coups de crayons !

 

ainsi est le Poète, je le connais par cœur ;

ainsi est le Poète qui m’habite et me tient,

me tient par la barbiche, par l’idée et l’humeur

sous des blizzards cinglants et des vents étésiens.


27.  – Si je peux me permettre

 

Ecris avec les yeux, écris avec le cœur, écris avec la peau,

ne cherche pas à versifier absolument ;

laisse les vieilles règles aux malheureux défunts !

ne compte les syllabes, il n’est là que foutaise ;

la musique n’est que le tempo de ta foi !

crée des codes qui te conviennent, des lois qui te soient propres !

écris seulement ce que ton âme te dicte,

cette pureté virginale qui bande ton esprit et fait frémir tes lèvres !

prends une feuille blanche, attache tes cheveux

pour que tes rideaux noirs ne bloquent la lumière,

et mets-toi à pleurer, à rire et à gueuler…

et tout en même temps ! écrire est une transe !

lentement pétris les mots comme on pétrit la glaise,

comme on caresse un corps, avec délectation…

l’écriture poétique est une jouissance !

sois infidèle au sujet, va où l’inspiration te mène,

embrasse une idée et pose ton doigt sur l’autre

puis donne-toi aux nues et charge-toi d’extases…

alors tu ramèneras du ciel des fagots de lumière,

des bouffées de délires et la clé de toute béatitude !

ne cherche pas sur terre quelque illumination

et n’attends d’être triste ou gaie pour travailler ;

l’acte poétique vient naturellement

et se fout du roulis des sentiments qui passent !

lorsque l’instant poindra

tu verras un sanglot courir entre tes doigts,

puis un frisson remonter la joue et la tempe ;

alors prends du papier, un stylo, une chaise,

lève le nez au ciel, plonge dans l’évanescent…

pour le reste, sois confiante… et attends !


28.  – Des rimes à chaud ? –

 

Si je liais des rimes à chaud

– évoquant un sujet brûlant –

empli de frissons dans le dos,

les yeux encore scintillants

et l’âme toujours dans les nues,

le corps sur le corps de l’éden,

d’un éden fier de retenue

comme un pétale blanc d’hymen…

 

je vous livrerais des secrets

sur des cheminements d’azur,

or, que vous interpréteriez

d’un soupir largement impur !

Des muses à l’apparence humaine

vous connaissez bien des atours,

mais avez-vous léché vous-même

l’essence chaste de leur amour…

 

celle qui emporte votre âme

en un infini tourbillon,

celle qui se perd en amalgames

avant d’apparaître éclosion ?

Non, soyez sérieux un instant

vous qui n’interprétez la rime

qu’au premier degré seulement,

qui lui vouez trop peu d’estime…

 

Je ne tiens à lier à chaud

ces grâces que je viens de boire ;

il est encore bien trop tôt,

chers amis, vous pouvez me croire !

d’ailleurs je ne pourrais écrire,

j’en ai même perdu ce don

que Dieu me fit… je peux en rire

et fermer la boite à crayons !

 

laissez mûrir la chose, non de non !


29.  Saisir le troisième degré

 

Lisez-vous les poèmes entre les lignes au moins ?

Buvez-vous les liqueurs de troisième pression,

celles dont on s’abreuve avec délectation…

sous lesquelles on découvre Dieu à brûle-pourpoint ?

 

Que pensez-vous donc pêcher, amis, en surface,

si ce n’est que la friture la plus commune ?

Croyez-moi, si vous voulez pêcher la fortune

déchiffrez la métaphore, soyez coriaces !

 

L’un clamait haut « Travaillez, prenez de la peine,

c’est le fond qui manque le moins… » comprenez bien

 que l’âme est tourmentée, le message cornélien,

et la syntaxe rajoute son doigt de peine !

 

Dans tous les cas soyez lucides seulement,

ne cueillez que l’épice qu’il faut pour le pot-bouille !

et par quelque hasard, si vous rentriez bredouille

c’est que le dit poème n’est guère éloquent…

 

changez alors d’histoire ou changez de poète,

« remuez tous vos champs, sans attendre fin août »

prenez un bol d’air frais, un verre de Vermouth,

puis, amis, reprenez patiemment votre quête !


30.  – Parlez dents serrées

 

J’en ai ras les couettes et j’en ai plein le cul !

ne soyez choqué si j’en viens à parler cru,

ne faites vos mijaurées à lire la chose,

la guerre sociale, mes amis, en est la cause !

 

Il n’y a plus de boulot, il n’y a plus de pain,

seulement de la peine, du tracas, du chagrin…

et je sais qu’elle pleure lorsque je suis absent,

lorsque je cherche à becter inlassablement !

 

Jadis, j’aurais aidé un tailleur, un comptable,

j’aurais pu être le scribe d’un vieux notable

et broder sa vie sur un parchemin de soie ;

j’aurais pu autant gaver l’Etat que les oies…

ou j’aurais travaillé la vigne en sifflotant,

enseigné la philo à des adolescents ;

j’aurais suivi la mule à travers le labour,

envoûté Bobino par mes chansons d’amour…

j’aurais même pu faire de la politique,

ou partir soigner les populations d’Afrique !

 

Je pourrais être référent au Pole-Emploi,

aider les pauvres âmes dans le désarroi…

je pourrais peindre la queue des avions d’Airbus,

scruter le ciel comme le ferait un Argus,

je pourrais passer mes journées à roupiller

tant j’ai usé mon corps ces dernières années…

je pourrais aussi me jeter dans la Garonne

comme le fit Marie-Jeanne à Bourg-Les-Essonne,

mais je n’ai encore accompli mon sac de rimes,

ni mon stock de dimanches de la quinquagésime !

 

Puisqu’il n’y a ni Dieu, ni Diable, ni longs étés,

puisqu’entre nos mains seules est notre destinée,

je vous invite, amis, à parler dents serrées,

finie la fête, au nom de notre dignité.


31.  – Exhortation à l’apostasie –

 

La négociation étant un acte vain,

les tuer tous, peut-être, serait la solution…

mais il est déjà tant de sang par les moissons,

aux becs des bétonnières, à l’œil de mes quatrains

que je vous exhorte à lâcher nos souverains !

 

Tournez de droit le cul aux faiseurs de misère,

n’embrassez leur télé, n’avalez leur journal,

ne tendez donc vos têtes au chapeau colonial,

assimilez qu’ils détruisent ardemment la terre

et tuent d’un même fer, ennemis, fils et frères !

 

Si nous étions naïfs à brandir le surin,

nous devenions les fossoyeurs de la nation,

faisions couler la bile au travers des lampions,

nous ferions une sphère de glaise et de purin !

je vous exhorte à lâcher nos souverains !

 

L’apostasie, mes frères, est le mal qu’il nous faut !

écoutez le hautbois, le rossignol, vos corps,

aimez la lumière comme vous vénérez la mort,

fumez l’étoile sèche et la baie de sureau,

puis tricotez de laine épaisse notre drapeau !

 

Les tuer tous, peut-être, serait la solution…

on l’eut entendu, Dieu reconnaîtrait les siens…

mais je crains que Dieu soit aussi de ces vauriens

contre lesquels le soir je reprends mon crayon,

mes rouges métonymies, mes feuillets à chansons !

 

D’autres, avant, ont quitté leur peau de marionnette ;

j’ai connu les brins de laine pendus aux passants ;

plus tôt, d’autres ont gueulé contre la guerre au Vietnam…

toutes armes furent bonne… Armstrong prit la trompette

et de nobles poètes dénoncèrent la tempête…

 

mais l’infatigable roue écrase, devant,

le tournesol naissant, le tableau noir d’école,

le chant des partisans, le cri des bénévoles,

la casserole où bout le lait pour les enfants,

tout espoir imbécile et tout enfantement !

 

Laissez les rats se croquer au fond de la nasse,

les scélérats ne sont qu’ambition personnelle !

laissez la pourriture verser sur les ridelles…

un jour prochain, la vie, d’un joyeux volte-face

viendra peindre de bleu nos larmes et nos grimaces…

 

les abeilles se gorgeront de romarin,

le vent du sud du sud cessera son choral malsain

et la roue assassine stoppera son chemin !

plantez votre ciel bleu, abandonnez ces vilains,

l’apostasie, mes frères, précède le tambourin…

 

je vous exhorte à lâcher nos souverains !


32.  – Songe folâtre

 

Artémidore d’Ephèse, qui incarnait, jadis,

tels ceux de Babylone, de Chaldée, de Judée,

le songe entre les boucles et l’âme d’Hespéris

aurait bien du mal à passer mon songe à gué !

 

Notez que Freud ou Rhine, Mc Dougall ou Zener

butteraient eux aussi, malgré leur fort talent,

sur le fil décousu de ma portion d’éther

tant mon rêve fut beau et long et large et grand !

 

C’était un vaste champ revêtu d’un sarrau

dont le col était loin au travers des nuées.

J’étais là, quelque part entre toile et lambeaux

sous le regard perçant d’un vautour de Vendée.

 

Le vent était aimant et la terre était ointe

de cette huile sacrée qu’on vous applique au front

dans les fonts baptismaux, sous un ciel de Corinthe,

et je gobais, assis, des images et des sons…

 

quand par-dessus mes yeux passèrent des lions,

des gladiateurs, des ruthènes, puis un César,

une sabine romaine, des dressées de pilum ;

je vis des dromadaires, une course de chars…

 

Richelieu discourait, D’Artagnan ferraillait,

Corneille trottait, Cyrano cyranisait,

Rodrigue était sans cœur mais Chimène l’aimait !

suspendues à des fils des sénioras dansaient !

 

je vis même un drakkar glisser auprès de moi,

des hommes à peau de bête et des biches et des loups,

puis des cornes d’aurochs d’où sortaient sang et froid ;

sous le pas des vikings des flammes poussaient partout !

 

Jeanne d’Arc, sur un majestueux destrier

couvert de fleurs de lys des narines à la queue,

ordonnait à Marguerite de résister ;

le chevalier Fulgent était fol amoureux !

 

je me vis traverser la rue basse d’un fort,

entrer chez un talmenier, poser du froment,

puis sortir par la forge en un nuage d’or

et transpercer de cap le drap d’un revenant !

 

c’était la triste époque des bombardements

et le gaz moutarde tapissaient leurs poumons ;

derrière dix sacs de sable un poilu s’étouffait

dans l’eau d’une tranchée, quelque part, sur le front…

 

François Premier dansait, Catherine buvait

chaque œillade et chaque passe du souverain ;

Gargantua dormait sous l’œil de Rabelais ;

il est vrai le gaz moutarde était encore loin !

 

les tables du banquet pliaient sous l’enfilade

des plats de mogettes et de jambons fumés ;

des piques aiguisées de chaque palissade

des chapelets de perles de rires pendaient !

 

des nuées de rapaces obscurcissaient le ciel

et fondaient sur des friandises gantées de cuir ;

sauriez-vous dans un songe définir l’essentiel,

définir avec justesse quand il doit finir ?

 

Je ne puis par les mots vous en faire clôture

car ce que je vis-là fut une féerie ;

si ce fut un rêve ce fut un doux murmure ;

qu’il se poursuive alors chaque nuit de ma vie…

 

j’étais au Puy du Fou et je vous remercie

de chasser de la sorte notre lot de soucis ;

bravo pour votre entrain, poursuivez sans relâche

et qu’importe s’il pleut, poursuivez sous des bâches !

 

Adieu veau, vache, cochon et magie de l’instant

je perçois des voix dans des sonneries d’IPAD ;

j’intuite un cauchemar du côté du levant…

l’écurie des rengaines aurait besoin d’un lad ?


33.  – Appel au bonheur

 

       Si d’un clic droit sur la souris on ôtait de l’esprit de l’homme toute notion d’Enfer, de Paradis, d’ange, de vierge, de démon, de Dieu sauveur et d’asservissement aux cieux ?

   Si l’on ôtait de l’esprit de l’homme l’idée d’une vie après la mort, l’idée qu’un esprit supérieur vienne guider ses pas, que son destin est fils d’obéissance et qu’il doit donc s’inféoder sous peine “de“ ?

   Si l’on ôtait de l’esprit de l’homme le désir de communier avec le doute et de se livrer corps et âme à la cause entendue ?

  Si l’on ôtait de l’esprit de l’homme qu’il est nécessaire de s’agenouiller, de souffrir pour quémander l’antidote à ses souffrances ?

  Si l’on ôtait de l’esprit de l’homme tout besoin d’oppresser, de mutiler, de violer, de séquestrer, de déporter, de voler, de s’enrichir et de tuer au nom d’un idéal théologique ?

   Si d’un clic gauche sur la souris on insérait dans l’esprit de l’homme le naturel et la simplicité, l’amour et la paix, l’altruisme ; la bonté ?

   Si l’on insérait dans l’esprit de l’homme que l’univers existe depuis quinze milliard d’années ; qu’au début, la terre n’était qu’une boule de lave en fusion avec une atmosphère de vapeur d’eau et de gaz toxiques, qu’en se refroidissant la surface s’est solidifiée en une croûte terrestre, que progressivement la vapeur d’eau s’est condensée pour former des océans dans lesquels des bactéries ont commencées à apparaître et à se développer pour arriver à l’homme? (les plus lointains ancêtres de l’homme, les australopithèques, sont apparus il y a quatre millions d’années).

  Si l’on insérait dans l’esprit de l’homme qu’il s’agit là d’une organisation interne résultant d’une coopération entre des cellules ? qu’ainsi, la vie ne doit pas son existence à la compétition, mais à la coopération ; à l’union ?

   Si l’on insérait dans l’esprit de l’homme que l’homme actuel, l’homo sapiens-sapiens est apparu il y a deux cent mille ans et que cela représente juste 0,0013% de la durée d’existence de l’univers ?

    Si l’on insérait dans l’esprit de l’homme l’humilité ?

   Si d’un clic droit sur la souris on ôtait de l’esprit de l’homme toute vénération à un politique, à un philosophe, à un artiste ; à tout homme public ?

   Si l’on ôtait de l’esprit de l’homme toute acceptation automatique, toute certitude idéologique ?

   Si l’on ôtait de l’esprit de l’homme tout conditionnement, toute résignation, tout moutonnement ?

   Si l’on ôtait de l’esprit de l’homme toute notion de racisme, de différence, d’orgueil, de jalousie, de mesquinerie, de misogynie, d’hypocrisie, de lâcheté, d’irresponsabilité, d’appétit du lucre, d’agressivité, d’arrogance, d’intolérance et de machisme ?

   Si d’un clic gauche sur la souris on insérait dans l’esprit de l’homme la réflexion logique, l’écoute, la proposition, le discernement et la pensée constructive ?

   Si l’on insérait dans l’esprit de l’homme que bien des politiciens et décideurs en tout genre ne font carrière que pour leurs intérêts personnels et se moquent éperdument de leurs concitoyens, leurs collaborateurs et leurs subordonnés ?

   Si l’on insérait dans l’esprit de l’homme qu’uniquement l’orgueil, le mensonge, le faux-semblant, la combine, la manigance et l’argent régissent le monde ?

   Si l’on insérait dans l’esprit de l’homme que lui-même se trompe de combat, que sous un matraquage médiatique trop souvent diversif il chemine à côté de la raison ?

   Si d’un clic gauche sur la souris on insérait dans l’esprit de l’homme qu’il est des révoltes prioritaires et que s’il est bon de gueuler le pavé c’est au son du poing levé et non de l’accordéon ?

   Si l’on insérait dans l’esprit de l’homme que l’heure n’est plus à obéir et se taire, que l’on nous ôte, avec parcimonie, les bienfaits et les vertus de nos révolutions passées ?

   Si l’on insérait dans l’esprit de l’homme que le nouveau drapeau est d’un rouge uni ?

  Si l’on insérait dans l’esprit de l’homme le retour à la raison, la combativité positive, la lutte pour le respect mutuel, l’union et la manière dont on use de la pierre à aiguiser la faux avec amour…

  alors, je vénérerais la souris !

  alors, clic gauche / clic droit, demain serait heureux !


34.  – Un poème de comptoir

 

Garçon, un poème je vous prie !

des vers sans sauce ni Chantilly,

juste quelques rimes natures ;

une belle idée sans fioriture !

 

un thème fleuri s’il vous plait,

ni lourd, ni couru, ni  surfait ;

une musique de printemps…

mais sans soleil éblouissant !

 

qu’on puisse aussi tergiverser

au second ou troisième degré…

avec une dose d’humour,

et quelque chose un brin glamour !

 

qu’il parle de vigne, de fille légère,

de paysan et de sorcière,

ou de bon grain ou bien d’ivraie

peu importe, mais qu’il soit vrai !

 

et puis, veillez aussi garçon

à ce qu’il y ait la ponctuation,

ce qu’hélas trouvent subalterne

la plupart des poètes modernes !

 

des quatrains sans prise de tête ;

un peu de poudre d’escampette

qui m’entraîne au travers des nues

hors mascarade et hors chahut !

 

qu’on y voit le coquelicot

danser sous un vent in-folio,

et qu’en la trame à l’encre noire

il y ait à manger et à boire !

 

garçon, un poème je vous prie,

sans prétention mais fort joli !

un cru classé en quelque sorte

qui vienne des tripes et de l’aorte !

 

et que l’auteur soit généreux,

dans sa cuisine, un cordon bleu !

et que l’auteur soit expressif,

qu’il choisisse à point l’adjectif !

 

____

 

Très bien, Monsieur, j’ai ce qu’il faut.

Jamais primé au Renaudot

bien que Poète de haut-goût,

un vrai délice, un vrai bijou,

 

Monsieur,

Je vous apporte un « Garrigou » !