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La princesse éreintée

Enfin seuls, ma princesse, le jour s’achève, alors

laisse un peu ta fatigue et tes maux dormir dehors ;

j’ai verrouillé la porte, et les doux camaïeux

de l’amour absolu et des lueurs du feu

depuis le crépuscule ont parfait le décor.

 

Qu’elle fut longue ta journée, qu’elle fut harassante,

que tes pieds sont meurtris, que ta bouche est croquante…

je rajoute du bois, glisse sur mon épaule,

conte-moi tes désirs, tes envies les plus folles,

redis-moi ces histoires d’étoiles filantes,

 

conte-moi ce qui passe, ce qui court, ce qui vole,

et tout ce que tu aimes et tout ce qui est drôle,

ce que tu voudrais qu’il nous advienne demain…

glisse sur mon épaule et donne-moi la main,

voici qu’en la pénombre nos lèvres se frôlent.

 

Dehors il n’est plus de bruit, tes maux s’en sont allés,

enfin seuls sous les musiques de la cheminée

tu souris ma princesse, la faiblesse te quitte,

écoute les mots doux de mon corps qui t’invite

à te serrer plus fort, à te laisser aller

 

contre lui, sommeiller, changer d’air, évoquer

les cieux multicolores de la liberté,

la vie qui fleurira de nos profonds labours,

cette sérénité qui sera nôtre un jour

et ces lieux enjoués où nous pourrons guincher !

 

La lune vient tout juste, déjà tes yeux se closent,

tu es sublime comme le sont les boutons de rose…

qu’elle fut longue ta journée, qu’elle fut harassante,

que tes pieds sont meurtris, que ta bouche est croquante…

est-il encore trop tard pour changer les choses ?

 

Je m’agrippe à ton souffle, à ce vent bienheureux,

au doux chant de la chouette des couvre-feux ;

certes à l’aube tes maux toqueront à la porte,

certes à l’aube tu t’en iras beaucoup plus forte,

certes nous ne sommes guère dans le giron de Dieu…

 

certes nous ne sommes guère dans le giron de Dieu !

Ni vigneron ni força

Je ne sais si cette année les souches ont la rondeur

des femmes en délicatesse de huit mois ;

des ventres lisses et ronds chantant dans leur chaleur

les trésors de la vie, de leur plus douce voix…

 

je ne sais si le vent marin boit aux rameaux

ni si le soleil coule sur le pourpre des grains,

si les cigales solfient dans leurs soirs rougeauds,

si d’autres abreuveront de moût leurs fols quatrains…

 

je ne peux faire de pronostic de vendange,

vous dire si le cru va tenir ses promesses,

si les cueilleurs bûcheront les pieds dans la fange

ou si fuseront dans l’azur des traits de liesse…

 

vous dire si ailleurs les machines sont prêtes

à enjamber les ceps et avaler l’offrande,

comme le font, au ruisseau sacré, les poètes,

et la tramontane vorace sur la brande…

 

je ne sais si la musique des barriques qu’on roule,

ou l’alcool des anges sous les voutes des caves,

ou les senteurs ferrées des outils qu’on émoule

rempliront l’âme de mes frères les plus braves…

 

je ne sais à quelle sauce cuira la saison,

si les foudres cuveront un automne charnel,

s’il fera bon, ensuite, sous les coups de tisons,

et ce que chanteront les futurs ménestrels…

 

je ne sais

 

car mon corps s’est éteint juste avant la récolte,

roulé par les déferlantes de temps ingrats ;

et je suis là, couché face aux vieilles archivoltes,

sur un drap à longs pans et sous un ciel extra…

 

je suis là, rouge encore, comme ceux des révoltes !

je suis là, raide et blanc, comme ceux du trépas !

je suis là, au milieu d’amours qui virevoltent ;

je ne suis plus rien, ni vigneron ni força !

Mon Pierre, as-tu trouvé la paix ?

Depuis que tu es parti, mon Pierre, en ces prairies

où tu voyais la paix fleurir sous chaque pas,

je n’ai pas pu prendre une seconde pour toi ;

pardonne-moi, tu sais la course de la vie !

 

As-tu fait bon voyage par les strates célestes…

ne t’es-tu pas perdu par ces voies encombrées…

as-tu trouvé l’endroit, la porte dérobée…

t’es-tu abonné à quelque autre palimpseste ?

 

Dis-moi, mon Pierre, dis, au creux de mon oreille,

est-ce conforme au moins à ce que tu espérais…

as-tu vu la Famille Divine… et Beaumarchais…

et les meubles sentent-ils la cire d’abeille ?

 

Nous avons tant et tant de fois, devant un verre,

croqué la philo et les olives ici-bas,

imaginé les nues remplies de nymphéas,

de vignes à longs doigts, de plantes fourragères

 

enguirlandées de pourpre et de jaune et de bleu…

et combattu l’absurde à coup de mots choisis,

et fait coulisser les verrous du Paradis ;

tu me manques, mon Pierre, sous mon ciel ténébreux !

 

Parfois, l’arc en ciel enjambe le Lauraguais

et les tuiles d’Alzonne scintillent sous la rosée ;

le soir, quand tous les autres sont devant la télé

le cul bien enfoncé et les neurones en biais,

 

je pense à toi, mon Pierre, et j’envie le grand jour

où devant un rosé, des olives à la main

 nous trinquerons encore à d’autres lendemains,

nous foutant pas mal du cours du topinambour !

 

Entité en goguette, si tu passes par-là

viens me joindre à la fête, je n’attends plus que ça !

pardonne-moi, tu sais la course de la vie,

je dois te laisser les emmerdes cognent à l’huis !

Au cimetière

L’un était curé, l’autre était viticulteur,

l’autre était ébéniste et l’autre instituteur…

plus loin un « Mr le Comte »… bien des gens disparates ;

mélange d’os de bougnats et d’aristocrates !

 

Puis, régulièrement, posant sur des photos,

des anciens moustachus de la Ligne Maginot…

et gravé à la pointe sur de froids marbres gris,

cette glorieuse inscription : « Mort pour la Patrie ».

 

Partout des chrysanthèmes et des pensées de soie,

des colombes qui roucoulent, et des signes de croix

qui filent à la hâte de visages éteints ;

un pré de croix par un mur de cyprès enceint.

 

Quelques petites vieilles, qui demeurent encore,

l’arrosoir à la main dès que pointe l’aurore,

charriant l’eau, deux glaïeuls, la canne brinquebalant

et pensant à leur proche futur grimaçant…

 

plus loin un mitron, un commerçant, un pompier,

tous face à face de chaque côté de l‘allée,

séparés par un long drap de gravillons blancs,

les uns bien costumés, les autres en balandran…

 

d’autres femmes évoquant le vieux temps à voix basse,

– tant de souvenirs que volontiers on embrasse  –

le portail qui crisse à chaque allée et venue

séparant le monde décadent du déchu…

 

de jeunes anges se coursant à tire-d’aile

entre le nid des bleus et ceux des Dardanelles,

et dans le ciel, là-haut, un splendide soleil…

et dans la terre, en bas, un splendide sommeil.

L’églantine

J’aurais pu trembler quand ses mots ont ensemencé

mon ciel ;

J’aurais pu trembler quand de ses doigts elle a couvert

mes doigts ;

J’aurais pu trembler quand ses lèvres ont déposé sur mes lèvres

la paix ;

J’aurais pu trembler quand le murmure de ses râles a étreint

ma raison ;

J’aurais pu trembler quand sa bouche a muselé

mes sens ;

J’aurais pu trembler quand sa jambe a coiffé

ma jambe ;

J’aurais pu trembler quand elle a clos ses yeux sur

mes désirs ;

J’aurais pu trembler quand ses désirs ont perforé

l’instant ;

J’aurais pu trembler quand l’instant fut mûr

à point ;

J’aurais pu trembler quand son allant a pris

ma peau,

J’aurais pu trembler quand mes mains ont sculpté

son corps ;

J’aurais pu trembler quand mon agonie a perlé sur

son cou ;

J’aurais pu trembler quand m’ont étreint

ses silences ;

J’aurais pu trembler quand mes doigts ont dansé sous

sa robe ;

J’aurais pu trembler quand l’éther a ouvert

ses grilles ;

j’aurais pu trembler quand ses alcools se sont

épanchés ;

 

j’aurais pu trembler mais le diable n’attendait que ça.

 

En effleurant ses pétales je tremblerai déjà

lorsque l’églantine éclora pour la seconde fois.

Alphabet d’une perturbation

Un, le bruit de la ville avalant goulument le hoquet des pigeons,

deux, les ballets de la pluie sur l’élasticité d’un extérieur fuligineux,

trois, le calme apparent d’un intérieur tranquille,

quatre, un chat lové dans un panier de château,

cinq, le vent jouant au cerceau dans les coursives…

et Nina, des arômes d’été sur des coussins d’automne.

 

Six, un paradis artificiel où domine le noir,

sept, un rai de soleil sur un faisceau de jour,

huit, la peau à nu du temps qui stoppe là sa course,

neuf, un univers tout neuf vernit l’immobilisme,

dix, la sueur coule sur les doigts longs de l’orage…

et Nina, des arômes d’été sur des coussins d’automne.

 

Onze, douze, treize et quatorze, la furie de la conjonction,

quinze, seize et dix-sept, le chant pantelant de l’orage qui s’exile,

dix-huit, les larmes de foudre à livre ouvert,

dix-neuf, je lis,

vingt, je pleure…

et Nina, des arômes d’été sur des coussins d’automne.

 

Vingt-et-un, le soleil lèche à nouveau les barreaux de la balustrade,

vingt-deux, la vie tape à la vitre, je n’ouvre pas,

vingt-trois, sur le livre ouvert perle un sanglot perdu,

vingt-quatre, le monde nouveau m’embrasse et disparaît,

vingt-cinq, Nina, mon rêve, court parmi les nuages…

vingt-six, l’hiver se love sur des coussins de deuil.

 

Ange inconnu

Si mon vieil ange gardien veille

à ce qu’il ne m’arrive malheur,

quel est donc cet ange qui veille

à ce qu’il m’arrive bonheur ?

 

Pour le peu que je lui quémande,

cet oiseau de Dieu fait le sourd !

comme s’il n’était de la bande,

s’il n’avait pour moi quelque amour !

 

Qu’ai-je donc fait pour lui déplaire ?

Que n’ai-je fait qu’il eut fallu

pour combler son âme princière ?

« Maître Bonheur » a disparu !

 

Alors je vais à cloche-pied

entre “pas question“ et “peut-être“

et je le hèle à satiété

à travers portes et fenêtres…

 

mais l’écho de ma voix se perd

dans les couloirs de l’infini ;

un peu comme si Lucifer

m’avait volé la clé de vie !

 

Moi qui pensais qu’un séraphin

m’avait entré dans son vivier !

sonnez, sonnez tristes buccins,

je suis un être abandonné !

 

Vous qui peut-être êtes intimes

avec l’un de ces chérubins,

sauriez-vous donc, du clarissime,

tirer quel est le nom du mien…

 

de sorte qu’en trois exemplaires,

datés, signés et tamponnés,

sous quelque forme littéraire

je lui explique mes volontés ?

 

Jadis on parlait d’homme à homme

à Dieu, entre hommes ou aux saints ;

depuis la crise du pétrole,

il est bien vrai que la parole

ne vaut plus qu’un pet de lapin !