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Jouissances de rue

En ce vide-greniers on y vendait des âmes,

des pièces de cinq francs et des bonnets de nuit ;

une table était recouverte de bonnets d’âne,

et l’on pouvait acheter des corps alanguis ;

une brouette de chaussures attendait des pieds,

trois paires de gants de laine attendaient l’hiver,

un chien bleu à roulettes de se faire adopter,

un chat maigre y faisait les cent pas à l’envers ;

des fantômes, sur des cintres, se balançaient au vent,

on y trouvait les chaînes d’un château hanté,

les songes érotiques d’une fille de couvent

et quatre paires de skis en pâte à modeler ;

en ce vide-greniers se côtoyaient le fol,

l’original, l’absurde, le malheur et l’espoir,

de vieilles cages pleines de vieux rossignols,

d’autres plus grandes où chantaient les lueurs d’un soir ;

une remorque débordait de rêves chimériques,

une soutane était en vente quelques sous,

des souris blanches à cheval sur de lourdes barriques

vendaient des fromages à attraper les matous ;

on pouvait se procurer un tracteur bleu marine

à labourer les crânes des malades mentaux,

des pelles et des fourches à trancher la margarine,

une clé des champs et des bouteilles à échos,

un fauteuil de dentiste en papier crépon rouge

et la roulette en or qui fait tourner le monde,

pour la plage arrière l’un de ces lévriers qui bouge

les cils, le popotin et sa tignasse blonde ;

les étals étaient achalandés comme jamais,

les vendeurs se vendaient comme des bouchées de pain,

des bouquets de fleurs achetaient des sacs d’engrais,

des chinois s’arrachaient des boîtes de baisemains ;

des escargots s’emportaient de l’anti-limace

et l’on vendait du souffre à des enfants souffrants,

on y trouvait des comètes et des morceaux d’espace

mais c’était beaucoup trop cher pour des paysans

qui préféraient acheter des rires en rubans

et des cornes de cheveux noirs pour leurs vieux jours ;

posés à même les planches vertes d’un banc

grouillaient derrière un grillage des calembours ;

des recueils de poèmes à écrire trônaient

au milieu de bouquins d’histoires à inventer,

un extraterrestre lisait un livre de français,

une vieille pleurait des perles à enfiler ;

une femme, sur une porte, avait suspendu

des doigts de sorcières montés en portemanteaux…

le vide-greniers se tortillait dans la rue

comme la chenille des enfants sous le préau.

Mon sac rempli de poudre aux yeux je m’en allais

laissant derrière moi l’ultime déglutition,

la danse revigorante des bruyères à balais,

et mes frères à leurs dernières fornications !

Le mémorialiste

Ils étaient treize à table et la soupe fumante

embuait les yeux noirs du vigneron heureux.

Des planches sur des tréteaux, une nappe amarante

comme le jus des raisins charnus et soyeux

qui cranaient au soleil, par-dessus les ridelles…

puis le sourire à l’âme, le sourcil perspicace

des braves vendangeurs aux ceintures de ficèle

qui trempaient dans leur soupe de gros bouts de fougasse.

 

Ils étaient treize à table, les cieux étaient limpides,

si limpides qu’on pouvait y voir Dieu satisfait

d’une pareille récolte sur ses terres arides

et des tonneaux qui boudineraient dans le chai ;

et pêle-mêle, dans l’herbe, la fatigue et les seaux,

les sécateurs et la hotte un instant à l’écart,

la bonbonne de moût et les bouteilles d’eau,

les ponchos, les bonnets, les musettes, les foulards.

 

Ils étaient treize à table et le pâté maison

côtoyait le civet et les haricots blancs,

les fromages, le pain noir et le saucisson

sur la nappe amarante au giron bon enfant ;

et bon enfant le vent qui caressait la table,

les souches et le coteau, la remorque croulante,

l’amitié de ces gens, toujours infatigable,

blanche comme l’aube des anciennes communiantes.

 

Ils étaient treize à table et je n’en voyais qu’un ;

tant ils étaient unis un seul corps s’avérait !

un unique regard, un sublime parfum,

un présent éternel plus qu’un plus-que-parfait !

Ils étaient treize à table, nul ne l’avait remarqué,

pourtant, chez ces gens-là empreints de dévotion

on signe toujours le pain avant de le briser

et le Vendredi Saint fait frire ses poissons !

 

Ils étaient treize à table et Dieu se délectait,

tout comme moi d’ailleurs, de ce tendre tableau.

Sur la rive les rosiers des chiens s’embranchaient

et les rouges-queues promenaient leur pinceau.

Cette année-là septembre se voulait obligeant

tant pour les gens de vigne que les mémorialistes,

alors je pris pour plume le plus fin des sarments

et mit une virgule sur chaque fleur de ciste.

Le Poète d’en bas

C’est moi, le Poète d’en bas,

celui qui parle des garrigues,

de la vigne dans tous ses émois,

des perdrix grises et du bec-figue ;

du drapeau rouge de l’ouvrier,

de Jaurès et de Marcelin,

du bleu de la méditerranée,

des tuiles ocre du patelin !

 

C’est moi, le Poète d’en bas,

jamais je n’évoque le crime

et rarement les scélérats

qui nous gouvernent à la cime ;

je parle bien peu des bourgeois,

et les aristos ne s’invitent

dans mes rimes où les Albigeois

avec les bûchers cohabitent !

 

C’est moi, le Poète d’en bas,

celui qui peint la vendangeuse

non pas avec des bas de soie

et la quincaillerie des précieuses,

mais sans fard et sans maquillage,

des bottes vertes au genou,

pigmentant notre paysage

de ce que la vie a de plus doux !

 

C’est moi, le poète d’en bas,

celui du cassoulet qui cloque

entre un grand cru du Minervois

et deux vers d’une verte époque…

celui qui a connu Alaric,

les chevaliers de Carcassonne,

Hugo, Delteil et Copernic,

et bu le muscat aux bonbonnes !

 

C’est moi, le poète d’en bas,

je ne versifie pas la guerre,

la peste ni le choléra,

ni toutes folies passagères,

mais j’aime faire chanter l’amour

l’après-midi, à tire d’aile,

et jeter des fleurs alentour

des couches de femmes infidèles !

 

C’est moi, le Poète d’en bas,

celui que les médias s’arrache…

raient s’ils voulaient faire un pas,

voir ce qu’il y a sous ma moustache,

voir ce qu’il est de notre temps

sous une plume réaliste

où la métaphore, en coulant,

se veut moins acerbe qu’altruiste !

 

Alors je viens à vous Madame,

ouvrez-moi la porte des cieux,

parlez donc de moi à Paname,

et précisez à ces Messieurs

que si c’est la croix occitane

qui embue encore leurs yeux…

un bouquet de thym en tisane

est apaisant et délicieux ;

 

Nuit de veille

Dans une maison paysanne

où je prenais hier la tisane

entre la Beauce et le Berry,

on veillait une vielle femme ;

bien sûr on priait pour son âme,

 et pour la nôtre, certes, aussi !

 

Elle, raide comme le tisonnier,

semblait encore se régaler

des histoires de ceux d’ici,

et la famille, fort éprouvée,

avait sorti pour la veiller

quelques gâteaux et l’eau de vie…

 

car de la Beauce au Berry,

de Gallardon à Saint-Aigny,

des champs d’orge aux étangs de Brenne

on ne veille les morts à demi ;

on vient ici passer la nuit,

partager le pain et la peine !

 

Elle, blanche comme son drap de toile,

courait le chemin des étoiles

sous la fumée grise des bougies ;

puis les commères ôtèrent leur châle

sous les crépitements du poêle

et les lampées de riquiqui.

 

L’ombre vacillante des chandelles

en bouquets de blé et de prêle

dansait sur des murs sans couleur ;

parfois une brève étincelle

sautait d’un œil, d’une mamelle,

d’un souvenir haut en couleur.

 

Des confessions de fenaison,

de fêtes, de mauvaises saisons,

et puis d’amours illégitimes…

toujours le même feuilleton,

comme qui dirait « la tradition »…

on chante les mêmes comptines !

 

La morte semblait en rire aussi,

elle avait veillé tant d’amis

qu’elle connaissait bien ces soirées !

elle aimait que les copines rient,

ensemble elles avaient fait leur vie !

et là-haut c’est triste à pleurer.

 

Ensuite, d’un pas de déterré,

sur les tommettes on vit passer

un mulot gras comme un cochon…

et comme dans un ciel d’été

une comète vint raser

de ses cheveux verts le plafond.

 

Chacun allait d’une anecdote

sur la défunte, et la parlote

à tous donna soif et grand faim ;

alors ils sortirent la cocotte

et la farcirent d’une popote

qui mit des parfums au chagrin.

 

Le soleil retrouvait Paname

qu’on vantait encore son âme

et l’alouette de Pithiviers…

il n’y avait plus guère de flamme

aux bougies ni aux yeux des femmes,

le rata était terminé.

 

Le pâté de Chartres était loin,

Sancerre n’avait plus de vin,

la morte était couleur de blé ;

on rangea les chaises dans un coin,

et comme venait le matin

on s’embrassa main dans la main ;

 

la larme à l’œil on prit congé.

Le vent n’est jamais bleu, le vent n’est jamais rose

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

 

En ce temps-là sous le café

était la télé communale ;

je ne veux pas rouvrir la malle

remplie d’étoiles surannées,

 

ni rouvrir mon âme aux regrets,

ni choisir entre deux époques,

ou deux amours, ou deux bicoques…

de tout il faut s’accommoder…

 

mais puisque deux bribes me reviennent

laissez-moi vous conter la chose ;

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

revenons aux choses anciennes.

 

Le conseil avait installé

la télé sur une étagère

fixée entre deux murs de pierres

et les vivats de l’assemblée ;

 

nous étions soixante au village,

et sur les deux rangées de banc

nous étions là soixante enfants

à boire les mêmes images !

 

Je revois encore, bouche bée,

des papillons dans le regard,

ces ménines 1 et ces vieux brisquards

que la vie avait martelés…

 

je les revois rire de bon cœur

en se trémoussant sur les planches

et se frottant le nez des manches,

unis en un simple bonheur…

 

 je les entends pester parfois,

je les revois lever le poing,

réagir à brûle-pourpoint

contre les menteurs de l’Etat…

 

je les revois encore au débat

suivant « Les Dossiers de l’écran 2 »

pesant la grive et l’ortolan

le plus naïvement qu’il soit !

 

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

 

Je me souviens des « Raisins verts »,

de « La Caméra invisible »…

des sautes d’humeur du fusible,

des fichus de la vieille Esther…

 

du « Palmarès de la Chanson 4 »,

comme de « Chef-d’œuvre en péril 5 »,

des réparties du brave Emile

et des rires fous de Gaston…

 

Je revois « La Piste aux Etoiles 3 »,

et les adieux de Jacques Brel 6 »…

la télé sur le maître-autel

et les fidèles autour du poêle…

 

je me souviens d’ « Au Théâtre ce soir 6 »…

du tintement des derniers verres,

des bises sous le réverbère,

des pas repartant dans le noir.

 

Puisque deux bribes me reviennent

laissez-moi vous conter la chose ;

le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

on se perd dans les choses anciennes !

 

L’Emile acheta la télé

et ne revint plus à la salle ;

bientôt on ne vit plus ses châles,

Esther acheta la télé…

 

puis comme un virus qui se donne

par le désir ou la fierté

d’autres achetèrent la télé…

l’un au printemps, Gaston en automne…

 

une poignée encore pour Noël…

peu à peu la salle se vida.

La télé ? On la débrancha.

Ce jour-là on perdit le ciel !

 

Le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…

mais je vous ai conté ces choses…

bien qu’elles n’aient rien d’exceptionnel !

 

1: ménine : de l’occitan menina (grand-mère)
2 : Emissions TV 1967 
3 : Emissions TV 1964 
4 : Emissions TV 1965
5 : Emissions TV 1962 
6 : Concert J.Brel 1966 / Emissions TV 1966

 

A vous quatre

Peu importe qu’un jour le thym ne fleurisse plus ;

pour qui exhale-t-il encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour proche le soleil implose ;

pour qui s’entête-t-il encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour le ruisseau soit à sec ;

pour qui serpente-t-il encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour les cigales se taisent ;

pour qui craquètent-elles encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour les gratte-culs s’étiolent ;

pour qui mûrissent-ils encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour l’école ferme ses portes ;

pour qui le poêle fume-t-il encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour brûlent les cahiers de morale ;

pour qui la déférence subsiste-t-elle encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour se fanent les drapeaux rouges ;

pour qui la lutte est-elle le point du jour encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour gauche et droite se perdent ;

pour qui les idées usées prônent-elles encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour la petite église s’effondre ;

pour qui doit-elle demeurer debout encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour nous ayons cru à Dieu ;

pour qui sa main sera-t-elle salvatrice encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour on nous donna le message ;

pour qui a-t-il l’odeur de la justesse encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour la camarde nous alpague ;

pour qui la fin est-elle une idée noire encore

sinon les gens de vignes, les poètes, les grillons ?

 

Peu importe qu’un jour je ne cuisine plus

ces tendres allégories que je cueille dans les nues ;

pour qui donc mes images clopinent-elles encore

sinon les gens de vignes, vous quatre, et les grillons ?

 

Moment de pause

Nous sommes sur le seuil de la cave, pensifs,

comme nos songeries la pluie vient de travers

et l’on suit du regard les fleurs de courant d’air,

les voiles d’eau hâtifs et les gouttes de suif…

 

nous pensons en silence aux choses essentielles,

à ces simplicités, qui, misent bout à bout,

font que finalement la journée tient debout

et font que malgré tout les saisons s’entremêlent !

 

Pas de violence dans le geste ni le verbe,

pas de violence dans la terre de chez nous ;

nous vivons à l’écart des sirènes et des fous,

nos musiques naissent du soleil et de l’herbe…

 

nous suivons la charrue d’un œil, tandis que l’autre

caresse la chair brune de la terre tranchée

et nous savons déjà, à l’entendre chanter,

que sera la récolte de raisin ou d’épeautre !

 

chaque jour c’est le dos du calcaire qu’on tisonne ;

admirez le sillon et sentez sa sueur…

la terre est bonne quand on l’ouvre avec le cœur !

sous l’aria du soc terre et laboureur fusionnent !

 

La pluie vient de travers, nous prenons un instant

pour voir tomber la vie en rayures obliques ;

nos fleurs du quotidien, simples et magnifiques,

courbent à présent l’échine sous les baffes du temps ;

 

tant ces lignes de fuite sont drues et aiguisées,

même les chiens mouillés cherchent un toit de fortune !

le temps de lire les gros titres à la une

et de lever les yeux la pluie s’est éloignée.

 

Nous quittons le seuil de notre cave repris

par ces tâches que nous ne finirons jamais ;

sur les tuiles, à nouveau le soleil vient glisser ;

le temps pour nous d’enfiler les bottes, c’est parti ;

 

nous devons cultiver les bienfaits de la vie !

L’homme nu

I

  

La pleine lune avait, déjà plus de cent fois,

du jeu perpétuel dont l’astre blond jouit,

à savoir se vêtir d’un apparat de soie

où de brumes rosées broder son fol esprit,

 

tiré l’épingle au gré des voluptés cosmiques

de la nuit qui s’égrène le long des sons glaireux,

archanges de mots doux, ronflements syllabiques,

pure fantasmagorie de tous gens orgueilleux !

 

Tel ce Dieu accoudé au balcon de l’Olympe

j’humais dans l’air du soir quelque éclat de bonté ;

philosophant au fil des valeurs les plus simples,

mon âme se gorgeait de vertus vanillées…

 

la fleur de bruyère ne convient pas au lieu ;

trop aride ; si beau sans le moindre artifice,

qu’au temps des folles amours j’y attèle mes vœux

et tire en sifflotant la houe de mes caprices…

 

le roulis des cyprès, étiolés à la taille,

dans l’azur pigmenté de papillons nacrés,

pareil aux filles des bals de la fin des semailles,

caressait sous les cieux un quatre temps parfait…

 

une onde claire allait, sans se presser vraiment,

léchant les rocs moussus d’une arrière-saison,

clapotant par ici, par-là se lamentant,

errant par habitude, sans but et sans raison…

 

afin qu’entre les plis de leur ventre adipeux

ne s’égarent en chemin les messagers d’Eole,

les candélabres, jaunis par la fumée des vieux,

accrochaient dans la plaine leurs mornes girandoles…

 

l’aurore était honnête et respectait les lois,

la logique sacrée, la gouverne des temps ;

le souffle d’Artémis, sur mon chemin de croix,

vint comme une promesse… et fût envoûtement !

 

la grive, si criarde, en son lit de feuillage

susurrait en silence, par ses vols éreintée,

les abeilles et les baies de ses papillotages ;

oiselle, mon amie, que demain te soit gai !

 

de ma blague polie au velours côtelé

d’un fond de poche usé par des ongles trop lourds,

quelques brins de tabac, à trois herbes mêlés,

sautaient en persillant, ô fieu, les alentours…

 

d’entre mes doigts brunâtres au travers de ma lippe,

d’un geste familier, d’un plaisir méthodique,

fidèle au règlement des étranges principes,

je bordais, là, ma nuit, d’un drapé féerique !

 

Apollon, par mégarde, me pensant assoupi

ou sur l’heure asservi à l’emprise des sens,

saupoudra les volutes de mes rêveries

de perles de folie et de poudre d’encens.

 

 II

 

 Au nirvana bleuté de l’extase empirique,

fidèle au souvenir des voyages d’antan,

lorsque la brume ôtait ses voiles impudiques

ma couche s’entrouvrait sur des lieux bienfaisants…

 

alors, l’esprit vidé d’encombre matérielle

j’atteignais l’océan de la sérénité ;

pendant que tremblements, sueurs et ribambelles

empoignaient ma tête et faisaient tout sauter

 

mon âme, elle, dansait au pays des sorcières

dont elle perçait la nuit de rires pénétrants ;

 apparaissaient alors aux reflets des cuillères,

Baudelaire et Gautier et l’hôtel Pimodan,

 

la confiture verdâtre des jeunes initiés,

les moqueries d’anciens, les réunions secrètes ;

les coches de l’île saint Louis, les délires programmés

mêlaient dans l’air ambiant, les Dieux, les hommes aux bêtes !

 

bien sûr, je n’étais rien qu’un corps dans la garrigue,

avachi en bordure des rives de l’enfer…

du « Paradis » dirait le père de Rodrigue !

ô Corneille, l’ami, pardonnes mes éthers…

 

quand tout tourne, sais-tu, de Ronsard et sa rose,

des orphelins de Rimbaud au triste hiver d’Eluard,

le passage clandestin des rimes à la prose

fiance les tragédies au roman de Renart !

 

chacun n’est que lui-même ! à quoi bon se mentir ?

Soi, en fait, est tout autre… et c’est Dieu que voici !

au balcon de l’Olympe Dieu SOI se fait plaisir

et nos corps dénudés redeviennent fourbis !

 

bientôt, d’ici, naîtra un monde unique et rond,

incontestablement j’en serai le maître !

les Dieux, au pinacle, unis me porteront !

qui pourrait sous vos cieux dire qu’il s’est vu renaître ?

 

ô nuages enfuis, ô lune galopante…

qu’il est doux, aujourd’hui, ce semblant de retour !

ô pays de l’absinthe, ô prairies d’acanthes,

ô pétales de rimes, ô couleurs de l’amour !

 

Apollon, par mégarde, me pensant assoupi

où sur l’heure asservi aux effets de la drogue,

saupoudra les volutes de mes rêveries

de poudre de folie et pensés interlopes.

  

III

  

Sur le char d’Apollon, Phaéton, les larmes aux yeux,

ordonnait aux chevaux de calmer leur ardeur,

car où Phaéton passait, tout n’était plus que feu ;

 vint le bruit du tonnerre, puis le calme enchanteur…

 

l’ondine, si tranquille, qui courait à mes pieds,

se fendit par là même où les ajoncs, tantôt,

jouant aux clapotis comme des gosses désœuvrés

riaient en aspergeant leurs superbes manteaux…

 

quand un chant mélodieux, entrecoupé de voix,

me parvint du ruisseau en un halo doré,

trois créatures de chair, vêtues de draps de soie,

dessinaient le profil d’une étrange destinée…

 

les nymphes allaient souffler une chaleur intense,

un bonheur sans pareil, une ivresse lucide ;

comme bouquet final de mes dernières transes,

je régnais désormais sur les terres d’Euripide !

  

IV

 

Bien sûr, la lune avait, une nouvelle fois,

du jeu perpétuel dont l’astre blond jouit,

à savoir se vêtir d’un apparat de soie

ou de brumes rosées troubler mon fol esprit,

 

tiré l’épingle au gré des volontés humaines,

rassasié l’un des siens, réconforté un brin !

 

A chacun son histoire, à tous la même peine

à tous le même but… à chacun ses chemins.

Ni vigneron ni força

Je ne sais si cette année les souches ont la rondeur

des femmes en délicatesse de huit mois ;

des ventres lisses et ronds chantant dans leur chaleur

les trésors de la vie, de leur plus douce voix…

 

je ne sais si le vent marin boit aux rameaux

ni si le soleil coule sur le pourpre des grains,

si les cigales solfient dans leurs soirs rougeauds,

si d’autres abreuveront de moût leurs fols quatrains…

 

je ne peux faire de pronostic de vendange,

vous dire si le cru va tenir ses promesses,

si les cueilleurs bûcheront les pieds dans la fange

ou si fuseront dans l’azur des traits de liesse…

 

vous dire si ailleurs les machines sont prêtes

à enjamber les ceps et avaler l’offrande,

comme le font, au ruisseau sacré, les poètes,

et la tramontane vorace sur la brande…

 

je ne sais si la musique des barriques qu’on roule,

ou l’alcool des anges sous les voutes des caves,

ou les senteurs ferrées des outils qu’on émoule

rempliront l’âme de mes frères les plus braves…

 

je ne sais à quelle sauce cuira la saison,

si les foudres cuveront un automne charnel,

s’il fera bon, ensuite, sous les coups de tisons,

et ce que chanteront les futurs ménestrels…

 

je ne sais

 

car mon corps s’est éteint juste avant la récolte,

roulé par les déferlantes de temps ingrats ;

et je suis là, couché face aux vieilles archivoltes,

sur un drap à longs pans et sous un ciel extra…

 

je suis là, rouge encore, comme ceux des révoltes !

je suis là, raide et blanc, comme ceux du trépas !

je suis là, au milieu d’amours qui virevoltent ;

je ne suis plus rien, ni vigneron ni força !

Le doute affreux

Nitrates, paracétamols,

perturbateurs endocriniens,

pesticides, séléniums,

bactéries, radioactivité…

 

chéri, prenez un verre d’eau du robinet !

 

bactérie Eschérichia coli,

antibiotiques, salmonelles,

dioxines, activateurs de croissance,

biocides, métaux lourds…

 

chéri, laissez-vous tenter par un succulent steak haché !

 

fongicides, herbicides,

nématicides, insecticides,

désherbants, phosphates,

xénobiotiques, tensioactifs…

 

chéri, consommez-vous vos cinq fruits et légumes au quotidien ?

 

méthylmercure, dioxine,

polychlorobiphényles,

cadmium, plomb,

arsenic, organo-étains…

 

Chéri, que diriez-vous d’un poisson pour varier le menu ?

 

particules, ozone,

oxydes d’azote,

dioxine de soufre,

ammoniac, benzène…

 

chéri, prenez donc un grand bol d’air frais !

 

Syphilis, condylome,

blennorragies, Chlamydia trachomatis,

mycoses, herpès, sida,

lymphogranulomatose vénérienne rectale…

 

chéri, le sexe est excellent pour le moral !

 

Voyez-vous, amis, parfois je me demande si l’amour que me voue cette femme est des plus sincère…