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Joseph

Tu es parti avant que je ne vois le jour,

parti, Joseph, en un roulement de tambour,

parti vers des cimes où la guerre a cessé,

où le canon fait place à la fraternité ;

parti, Joseph, en ayant laissé tes empreintes

au pays de la carthagène, du térébinthe,

la patrie du perdreau, des souches de grenache

et des copains arborant la fine moustache !

 

Je te connais à travers la photo logée

entre deux obus sur le toit du vieux buffet,

derrière ton ciel de verre aux doux reflets bleuâtres

d’où tu n’as pas bougé depuis cinquante-quatre ;

je te connais à travers les dires de papa ;

j’aurais aimé t’embrasser au moins une fois,

et tu m’aurais conté, assis sur tes genoux,

les oiseaux de Verdun dans leurs chants les plus fous !

 

La guerre finie tu m’aurais conté la vigne,

les saisons de bombance et les années de guigne,

conté le vin sucré emplissant tes barriques,

et les « vendus » à la tête de la République ;

et puis, l’accordéon remplaçant la mitraille,

tu m’aurais conté le jour de vos épousailles,

où Anna, le voile piqué de roses blanches,

dansait fièrement tes mains posées sur ses hanches !

 

Que dirais-tu, Joseph, en voyant la marmaille

passer sans regarder le cadre où tes médailles

rappellent qu’il fut un temps où l’on parlait du front

la terreur au ventre et la sueur au menton ?

Que penserais-tu des automnes sans vendangeurs,

des cheminées sans bois et des hommes sans cœur,

des chaises de paille qu’on a toutes brûlées

pour ne plus avoir à faire le soir la veillée ?

 

Allez pépé, je te laisse dormir en paix

sur le haut du buffet, le fil de mon poème

et le sang du souvenir… Joseph… quand bien même

nous ne mettrions guère de temps à nous retrouver !

Comme du papier musique

Toutes les minutes retentit un klaxon ou une sirène de pompier ;

toutes les deux minutes quelqu’un se gare en double file ;

toutes les trois minutes un P.V est épinglé pour stationnement sans ticket ;

toutes les quatre minutes une bière est amenée en terrasse ;

 toutes les cinq minutes le métro arrive ;

toutes les six minutes un homme se retourne sur les pas d’une femme ;

toutes les sept minutes le tramway arrive ;

toutes les huit minutes un commerçant nourrit son tiroir-caisse ;

toutes les neuf minutes se produit un vol à l’étalage ;

toutes les dix minutes un avion décolle ou atterrit ;

toutes les onze minutes quelqu’un achète un kebab ou un coca ;

toutes les douze minutes quelqu’un urine derrière un véhicule en stationnement ;

toutes les treize minutes un scooter évite de justesse une automobile ou un piéton ;

toutes les quatorze minutes quelqu’un respire fort chez le dentiste ;

toutes les quinze minutes un bus passe bondé ;

toutes les seize minutes un chien de SDF ouvre un œil ;

toutes les dix-sept minutes on nettoie ton parebrise au feu rouge ;

toutes les dix-huit minutes un camion de livraison bouche la rue ;

toutes les dix-neuf minutes une voiture fait le tour de la place vitres ouvertes, musique à fond ;

toutes les vingt minutes des groupes d’adolescentes sortent de chez Zara ;

toutes les vingt-et-une minutes quelqu’un passe avec un cornet de glace ;

toutes les vingt-deux minutes quelqu’un jette son ticket de transport par terre ;

toutes les vingt-trois minutes un homme statue quitte la pause ;

toutes les vingt-quatre minutes une patrouille de police fait sa ronde ;

toutes les vingt-cinq minutes un chien crotte dans le jardin des plantes ;

toutes les vingt-six minutes un vélib est décroché de son socle ;

toutes les vingt-sept minutes une secrétaire baille à la fenêtre ;

toutes les vingt-huit minutes elle fume en rêvant d’arrêter ;

toutes les vingt-neuf minutes une fille est embrassée place de la mairie…

 

et toutes les trente minutes les cloches des églises vous indiquent l’heure ;

pourquoi faire ?

Si je peux me permettre

Ecris avec les yeux, écris avec le cœur, écris avec la peau,

ne cherche pas à versifier absolument ;

laisse les vieilles règles aux malheureux défunts !

ne compte les syllabes, il n’est là que foutaise ;

la musique n’est que le tempo de ta foi !

crée des codes qui te conviennent, des lois qui te soient propres !

écris seulement ce que ton âme te dicte,

cette pureté virginale qui bande ton esprit et fait frémir tes lèvres !

prends une feuille blanche, attache tes cheveux

pour que tes rideaux noirs ne bloquent la lumière,

et mets-toi à pleurer, à rire et à gueuler…

et tout en même temps ; écrire est une transe !

lentement pétris les mots, comme on pétrit la glaise,

comme on caresse un corps, avec délectation…

l’écriture poétique est une jouissance !

sois infidèle au sujet, va où l’inspiration te mène,

embrasse une idée et pose ton doigt sur l’autre

puis donne-toi aux nues et charge-toi d’extases…

alors tu ramèneras du ciel des fagots de lumière,

des bouffées de délires et la clé de toute béatitude !

ne cherche pas sur terre quelque illumination

et n’attends d’être triste ou gaie pour travailler ;

l’acte poétique vient naturellement

et se fout du roulis des sentiments qui passent !

lorsque l’instant poindra

tu verras un sanglot courir entre tes doigts,

puis un frisson remonter la joue et la tempe;

alors prends du papier, un stylo, une chaise,

lève le nez au ciel, plonge dans l’évanescent…

pour le reste, sois confiante… et attends !

L’églantine

J’aurais pu trembler quand ses mots ont ensemencé

mon ciel ;

J’aurais pu trembler quand de ses doigts elle a couvert

mes doigts ;

J’aurais pu trembler quand ses lèvres ont déposé sur mes lèvres

la paix ;

J’aurais pu trembler quand le murmure de ses râles a étreint

ma raison ;

J’aurais pu trembler quand sa bouche a muselé

mes sens ;

J’aurais pu trembler quand sa jambe a coiffé

ma jambe ;

J’aurais pu trembler quand elle a clos ses yeux sur

mes désirs ;

J’aurais pu trembler quand ses désirs ont perforé

l’instant ;

J’aurais pu trembler quand l’instant fut mûr

à point ;

J’aurais pu trembler quand son allant a pris

ma peau,

J’aurais pu trembler quand mes mains ont sculpté

son corps ;

J’aurais pu trembler quand mon agonie a perlé sur

son cou ;

J’aurais pu trembler quand m’ont étreint

ses silences ;

J’aurais pu trembler quand mes doigts ont dansé sous

sa robe ;

J’aurais pu trembler quand l’éther a ouvert

ses grilles ;

j’aurais pu trembler quand ses alcools se sont

épanchés ;

 

j’aurais pu trembler mais le diable n’attendait que ça.

 

En effleurant ses pétales je tremblerai déjà

lorsque l’églantine éclora pour la seconde fois.

Saisir le troisième degré

Lisez-vous les poèmes entre les lignes au moins ?

Buvez-vous les liqueurs de troisième pression,

celles dont on s’abreuve avec délectation…

sous lesquelles on découvre Dieu à brûle-pourpoint ?

 

Que pensez-vous donc pêcher, amis, en surface,

si ce n’est que la friture la plus commune ?

Croyez-moi, si vous voulez pêcher la fortune

déchiffrez la métaphore, soyez coriaces !

 

L’un clamait haut « Travaillez, prenez de la peine,

c’est le fond qui manque le moins… » comprenez bien

que l’âme est tourmentée, le message cornélien

et la syntaxe rajoute son doigt de peine !

 

Dans tous les cas soyez lucides seulement,

ne cueillez que l’épice qu’il faut pour le pot-bouille !

et par quelque hasard, si vous rentriez bredouille

c’est que le dit poème n’est guère éloquent…

 

changez alors d’histoire ou changez de poète,

« remuez tous vos champs, sans attendre fin août »

prenez un bol d’air frais, un verre de Vermouth,

puis, amis, reprenez patiemment votre quête !

L’Alzou

L’Alzou, c’est la rivière de ces jeunes années

où je craignais encore l’instit et le curé ;

où j’allais à vélo, à fond de pédalier,

le vent de Cers donnant des ailes à mes souliers.

 

Au pays du grenache, du thym, du gratte-cul,

du fenouil, du cyprès et des vieilles poilues,

l’Alzou coule toujours, détendue et limpide ;

en cinquante ans elle n’a pas pris une ride !

 

Je sais que l’anguille y chasse encore sous la berge,

que du cresson des bouquets de joncs bruns émergent,

et j’y vois appuyé, contre le tronc d’un saule,

mon petit vélo attelé à cent lucioles.

 

J’y vois des dragons dorés se prendre à mes pièges,

des bourres de peuplier se prendre pour de la neige,

et le soleil d’été chauffer la retenue

près du gué afin que l’on vint s’y baigner nu.

 

J’entends battre, sur des coquelicots bien mûrs,

le cœur d’une jeune brunette aux yeux d’azur

qui me couvrait alors de longs baisers fougueux

que les flots emmenaient insouciants et joyeux !

 

L’Alzou, c’est la rivière du fameux temps béni,

celui qui me forgea à l’enclume de la vie ;

l’Alzou, c’est un esprit ; celui de tous ces hommes

qui m’offrirent les reines d’une vie polychrome.

 

L’Alzou, c’est un trésor que je caresse quand

tout ce que je touche entre mes doigts fout le camp ;

comme en ces moments-ci, où tout va s’asphyxiant

par les gueules goulues de gras sables mouvants.

 

L’Alzou, c’est un fil de prénoms et de visages ;

à chacun son Alzou, chacun son paysage ;

à chacun son histoire, chacun son Paradis ;

à chacun son église… et chacun son parvis !

Alphabet d’une perturbation

Un, le bruit de la ville avalant goulument le hoquet des pigeons,

deux, les ballets de la pluie sur l’élasticité d’un extérieur fuligineux,

trois, le calme apparent d’un intérieur tranquille,

quatre, un chat lové dans un panier de château,

cinq, le vent jouant au cerceau dans les coursives…

et Nina, des arômes d’été sur des coussins d’automne.

 

Six, un paradis artificiel où domine le noir,

sept, un rai de soleil sur un faisceau de jour,

huit, la peau à nu du temps qui stoppe là sa course,

neuf, un univers tout neuf vernit l’immobilisme,

dix, la sueur coule sur les doigts longs de l’orage…

et Nina, des arômes d’été sur des coussins d’automne.

 

Onze, douze, treize et quatorze, la furie de la conjonction,

quinze, seize et dix-sept, le chant pantelant de l’orage qui s’exile,

dix-huit, les larmes de foudre à livre ouvert,

dix-neuf, je lis,

vingt, je pleure…

et Nina, des arômes d’été sur des coussins d’automne.

 

Vingt-et-un, le soleil lèche à nouveau les barreaux de la balustrade,

vingt-deux, la vie tape à la vitre, je n’ouvre pas,

vingt-trois, sur le livre ouvert perle un sanglot perdu,

vingt-quatre, le monde nouveau m’embrasse et disparaît,

vingt-cinq, Nina, mon rêve, court parmi les nuages…

vingt-six, l’hiver se love sur des coussins de deuil.

 

Visite inattendue

Mercredi soir, après dîner, j’avais jeté

mon corps, un crayon noir, deux feuilles de papier,

(il en est ainsi quand je sens naître la fibre)

une idée assez folle et un brin de temps libre

sur les velours anthracite du canapé.

 

J’enfilais des perles à mes colliers de quatrains,

plutôt humoristiques d’ailleurs, quand soudain,

d’un pommeau de canne on vint toquer à la porte.

Soupirant à l’idée que l’affaire était morte,

je posais là l’histoire, les rimes et le sous-main…

 

croyez qu’être coupé en pleine inspiration

vous file les abeilles autant que le bourdon !

Le pommeau de la canne toquait à nouveau.

J’ouvris. Comme l’eau de pluie versait du chéneau,

je fis vite entrer mon hôte  dans le salon !

 

La coule et la cuculle noires comme chagrin,

les spartiates… je crus voir un bénédictin…

un moine égaré sous cette averse battante !

que nenni, la faucheuse, la vieille diligente

venait bien me quérir en plein alexandrin !

 

Percevant sous sa capuche son teint blafard,

comme il se doit j’ouvris grand les portes du bar

et lui versais, comme il se fait en Amérique,

un scotch sur de la glace, alcool emblématique…

chez nous accompagné de fritons de canard !

 

Comprenant que je dus terminer l’épigramme

avant de m’en remettre à elle corps et âme,

posant dans le fond d’un fauteuil club son derrière

elle m’accorda une demi-heure supplémentaire.

Elle prit le remontant, je repris le cinname.

 

Voyant qu’elle prenait goût au scotch et au musqué

et qu’elle rêvait d’un autre verre dans le nez,

pour satisfaire les douces envies de la vieille,

brave comme le pain, je lui offris la bouteille

et forcément la vieille finit par s’ivrogner !

 

Puis elle se mit à rire si fort dans sa barbiche

qu’elle stoppa les muses courant sur l’hémistiche ;

je crus alors que mon heure était arrivée !

que nenni, la vieille, hilare, alors s’est levée

et titubant s’en est allée ; noire godiche !

 

L’écho me ramena que nous étions amis

et qu’elle reviendrait dans quelques décennies

voir si mon épigramme est enfin terminée.

Il va de soi que j’aurai du scotch, du musqué,

un poème sur le feu, de la glace pilée…

et mes textes garnis de lapsus-calami !

Routine

La voisine d’en bas fait tourner la cocotte

et les vapeurs de soupe se faufilent chez moi ;

la voisine d’en bas fait chuchoter la croute,

il est sept heures du mat et les vélos s’en vont.

La voisine d’en bas, par-dessus le balcon

jette quelques tendresses au soleil engourdi.

La voisine d’en bas ne se maquille guère

que pour sortir le chien entre deux mots fléchés.

La voisine d’en bas se lève avec le jour

comme pour ne pas perdre une miette de vie.

La voisine d’en bas fait tourner la cocotte

des visages perdus et des saveurs anciennes

et ses sourires alors se faufilent chez moi.

La voisine a monté le son de la télé,

c’est l’heure du feuilleton, les vélos sont partis,

et déjà alignés dans des abris d’usine,

guidon contre guidon dans l’odeur du cambouis

ils discutent limaille et puis de l’eau de pluie.

La voisine d’en bas a éteint la télé

et sa cocotte largue la vapeur à plein gaz

sur mes draps assoupis en travers du balcon,

mes souvenirs perdus et mes chansons passées.

La voisine d’en bas sourit à petits pas

lorsqu’elle pousse bon an mal an ses charentaises ;

la voisine d’en bas pousse ses habitudes

d’une heure à l’autre toujours dans le même sens

et chiffonne la poussière depuis mille ans.

Puis le reste du temps, entre ses chats, ses vases,

posée sur les coussins de son fauteuil pliant,

la voisine d’en bas, le nez dans le menton,

quitte un brin les nuages et pique un roupillon.

Mais jamais la voisine d’en bas ne manque l’heure

du timbre rigolard des vélos qui reviennent

et quand on ferme à clé le dernier dans son box,

quelques parfums de soupe se faufilent chez moi.

La voisine d’en bas est alors à l’ouvrage

son pot-au-feu vient comme une bénédiction ;

puis j’entends son assiette cliqueter dans l’évier

et ses volets couiner dans un recoin de mur.

Puis je n’entends plus rien ; pour tous les temps sont durs.

Ange inconnu

Si mon vieil ange gardien veille

à ce qu’il ne m’arrive malheur,

quel est donc cet ange qui veille

à ce qu’il m’arrive bonheur ?

 

Pour le peu que je lui quémande,

cet oiseau de Dieu fait le sourd !

comme s’il n’était de la bande,

s’il n’avait pour moi quelque amour !

 

Qu’ai-je donc fait pour lui déplaire ?

Que n’ai-je fait qu’il eut fallu

pour combler son âme princière ?

« Maître Bonheur » a disparu !

 

Alors je vais à cloche-pied

entre “pas question“ et “peut-être“

et je le hèle à satiété

à travers portes et fenêtres…

 

mais l’écho de ma voix se perd

dans les couloirs de l’infini ;

un peu comme si Lucifer

m’avait volé la clé de vie !

 

Moi qui pensais qu’un séraphin

m’avait entré dans son vivier !

sonnez, sonnez tristes buccins,

je suis un être abandonné !

 

Vous qui peut-être êtes intimes

avec l’un de ces chérubins,

sauriez-vous donc, du clarissime,

tirer quel est le nom du mien…

 

de sorte qu’en trois exemplaires,

datés, signés et tamponnés,

sous quelque forme littéraire

je lui explique mes volontés ?

 

Jadis on parlait d’homme à homme

à Dieu, entre hommes ou aux saints ;

depuis la crise du pétrole,

il est bien vrai que la parole

ne vaut plus qu’un pet de lapin !