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La femme ailleurs

Elle cache sous son chignon des bouffées d’oxygène;

chez elle les saisons passées ne sont bien loin,

et quand sur sa masure il fait un temps de chien,

l’oxygène, en étoiles, illumine ses veines ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle est ailleurs, toujours, au bord de la fenêtre,

semblant reconnaître dans les plis de la bise

les manches retroussées, le col de la chemise

de celui qu’elle aimait… et d’un autre… peut-être ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle est ailleurs, toujours, près des flammes mourantes

d’une bûche de chêne trop lourde pour ses bras ;

elle ferme les yeux, puis sourit, ils sont là,

tous, autour de la table, tous l’haleine fumante ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle a le cœur qui bât et le chignon qui gonfle,

un souvenir s’extirpe de sa mélancolie ;

l’oxygène s’écoule, quelques larmes aussi,

et de la chemise entrevue un poitrail ronfle ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle est ailleurs, toujours, lorsque frémit la soupe ;

toujours la même soupe, sur le même trépied !

toujours l’odeur du chou vert, de l’os décharné,

du chêne mêlé à la cendre et l’étoupe ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle est ailleurs, toujours, l’œil sur la broderie,

deux lettres majuscules en haut du drap de lin ;

elle causait de trousseau en un été lointain !

qu’elle paraît petite sur le rebord du lit ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle passe ses journées sur sa chaise de paille,

l’esprit vif et le corps aux trois quarts assoupi ;

elle voyage à vélo, elle va danser Mamie,

elle va rire… et vous irez à ses funérailles…

 

ou ailleurs !

 

Elle rira toujours de sa caisse de pin

lorsque vous déposerez vos fleurs en pleurant,

sûre de retrouver par les cieux son amant,

– émue comme au début –

quand de vos lippes rouges vous dépeindrez sa fin !

 

Elle rira toujours, d’ailleurs, elle rira…

d’ailleurs,

n’entendez-vous point les rires de l’au-delà ?

Pour rien

Je suis passé par la chapelle

où Gladys priait, autrefois,

les mains croisées sur le missel

et les yeux rivés sur la croix ;

 

Gladys implorait, à genoux,

toute la noblesse des cieux …

pour rien,

car jamais l’un de ces ripoux

n’exauça le moindre de ses vœux !

 

Combien de jours et de semaines,

sur ces malons de pierre humide

elle fit trace de sa peine,

de larmes sillonnèrent ses rides ?

 

Dieu (Père et Fils), Marie, Joseph,

Saint Antoine, toute la cohorte

des anges ailés de la nef…

pour rien !

même si Gladys était forte,

 

même si Gladys était belle,

même si ses dix-huit ans hurlaient,

même si Gladys portait en elle

quelque bâtard comme ils disaient,

 

sa place était avec les siens,

aux champs, au chaud des cheminées,

à préparer comme il convient

la paillasse du futur bébé !

 

Pour rien Gladys n’aurait souhaité

que son rejeton eut pour père

un saisonnier, un feu follet !

mais l’amour frappe à sa manière,

   vous le savez ?

 

sinon courrez le rattraper,

lancez les chiens et les rapaces,

creusez des pièges, faites brûler

tous les cierges de la paroisse…

pour rien !

 

J’ai traîné ma vieille carcasse

où Gladys priait à genoux

pour retrouver un peu de grâce

auprès des femmes de chez nous.

 

Quand l’angélus donna le ton,

elle mit sa couronne de houx ;

son monde alors était si flou

qu’elle sauta par-dessus le pont…

pour rien !

 

La grande noblesse céleste

n’ayant pas daignée faire un geste,

les innocentes au cœur de pierre

mirent Gladys et bâtard en terre…

c’est tout !

 

Je passe devant la chapelle

pour m’en aller cueillir du houx,

mais comme là rien ne m’interpelle

jamais je ne tire les verrous ;

au ciel on se moque de nous

et ma maigre foi bat de l’aile ;

de la famille machin je m’en fouts

je ne suis plus de la clientèle !

 
 

Un jour la chapelle tombera !

quant aux prières de Gladys,

Vade rétro, De Profundis,

d’un rien, le lierre les recouvrira…

 

c’est la seule loi, ici bas !

La nana aux brins de laine

Pour autant que je me souvienne,

à tes jeans, quelques brins de laine

suspendaient aux couleurs du temps

le nuancier de tes vingt ans

et dans l’azur de vendémiaire,

« l’Albatros » de Baudelaire

assouvissait ses perversions

loin des brule-gueules et des cons.

 

A coups de liqueurs pacifistes,

de théories écologistes,

d’amour libre, de cheveux longs

tu buvais la révolution;

 

entre cannabis et tabac

tu fumais les rimes à Lorca.

 

De tes airs de Mère Theresa,

toujours prête à prendre en tes bras

toute la misère du monde,

tes poches bourrées de pierres à fronde,

ta « deutch », tes cocktails Molotov

et tes bras d’honneur aux sous-offs

je ne gardais que ton sourire,

quelques tirades de Shakespeare…

 

au creux d’une mansarde enfumée

le reste du temps on s’aimait.

 

Plus de capricorne et cancer,

d’œuvres d’Edgard Poe ou Prévert;

ni coquelicot, ni jeans à franges

je caressais le corps d’un ange.

 

Sous tes alcools abécédaires

j’en oubliais Apollinaire…

puis, à la nouvelle saison,

les anges perdant la raison,

comme le font les cerfs-volants,

tu pris les courants ascendants

et me clouais intra-muros

aux « Vingt sonnets » de Charles Cros.

 

Au fond du « Coffret de santal »

– pétale séché d’une « Fleur du mal » –

ce fut le temps des cauchemars…

je pris le pied chez Eluard…

 

Depuis,

pendu au bras de mes poèmes

je mène une vie de bohème,

non pas une vie dissolue

faite d’absinthe et de cigüe…

 

non…

je vais où va la tramontane;

comme  qui dirait « à dos d’âne » !

Le dernier automne

A travers sa vitre embuée

elle boit la pluie de la grand-rue,

à présent les trottoirs sont nus,

c’est l’automne qui paie la tournée !

 

Quand on est vieille et fatiguée,

quand ses pieds font la sourde oreille,

quand le vieux temps vous ensommeille,

l’eau bénite se boit à gorgées !

 

C’est le cliquetis dans les flaques

qu’elle affectionne, paupières closes;

quand on est triste, faut pas grand chose !

quand on est triste et puis patraque

 

les premières notes qui viennent,

les seules musiques qui passent,

on les accroche, on les enlace,

on les embrasse, on les malmène…

 

puis, comme les perles de buée

elles glissent le long du carreau

et rejoignent au caniveau

les cliquetis de la chaussée !

 

Les saisons prennent, une à une,

les coeurs, les vies, les vieilles vestes,

les souvenirs et tout le reste;

même la blancheur à la lune !

 

Même l’esprit passe à la meule !

le jour prend tout, la nuit le reste,

l’un s’en fout et l’autre proteste;

les saisons font ce qu’elles veulent !

 

Devant sa fenêtre embuée

le soleil éclaire la grand-rue,

l’habitude prend le dessus,

 le nez à la vitre; collé !

                                       

                                       Devant une vitre embuée

                                     son dernier automne sévit;

                                   certains diront que c’est la vie;

                                                           

                                       je serai le seul à pleurer!

L’exclue

La nuit, elle bombarde

de tags tous les murs;

elle joue les loubardes,

les filles au coeur dur !

 

Elle s’envole peut être

le jour lorsqu’elle dort;

sa prison de salpêtre

alors change de décors,

adieu l’étiquette

 de boue et de mort,

salut la perpette

il fait si beau dehors !

adieu l’étiquette,

les plissures de son corps;

du fond de sa musette,

elle dédie sa rosette

aux futures années d’or !

 

Elle joue les loubardes,

les filles de la rue;

la haine qu’elle bazarde,

c’est celle des exclus !

 

Elle n’a pas de boulot,

pas d’amour non plus

et n’a sur le dos

que des espoirs perdus;

elle partage un tripot

avec trois farfelus,

trois espèces d’ados

qui n’en veulent qu’à son cul

et qui lui piqueront son tricot

-les compères à nunue-

entre deux bécots,

dans le fond du tripot,

au premier froid venu !

 

Elle n’est pas loubarde

et ne joue pas non plus

à celle qui poignarde

le premier venu…

 

elle voudrait bien

de cette société

que la nuit elle peint

sous de drôles de traits;

il y a bien longtemps,

espérant de la vie,

encore qu’une enfant

elle m’a souri;

si vous la croisez,

elle s’appelle Annie,

avec ma poupée

soyez très gentils…

 

donnez-lui la main

en suivant l’avenue,

c’est un peu de chagrin

qu’elle aura de moins;

 

donnez-lui la main

en suivant l’avenue,

c’est un peu de chagrin

qu’elle aura perdu !

Le poulailler de Simone; ma tante

Le cadenas de Simone,

celui qui « tient » son poulailler

à l’abri de pas indiscrets

et de « mimines » polissonnes,

 

n’a pourtant qu’une seule clé

que seule Simone chaperonne !

mais

diable, les voyous s’en tamponnent

et « raspent » toujours ses poulets,

 

tordent le cou de ses pondeuses,

ouvrent à ses belles lapines

et les clapiers et les terrines;

Simone est furax et songeuse !

 

mais que fait la gendarmerie ?

«- Ma chère tante, elle dort la nuit…

 

et les voyous ont la vie belle ! »

Quand brille la lune, les poulets dorment,

je parle de ceux en uniforme,

d’avant Hollande ; de ceux sans zèle !

 

à présent,

les flics font un travail énorme :

les procès-verbaux s’amoncellent ;

on traque la moindre bagatelle

depuis la nouvelle réforme !

 

c’est que,

Hollande met du cœur à l’ouvrage !

mais on troue toujours ton grillage…

ma tante !

 

et là, le renard n’y est pour rien ;

ou les gitanes, ou le curé,

des amis bien intentionnés…

va savoir qui sont ces vauriens

 

qui narguent la maréchaussée !

reprends la technique des anciens :

le piège à loup pour ces coquins

et les poules seront bien gardées !

 

Le képi, c’est pas courageux,

ça reste pendu quand il pleut ;

ça ne fait la ronde qu’au grand jour,

 

ça ce moque bien des basses-cours ;

ça n’est jamais là quand il faut,

sauf s’il faut prendre quelques euros ;

le gendarme,

c’est sans pigment, c’est ordinaire

et ça se plaint d’être impopulaire !

 

Rien ne va plus, faites vos jeux,

les poulaillers sont trop boueux !

tout passe, tout lasse et tout s’émousse,

que voulez-vous …

 

c’est le pays des poules glousses !

Qu’adviendra-t-il TIRESIAS ?

Dame Carcas, vieille salope,

par-dessus bord tu as jeté

le dernier porc qu’il nous restait,

et le tricot de Pénélope;

 

désormais nos espoirs sont vains !

Charlemagne emporte le gras,

les pucelles, les grappes de lilas ;

Pénélope, le feu s’éteint !

 

Les fileuses sonnent le glas,

le roi d’Ithaque pêche à Messine,

et ville après ville cheminent

la peste noire, le choléra.

 

Ulysse reviendra, peut être !

le soleil fera sa trouée ;

alors Argos viendra japper ;

la bise de mars nous pénètre !

 

Entre les tours de Carcassonne,

les massacres en ribambelles

font fi du gel et de la grêle ;

à tue-tête une folle sonne !

 

sonne, sonne, sonne, sonne,

Dame Carcas, triste salope !

qui bandera l’arc, Pénélope ?

Faut-il que vous soyez si connes ?

 

Reste-t-il du gras au torchon ?

L’une se donne et l’autre attend ;

quand l’une se donne à Satan,

l’autre espère, scrutant l’horizon !

 

Un mât s’en revient d’outre tombe

en descend un gueux ; c’est un roi !

Dame Carcas lève les bras

et le pauvre Argos en succombe !

 

Carcassonne pleurera longtemps

ses ciels d’été et ses outrages.

Le guerrier contera ses voyages

et Pénélope ses printemps.

 

Sous ses toitures grisonnantes

la cité hisse les couleurs ;

les amandiers bleus sont en fleurs,

le sénéchal lisse ses bacantes !

 

Pénélope et Dame Carcas

ainsi rangées des corbillards,

les dieux recouvrent le cafard…

 

honneurs au trépas, gloire aux veuves !

faudra t’il de nouvelles épreuves ?

 

Dis, qu’adviendra-t-il, Tirésias ?

Fragrances nocturnes

Je l’aime lorsqu’elle dort,

les cheveux en bataille,

la joue au pli du bras ;

 

je bois son souffle d’or

sitôt que s’encanaillent

deux soupirs sous son drap !

 

Je butine ses rêves

et cueille par brassées

les fleurs de son allant ;

 

prie pour que ne s’achève

ce voyage où Morphée

déploie tous ses talents !

                                               

   J’hume alors les saveurs

de pays enchanteurs

où porté par le vent,

 

enfourchant les lueurs

de l’aube, le bonheur

exulte innocemment !

 

Je vole à se atouts

les braises de son corps,

la plume de ses nuits,

 

puis me blottis voyou

contre mon fier trésor

au creux de notre nid !

 

A l’abri du regard

indiscret des étoiles,

des déesses du ciel,

 

je tends à quelque écart :

à sa peau qui exhale

je recueille le miel…

 

un frisson nous parcourt ;

ses paupières mi-closes

chantent un avènement,

 

au timbre de l’amour

la nuit suspend ses roses;

tout est efflorescent !

 

Je l’aime au doux réveil

quand trois mots balbutiés

sont un enchantement ;

 

quand tout plein de sommeil

viennent de longs baisers

apaiser mes volcans !

Les villégiatures de Poupée

Je partage avec toi une croûte de pain,

deux miettes de fromage avec un cul de vin,

la soupe populaire et la couche et le feu,

mais t’emmener en villégiature je ne peux…

tu ne connaîtras ni Venise ni New-York !

 

Un chien maigre à la place d’un bichon, d’un york,

à la belle saison nous verrons du pays

de la place des Grands Hommes jusqu’à l’île Saint-Louis.

 

Je partage le monoxyde de carbone

avec toi et tous les animaux de la faune

qui rugit chaque nuit sous les arches des ponts

entre les vols, les viols et cent mille agressions.

 

Tu ne connaîtras, ni liberté, ni Pérou,

ni le plaisir d’un foulard Dior autour du cou ;

mais t’emmener en villégiature je ne peux…

nous irons de Montmartre à l’Etoile, si tu veux,

de la Concorde à Beaubourg par les chemins creux ;

le chien jouera devant, la musette perdra

quelques goulées de vin à chacun de nos pas.

La Tour Eiffel, Poupée, tu la verras d’en bas,

au mois d’août, si les flics ne nous gerbent de là.

 

Je partage avec toi les galères de la vie !

 

Ma « meuf », tu pisses droite, moi je pisse accroupis

sur les cartes qu’un jour nos vieux nous ont données.

Nous n’avons pas eu d’as, d’atout ni de carré ;

pour toi, Poupée, je n’ai qu’une paire de deux…

t’emmener en villégiature je ne peux !

 

mais un jour, dans une caisse de déchetterie,

par les boulevard nous dirons merde à la vie

et par les cieux, enfin, nous aurons en partage

le véritable, l’inévitable voyage !

 

nous y verrons des îles où le sable est si bleu,

où l’azur est si blanc que nous irons heureux,

comme avant, souviens t’en, quand nous avions un toit !

comme avant, souviens-t’en, quand nous avions la foi !

 

allons, prends un morceau de ma croûte de pain,

deux miettes de fromage avec un cul de vin !

pense à l’autre vie quand nous nous donnions la main ;

aie confiance, Poupée, on approche de la fin…

 

confiance, Poupée, sûr que nous mourons demain !

 

Lucie de la rue des Saules

Elle gagnait juste sa monnaie,

dix pièces peut-être à la journée;

par tous les temps elle chatouillait

sa gratte aux terrasses des cafés;

 

on disait qu’elle n’avait que ça,

sa gouaille, ses refrains, son velours ;

personne ne lui savait de toit,

la place du tertre était sa cour.

 

Je buvais avec les moineaux

les larmes qu’elle tombait en passant ;

nous nous nourrissions de ses maux,

herbes folles des écorchés vivants.

 

Etoilées d’idées farfelues,

les rimes des poètes fantômes

qu’elle semait aux coins de la rue

durcissaient les traits de la môme,

 

mais quand s’entremêlait enfin

la rosée aux pétales de roses,

l’amour luisait en ses quatrains

et j’aimais ce p’tit bout de chose!

 

les autres la traitaient de putain

depuis qu’au cul du Sacré-Cœur

une nuit de peur et de faim

elle avait bu le déshonneur !

 

Sous sa casquette déchirée,

ses mirettes brillaient comme deux phares

et courraient de longs doigts de fée

sur les cordes de sa guitare.

 

Elle battait tôt le lourd pavé;

faut crapahuter sur la butte,

user ses godasses pour becter,

soi et soi toujours à la lutte !

 

un matin d’automne, rue des saules,

à sept heures elle dormait encor;

posant ma main sur son épaule

je sentis la douceur de la mort…

 

elle gagnait là son paradis ;

deux anges peut-être l’entouraient

et lui sifflaient les mélodies

de leurs célestes cabarets.

 

Ils diront qu’elle n’avait que ça,

sa gouaille, ses refrains, son velours,

mais ils lui offriront un toit

d’où elle verra ses rues, sa cour !

 

Je boirai, avec les moineaux,

le sel qui nous viendra du ciel,

quand tomberont de ses flûteaux


les larmes du rire éternel !