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Archives for : Les textes sentimentaux

La nana aux brins de laine

Pour autant que je me souvienne,

à tes jeans, quelques brins de laine

suspendaient aux couleurs du temps

le nuancier de tes vingt ans

et dans l’azur de vendémiaire,

« l’Albatros » de Baudelaire

assouvissait ses perversions

loin des brule-gueules et des cons.

 

A coups de liqueurs pacifistes,

de théories écologistes,

d’amour libre, de cheveux longs

tu buvais la révolution;

 

entre cannabis et tabac

tu fumais les rimes à Lorca.

 

De tes airs de Mère Theresa,

toujours prête à prendre en tes bras

toute la misère du monde,

tes poches bourrées de pierres à fronde,

ta « deutch », tes cocktails Molotov

et tes bras d’honneur aux sous-offs

je ne gardais que ton sourire,

quelques tirades de Shakespeare…

 

au creux d’une mansarde enfumée

le reste du temps on s’aimait.

 

Plus de capricorne et cancer,

d’œuvres d’Edgard Poe ou Prévert;

ni coquelicot, ni jeans à franges

je caressais le corps d’un ange.

 

Sous tes alcools abécédaires

j’en oubliais Apollinaire…

puis, à la nouvelle saison,

les anges perdant la raison,

comme le font les cerfs-volants,

tu pris les courants ascendants

et me clouais intra-muros

aux « Vingt sonnets » de Charles Cros.

 

Au fond du « Coffret de santal »

– pétale séché d’une « Fleur du mal » –

ce fut le temps des cauchemars…

je pris le pied chez Eluard…

 

Depuis,

pendu au bras de mes poèmes

je mène une vie de bohème,

non pas une vie dissolue

faite d’absinthe et de cigüe…

 

non…

je vais où va la tramontane;

comme  qui dirait « à dos d’âne » !

Le dernier automne

A travers sa vitre embuée

elle boit la pluie de la grand-rue,

à présent les trottoirs sont nus,

c’est l’automne qui paie la tournée !

 

Quand on est vieille et fatiguée,

quand ses pieds font la sourde oreille,

quand le vieux temps vous ensommeille,

l’eau bénite se boit à gorgées !

 

C’est le cliquetis dans les flaques

qu’elle affectionne, paupières closes;

quand on est triste, faut pas grand chose !

quand on est triste et puis patraque

 

les premières notes qui viennent,

les seules musiques qui passent,

on les accroche, on les enlace,

on les embrasse, on les malmène…

 

puis, comme les perles de buée

elles glissent le long du carreau

et rejoignent au caniveau

les cliquetis de la chaussée !

 

Les saisons prennent, une à une,

les coeurs, les vies, les vieilles vestes,

les souvenirs et tout le reste;

même la blancheur à la lune !

 

Même l’esprit passe à la meule !

le jour prend tout, la nuit le reste,

l’un s’en fout et l’autre proteste;

les saisons font ce qu’elles veulent !

 

Devant sa fenêtre embuée

le soleil éclaire la grand-rue,

l’habitude prend le dessus,

 le nez à la vitre; collé !

                                       

                                       Devant une vitre embuée

                                     son dernier automne sévit;

                                   certains diront que c’est la vie;

                                                           

                                       je serai le seul à pleurer!

L’exclue

La nuit, elle bombarde

de tags tous les murs;

elle joue les loubardes,

les filles au coeur dur !

 

Elle s’envole peut être

le jour lorsqu’elle dort;

sa prison de salpêtre

alors change de décors,

adieu l’étiquette

 de boue et de mort,

salut la perpette

il fait si beau dehors !

adieu l’étiquette,

les plissures de son corps;

du fond de sa musette,

elle dédie sa rosette

aux futures années d’or !

 

Elle joue les loubardes,

les filles de la rue;

la haine qu’elle bazarde,

c’est celle des exclus !

 

Elle n’a pas de boulot,

pas d’amour non plus

et n’a sur le dos

que des espoirs perdus;

elle partage un tripot

avec trois farfelus,

trois espèces d’ados

qui n’en veulent qu’à son cul

et qui lui piqueront son tricot

-les compères à nunue-

entre deux bécots,

dans le fond du tripot,

au premier froid venu !

 

Elle n’est pas loubarde

et ne joue pas non plus

à celle qui poignarde

le premier venu…

 

elle voudrait bien

de cette société

que la nuit elle peint

sous de drôles de traits;

il y a bien longtemps,

espérant de la vie,

encore qu’une enfant

elle m’a souri;

si vous la croisez,

elle s’appelle Annie,

avec ma poupée

soyez très gentils…

 

donnez-lui la main

en suivant l’avenue,

c’est un peu de chagrin

qu’elle aura de moins;

 

donnez-lui la main

en suivant l’avenue,

c’est un peu de chagrin

qu’elle aura perdu !

Le disparu

Là, tout sentait l’anchois,

la basse terre, le ciel,

la cuillère de bois,

la confiture, le miel,

les tamaris en fleurs,

la petite maison,

les crêpes de chandeleur

et le bâtard au son,

la chaloupe ventrue,

les filets à la traîne,

l’huile de foie de morue

et les yeux des sirènes,

le phare rougissant,

l’écume et les galets,

le phare verdissant

et les cieux étoilés,

la friture dans la caisse,

la caisse sur la brouette,

le gros chat sur la caisse,

le miroir aux mouettes,

la casquette bleutée,

le caban décousu,

la bouffarde chargée

de tabac au merlu.

 

Là, tout sentait l’anchois

de la houle au soleil,

même Dieu et le Roi,

car tout sentait pareil…

et tous étaient égaux

devant l’immensité !

hommes, anchois et bateaux

côte à côte luttaient !

 

Là, tout sentait l’anchois ;

je m’y suis arrêté ;

ne croyez surtout pas

que l’odeur m’a gênée !

 

Là, tous étaient si bons,

là tout était si beau

que je bats pavillon

blanc en ces douces eaux.

 

Dites qu’en eaux profondes

un matin j’ai sombré ;

dites à tout le monde

que je suis mort noyé ;

oubliez que jadis

je buvais votre vin…

et dites à mon fils

que c’était le destin !

 

Le marin

Je vous vois attablés

autour d’un plat fumant,

un civet de sanglier,

des giroles, un faisan ;

 

j’entends d’ici vos rires

et je sens votre vin ;

je connais les délires

des soirs entre copains…

 

braves gens de la terre

à l’âme merveilleuse

et je sens l’atmosphère

enfumée et joyeuse

 

de la vaste cuisine

où vous êtes en rond,

faisant face aux verrines

et dos aux illusions…

 

faisant feu de tout bois !

jonglant avec les mots !

riant de je ne sais quoi,

d’un quelconque propos !

 

Je vous sais à la table

des humeurs pétillantes,

la posture impeccable,

la soif d’être, béante !

 

et rongeant votre vie

comme un os de poulet !

je vous sais, doux amis,

grandement occupés …

 

 aussi, je prends congé

sous une encre d’ébène,

car n’être à vos côtés

me cause grande peine !

 

je suis tout seul, là-bas,

les pieds et mains aux fers

sur un cercueil de choix

voguant en toutes mers !

 

« Un jour je serai grand

et je serai marin ! »

 

qu’est ce qu’on est con, enfant,

j’étais si bon terrien !

Trois cathares nostalgiques

Même si c’est quelqu’un d’au-dessus de la Loire

qui leur a donné vie au sortir de Narbonne,

loin de cette idée folle “qu’il est meilleur de boire

à notre barricôt plutôt qu’à leurs bonbonnes“…

 

les chevaliers cathares, au bord de l’autoroute,

tout en cassant la croûte et dégustant leur vin

sifflent un air de mémoire, que les enfants écoutent !

malgré leurs rides ils me semblent avoir bon teint !

 

Sont-ce Benoît de Termes, Roger de Cabaret,

quelques grands de Toulouse, Pierre II, Trencavel,

Dame Guiraude ou Bélibaste assassinés ?

qui de la quatre voies lève ses armes au ciel ?

 

Peu importe, on s’en fout, ici tous ne font qu’un

– ils sont là, comme ailleurs un monument aux morts ! –

peu importe, on s’en fout, ici tout ne fait qu’un,

demande à Marcelin, d’Argeliers, si j’ai tort !

 

Les chevaliers cathares au regard apaisé,

de leurs robes de pierre dérangent, assurément ;

Montfort cauchemarde sous son heaume éventré

et le Midi caracole en tête au tournant !

 

Les chevaliers cathares, au sortir de Narbonne,

aiment à contempler les flamants sur l’étang,

prennent à pleins poumons le vent de Carcassonne

et se complaisent à voir les nuées d’estivants !

 

Ne les critique pas, ce sont des nostalgiques !

si leur terre est impure, ils s’en battent aujourd’hui ;

droits sur le bas-côté, raides comme trois flics

ils me sont sympathiques sans sifflet ni képi !

 

Les chevaliers cathares de l’A-61

vous rappellent qu’ici, jadis, naquit la paix ;

ils cultivait l’entraide et l’amour de chacun…

 

puis la haine est venue ; le monde est imparfait !

Fragrances nocturnes

Je l’aime lorsqu’elle dort,

les cheveux en bataille,

la joue au pli du bras ;

 

je bois son souffle d’or

sitôt que s’encanaillent

deux soupirs sous son drap !

 

Je butine ses rêves

et cueille par brassées

les fleurs de son allant ;

 

prie pour que ne s’achève

ce voyage où Morphée

déploie tous ses talents !

                                               

   J’hume alors les saveurs

de pays enchanteurs

où porté par le vent,

 

enfourchant les lueurs

de l’aube, le bonheur

exulte innocemment !

 

Je vole à se atouts

les braises de son corps,

la plume de ses nuits,

 

puis me blottis voyou

contre mon fier trésor

au creux de notre nid !

 

A l’abri du regard

indiscret des étoiles,

des déesses du ciel,

 

je tends à quelque écart :

à sa peau qui exhale

je recueille le miel…

 

un frisson nous parcourt ;

ses paupières mi-closes

chantent un avènement,

 

au timbre de l’amour

la nuit suspend ses roses;

tout est efflorescent !

 

Je l’aime au doux réveil

quand trois mots balbutiés

sont un enchantement ;

 

quand tout plein de sommeil

viennent de longs baisers

apaiser mes volcans !

Les villégiatures de Poupée

Je partage avec toi une croûte de pain,

deux miettes de fromage avec un cul de vin,

la soupe populaire et la couche et le feu,

mais t’emmener en villégiature je ne peux…

tu ne connaîtras ni Venise ni New-York !

 

Un chien maigre à la place d’un bichon, d’un york,

à la belle saison nous verrons du pays

de la place des Grands Hommes jusqu’à l’île Saint-Louis.

 

Je partage le monoxyde de carbone

avec toi et tous les animaux de la faune

qui rugit chaque nuit sous les arches des ponts

entre les vols, les viols et cent mille agressions.

 

Tu ne connaîtras, ni liberté, ni Pérou,

ni le plaisir d’un foulard Dior autour du cou ;

mais t’emmener en villégiature je ne peux…

nous irons de Montmartre à l’Etoile, si tu veux,

de la Concorde à Beaubourg par les chemins creux ;

le chien jouera devant, la musette perdra

quelques goulées de vin à chacun de nos pas.

La Tour Eiffel, Poupée, tu la verras d’en bas,

au mois d’août, si les flics ne nous gerbent de là.

 

Je partage avec toi les galères de la vie !

 

Ma « meuf », tu pisses droite, moi je pisse accroupis

sur les cartes qu’un jour nos vieux nous ont données.

Nous n’avons pas eu d’as, d’atout ni de carré ;

pour toi, Poupée, je n’ai qu’une paire de deux…

t’emmener en villégiature je ne peux !

 

mais un jour, dans une caisse de déchetterie,

par les boulevard nous dirons merde à la vie

et par les cieux, enfin, nous aurons en partage

le véritable, l’inévitable voyage !

 

nous y verrons des îles où le sable est si bleu,

où l’azur est si blanc que nous irons heureux,

comme avant, souviens t’en, quand nous avions un toit !

comme avant, souviens-t’en, quand nous avions la foi !

 

allons, prends un morceau de ma croûte de pain,

deux miettes de fromage avec un cul de vin !

pense à l’autre vie quand nous nous donnions la main ;

aie confiance, Poupée, on approche de la fin…

 

confiance, Poupée, sûr que nous mourons demain !

 

Lucie de la rue des Saules

Elle gagnait juste sa monnaie,

dix pièces peut-être à la journée;

par tous les temps elle chatouillait

sa gratte aux terrasses des cafés;

 

on disait qu’elle n’avait que ça,

sa gouaille, ses refrains, son velours ;

personne ne lui savait de toit,

la place du tertre était sa cour.

 

Je buvais avec les moineaux

les larmes qu’elle tombait en passant ;

nous nous nourrissions de ses maux,

herbes folles des écorchés vivants.

 

Etoilées d’idées farfelues,

les rimes des poètes fantômes

qu’elle semait aux coins de la rue

durcissaient les traits de la môme,

 

mais quand s’entremêlait enfin

la rosée aux pétales de roses,

l’amour luisait en ses quatrains

et j’aimais ce p’tit bout de chose!

 

les autres la traitaient de putain

depuis qu’au cul du Sacré-Cœur

une nuit de peur et de faim

elle avait bu le déshonneur !

 

Sous sa casquette déchirée,

ses mirettes brillaient comme deux phares

et courraient de longs doigts de fée

sur les cordes de sa guitare.

 

Elle battait tôt le lourd pavé;

faut crapahuter sur la butte,

user ses godasses pour becter,

soi et soi toujours à la lutte !

 

un matin d’automne, rue des saules,

à sept heures elle dormait encor;

posant ma main sur son épaule

je sentis la douceur de la mort…

 

elle gagnait là son paradis ;

deux anges peut-être l’entouraient

et lui sifflaient les mélodies

de leurs célestes cabarets.

 

Ils diront qu’elle n’avait que ça,

sa gouaille, ses refrains, son velours,

mais ils lui offriront un toit

d’où elle verra ses rues, sa cour !

 

Je boirai, avec les moineaux,

le sel qui nous viendra du ciel,

quand tomberont de ses flûteaux


les larmes du rire éternel !

Et le monde appartient aux femmes

Copernic rêvassait à table,

Jean de La Fontaine à côté ;

l’un des deux déclamait des fables,

l’autre buvait une voie lactée…

 

les mots se mêlaient aux étoiles,

les morales à l’immensité.

C’est alors qu’un vaisseau sans voile

au coin des cieux fit son entrée ;

 

vaisseau sans mousse ni canon,

sans gouvernail et sans tonneau,

agrippant la vague au jupon,

épousant le vide et les flots…

 

quand sur le pont, un homme nu

de vie terrestre souriait

aux anges argentés puis aux nues,

aux mélodies qui l’emportaient.

 

Il gobait chaque girandole

de métaphores et les strophes

–  en alliances croquignoles –

perlaient à l’œil du philosophe !

 

Quand Copernic et La Fontaine

mouchèrent leur bout de chandelle,

de ces nébuleuses lointaines

gorgées de gaz et d’étincelles

 

nous parvinrent deux soupirs radieux ;

le poète avait rendu l’âme,

l’astronome les clés à Dieu ;

 

le monde appartenait aux femmes !