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Archives for : Les textes sentimentaux

Ange inconnu

Si mon vieil ange gardien veille

à ce qu’il ne m’arrive malheur,

quel est donc cet ange qui veille

à ce qu’il m’arrive bonheur ?

 

Pour le peu que je lui quémande,

cet oiseau de Dieu fait le sourd !

comme s’il n’était de la bande,

s’il n’avait pour moi quelque amour !

 

Qu’ai-je donc fait pour lui déplaire ?

Que n’ai-je fait qu’il eut fallu

pour combler son âme princière ?

« Maître Bonheur » a disparu !

 

Alors je vais à cloche-pied

entre “pas question“ et “peut-être“

et je le hèle à satiété

à travers portes et fenêtres…

 

mais l’écho de ma voix se perd

dans les couloirs de l’infini ;

un peu comme si Lucifer

m’avait volé la clé de vie !

 

Moi qui pensais qu’un séraphin

m’avait entré dans son vivier !

sonnez, sonnez tristes buccins,

je suis un être abandonné !

 

Vous qui peut-être êtes intimes

avec l’un de ces chérubins,

sauriez-vous donc, du clarissime,

tirer quel est le nom du mien…

 

de sorte qu’en trois exemplaires,

datés, signés et tamponnés,

sous quelque forme littéraire

je lui explique mes volontés ?

 

Jadis on parlait d’homme à homme

à Dieu, entre hommes ou aux saints ;

depuis la crise du pétrole,

il est bien vrai que la parole

ne vaut plus qu’un pet de lapin !

La balade autour du lac

Histoire de sortir le derrière du hamac,

nous avions décidé de faire le tour du lac ;

les vacances ont ceci qu’elles sont abêtissantes,

aussi, prendre l’air frais et les senteurs des plantes

nous semblait être un exercice des plus sain

avant d’aller croquer le broutard au cumin !

nous marchions toujours main dans la main, d’un pas lent ;

d’un pas de juilletiste ou de convalescent !

 

Les joncs, épars, bordaient, comme de bien entendu,

les berges enracinées de la retenue

et les colverts allaient en bandes de copains

parmi les nénuphars et les touffes de plantain ;

l’eau laissait onduler ses gerçures légères,

quand les oiseaux poussaient la chanson forestière

orchestrée par un pic sur un billot de bois,

et nous suivions, radieux, la rive de guingois.

 

Nous évoquions le broutard au cumin,  les toasts,

puis, ne sachant par quel biais, l’aporie de Faust ;

oui, l’âme vagabondant en de tels endroits,

amplement décalée allègue ce qu’elle perçoit,

aussi, nous respirions tant l’humus de l’esprit

que celui des fougères et des millepertuis !

il est de doux moments où tout vous appartient,

la terre et le ciel, l’amour, en un tournemain !

 

Bien. Naturellement, d’une éclipse de lumière,

(il est là métaphore), d’un buisson mellifère,

la lune et le soleil, d’un coup de cul rageur,

pieds par-dessus cap, dans l’exigence de nos cœurs

se sont frottés sur les trompettes de méduse ;

permettez de temps en temps que le corps s’amuse !

puis, pleins d’amour, nous avons repris le chemin

guidés par le fumet du broutard au cumin.

 

Quant à savoir pourquoi j’ai composé ces rimes,

sachez

que de toute anecdote la poésie se grime !

Fleur de lotus

Un petit air de violoncelle:

la “Ballade pour un trois-quart“,

un va-et-vient de balancelle,

une capeline, un foulard,

 une longue robe d’organdi,

 sautoir Hermès et escarpins,

un rouge à lèvres Givenchy,

des gants résilles en satin,

des clés à cheval sur un sac,

table de bronze ciselé,

deux verres, ice et applejack,

 une Jaguar bleue mal garée…

 

un saule pleureur, une barque,

une allée de quartz vert amande

bordée des trois statues des Parques,

des romarins en plates-bandes,

l’eau calme de la retenue,

carolins, mandarins, sarcelles,

des pizzicatos trotte-menu,

l’ombre furtive d’une ombrelle,

un subtil parfum de lilas

et des mésanges alentours,

des roses étagées ci-et-là,

deux cyprès chandelle dans la cour…

 

un violoncelle qui s’éteint,

une porte à petits carreaux

qu’on ouvre au museau d’un carlin,

un chien baveux, noir et lourdaud,

puis deux verres qui s’entrechoquent

dans un tintement de cristal

et de la musique baroque

entre les voiles du mistral,

une robe qui git à terre,

une Jaguar vitres ouvertes ;

 

juste une histoire d’adultère ;

une fleur de lotus offerte.

Les visites de Boadicée

Parfois, Boadicée, les nuits de lune noire,

le sourire éclatant des grands soirs de victoire,

sans un mot, sans un souffle apparait sur mon lit,

deux chardons violets roses dans ses roux frisottis.

 

Assise au fond des draps, une lance à la main,

un bouclier dans l’autre, en tunique de lin,

elle attend, immobile ; elle me fixe, elle me veille,

puis provoque l’instant où alors je m’éveille

 

coi de cette rencontre entre songe et réel !

Je me dresse en un mouvement révérenciel,

espérant, avant que l’émergence ne me quitte,

comprendre clairement l’objet de sa visite !

 

Elle parle ; je ne peux entendre son message,

 pas un son ne parvient à quitter son image ;

je tente d’établir entre nous quelque idiome…

comment communiquer avec Mrs fantôme ?

 

Si j’avance la main son image se brouille,

se distord et se meut, s’obscurcit et s’enrouille ;

pourtant, la reine ne me visite par hasard,

ni certainement pour me causer de César !

 

Connaîtrons-nous une nuit d’échanges fructueux ?

Aurais-je la faveur de ses derniers aveux ?

Chevaucherons-nous sur les rives de la Tas

pour la St George’s Day ou le prochain Christmas ?

 

Après un signe tendre toujours elle disparait…

et toujours à la lune noire, stupéfait,

je la retrouve assise sur un pendant de drap ;

pourquoi diable quitte-t-elle ainsi l’au-delà ?

 

Nous n’avons guère en commun, les icénes et moi,

que l’envie d’être en paix par les champs et les bois ;

mais la vie renferme tant de couloirs cachés…

voudrais-t-elle m’instruire d’un quelconque secret ?

Dis grand-père…

Que penserais-tu de l’admirable merdier,

si tu étais, grand-père, toujours à nos côtés ;

si tu pouvais de tes Corbières Occidentales

nous siffler les refrains des grèves générales ?

Comment appréhenderais-tu le grand foutoir ?

Dans cet immense bordel, aurais-tu l’espoir

de retrouver enfin quelque saison clémente

où l’homme jouirait de concorde et d’entente,

où l’enfant réapprendrait de son banc d’école

à ne plus adhérer aux idées “Picrocholes“ ?

Quels seraient tes mots pour aiguillonner la foule

qui va de dos ronds en étranges culs-de-poules ?

Et comment analyserais-tu le progrès ?

Et que penserais-tu des vagues d’immigrés ?

Comment verrais-tu les hommes qui nous gouvernent

et de quelle grosseur verrais-tu nos gibernes ?

Comment t’y prendrais-tu pour sauver la nature

et pour foutre le feu aux bureaux de questure ?

Comment offrirais-tu la joie aux portefaix ;

dis, grand-père, comment graverais-tu la paix ?

Dis, grand-père, comment stopperais-tu la pluie,

l’égoïsme, la haine, l’ignorance et l’ennui,

et la peur et l’angoisse de périr à feu doux ?

Et comment écarterais-tu les gabelous ?

Que dirais-tu à ceux qui meurent de solitude,

à celui qui vit parce que toujours il exsude,

à la femme qui doit aller tête couverte,

qui n’a pour seule voie que celle de sa perte ?

Et quels maux réserverais-tu aux chefaillons

qui harcellent sans cesse des troupeaux de moutons ?

Dis, comment tordrais-tu le cou à l’injustice,

à la souffrance, au vice, à la fausse justice ?

 

Mille pardons grand-père de t’avoir réveillé,

toi qui connus la guerre et le ciel bleu d’été…

n’ayant sur terre personne qui me comprenne

je me suis permis de toquer à tes persiennes ;

s’il est quelqu’un là-haut qui connait le chemin,

mettez-vous en route il faut façonner demain !

La femme ailleurs

Elle cache sous son chignon des bouffées d’oxygène;

chez elle les saisons passées ne sont bien loin,

et quand sur sa masure il fait un temps de chien,

l’oxygène, en étoiles, illumine ses veines ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle est ailleurs, toujours, au bord de la fenêtre,

semblant reconnaître dans les plis de la bise

les manches retroussées, le col de la chemise

de celui qu’elle aimait… et d’un autre… peut-être ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle est ailleurs, toujours, près des flammes mourantes

d’une bûche de chêne trop lourde pour ses bras ;

elle ferme les yeux, puis sourit, ils sont là,

tous, autour de la table, tous l’haleine fumante ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle a le cœur qui bât et le chignon qui gonfle,

un souvenir s’extirpe de sa mélancolie ;

l’oxygène s’écoule, quelques larmes aussi,

et de la chemise entrevue un poitrail ronfle ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle est ailleurs, toujours, lorsque frémit la soupe ;

toujours la même soupe, sur le même trépied !

toujours l’odeur du chou vert, de l’os décharné,

du chêne mêlé à la cendre et l’étoupe ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle est ailleurs, toujours, l’œil sur la broderie,

deux lettres majuscules en haut du drap de lin ;

elle causait de trousseau en un été lointain !

qu’elle paraît petite sur le rebord du lit ;

 

elle est ailleurs !

 

Elle passe ses journées sur sa chaise de paille,

l’esprit vif et le corps aux trois quarts assoupi ;

elle voyage à vélo, elle va danser Mamie,

elle va rire… et vous irez à ses funérailles…

 

ou ailleurs !

 

Elle rira toujours de sa caisse de pin

lorsque vous déposerez vos fleurs en pleurant,

sûre de retrouver par les cieux son amant,

– émue comme au début –

quand de vos lippes rouges vous dépeindrez sa fin !

 

Elle rira toujours, d’ailleurs, elle rira…

d’ailleurs,

n’entendez-vous point les rires de l’au-delà ?

Les enfants

Ils venaient contre moi, nous mettions la musique,

leur esprit s’égarait en ces landes magiques

qui sorties du vinyle prenaient vie sur les murs,

et leurs bras étaient chauds et leur regard si pur;

 

leur souffle, sur ma peau, comme un parfum sauvage

exhibait la candeur des enfants de leur âge.

Ils aimaient, en suivant les anges dans le ciel,

écouter chaque soir les contes de Noël !

 

Ils venaient se blottir et je ne sais des trois

qui tenait la main de Dieu, mes enfants ou moi !

les anges et les bergères promenaient au plafond

leurs sabots de buis blanc, leurs chiens et leurs moutons !

 

Parfois, sortis d’un rêve, ils me disaient « papa ! »

je n’avais le temps de répondre que déjà

ils chevauchaient Pégase, je chevauchais le vent ;

avec mes deux petits nous étions trois enfants !

 

Comme les flocons au dehors, chez nous voletaient

les perles de bonheur et les bulles de gaieté ;

nous ne brûlions guère de bois à la saison

mais nos longs câlins réchauffaient notre salon !

 

Puis les enfants ont atteint l’âge de raison

et la mode n’est plus aux vieux microsillons …

mais un jour, à Noël, nous nous embrasserons

et chanterons en choeur nos anciennes chansons !

 

Avec eux j’ai grandi, avec eux j’ai passé

tant de moments à croire à l’immortalité ;

avec eux j’ai vieilli et je saurai bientôt

si de croire au divin rend l’homme bon ou sot !

La chose étrange

Cordonnier du verbe, sur un billot de bois

je clouais quelques rimes à du papier de soie,

et le parfum des mots, sous les coups de maillet,

emplissait mes songes de fragrances salées.

 

Ce soir-là, le message n’était pas primordial,

j’ai souvenance d’un texte plutôt banal ;

je clouais donc des rimes, presque par habitude

– ainsi me vient la paix dans ce monde si rude ! –

 

Ce fut la mélodie, le langage des pieds

qui pointa l’œil d’abord sous les coups de maillet,

me donnant l’envie de poursuivre sans répit,

et de fil en aiguille me donnant la pépie.

 

Par les sons et les lettres je me laissais porter,

si bien qu’en quelques strophes, je me vis embarqué,

sans niaiserie aucune, sans calcul et sans ruse,

embarqué malgré moi dans le lit d’une muse !

 

je le précise afin qu’entre nous tout soit clair,

je ne cite pas là quelque être bien en chair,

mais la bouche et les yeux en amande, peut-être,

semblables à ceux des anges lorsqu’ils viennent de naître !

 

j’entends bien une muse au sens propre du terme,

à vous faire dresser les poils sur l’épiderme

tant ses parfums subtils, à nos sens méconnus,

vous laissent imaginer l’air ambiant des nues !

 

J’étais donc là, près d’elle, être flou, je rêvais.

Au vent léger, ma foi, nos baldaquins flottaient ;

elle me contait les fleurs des galaxies lointaines…

dans l’odorant dédale je la suivais, sans peine…

 

quand sous les tilleuls d’une très ancienne place,

d’une constellation au fin fond de l’espace,

je reconnus, devant une absinthe, attablés,

je vous le donne en mille… Baudelaire et Gautier !

 

A la vue de mes potes, mon sang ne fit qu’un tour !

je lâchais la main de la muse aux mille atours

et priais le garçon de nous remettre ça !

mais d’une absinthe à l’autre, il est vrai, l’heure tourna !

 

La muse abandonnée me punit en filant

et je dus rentrer seul, cinq grammes dans le sang !

sans GPS j’aurais voulu vous y voir !

le fait est que je pris le chemin du trou noir !

 

En ces terres isolées, où tout semble pareil,

à des milliers de lieues par delà le soleil,

sans repère à présent, comment faire demi-tour ?

Minuit me sauva, car alors, le front lourd,

 

ma tête heurta d’un coup les rimes et le billot !

droguis dans le salon au milieu des mes maux

je retrouvais mon nid, bleu comme une orange ;

 

comme la poésie est une chose étrange !

Bien content

Un vieux plantait un olivier

dans la rocaille de son jardin,

à la sortie d’un patelin

que seule la misère connaît ;

 

où ne viennent que les corbeaux,

le cri lugubre du grand vent,

quelques fidèles revenants

quand le soir ouvre ses tombeaux.

 

Le vieux plantait son olivier

dans la rocaille d’un jardin

où ne pousse que le chagrin

entre l’espoir et le fumier.

 

Tant que quelque force lui restait,

il enfouissait ses prières

sous une grosse motte de terre

et puis le travail terminé,

 

courbé sur sa canne de buis,

de sa vieille bouche édentée

le brave homme laissa échapper

le sourire de l’œuvre accomplie.

 

Un rayon de soleil perça

l’épaisse couche de nuages ;

Dieu devait lire son message.

Alors le vieil homme se tourna,

 

se releva tant bien que mal,

sourit encore et se signa,

puis repartit à petits pas

près du feu lire son journal.

 

Les oliviers poussent aisément,

sans trop d’engrais, dans la rocaille ;

chez nous, c’est vrai, d’un peu de paille

on fait sa couche ; bien content.

Pour rien

Je suis passé par la chapelle

où Gladys priait, autrefois,

les mains croisées sur le missel

et les yeux rivés sur la croix ;

 

Gladys implorait, à genoux,

toute la noblesse des cieux …

pour rien,

car jamais l’un de ces ripoux

n’exauça le moindre de ses vœux !

 

Combien de jours et de semaines,

sur ces malons de pierre humide

elle fit trace de sa peine,

de larmes sillonnèrent ses rides ?

 

Dieu (Père et Fils), Marie, Joseph,

Saint Antoine, toute la cohorte

des anges ailés de la nef…

pour rien !

même si Gladys était forte,

 

même si Gladys était belle,

même si ses dix-huit ans hurlaient,

même si Gladys portait en elle

quelque bâtard comme ils disaient,

 

sa place était avec les siens,

aux champs, au chaud des cheminées,

à préparer comme il convient

la paillasse du futur bébé !

 

Pour rien Gladys n’aurait souhaité

que son rejeton eut pour père

un saisonnier, un feu follet !

mais l’amour frappe à sa manière,

   vous le savez ?

 

sinon courrez le rattraper,

lancez les chiens et les rapaces,

creusez des pièges, faites brûler

tous les cierges de la paroisse…

pour rien !

 

J’ai traîné ma vieille carcasse

où Gladys priait à genoux

pour retrouver un peu de grâce

auprès des femmes de chez nous.

 

Quand l’angélus donna le ton,

elle mit sa couronne de houx ;

son monde alors était si flou

qu’elle sauta par-dessus le pont…

pour rien !

 

La grande noblesse céleste

n’ayant pas daignée faire un geste,

les innocentes au cœur de pierre

mirent Gladys et bâtard en terre…

c’est tout !

 

Je passe devant la chapelle

pour m’en aller cueillir du houx,

mais comme là rien ne m’interpelle

jamais je ne tire les verrous ;

au ciel on se moque de nous

et ma maigre foi bat de l’aile ;

de la famille machin je m’en fouts

je ne suis plus de la clientèle !

 
 

Un jour la chapelle tombera !

quant aux prières de Gladys,

Vade rétro, De Profundis,

d’un rien, le lierre les recouvrira…

 

c’est la seule loi, ici bas !