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La chose étrange

Cordonnier du verbe, sur un billot de bois

je clouais quelques rimes à du papier de soie,

et le parfum des mots, sous les coups de maillet,

emplissait mes songes de fragrances salées.

 

Ce soir-là, le message n’était pas primordial,

j’ai souvenance d’un texte plutôt banal ;

je clouais donc des rimes, presque par habitude

– ainsi me vient la paix dans ce monde si rude ! –

 

Ce fut la mélodie, le langage des pieds

qui pointa l’œil d’abord sous les coups de maillet,

me donnant l’envie de poursuivre sans répit,

et de fil en aiguille me donnant la pépie.

 

Par les sons et les lettres je me laissais porter,

si bien qu’en quelques strophes, je me vis embarqué,

sans niaiserie aucune, sans calcul et sans ruse,

embarqué malgré moi dans le lit d’une muse !

 

je le précise afin qu’entre nous tout soit clair,

je ne cite pas là quelque être bien en chair,

mais la bouche et les yeux en amande, peut-être,

semblables à ceux des anges lorsqu’ils viennent de naître !

 

j’entends bien une muse au sens propre du terme,

à vous faire dresser les poils sur l’épiderme

tant ses parfums subtils, à nos sens méconnus,

vous laissent imaginer l’air ambiant des nues !

 

J’étais donc là, près d’elle, être flou, je rêvais.

Au vent léger, ma foi, nos baldaquins flottaient ;

elle me contait les fleurs des galaxies lointaines…

dans l’odorant dédale je la suivais, sans peine…

 

quand sous les tilleuls d’une très ancienne place,

d’une constellation au fin fond de l’espace,

je reconnus, devant une absinthe, attablés,

je vous le donne en mille… Baudelaire et Gautier !

 

A la vue de mes potes, mon sang ne fit qu’un tour !

je lâchais la main de la muse aux mille atours

et priais le garçon de nous remettre ça !

mais d’une absinthe à l’autre, il est vrai, l’heure tourna !

 

La muse abandonnée me punit en filant

et je dus rentrer seul, cinq grammes dans le sang !

sans GPS j’aurais voulu vous y voir !

le fait est que je pris le chemin du trou noir !

 

En ces terres isolées, où tout semble pareil,

à des milliers de lieues par delà le soleil,

sans repère à présent, comment faire demi-tour ?

Minuit me sauva, car alors, le front lourd,

 

ma tête heurta d’un coup les rimes et le billot !

droguis dans le salon au milieu des mes maux

je retrouvais mon nid, bleu comme une orange ;

 

comme la poésie est une chose étrange !

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