1986 / 2009
à vous tous mes amis qui avez partagé mes rimes et mes larmes durant cette fresque trilogique ; 23 ans d’un bonheur intense à vos côtés ;
merci.
– Mise en bouche –
Chers amis, voici le quinzième livre et le dernier d’une trilogie que j’ai tout naturellement baptisée “Poète malgré lui ; itinéraire d’un simple quidam“.
Trois recueils constitués chacun de cinq livres :
- “Ballade au gré du vent de Cers“.
- “Le Marinas est rentré“.
- “Tant que j’aurai du pain, du vin et de l’amour“.
« Le voyage, pour moi, ce n’est pas arriver, c’est partir. C’est l’imprévu de la prochaine escale, c’est le désir jamais comblé de connaître sans cesse autre chose, c’est demain, éternellement demain. »
Roland DORGELES.
Cette citation valant mille discours elle sera la raison, la lumière et le fil conducteur de ce dernier ouvrage. D’autres recueils suivront, sûrement, et ils renfermeront alors ces parfums, ces couleurs et ces mots paradisiaques que mes chemins actuels, aussi riches soient-ils, ne me permettent que d’effleurer pour l’instant !
« Oh ! Demain, c’est la grande chose ! De quoi demain sera-t-il fait ? »
Victor HUGO.
« Demain, et demain, et demain ! C’est ainsi que, à petits pas, nous nous glissons de jour en jour jusqu’à la dernière syllabe du temps inscrit sur le livre de notre destinée. » William SHAKESPEARE (extrait de Macbeth).
Les premiers poèmes de ce livre seront illustrés par des personnages au caractère différent, puis viendront les étoiles de “mon pays“ des Corbières, puis mes amours et la philosophie des hommes de cette terre !
Chers amis, j’éprouve aujourd’hui plus que jamais le besoin de partager le pain, le vin, le toit, l’amitié, les vertus de la nature et les richesses de tous. J’éprouve le besoin de créer un monde unique où chacun prendrait au soleil la chaleur qui lui est nécessaire et je voudrais donner à ce monde le nom de “demain“ ! Et ce monde je voudrais le créer avec tous ces personnages au caractère différent ; non pas avec les étoiles de “mon“ pays, mais avec toutes les étoiles des cieux, avec l’amour puisqu’il est universel et toutes les philosophies positives ; juste un monde où le mal serait banni, où la justice, la liberté et la tolérance seraient reines !
« On rencontre beaucoup d’hommes parlant de libertés, mais on n’en voit très peu dont la vie n’ait pas été principalement consacrée à se forger des chaînes ! »
Gustave Le Bon (extrait de hier et demain).
Certes le langage des hommes est bien différent mais remarquez comme ces hommes ont en commun le souci de demain !
Faut-il y voir une lueur d’espoir ?
L’espoir est la plus grande entrave à la vie. En espérant demain, aujourd’hui se perd !
SENEQUE.
Demain est la chose la plus importante de la vie. Il nous arrive à minuit encore tout propre. Quand il arrive il est parfait et il se blottit dans nos mains en espérant que l’on a tiré quelque leçon de la veille !
John WAYNE.
Je ne peux pas dire qui je serai demain ; chaque jour est neuf et chaque jour je renais.
Paul AUSTER (extrait de La cité de verre).
Il faudra plus d’ordina-cœurs que d’ordinateurs dans la communication de demain !
Jacques SEGUELA.
La fin du monde est pour demain ; je vous le confirmerai la semaine prochaine !
Frédéric DEVILLE (extrait de Les pensées de lelecteur).
Pourquoi s’inquiéter de demain, aujourd’hui répondra bien à tout !
Christian BOBIN (extrait d’Une petite robe de fête).
Nous sommes au futur. Voici demain qui règne sur la terre !
René CHAR.
Si l’on m’apprenait que la fin du monde est pour demain, je planterais quand même un pommier !
Martin LUTHER.
Le bonheur de demain n’existe pas. Le bonheur c’est tout de suite ou jamais !
René BARJAVEL.
L’avenir, ça nous inquiète, mais ça ne devrait pas, parce que si ça ce trouve on en a même pas !
Faiza GUENE (extrait de Kiffe, Kiffe demain).
Et si vous me le permettez, à la vue de tout ceci j’ai gardé cette citation pour la fin :
Que le soleil se lèvera demain est une hypothèse !
Ludwig WITTGENSTEIN (extrait de Tractacus logic philosophicus).
Sur ce je vous souhaite une dive méditation, une excellente lecture ; aimez les gens, aimez la vie, vivez en harmonie comme il se doit… et prenez à mes rimes tout le soleil que vous pourrez y trouver !
Avec toute ma gratitude, affectueusement ;
J.G
– Table des poèmes –
- Une grippe de cochon.
- On l’appelle “solidarité“.
- Le départ du vieux.
- L’emmerdeur.
- Le jour où le chien sortait l’homme.
- Laissez les musiciens.
- L’homme seul.
- Va.
- Le marin.
- Réminiscence de plombier.
- Le retour espéré.
- L’américain.
- Ligne droite.
- L’outil, la terre ou l’idée.
- Racines.
- Le chariot de la joie.
- NOËL dans le quartier bas.
- La supercherie.
- La mémoire des pierres.
- Composition champêtre.
- Chante pinson.
- Labastide, ma mie.
- Regard sur l’infini.
- D’une pluie divine.
- La face cachée du miroir.
- Arithmétique appliquée.
- La constellation des pauvres gens comblés.
- Comblé soit celui.
- Apaisé.
- Sur les ailes de l’Autan.
- Laissez venir à moi les petits enfants.
- Devis.
- L’étoile inconnue.
- Adjonction de sel.
1. – Une grippe de cochon –
Mes chers amis,
je suis malade comme un chien,
j’ai une fièvre de cheval,
je baille comme une carpe,
je marche en crabe,
sans cesse je plume mon renard !
Je suis là, ce soir, car je ne souhaitais pas vous poser un lapin !
En fait, cela m’a pris entre chien et loup, à table ;
moi qui ai toujours une faim de loup,
je regardais les yeux de gazelle de ma femme
en chien de faïence…
je gobais les mouches, quoi !
Ma femme, qui dit toujours que j’ai l’air d’avoir mangé du lion…
là, j’avais plutôt l’air franc de l’âne qui recule !
Nous étions attablés devant un bœuf bourguignon ;
– ho, nous n’avons pas tué le veau gras,
non, nous traversons plutôt une période de vache maigre ! –
soudain, je me suis senti comme une poule qui vient de trouver un couteau,
moi qui d’ordinaire suis à table comme un coq en pâte,
je mangeais là comme un moineau,
j’avais la chair de poule…
une vraie couleuvre quoi !
on dit que là où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute ; mais quand même !
j’avais des grenouilles dans le ventre
et c’est peut-être ce qui me mit la puce à l’oreille ;
je ressentais des fourmis dans les jambes,
je me sentais maigre comme un coucou,
il faisait un froid de canard, brrr…
la faux me gardait assurément un chien de sa chienne !
je me serais endormi comme un loir
j’aurais été le dindon de la farce,
fait comme un rat !
la vie m’aurait probablement payé en monnaie de singe !
Ne riez pas comme des baleines,
si j’avais pu disparaître dans un trou de souris, je l’aurais fait !
Lorsque je suis devenu muet comme une carpe,
ma femme m’a donné un remède de cheval…
et comme à cheval donné on ne regarde pas la bride,
j’ai pris le médicament, puis sur le lit je suis tombé comme une mouche
et j’ai dormi en chien de fusil !
Ha, la grippe m’a joué un beau tour de cochon !
Bien, je vais donc emporter le chat
et vous souhaiter un excellent récital
au sein duquel, si la santé me le permet… j’essaierai de faire mon bœuf !
(texte écrit pour le récital de fin de saison 2010 de l’association « LES CHANTS-SONNETS » de Blagnac à la salle Saint-Exupère.)
2. – On l’appelle “solidarité“ –
Il s’allonge sur le divan,
dit vouloir aller de l’avant
en titillant son cher passé ;
une médecine orchestrée !
Un autre écoute et lui jacasse
sur les abysses et les Jorasses !
il paraît qu’il panse ses maux
en croassant comme un corbeau !
Nous autre nous coupons son bois,
repassons les tuiles de son toit,
nous autres labourons ses champs,
tirons le lait pour ses enfants !
Pendant qu’il classe dans son ciel
ses larmes de joie et de fiel,
sur nos sentes encore gelées,
vers le bois, traînant la cognée,
– ô nécessité écrasante! –
nous allons l’haleine fumante !
la bûche a du mal à glisser
sur les fougères des forêts !
———–
Ha, plus je pense à cette fable
dont le récit certes est menteur
mais dont le sens est véritable,
plus la colère enserre mon cœur…
et plus je hais l’homme qui prêche
“Egalité – Fraternité“
plutôt que d’aller à la pêche
faire sa friture de rougets !
3. – Le départ du vieux –
Plante, plante, plante tes clous,
râpe, râpe, râpe ton bois,
serre, serre, serre tes écrous,
ponce, ponce le vieux s’en va !
capitonne, lustre et vernis,
mets tout ton doigté à l’ouvrage
pour que la pirogue finie
face pâlir le vieux de rage !
Certes menuisier émérite,
le vieux était un emmerdeur
qui aurait enseigné aux termites
comment ronger la poutre à cœur !
Il était de la vieille école
où les maîtres n’avaient jamais tort,
et planquait au fond de leurs grolles
quelques pépites de vieil or…
je veux dire mille combines,
bien des savoir-faire ancestraux !
le vieux était une vraie mine,
incollable sur le “boulot“ !
Invivable en son atelier
comme le sont les grands artistes,
seule la faux est arrivée
à faire plier l’ébéniste !
plier n’est qu’une douce image,
le chêne rompt mais ne se plie !
du coup c’est au pays des anges
ou des démons qu’il est parti !
Plante, plante, plante tes clous,
râpe, râpe, râpe ton bois,
serre, serre, serre tes écrous,
ponce, ponce le vieux s’en va !
Si Dieu ou le diable ont du bois,
des chevillettes et un maillet,
une vieille équerre, un compas,
une scie, des pointes rouillées,
emmerdeur comme il est, le vieux
va leur refaire le mobilier ;
un vaisselier pour le Bon Dieu,
au diable un four en merisier !
Pour l’instant, c’est pour lui qu’on bosse,
et afin de faire des envieux
de sa caisse on fait un carrosse
qui scintillera par les cieux !
Si vous en voulez un, mesdames,
pourvu d’une ronce de noyer,
ou pourquoi pas décapotable,
passez commande à l’atelier…
le vieux a formé la relève
au travail d’orfèvre… mais depuis
ce matin on lit sur les lèvres
qu’on va scier au ralenti…
puisque le vieux est bien parti
nous allons baisser la cadence ;
on ferme jusqu’à samedi…
ensuite on prendra les vacances !
4. – L’emmerdeur ! –
L’hôtesse gesticulait un flot de consignes :
les issues de secours, le masque à oxygène,
le gilet gonflable… au diable toute peine,
qui descend à pic doit se mettre dans la pigne
qu’en touchant le sol il remontera aux cieux,
sans réacteur, sans aile, sans billet ni bagage !
qui pique du nez part pour un joyeux voyage !
sachez qu’au destin, qui peut le moins peut le mieux !
L’hôtesse, en jupe courte, maquillée comme trois,
gesticulait un flot de succulents sourires
– ce qui nous faisait, en outre, oublier le pire –
quand sur le tarmac la bête grognait déjà…
à pleins gaz… elle allait débrider sa colère
quand le type de gauche, le nez dans le sachet,
blanc comme un édredon rendait le déjeuner,
avec entrain, à son dernier lopin de terre !
Lorsqu’à nouveau son teint fut revenu rosé,
pour lui remonter le moral, causer un brin,
je fis succinctement l’éloge du divin,
qu’en cas de crash nos âmes pourraient être sauvées…
que je connais quelqu’un (tous détails à l’appui)
qui ramassait les corps, un jour, éparpillés …
mais comme l’envie de rendre le reprenait,
plutôt que d’enchaîner sur les listes d’avaries,
n’ayant aucune envie de lui parler du temps
tandis que nous percions quelque violent orage,
j’en vins aux délicates manoeuvres de décollage ;
lorsqu’il tourna de l’œil, je finis mon croissant…
puis j’alertai l’hôtesse avant qu’il ne succombe,
et lorsque j’aperçus son souffle régulier,
heureux d’avoir pour l’homme fait preuve de bonté
je me remis à lire “Les mémoires d’outre-tombe“ !
Il gardera du vol AZ1500
un triste écho cet homme qui n’aime pas l’avion !
les gens ont peur de tout, et souvent sans raison !
il faut faire confiance aux courants ascendants !
5. – Le jour où le chien sortait l’homme –
Le jour où le chien sortait l’homme,
où l’air du nid sentait le rance,
le jour des terribles absences,
le trottoir, comme un trait de gomme
crevait l’erreur à la copie,
apportait un peu de lumière
en ce devoir rudimentaire
qu’impose au quotidien la vie !
Un clochard eut été un roi
à ses côtés, soyez-en sûr,
toujours groggy, toujours obscur,
toujours plus seul, toujours plus bas
dans ses souvenirs chatoyants
tirés des malles d’un vieux monde
avec sa femme et sa faconde…
pourtant ici, toujours absent !
Le jour où le chien sortait l’homme
ses crocs prenaient au caniveau
l’amour que d’autres avaient en trop
et croquait l’instant comme un môme !
C’est le chien qui guidait les pas
de l’homme qui n’en avait pas ;
pas plus de vie que de trépas,
sans volonté et sans combat !
Deux ombres qui se faufilaient
au gré des ruelles de fortune
sous une pluie de pleurs de lune,
des aiguilles à détricoter !
Chez eux n’entrait pas la couleur
excepté le brun et le gris ;
jamais un regard à Marie,
pas de sourire et pas de fleur !
Leurs fenêtres étaient sans poignée ;
le chien aboyait en sourdine
entre les boîtes de sardines
et les ustensiles rouillés…
et puis,
je ne sais quelle bonne fée
remit leur soleil en été,
l’homme alla marcher dans les blés,
le chien se remit à japper…
l’homme avait retrouvé la vue
sous une étagère étriquée,
le goût du bon vivre et l’idée,
de nuit, à l’angle d’une rue !
Tout peu à peu s’illumina ;
le jaune et le rouge passèrent
à minuit leur porte cochère
et le bon chien coursa les chats.
Alors l’homme prit ses cahiers ;
on dit qu’il mariât sa plume
avec neuf muses de fortune
qu’il logeait sous un oreiller !
Ce fut la ville, entendez bien,
autour de l’homme, autour du chien,
qui lors n’eut plus le goût de rien ;
l’ennui gagna les citadins !
Suite à ces rimes je vous propose,
si vous aviez un brin de temps,
de vous impliquer, seulement !
non point de tout remettre en cause !
de vous impliquer, seulement,
si vous aviez un brin de temps !
6. – Laissez les musiciens ! –
On pensait les poètes… il n’en est rien du tout !
on a bien la preuve qu’ils ont les pieds sur terre !
faute de coupable ils faisaient si bien l’affaire !
on les pensait rêveurs et on les disait fous !
On pensait les poètes… il n’en est rien du tout !
s’ils ont la tête au ciel c’est pour boire l’azur !
alors on les peignait toujours plus niais, c’est sûr,
toujours les cheveux longs, la cervelle qui bout !
On pensait les poètes… il n’en est rien du tout !
ils sont la plume des désirs et des colères !
mais je vous le redis, ils faisaient tant l’affaire,
qu’il fallait, ironiquement, trancher leur cou !
il fallait poignarder leur âme, que leur sang
coule dans le ruisseau, gentilshommes de peu !
et les poètes éteints, leurs muses ne valaient mieux !
l’ironie tue beaucoup ; l’esprit est arrogant !
On pensait les poètes… il n’en est rien du tout !
on les croyait de mèche avec l’esprit du vent,
l’esprit de l’eau, du feu, de tous les éléments !
on les pensait rêveurs, il n’en est rien du tout !
On les pensait rêveurs ! Ils sont à l’autre bout
de la corde artistique les esprits libertins !
ils tiennent le jumbé, la harpe, le clavecin !
m’en croyez, ils détiennent les passe-partout…
ils sont la clé de LA, ils sont la clé de Sol,
ils sont la clé des songes, ils sont la clé des cieux,
ils sont la clé d’Ut et la croche nom de Dieu !
Je vous l’affirme sans détour et sans bémol,
n’allez hurler, comme on le fit pour les poètes,
haro sur ces géants qui marchent à la baguette !
n’allez, comme on le fit longtemps pour les poètes,
dresser quelque échafaud ; ne tranchez pas leur tête !
Laissez les musiciens souffler dans le trombone,
laissez-les gratouiller les cordes et les soies,
laissez les archers filer droits ou de guingois,
la guerre prend toujours ce que la vie nous donne !
Laissez les musiciens souffler dans le trombone,
la guerre prend toujours ce que la vie nous donne !
7. – L’homme seul –
Un ange, sur un monocycle,
traînait une vieille carriole
par la traverse de Villesiscle ;
un petit chemin sans bagnole.
Je faisais, “la piquette“ aux doigts,
des bottes de poireaux sauvages
par une après-midi sans froid
où j’étais sorti de ma cage…
car je vis seul à la maison ;
alors je vais, panier au bras,
cueillir les fruits de la saison :
le pissenlit, la fraise des bois…
Soudain, quand son timbre tinta,
que ce tintement traversa
la capuche de ma parka,
je l’aperçus derrière moi !
Pour sûr, il avait tout de l’ange !
deux ailes blanches dans le dos,
la “coupe bol“, petite frange,
chapelet sur le sac à dos…
il portait l’aube et les baskets,
affichait un sourire malin…
de nuit, il aurait pris un pet
de chevrotine, c’est certain !
Voici quelque oiseau migrateur
qui ne se fiait aux étoiles
mais aux panneaux indicateurs,
sur une espèce de char à voile !
Où allait-il ainsi accoutré ?
– La question vous paraît étrange ? –
Je fis un signe pour l’arrêter,
mais savez-vous ce que fit l’ange ?
il disparut à l’instant T,
ange, monocycle et carriole ;
j’en suis encore bouleversé !
par la solitude harcelé,
j’avais dû forcer sur la gnole !
8. – Va –
On parlera encore, on causera toujours
de ce brave qui vient et fait trois petits tours
sur la marche glorieuse de son hôtel de ville,
la fleur de lys en main, de l’autre la faucille,
dépeignant posément ses tendres convictions,
conscient de rendre un fier service à la nation,
sincère, à qui je voue toute mon admiration
pour clamer au grand jour ses nobles intentions !
Trois petits tours, disais-je, et le voilà parti,
souvent par ses adjoints poussé vers la sortie…
car il est de ceux-là, sans se voiler la face,
qui détrôneraient Dieu pour lui voler la place !
Sans parti pris, sans critiquer ni acquiescer,
le pays de cocagne est vite moissonné ;
trois petits tours, disais-je, sous le bonnet phrygien
et voici que l’hiver annonce un froid de chien !
———-
Dans sa mansarde bleue, au cœur du quartier bas,
sous son édredon de plumes, les trous de ses draps,
on parlera encore, on causera toujours
de celui qui, charmeur, fait aux muses la cour,
dépeignant posément ses tendres convictions,
conscient de rendre un fier service à la nation,
sincère, à qui je voue toute mon admiration
pour clamer à l’extra ses nobles intentions !
Trois petits tours, disais-je, et le voilà parti,
souvent par une idylle poussé vers la sortie…
car il est de celles-là, sans se voiler la face,
qui tueraient le poète pour lui voler la place !
Sans parti pris, sans critiquer ni acquiescer,
le pays de cocagne est vite moissonné ;
trois petits tours, disais-je, au pays des bleuets
et voici que l’hiver fait voler le duvet !
———-
On parlera encore, on causera toujours
de l’homme qui sermonne l’entendant et le sourd,
cet esprit qui prétend “qu’ailleurs est plus clément“
pour celui qui reçut un jour les sacrements !
dépeignant posément ses tendres convictions,
conscient de rendre un fier service à la nation,
sincère, à qui je voue toute mon admiration
pour clamer aux fidèles ses nobles intentions !
Trois petits tours, disais-je, et le voilà parti,
par l’infidélité poussé vers la sortie,
car elle est aussi, certes, sans se voiler la face,
prête à détrôner Dieu pour voir le Diable en place !
Sans parti pris, sans critiquer ni acquiescer,
le pays de cocagne est vite moissonné ;
trois petits tours en chaire, vous disais-je abusé,
et voici que l’été se fait encore prier !
———-
Gloire à toi qui fais trois petits tours sur la terre,
chérissant Marianne, les muses, la Bonne Mère ;
que sur ton épitaphe le ciseau du tailleur
en incrustant ton œuvre grave une jolie fleur ;
fut-ce une cocarde, un bleuet, un muscari…
qu’importe pourvu qu’elle soit ta fleur de vie !
9. – Le marin –
Je vous vois attablés
autour d’un plat fumant,
un civet de sanglier,
des giroles, un faisan ;
j’entends d’ici vos rires
et je sens votre vin ;
je connais les délires
des soirs entre copains…
braves gens de la terre
à l’âme merveilleuse
et je sens l’atmosphère
enfumée et joyeuse
de la vaste cuisine
où vous êtes en rond,
faisant face aux verrines
et dos aux illusions…
faisant feu de tout bois !
jonglant avec les mots !
riant de je ne sais quoi,
d’un quelconque propos !
Je vous sais à la table
des humeurs pétillantes,
la posture impeccable,
la soif d’être, béante !
et rongeant votre vie
comme un os de poulet !
je vous sais, doux amis,
grandement occupés …
aussi, je prends congé
sous une encre d’ébène,
car n’être à vos côtés
me cause grande peine !
je suis tout seul, là-bas,
les pieds et mains aux fers
sur un cercueil de choix
voguant en toutes mers !
« Un jour je serai grand
et je serai marin ! »
qu’est ce qu’on est con, enfant,
j’étais si bon terrien !
10. – Réminiscences de plombier ! –
Avec l’insouciance d’un mioche
il serrait son manche de pioche
et dégueulait bien des jurons
dans l’œil des canalisations,
puis il piétinait de ses bottes
la boue, la limaille, la flotte,
la filasse et la pâte à joint
qui s’alanguissaient dans un coin.
Son bleu, ce soir, sentait le rance ;
un job qui ne vous met en transe
mais réchauffe la soupe à midi
et paie les crayons des petits !
Une vie dans le caniveau
à visser, souder des tuyaux ;
à vous faire naître l’arthrose,
mais là, c’est encore autre chose…
puisque le saturnisme est mort,
faut bien qu’un diable, à bras le corps,
– pourquoi seriez-vous donc en paix ? –
triture vos rotules à souhait !
Travail ingrat ! Et baume au cœur
je contemplais l’homme au labeur,
suant au feu du chalumeau
les larmes de l’alter égo !
larmes d’hiver, larmes d’été,
– réminiscences de plombier –
salut, camarade de tranchée !
11. – Le retour espéré –
Et puis un jour elle est venue,
personne ne l’attendait plus !
elle est arrivée sous un vent
de flammes et de bombardements !
sans crier gare elle a passé
la porte, puis s’est installée.
Tant l’amour luisait sous ses ailes,
à la voir, on l’eut cru chez elle !
seul bémol, son accent perdu
sous la mitraille de la rue.
Elle a souri de ses yeux ronds,
puis a jeté son baluchon
dans le recoin de l’escalier,
comme si tout était terminé.
Comme s’il y avait une entourloupe,
nous avons mangé notre soupe
– la vie jouant à cache-cache –
sans lever l’œil ni la moustache !
Ce n’est qu’après le pousse-café
qu’à nouveau nous avons osé
– sans peur qu’elle ne fuit – l’embrasser ;
tout n’était que félicité !
Toujours à l’œil d’une contrée
le vent finit par se calmer…
et quelque soit le jour, la nuit,
sur ses ailes elle revient au nid,
la paix !
12. – L’américain –
Je ne sais si ce fut le soleil, affairé
à polir les boutons de ma table de nuit,
ou, venant du tilleul, le tendre gazouillis
de deux mésanges charbonnières enjouées,
je ne sais si ce fut la nouvelle saison
qui faisait en mon esprit valser le présent,
ou la lumière qui posait sur mes draps blancs
les lèvres de l’orgueil, ses mains fines et son front,
je ne sais si la lune m’avait embrassé,
je ne sais si le calme profond de mon être
pour une étoile avait sauté par la fenêtre,
je ne sais pourquoi je m’éveillais enjoué !
Je ne sais si quelque rêve m’avait emporté
dans les nues, dans les profondeurs d’un cher passé,
d’un passé bienheureux ou de nues enchantées ;
je ne sais si quelque songe m’avait aimé,
je ne sais si désormais, l’espoir, en mon âme,
– comme l’hirondelle donnant à ses petits,
en toute modestie, la becquée de la vie –
colorait mon azur d’une patte de charme,
mais je m’éveillais fort de posséder le monde !
Moi, sur qui Marx a soufflé son dernier soupir,
d’un coup, je crus que j’étais prêt à le trahir,
que tous mes idéaux avaient passé la bonde !
Moi, qui possède tout en ne possédant rien,
ce matin là je m’éveillais A-ME-RI-CAIN !
mais à quoi bon raviver ces idées obsolètes
quand nos intellos se proclament “citoyens du monde“ ?
imaginez si tous ces cons faisaient la ronde
combien on compterait de boutons de braguette !
13. – Ligne droite –
C’est marrant, je n’avais plus roulé sur la neige
depuis que l’ère moderne m’était apparue,
et voici que tantôt, à l’angle de ma rue,
– jeunes filles d’hermine au sortir d’un collège –
les flocons déposaient leurs pattes en bouquets
sur le noir macadam de ma cité obscure ;
je revoyais l’église, les jardins, la nature,
le village aux toits blancs de mes jeunes années !
Je pris la route sur une chaussée glissante,
certes je roulais au pas, et je fuyais la ville,
quatre moutons devant et je suivais la file,
quatre moutons derrière, tous le bonheur aux jantes…
car il vient des profonds hivers de notre enfance
une espèce de joie quand la neige apparaît ;
certes, un bonheur magique que Freud expliquerait !
Mais sans pêcher le gros à l’étang des consciences,
je me souviens du fier village aux murs de pierres,
de la terre battue au pied des écuries
que l’hiver recouvrait de son imagerie
de glaçons, de guirlandes de chants et de prières…
d’une dive insouciance pour l’enfant que j’étais,
d’un livre pour Noël ou d’un cheval de bois…
puis des quatre moutons nous n’étions plus que trois
et sur la route, bien que la chaussée glissait,
je rêvais !
C’est marrant je n’avais plus roulé sur la neige
depuis que l’ère moderne m’était apparue ;
ainsi l’on prend conscience du temps parcouru !
que de bouquets fanés entre les perce-neige !
14. – L’outil, la terre ou l’idée –
S’il m’est plaisant d’écrire à longueur de journée
des récits poétiques relatant mes amours
tant avec la vendange qu’avec le labour,
avec la rouquette, les sabots, le béret,
avec les gens d’ici et leurs vagues de tuiles
et les dunes d’“ostals“ au pied de nos collines,
notre histoire debout sur nos châteaux en ruines,
et notre Carthagène, et nos miels, et notre huile…
s’il m’est plaisant d’écrire, à longueur de journée,
que la douce Fontiès, quand le soleil se meurt,
que la paix drape l’âme du viticulteur,
– sus à tout empereur – dresse haut ses lauriers…
s’il m’est plaisant d’écrire que son air est si pur
que j’y cueille avec délicatesse la vie,
comme à la belle saison la fleur d’harmonie,
ou l’asperge bien verte, ou le muscat bien mûr…
s’il m’est plaisant d’écrire qu’à Fontiès j’ai trouvé
le Paradis sous une souche de merlot,
si de mes rimes je peints cet eldorado
plutôt que d’aller au théâtre ou au ciné…
c’est que je me chauffe mot à mot, vers à vers
aux soleils d’autrefois ; cette époque glorieuse
où chaque heure passée était une heure heureuse ;
où l’homme des Corbières n’avait le cœur amer !
Je suis un “nostalgique“ direz-vous en riant !
savez-vous que j’ai quitté Fontiès à treize ans
pour aller reconnaître ces gouffres béants
que les hommes se complaisent à creuser en beuglant ?
Je viens par “épisodes“, mais ne pense être dupe,
tous mes soleils anciens se sont bien obscurcis ;
les oies fontiésoises ne croquent plus d’ortie
et le cochevis vient au foyer sans sa huppe !
Mais qu’importe ! en longeant nos rues quasi-désertes
je revois, bien calés sur leurs chaises de paille,
nos ancêtres passant veillée, et leur marmaille,
et l’amitié qui partout vous était offerte !
Je me surprends parfois à leur dire “Bonsoir !“
mais mon “Bonsoir !“ se perd sous les portes cochères ;
quelque rime, alors, s’accroche à ma boutonnière,
et pour eux, bienheureux, je reprends le bougeoir !
sous une flamme d’ancien temps alors j’enfile
des quatrains à des quatrains, des quatrains encore
et je tricote ainsi souvent jusqu’à l’aurore…
comme Luc écrivant de nuit ses évangiles !
———-
Avez-vous compris pourquoi toujours le poète
semble d’un autre temps, semble perdre la tête ?
Si les muses, une nuit, n’avaient conquis ses songes,
comme vous il n’aurait plus grand-chose qui le ronge !
S’il m’est plaisant d’écrire, à longueur de journée,
c’est pour bâtir demain sur les liens du passé ;
que Fontiès en soit l’outil, la terre ou l’idée,
c’est pour bâtir demain… sans jamais oublier !
15. – Racines –
Même si j’étais né là-bas
entre les sabots d’un chameau,
et la soif asséchant mes bras,
et le sable fouettant ma peau,
parmi les regs et les dayas
menant sans cesse le troupeau…
pour quelques bruines éphémères
je n’aurais pas quitté le nid ;
jamais n’aurais quitté la terre
que mes ancêtres auraient bénie !
———-
Même si j’étais né là-haut
dans ces maisons de bois teinté
de rouge vif pour avoir chaud,
près d’un fjord où même l’été
les orques et les cachalots
ont la chair de poule et l’onglet…
pour quelques soleils éphémères
je n’aurais pas quitté le nid ;
jamais n’aurais quitté la terre
que mes ancêtres auraient bénie !
———-
Même si j’étais né sous l’épaisse
forêt tropicale, où les rais
de lumière serrent les fesses
pour pénétrer la canopée,
à l’heure grave où la tigresse
s’en vient croquer quelques pygmées…
pour quelques néons éphémères
je n’aurais pas quitté le nid ;
jamais n’aurais quitté la terre
que mes ancêtres auraient bénie !
———-
Même si j’étais né sur les pentes
lavées de cendres et de fumées,
fraîches moulues de laves ardentes
d’un volcan sans cesse harcelé
par quelque tripe bouillonnante
et des râles en pointillés…
pour quelques prairies éphémères
je n’aurais pas quitté le nid ;
jamais n’aurais quitté la terre
que mes ancêtres auraient bénie !
———-
Mais je suis né dans un vallon
où la violence est quotidienne,
où mes semblables, à l’unisson,
font couler le sang et la haine,
où l’on court à la perdition
sitôt qu’on court à perdre haleine !
J’ai préparé mon baluchon
et dois en pleurs quitter le nid,
abandonner ce vert vallon
que mes ancêtres avaient béni !
“Fontaine, jamais je ne boirai
ton eau !“ c’est avec conviction
que du perce-neige au muguet,
de la vendange à la moisson,
sous mon vieil arbre je clamais
cet adage en toutes saisons !
Que mes ancêtres me pardonnent
je brûle la plume du nid ;
les vers ont gangréné la pomme ;
la pomme rouge du pays !
16. – Le chariot de la joie –
Le chariot de la joie sillonne le village,
les enfants enchantés chicanent en son sillage,
les feux d’artifice et les pétards enjôleurs
font vibrer les pupilles, les tympans et les cœurs !
partout la liesse fait grand ouvrir les fenêtres,
on voit planer les rires sur plusieurs kilomètres,
la terre, humide, accouche d’un air de violoncelle
et les filles de joie chatouillent les pucelles !
dis, connais-tu les secrets du pré aux phalènes ?
Soudain, les coins des rues s’embrasent et l’on se tient,
la longue farandole revêt un fier dessein,
les haches, à grands coups, éventrent les barriques,
le cristal des coupes a des reflets mirifiques !
tant de fleurs recouvrent le bitume, à présent,
qu’on dirait un hameau au beau milieu des champs !
les grillons donnent corps à cette symphonie,
l’exaltation déplie ses bras nus dans la nuit !
dis, connais-tu les secrets de la douce Arcadie ?
Droite sur le pare-boue d’un vélo de bois,
une Ève de couleur tient un coq en ses bras !
à ses ailes tournoient deux clés de sol en or ;
de notes blanches Ève a tatoué son corps !
d’un faîte à l’autre les étoiles sautent pieds joints,
les déshabillés couvrent les meules de foin ;
le chariot de la joie suspend aux réverbères
quelques fragments de temps, ses pantoufles de vair !
dis, connais-tu les secrets de la blanche Cythère ?
Dans les ruelles, de longs ballets d’hirondelles
accompagnent gaiement la folle ribambelle,
les visages se parent de multiples couleurs,
les mots se transforment en délicates senteurs !
bientôt l’on ne reconnaît l’endroit que d’instinct
convaincu d’être alors au jardin de l’Eden !
Quel est la part de rêve, quel est donc cet éther
qui suce l’ordinaire par le côté amer ?
Le chariot de la joie poursuivra son voyage
pour faire, en d’autres lieux, ouvrir bien d’autres cages !
si seulement la vie pouvait avoir conscience !
si seulement l’esprit pouvait avoir confiance !
dis, qu’as-tu fait de tes os, Byzance ?
17. – Noël dans le quartier bas –
Noël résonne dans mon cœur,
ce Noël heureux d’autrefois !
sa nappe essaimée de couleurs,
de houx et des feuilles des bois…
une étoile en haut du sapin,
quatre boules argentées devant ;
accroché aux branches un serein,
un joli serein de buis blanc…
et partout des bouts de coton
pour rappeler le blanc manteau
d’hermine de Madame Lebaron,
de mort pour les anges à Rimbaud !
On ne chantait jamais à table,
mais on riait en racontant
– non des poèmes ou des fables –
mais les anecdotes du vieux temps !
Les vieux sortaient peu du village,
il fallait toujours étayer
une poutre ou quelque jambage
que le blanc manteau comprimait !
Les autres fumaient à la vigne
entre les bois de Carignan,
ce que certains nommaient “la guigne“,
les autres, simplement, le sarment !
Guère plus de fête qu’un dimanche :
la grosse volaille dans le four,
les femmes retroussant leurs manches…
un Noël comme tous les jours !
Bien que la neige tombait drue
les enfants jouaient au dehors,
et non seulement par les rues,
les garrigues étaient du décor !
nos souliers troués prenaient l’eau,
nos gants de laine ne réchauffaient
que nos âmes… et notre peau
tendue de l’enfance exultait !
Je me souviens de l’eau glacée
qu’hardis nous buvions au ruisseau,
jamais d’angine ni d’os cassé ;
“solides les gosses du coteau !“
Puis les guirlandes sont venues
couvrir les sapins de lumière
et partout, comme des sangsues
sur les épaules des prières
mille néons multicolores
se sont élevés vers les cieux,
plus, toujours plus, plus encore ;
l’aurore s’est revêtue de feux !
“Vrais diamants et vraie voiture…“
c’est lorsque crissent les cadeaux
sur les voies de la démesure
que Noël meurt de son égo !
L’homme n’a rien compris du tout !
Jadis, la cheminée fumait,
ça sentait le gras et le chou
et les aïeux nous embrassaient !
Noël résonne dans mon cœur,
ce Noël heureux d’autrefois,
sa nappe essaimée de couleurs,
de houx et des feuilles des bois…
Noël résonne dans mon cœur,
ce Noël heureux d’autrefois
quand les moutons broutaient les fleurs
des crèches dans le quartier bas !
18. – La supercherie –
Au fond de mon jardin, sous des doigts de muguet
le soleil faisait luire comme un papier d’argent ;
“un papier“, je le crus… mais en me rapprochant
j’aperçus, s’étirant, un splendide alphabet !
Le bougre, à l’œil hagard, quittait l’hibernation !
(à contrario des ours, la peau fine des lettres
n’est encline à passer Noel à la fenêtre !)
et là, juste couvert d’un bien maigre édredon
de feuillage et d’humus que la morte saison
dès les brumes d’octobre avait tissé pour lui,
un alphabet vous dis-je, au terme de sa nuit
s’étirait, chauffant son âme aux premiers rayons !
Moi qui n’avais jamais assisté à la scène,
ému, je contemplais ce tableau pastoral ;
plus le jour se levait sur ce jour idéal
et plus l’humus avait la blancheur de la laine !
Leurs pattes dégourdies les lettres se « quillèrent »
et d’un pas effilé quittèrent leur enclos…
puis de toutes ces lettres je vis naître des mots…
et les mots, amoureux, alors se marièrent !
puis tous passèrent le portillon en riant !
Et ils riaient encore à l’angle de la rue
quand je vis s’envoler des rimes vers les nues
et des poèmes happer les fous-rires du vent !
Un poète était né sous mes yeux ébahis ;
tous crièrent alors à la supercherie !
19. – La mémoire des pierres –
La mémoire des pierres, pour celui qui n’a pas
le culte des anciens, est une galéjade !
ouïr au cœur de l’amas les chroniques d’un trépas,
pour l’autre, je l’avoue, est une régalade !
les périodes de faste et les glaciations,
les hurlements du vent, les plaintes animales,
les propos étonnants des dives méditations,
les jouissances divines et les amours royales…
non,
les pierres n’oublient rien, seul l’homme est défaillant !
tout demeure gravé dans le cœur de la roche,
et le scribe, immortel, va fidèle et vaillant,
toujours la plume au bec et l’histoire à la poche !
Caressez un rocher gorgé de ciels d’été,
un de ces blocs trapus que couve Brocéliande,
pêchez donc en son âme les secrets des forêts
et vous serez surpris des fruits de la demande !
Parcourez la garrigue en plein cœur des Corbières
si vous voulez entendre les sabots de Monfort,
puis caressez le front d’un éperon calcaire
et vous ouirez même les fagots de la mort !
Dormez entre les ruines du château d’Alaric,
vous verrez rutiler les glaives sur la pierre,
puis vous entendrez, dans le bas-fond de l’à-pic,
les cris de Clovis triomphant dans la poussière !
A Galamus la roche aura le bruit de l’eau
qui force le passage, quoi qu’en disent les murs
dressés en embuscade sur le dos du coteau,
dans un dialogue sourd, bouillonnant et obscur !
Archives assoupies entre deux courants d’air,
vaste bibliothèque où seul l’initié prend
la mesure des temps sous des cieux grands ouverts,
la mémoire des pierres… ouvrez le document…
sans papier ni photo, ni souris, ni écran…
ouvrez, sans tabou et sans gant !
20. – Composition champêtre –
La toux d’un tracteur dans le calme du matin,
les senteurs d’une charrette bossue de foin,
l’odeur des vaches par l’œil de bœuf grand ouvert
et les grincements de notre sommier de fer,
le chant d’un coq, au loin, et le braiment d’un âne,
le caquètement incisif de quelques canes
sur l’étang, et déjà l’ardent croassement
de la faune aquatique sous le soleil levant !
J’avais pris mes quartiers d’été à la campagne !
“nous“ avions pris, car j’étais avec ma compagne,
dans le souci d’écrire, elle de composer
quelques bribes joyeuses, quelques odes à la paix !
Les bicyclettes prêtes pour s’en aller flâner
parmi les bottes de paille, les fleurs des près,
l’âme grande ouverte à la fraîcheur des ruisseaux
et la sueur offerte à la brise des coteaux…
une buse, à l’affut, superbement perchée
sur un mât de cocagne superbement rouillé,
le vallon qui réveillait sous le bleu profond
de l’azur son dos de brume et ses blancs pigeons…
dès lors qu’à l’aube la pureté vous embrasse,
vous êtes, là, émerveillé par tant de grâce,
dans l’impossibilité de prendre la plume,
ni de guider l’archer sous un rondo de brume !
Quand le soleil tombait sur les cornes des bœufs,
nous avions pris le pas sur les chemins herbeux.
Très tôt les lutins avaient fleuri leurs fenêtres ;
l’ombre nous invitait sous les rameaux des hêtres !
Le tunnel de feuillage était dense à l’endroit
et les chants d’oiseaux ruisselaient sur ses parois.
Les soies dorées qui pendaient aux trous de lumière
laissaient entrevoir l’œil de nos muses, derrière !
Nous cheminions d’instinct en ces contrées magiques
où la musique et la poésie, identiques,
naissent d’un courant d’air, d’un arôme profond ;
nous étions à la chasse à la lettre et au son !
C’est sous de bleus chardons que nous avons surpris
sept à huit métaphores allaitant leurs petits !
lovés dans l’herbe grasse nous avons travaillé ;
voici donc de ces bribes dont je vous ai parlé !
21. – Chante pinson –
J’éprouve un sentiment de liberté intense
quand le chant du pinson me donne la cadence,
que le soleil s’infiltre sous la canopée ;
un sentiment intense de bien-être et de paix !
Par les sentiers fleuris j’avance à pas feutrés,
sans horaire, sans but, au gré de mes pensées,
offrant à l’orchidée un regard amoureux,
une caresse au coquelicot, fleur de feu !
Dans cette insouciance, je rencontre parfois
quatre lutins et l’esprit suprême des bois
avec lesquels il m’est plaisant d’entretenir
des discussions sur le présent ou l’avenir…
car ils sont, croyez-le, beaucoup plus au courant
que le simple mortel sur les choses et le temps
et font preuve, toujours, d’une grande sagesse
à traiter tout sujet avec délicatesse !
Si je vous disais qu’à leur contact j’ai appris
que Vénus et Pluton cet automne se marient
et qu’il faudra attendre plusieurs millions d’années
avant que ne sourie leur premier nouveau né !
Le vent frais qui serpente entre les cumulus,
descend boire parfois la rosée sur l’humus
et les narines ouvertes sur un rêve béant,
je suis la proie naïve des enchantements…
si bien que transparent, la nature me traverse !
offert, abandonné, le silence me berce !
je suis eau, je suis feuille, je suis senteurs des bois,
plus une once d’humain ne caracole en moi !
Dans ce nouvel état, je suis en suspension
en l’azur inviolé d’avant la création !
tout est possible alors, mais difficile à faire ;
lorsque j’émets un souhait je reviens à la terre…
mais toujours près de moi s’égosille un pinson
et je quitte le bois sous sa douce chanson !
22. – Labastide, ma mie. –
à Labastide,
La lune m’ouvrant toujours de nouveaux chemins
il y a longtemps, ma mie, que je n’ai pris ta main,
mais sois assurée de mon éternel amour,
toi qui m’offris l’art, l’âme et l’œil du troubadour !
Labastide, ma mie, je chemine sans cesse
revêtu de ce long chapelet de caresses
que tu pendis un jour de vendanges à mon cou,
cette clé, cet oriflamme passe-partout
que je m’emploie dignement à faire flotter
sur les terres où les gens ont besoin de bonté !
et quand ton clocher retentit de mille accords,
où que soit ma nuit, dans tes draps blancs je m’endors !
à vous,
J’entends alors les murmures de la rivière
et les voix apaisées de grand-père et grand-mère,
puis je vois le Bon-Dieu, par la fenêtre ouverte,
qui vient tendre sans bruit les plis de leur couverte.
Sous des parfums de vieux bois, de cire et de miel,
de la chambre noire de ma tour de Babel
mes songes m’entraînent au jardin des Hespérides
où les pommiers en fleurs sont ceux de Labastide !
Voilà dix mois, peut-être, que je n’ai pas cueilli
le vent qui se repose au cœur de ses taillis ;
dès que la ville me permettra de souffler,
à son eau fraîche je reviendrai m’abreuver…
la lune m’offrant toujours de nouveaux chemins,
je dois la suivre ; il est dur de gagner son pain !
23. – Regard sur l’infini –
Depuis qu’en son vif esprit germe
l’idée de nouveaux lendemains,
bien sûr qu’elle les aura sa ferme,
ses agnelets et ses lapins…
et son air pur, et son ciel bleu,
ses roses au pied de la barrière,
ses avoines plein les cheveux,
ses colombes plein les volières…
sa mule sans cesse attelée
au carrosse des jours heureux,
l’eau fraîche courant à ses pieds
et ses marmites sur le feu…
ses papillons et son perron,
partout les senteurs du bon vivre,
et ses amis plein la maison,
et ses casseroles en cuivre…
et ses grenouilles plein l’étang,
et ses étoiles plein les cieux !
Elle en rêve depuis si longtemps
que ses larmes, au fond de ses yeux,
comme des vagues de fleurs sauvages
qu’un brin d’air fait flotter un peu,
que ses larmes, doux maquillage,
colorent les joues du Bon Dieu !
Oh, elles germeront ses pensées
dans le terreau d’un nouvel an ;
mais quelles sont les priorités
des hommes et de Dieu, maintenant ?
24. – D’une pluie divine –
Une maison de pierre, de verre et de soleil,
avec deux ânes qui broutent devant la porte ;
oui, un “chez nous“ paradisiaque en quelque sorte,
rempli de fleurs sauvages, de mésanges et d’abeilles…
et ton regard qui chauffe un intérieur douillet,
et ton sourire qui ruisselle sur les murs,
tes cheveux qui dansent sur les vagues d’azur
et ton souffle chaud toujours là pour m’apaiser !
Une marre, des joncs, des grenouilles et des oies,
des poules, des lapins, un gros chêne à côté,
une fontaine, une cabane, trois figuiers,
deux chiens qui jappent aux papillons et notre chat…
et ton regard qui chauffe un intérieur douillet,
et ton sourire qui ruisselle sur les murs,
tes cheveux qui dansent sur les vagues d’azur
et ton souffle chaud toujours là pour m’apaiser !
Quelques champs d’avoine, de luzerne, un bosquet,
une pièce à vivre ouverte sur la prairie,
une cheminée pour ensoleiller nos nuits,
du bois clair jusqu’au fond de nos chambres à coucher…
et ton regard qui chauffe un intérieur douillet,
et ton sourire qui ruisselle sur les murs,
tes cheveux qui dansent sur les vagues d’azur
et ton souffle chaud toujours là pour m’apaiser !
Un banc de mousse pour que nos soirées d’été
soient à la belle étoile tendres et parfumées ;
surtout pas de barrière en ce havre de paix
pour que les anges y volent en toute liberté…
et ton regard qui chauffe un intérieur douillet,
et ton sourire qui ruisselle sur les murs,
tes cheveux qui dansent sur les vagues d’azur
et ton souffle chaud toujours là pour m’apaiser !
Et puis de la musique, des rires et du vin,
et des saisons joyeuses qui pendent à la treille ;
sur les étagères, enfin, des tas de merveilles
que nous ramènerons des horizons lointains…
et ton regard qui chauffe un intérieur douillet,
et ton sourire qui ruisselle sur les murs,
tes cheveux qui dansent sur les vagues d’azur
et ton souffle chaud toujours là pour m’apaiser !
C’est ainsi qu’il prend vie, dans un coin de mon âme,
le nid que je désirerais t’offrir, ma femme ;
la fleur d’arc en ciel est ici longue à germer
mais une pluie divine peut tout faire pousser !
25. – La face cachée du miroir –
Je n’ai de hâte que de rentrer,
sentir son souffle à mes côtés,
ses mains brûlantes m’enserrer…
mais jamais hâte de vous quitter !
Dès que la lune réapparaît
aux lucarnes des cabarets,
lorsque la poursuite s’anime,
je déboutonne mon sac de rimes
et je vois luire dans vos yeux
ces paysages fabuleux
où des métaphores de vent
font cligner vos sourcils d’enfants !
Je suis poète-saltimbanque
et ce peu d’azur qu’il vous manque
je vous le sers sur un plateau
beurré d’ambroisie et de mots !
Je suis, au plus froid de l’hiver,
tenu de rendre compte, en vers,
des bruits de la terre et des cieux ;
comme si j’étais gardien du feu…
j’y prends grand plaisir et m’amuse
à courser les astres et les muses,
et si parfois il pleut, il tonne
sur vos douces soirées d’automne
c’est qu’il nous vient un fait marquant
qui se rit de l’heure et du temps,
urgent, qui s’écrit et se clame,
qu’on le bénisse ou qu’on le blâme !
J’essaie de glisser un brin d’herbe,
un coquelicot dans le verbe…
et quelque chose de céleste
toujours à la pointe du geste !
Oui, toujours le texte m’enivre,
la scène est ma raison de vivre ;
je suis poète ex-galaxies !
là-haut, là-bas, ailleurs, ici…
mais voyez-vous je suis bien loin
parfois de mon nid et des miens ;
j’ai mal au cœur, j’ai mal à l’âme ;
même les poètes ont une femme !
Je n’ai de hâte que de rentrer,
sentir son souffle à mes côtés,
ses mains brûlantes m’enserrer…
mais jamais hâte de vous quitter !
alors apaisé, somme toute,
pour vous je reprendrai la route ;
pour vous, pour moi, allez savoir
qui se cache derrière le miroir !
26. – Arithmétique appliquée –
Nos cœurs halés allongés dans les fols herbages,
à même les guirlandes entrecroisées des cieux,
le livre de paix ouvert à la première page
et l’ivresse des cimes à fleur de nos cheveux,
l’air pur, qui cherchait à voler entre les mailles
de l’extase grande ouverte les parfums de nos corps
et Dieu qui somnolait dans la douce pagaille
des étoiles filantes et de son triste sort…
Nous avons pris le temps d’aller main dans la main,
de mêler fort nos doigts, de boire l’altitude,
d’aller le souffle lent au gré d’autres chemins ;
de fausser compagnie aux vieilles habitudes !
Là, plus de cauchemar et même plus de toux,
de hoquet frémissant sur le dos des alpages ;
le reflet scintillant des étoiles sur nos joues
et le livre ouvert… à la cinquième page !
Une couche, près d’un grand feu de pâquerettes,
deux edelweiss à la tête de nos désirs,
la rosée, suspendant ses fines gouttelettes
au goulot translucide d’un brillant devenir…
Voici que tout là-haut, dans cette exactitude,
en une arithmétique appliquée au jour J,
fleurissait à nouveau l’heureuse certitude
qu’un et un ne font qu’un au grand dam de la vie !
27. – La constellation des pauvres gens comblés –
Laissons venir la pluie, laissons venir les jours,
tous nos champs sont semés, c’est la nuit mon amour !
le semoir est rentré, le portail est ouvert
sur un ciel étoilé ; contemple l’univers !
Ecoute les grillons rire sous les acacias,
l’autan traîner sa cravate sur les lilas,
écoute ce que je n’ai pu te dire avant,
écoute puisque nous avons un brin de temps…
cela fait trop d’années que je n’ai pris ta main
et si parfois dans la hâte je prends ton sein,
la terre nous a volé jeunesse et courage !
s’il est encore temps d’en parler à notre âge,
si l’amour n’est pas mort rongé par l’habitude,
malgré l’exploitation qui nous rend la vie dure
j’aimerais tant voir briller en toi le bonheur,
qu’on rapproche ce soir et nos âmes et nos cœurs !
C’est bien souvent dans le creux d’une main ridée,
entre les plis du temps que germe le meilleur blé ;
il est facile au diable de semer ses chardons
sitôt que le gel a passé sur la moisson !
Ce soir, tu as vingt ans, c’est la nuit mon amour,
souviens-toi de l’enfant qui te faisait la cour !
revois-tu la saison de la dive innocence,
le ciel, sur notre pré, qui paraissait immense ?
Toujours la terre et notre maigre devenir,
nous avons tant passé de saisons “sans sortir“
qu’il ne sera jamais plus l’heure de rentrer !
depuis combien de temps ne m’as-tu embrassée ?
Laissons venir la pluie, laissons venir les jours,
tous nos champs sont semés, c’est la nuit mon amour !
le semoir est rentré, le portail est ouvert
sur un ciel étoilé ; contemple l’univers !
Cette nuit, mon ange, c’est sur la voie lactée,
dans la constellation des pauvres gens comblés
que nous allons danser, du foin dans les cheveux,
les valses de nos vingt ans et puis la Java Bleue…
écoute déjà comme l’orchestre est joyeux !
28. – Comblé soit celui… –
Celui chez qui s’épanouit la tolérance,
la fleur de paix, la critique et l’égalité,
celui-là connaît le frisson de la délivrance
et qui a l’esprit libre est un homme comblé !
Comblé celui qui prend, couché dans les herbages,
le temps de contempler l’horizon se mourant ;
qu’importe s’il est riche et qu’importe son âge,
comblé l’homme qui sait les couleurs du couchant !
Comblé qui a le mot qui flatte et qui caresse,
les lèvres humectées de désirs chaleureux ;
comblé qui ne connaîtra jamais la détresse
d’être face à l’amour et de fermer les yeux !
Comblé celui qui suit un sentier bien ardu
s’il siffle à chaque pas sous une pluie battante ;
qu’il aille bottes ferrées, qu’il aille pieds nus,
qu’importe si c’est toujours “plus haut“ qui l’enchante !
Comblé celui qui sait les vertus de l’espace
et la floraison des voies lactées oubliées ;
comblé celui qui croit connaître le palace
au sein duquel il boira son éternité !
Comblé l’édenté qui rit à l’ange qui passe,
le berger qui dort sous une épaisse pelisse ;
comblé le poète qu’une muse tracasse,
comblé l’abbé dès qu’il boit le sang au calice !
Comblé le philosophe, comblé l’agriculteur,
comblé l’instituteur, comblé le bûcheron ;
comblé celui dont le pain pétri de sueur
rassasie la tablée d’une douce chanson …
et comblée soit la femme des lendemains heureux,
elle qui donne la vie et veille sur le feu ;
comblée soit cette femme, j’en appelle au Bon Dieu,
cette femme qui passe la main dans mes cheveux !
29. – Apaisé –
“Apaisé“ c’est le mot, au regard de ce monde,
que pour quelques idées on brûle et on dégonde ;
“apaisé“ ; qu’apaisés soient tes rires et tes yeux
au regard de la main tendue du malheureux ;
qu’apaisée soit ton âme, qu’apaisés soient tes pleurs ;
en énormes brassées cueille des champs de fleurs !
toi qui manges à ta faim, toi qui dors sous un toit,
quand le soleil se lève il se lève pour toi !
“apaisé“…
Pour reprendre cette expression chère à ton cœur
“tu es en devenir“ mais c’est un dur labeur ;
les portes sont fermées ne te tourmente pas,
je suis sûr malgré tout que ton matin viendra !
fais confiance à demain ; “apaisé“ c’est le mot
même si l’alphabet d’aujourd’hui sonne faux !
les pierres emportées par le torrent vers la mer
connaissent un jour ou l’autre un nouvel univers !
“apaisé“…
Tu n’es encore, Fleur, qu’une rose en bouton,
tu t’épanouiras quand viendra la saison…
la saison des colchiques, la saison du muguet ;
la nature fait le printemps avant l’été !
“rien ne sert de courir, il faut partir à point“
si tu suis ton instinct tu es sur le bon chemin,
“apaisé“ c’est le mot, “apaisé“ c’est l’état
et l’heure qui trépasse travaille pour toi !
“apaisé“…
“apaisé“ c’est l’atout et c’est l’atout de cœur,
aie confiance en ton jeu, annonce la couleur,
ne laisse plus tes craintes s’envoyer en l’air,
bats les cartes tu es maître du tapis vert !
au grand jeu de la vie n’écoute plus le glas
qui persécute jusqu’à tes profonds ébats ;
mets de la joie, du rythme au fond de tes souliers
et tu entendras les cloches du bonheur tinter !
“apaisé“…
“apaisé“ ; qu’“apaisé“ résonne longuement
sur les flots enchantés de tes lèvres d’argent ;
qu’“apaisé“ soit le mot, le mot clé de ta vie,
qu’“apaisé“ t’ouvre les portes vers l’infini !
puise dans le sac pour sortir la bonne lettre…
et si ce n’est pas sûr, c’est quand même peut-être !
on a vu tant de fois le vent tourner sa veste ;
crois en toi, belle Fleur, le ciel fera le reste !
crois en toi, belle Fleur, le ciel fera le reste !
30. – Sur les ailes de l’Autan –
Je n’ai aucune envie d’écrire le mal-être,
les jeunes des cités, les voitures en feu,
les vols à la roulotte, ni tous ces autres jeux
qui font imploser l’âme et exploser la tête !
J’ai passé l’âge et ne suis de cette culture
où tout est stérile à peine sorti de l’œuf !
la police m’emmerde, mais je n’en veux aux “keufs“
au point de caillasser des frères de biture !
Je ne suis armé que de rimes et ne me drogue
que d’un éther dont même les savants bucoliques
n’en savent le numéro de masse atomique ;
un éther sous lequel je m’envole et je vogue
les jours de mauvais temps, du fond de mon fauteuil,
sans jamais ressentir le moindre négatif ;
au gré de l’évasion je tripe positif ;
je câline les muses et file mes recueils !
Loin de moi tous ces rimailleurs qui crient haro
sur une société qu’ils croquent à pleines dents,
et dont les écrits ne sont que charbons ardents,
et la violence l’air de leur eldorado !
La notion “d’être“ poète connaît un dur déclin
au point que les anciens, qui savaient toutes choses,
passent pour des barjots en tout état de cause !
j’éprouve quelques craintes quant aux rimes de demain !
Est-ce une tare alors si j’écris au passé,
si je stoppe mon vol au temps des souvenirs,
si les vers d’aujourd’hui ne me font plus frémir,
si mes muses ont les cheveux blancs, les yeux plissés ?
Laissez-moi ce refuge, laissez les fleurs d’antan
sur les robes gonflées des jeunes lavandières
s’épanouir, mêlées aux nouvelles prières
qu’emportent vers les cieux les ailes de l’Autan !
Laissez-moi vous décrire, en toute simplicité,
ces couleurs qui jadis savaient vous rendre heureux !
alors qu’aujourd’hui tout est irrévérencieux,
ayez un regard pur sur les saisons passées !
écoutez mes poèmes chanter en votre esprit !
la seule mode qui vaille est celle du cœur !
écoutez mes poèmes faire l’éloge du bonheur,
puis changez de saison si le cœur vous en dit !
31. – Laissez venir à moi les petits enfants –
Laissez venir à moi les petits enfants
qu’ils sachent une fois ce qu’est la poésie
quand sur les planches se marient la comédie,
la tragédie en robes et couronnes de vent,
en illusions perdues, en espoirs retrouvés,
en poings levés, en larmes, en sourires en coin,
en embrassades franches, en coups d’œil et de reins,
en transes idylliques, en mots en chapelets !
Laissez venir à moi les petits enfants
qu’ils emmènent les corbeilles de fleurs des champs
et qu’ils jettent au poète les yeux étincelants
de l’innocence qu’ils croquent à pleines dents !
Laissez-les approcher, la bête ne mord pas !
elle n’a plus de croc mais de trop vieilles dents !
c’est pour cela qu’elle bave, pour cela seulement !
le reste n’est que fausse vie ou faux trépas !
Laissez-les prendre le frais quand tombe le soir,
que les nues affamées dévorent le mensonge,
que la poésie vraie perle aux lèvres des songes !
laissez-les écouter, laissez-les s’émouvoir !
Laissez venir à moi les petits enfants ;
demain, parmi ces drôles, nous viendra un poète !
par les cieux, à nouveau, ce sera jour de fête
et la terre décrira son cercle en chantant !
Laissez venir les enfants, même en nombre infime,
qu’à travers mes veines ils voient le flot de la rime,
qu’ils voient s’égrener les syllabes, qu’ils les comptent
comme les moutons en enfilade à la tonte !
Ne laisseriez-vous qu’une seule âme approcher,
qu’il me semble déjà que tout serait gagné !
32. – Devis –
Le mort est englouti,
le vivant à zéro,
les nuages s’emmerdent
et les vents en furie
soufflent aux matelots
de naviguer sur l’herbe !
Grand Dieu, rien ne va plus,
les saints montrent leur cul
à travers l’arc en ciel ;
grand boss, rien ne va plus,
notre terre est foutue,
tout n’est que haine et fiel !
L’écolier n’attend plus
les quatre heures du goûter
pour défaire son cartable !
– tout rêve est suspendu –
le voyez-vous graver
son prénom sur la table ?
Et l’étudiant à qui
l’on vante Spinoza
“le refus des contraintes“,
jeunesse qu’on applaudit
matraque à bout de bras
quand elle chante sa complainte !
Grand Dieu, rien ne va plus,
les saints montrent leur cul
dans les rais de lumière ;
grand boss, rien ne va plus,
notre terre est foutue ;
entends-tu la prière
du poète à qui l’on
interdit de baiser
le vieux croupion des nues…
et ses muses à qui l’on
coupe court le sifflet
et le fruit défendu ?
Non, l’esprit ne vaut rien
et le corps ne vaut plus
qu’une soupe d’orties,
de la bouillie pour chien,
des sourires de rues,
de la fausse modestie !
Que reste-t-il encore
dans le froc du chasseur,
du vieux porte-drapeau ?
une bien maigre flore,
une boîte sans cœur,
un grand vide et des os !
Grand Dieu, rien ne va plus,
les saints montrent leur cul
du grand balcon céleste ;
grand boss, rien ne va plus,
la planète est foutue,
comme l’espace et le reste !
Oui, je suis dégoûté
par tant d’absurdité,
par tant de sècheresse !
jamais vous ne serez
là pour me voir crever,
croyez en ma promesse !
Sur la terre sacrée,
la cendre sur la face,
du blanco sur nos noms,
près d’elle je suspendrai
dans l’extase et la grâce
la paix à nos lampions !
Sur les ruines humaines,
à grands flots d’encre rose,
fier, je rebâtirai
bien des saisons sereines,
sans sueur et sans pause,
puis je m’effacerai !
je suis « véner »… mais la
nuit saura me calmer…
33. – L’étoile inconnue –
Un peu de vin, un peu de pain, un peu de feu,
un peu de temps à tuer sous un grand ciel bleu ;
un peu d’amour, mais trop n’en faut pour être heureux !
un peu de jour, un peu de nuit et le Bon Dieu !
Mais le Bon Dieu, point trop n’en faut pour vivre en paix,
point trop prier pour apprécier la liberté ;
un peu d’air pur, un peu d’alcool et de tabac ;
un peu d’originalité dans le cabas !
Mais point trop d’excentricité en société,
l’exubérance nuit tellement à satiété !
de la simplicité, une bourse d’écus,
gratter pour les bourgeois la guitare dans la rue !
Mais point trop gratter quant à devenir cigale,
ni jamais se vanter de trop qu’on se régale
à suivre les rayons de soleil dans leur course,
et moins, pour un empire, vendre l’eau de sa source !
Du vélo, mais sans trop, des roulades dans les champs
pour contrer sans complexe toute fuite en avant,
et toujours, près de soi, ses enfants, ses amours
et son vieux pantalon à côtes de velours !
Et n’être, pour finir, d’aucun gouvernement,
n’avoir pour seul précepte que son âme d’enfant !
mais d’une âme d’enfant jamais trop il ne faut…
ni jamais pour l’idée se conduire en héros !
Laisser glisser l’ADN aux vents du destin,
et sourire aux angelots comme aux diablotins ;
accepter comme il vient l’automne ou le printemps,
se dire qu’on est juste un homme quelques temps…
accepter comme ils viennent et l’hiver et l’été
sans vouloir à la course des astres déroger ;
se dire qu’on est juste un homme quelques temps…
une infime poussière dans l’infiniment grand !
34. – Adjonction de sel –
Ce soir j’ai renvoyé mes muses chez leur mère.
Elles sont si bruyantes ; affectueuses quand même !
je les ai congédiées pour avoir un peu d’air ;
ce soir, ni encre, ni plume, ni vers, ni thème…
je consacre ma nuit à cet ange terrestre
dont je vous ai déjà dépeint les plumes d’or,
les yeux écarquillés, les parfums et le geste,
le mot, la chevelure, comme le teint de son corps !
Un ange qui n’entrera pas par la fenêtre
couvert d’un diadème arborant la croix de paix,
mais dans ma nuit profonde je verrai apparaître
une fine silhouette drapée de beauté !
Un jour, l’esprit des vignes, avec qui je causais
de la pluie, du beau temps, des sarments, des gelées
et buvais son savoir comme du petit lait,
me parla de ces anges qui battent le pavé,
qui sont un peu sur terre comme on est en vacances,
toujours la fleur aux lèvres, le bonheur à la main,
qui vont le pas léger en une dive insouciance ;
anges qu’on peut croiser au détour d’un chemin.
Quoi que cela soit rare il m’assura pourtant
qu’ils “s’attachent“ parfois et l’on connait alors
le langage des eaux comme celui du vent,
bien des musiques folles et bien d’autres trésors!
Je fis mine d’acquiescer, d’un mouvement de tête,
car pour l’esprit des vignes j’ai beaucoup d’affection,
beaucoup de respect, mais n’étant nullement en quête
d’ange, excellente qu’elle soit, ni de démon,
je portais à ses dires quelque incrédulité.
Les anges étant au ciel et les diables en enfer,
tout m’était blanc ou noir, tout me semblait rangé ;
les hommes sur la terre et les autres en l’air !
Seulement, avant, avant hier, entre chien et loup,
– théorie et pratique se voulant différentes –
ni noir ni blanc, j’appris que le monde était flou,
et ce pour mon plus grand bonheur évidemment !
Un ange, il y a trois nuits, vint toquer à ma porte ;
les muses, je vous l’accorde, jalouses un tantinet,
jetèrent leur venin et claquèrent la porte…
et l’ange de m’étreindre dans un cocon douillet !
Comprenez que ce soir, comme l’ange revient,
je ne sois guère enclin, amis, à versifier ;
ce soir, ivre d’amour, sur un autre chemin,
en quelque autre quatrain je repeins ma soirée !
Ce soir mes muses font la causette à maman ;
elles sont si bavardes, j’ai tant besoin de paix !
elles boivent le thé, là-haut, au firmament…
bien, je dois vous laisser pour faire le café…
nous reprendrons un jour ces dires scientifiques
car la clochette s’époumone dans l’entrée ;
j’ai rangé l’encrier, les idées, le lexique,
permettez-moi à présent de la faire entrer…
à ma douce « angèle » je consacre la soirée !