A ma jolie Rose,
à sa passion de violoncelliste débutante,
à son travail assidu.
Mise en bouche
Cher ami, voici mon dernier petit au sein duquel, pour une fois, le vent n’est pas à l’honneur ; Dieu merci !
Vous me demanderez ce que Dieu vient faire ici… pas grand-chose en vérité mais depuis que l’on attendait le calme le voici enfin !
Si Cers et Marinas soufflent en alternance trois cent soixante jours par an entre Fontiés et Labastide, ils prennent une petite semaine de congé dans l’année et c’est heureux pour les arthroses, les sales caractères, l’araignée rouge, le mildiou et les “ragnagnas“ !
Pas de mot, de pensée, de métaphore tabous en poésie ; j’ai donc essayé, pendant cette petite semaine de congé, d’asseoir en ce recueil au titre évocateur une certaine sérénité :
« Le vent s’en est allé
rire au bout de la terre ;
le calme est éphémère,
dansez dans sa trouée ! »
De la jolie violoncelliste qui ensoleille mes jours au patron des pâtissiers avec qui nous nous quitterons, ces dernières rimes existent au travers des couleurs vives de certains idéaux, de l’amour, de l’humour, du besoin, de l’envie, de la force et de la foi.
Fontiés, Labastide, l’école primaire, la vigne et les gens d’ici, tout ce qui me rend nostalgique lorsqu’on évoque “le bon vieux temps“, je l’espère, raviveront en votre esprit tout un panel de senteurs familières, apaisantes et rassurantes.
Quelques diableries côtoieront aussi le rêve, les “choses à dire“, quatre traits de politique et de religion, comme ce fut le cas dans mes recueils précédents ; voilà ce que j’aime en tout cas et qui anime cette irrésistible envie d’écrire qui me prend au gosier dès les premiers rayons de soleil venus.
« L’expérience étant une lanterne accrochée dans le dos et n’éclairant que le chemin parcouru », comme le disait ce brave Confucius, oubliez par conséquent tout ce que vous avez pu lire, humer, sentir, entendre et manger au fil de mes bouquins passés, reprenez tout à zéro, buvez au soleil qui se lève, les deux pieds dans la cheminée, le roulé au bec et bonne lecture à tous !
J.G
Table des Poèmes
- Lézard-pèges de la vie.
- Rentré – sorti.
- Sous un baiser de rime.
- Les choses à dire.
- Coquineries.
- Le rire du vent.
- Rouge comme la brique du Midi.
- Acrostiche à Labastide.
- Madeleine.
- Les joies d’un étendoir collectif.
- Diableries.
- Le temps des deux écoles.
- Ha bein ça alors.
- Appel.
- C’est entre l’herbe et le tonneau.
- Jadis à la tour de Monze.
- Têtes de bois.
- Ma très grande affection…
- Merci 36.
- Lettre à maman.
- Fil de vie.
- Onze heures au vieux coucou.
- L’aïeul à qui l’on a volé.
- Voies sans issue.
- L’étoile du myopathe.
- L’orage.
- Détenu libre.
- Virage à la corde.
1. Lézard-pèges de la vie
Autrefois, dans le Gers, on aimait la musique :
l’accordéon, le luth et la cloche de vache,
le marteau sur l’enclume, le coup de cravache
et le grillon d’avril enivré de colchiques !
Sous le papier musique et les feuillets maïs,
lorsqu’entraient dans les granges les dimanches fiévreux,
en volutes d’anis et de flocs liquoreux
on attaquait du pied droit dans le blond païs !
– Les temps viennent à passer, la musique s’oublie ! –
Par-dessus les colzas, le vent d’Ouest, croque-note,
chaussa son ventre d’ogre, sa besace, ses bottes,
et d’un coup de croc saigna toute mélodie ;
seuls, percèrent l’hiver de leurs flèches infâmes,
la niaiserie de ces blanches oies qui cancanent,
le braiment résigné d’un enclos de trois ânes,
deux enfants, quatre vieux, les breloques des femmes…
et soudain, de la brume qu’un arpège perça
s’écroula la musique d’un puissant violoncelle ;
je l’entends “raisonner“ sous le doigt de sa belle
et la mésange bleue vint se baigner au La.
Que l’hiver, sous le gel, mène au pas sa monture,
de toutes les façons l’été reprend ses droits ;
l’homme n’enfourche pas la nature, c’est la loi,
même si ventre plein se repaît de ratures !
Dans le Gers, quelque accord fait tanguer les orties ;
une période faste débute pour le jars ;
des notes alignées, sans faux-col, sans canard ;
du travail d’alchimiste ; archet d’orfèvrerie !
à quand le tour de piste, jolie violoncelliste ?
2. Rentré – sorti
Je suis rentré, tu étais sortie,
je me suis assis au salon ;
j’ai grignoté vingt Mon Chéri
tout en feuilletant notre album.
Je suis rentré, tout semblait vide,
sur les murs tes parfums couraient ;
partout ailleurs c’était humide,
noir et froid, le chat sanglotait.
Je suis rentré, mais cette fois-ci
je n’ai pas voulu de musique,
je n’ai pas lu, n’ai pas écrit ;
rien n’était vraiment romantique.
Je suis rentré, comme d’habitude,
à l’heure où le train-train vous suit,
mais tout était beaucoup plus rude ;
comme si tout était englouti !
Ton pull, sur le fauteuil d’osier,
mourait d’ennui, manches ballantes ;
partout, le long de l’escalier,
ton charme allait marches battantes.
Tout était neuf, tout semblait vieux ;
l’album était épais pourtant…
tout juste pour se sentir mieux,
pour patienter quelques instants.
Bientôt, à l’angle du couloir,
je vis ton souffle pailleté
ranger ses effets au placard
et notre nid s’illuminer…
et puis ta voix et puis tes pas,
et puis ta joue, et puis ton cou,
et puis tes lèvres, et puis tes bras,
et puis ton goût qui me rend fou !
Tu es rentrée, nous sommes partis
pour un long voyage au salon ;
tu as grignoté vingt Mon Chéri
puis tu as refermé l’album…
et lorsque la messe fut dite,
la terre eut bu le ciel d’un trait,
alors, des doux bras d’Aphrodite
je sombrais dans ceux de Morphée.
3. Sous un baiser de rime
En passant le cercle des vies artificielles,
sous de chaudes lumières je me suis réveillé ;
on aurait cru la terre lorsque le soir se mêlent
les bleus nuits de l’automne aux feuilles en beauté !
Tout ce qui m’entourait était fait de douceur
et je m’émerveillais de cet amas de choses ;
oui, je planais encore, les yeux remplis d’ailleurs,
comme un songe, à l’aurore, dans les plis d’un drap rose !
ceci-dit, mon chemin suivait au plan précis
les jalons qu’à la masse de laine on planta
et qu’on peint un sur deux, un coup blanc, un coup gris ;
repères que bien sûr je ne connaissais pas !
Ami, je voyageais en quelque sorte « à l’œil »,
et de l’autre la terre me paraissait terne en bas,
comme si vous lisiez un de ces vieux recueils
où les vers poussiéreux ne vous concernent pas !
Là-haut c’était la vie, le porche d’avenir ;
mon chemin, par hasard, s’y glissait en riant
et je filais grappillant les baies du désir
avec le doigt de l’homme et la lèvre d’enfant.
Après le porche, encore, tout était féerie.
Aux lumières, le son du silence venait
suspendre ses guirlandes de blanches mélodies ;
les poussières électriques s’atomisaient.
Il paraît que je tourne toujours dans les nues,
que l’on m’y voit, parfois, quand la lune rayonne ;
je vais et je viens sous un flot d’images drues ;
il est vrai, pour l’instant, les cieux m’ont à la bonne !
Je ne vous souhaite pas l’identique voyage,
pas à vous, mes amis, que le vertige étreint,
demeurez donc sereins au creux de votre cage,
l’espace est pour les fous, les poètes, le divin !
ou bien changez de cap, laissez pousser vos ailes,
allez jeter vos yeux sous les jupes du vent ;
buvez les soleils, les tempêtes et les grêles
et vous mangerez aux tables du firmament !
En dépassant le cercle des vies artificielles,
sous de chaudes lumières je me suis réveillé ;
elle était près de moi… et chaque jour plus belle…
et la rime, soudain, est venue m’embrasser !
4. Les choses à dire
Je n’ai rien à raconter, mais mille choses à dire !
pas de littérature, poésie ni délire ;
que ces mots éventrés pour avoir trop servis ;
ces mantras, ces images dont l’âme se nourrit !
Lorsque la voie est libre, que le regard est pur,
quand on pose le pied sur les sentiers d’azur,
qu’on a cloué le bec aux nuées de grimaces
et tiré le loquet des nuitées trop loquaces
quelque chose vous pousse à vider le panier,
enfiler sur la table les mots en chapelets
sans qu’une idée majeure ne vienne ruisseler
et boire la patine incrustée dans l’osier !
———–
Vous savez, des nuages, les courses effrénées,
les parterres de fleurs, les rocailles illustrées ;
vous savez l’eau salée et l’iode des embruns,
les traînées de croix blanches sous le ciel de Verdun ;
vous savez les idées pour lesquelles on se tue ;
vous connaissez Jésus, les vainqueurs, les vaincus ;
vous nous savez brebis galeuse ou bien mouton ;
vous savez que jubilent les feux de la raison ;
vous savez les défauts, les vertus et les vices,
les parfums enchanteurs, la ronde des prémices,
les bouquets de chaleur, les sueurs de l’extase,
les draperies de soie quand l’amour les embrasent ;
vous connaissez l’allant des filles qui jubilent,
les paradis perdus au musc lointain des îles ;
vous savez la vanille, le safran, la cannelle,
les étés de cristaux que la mer amoncelle,
les épaves qui gisent et les lames de fond,
par Hemingway la plaie, le sang de l’espadon ;
vous connaissez la rose, le bleuet, la cigale,
l’hirondelle des toits, la pie en martingale ;
vous savez la musique, la voix des baladins,
les masques vénitiens, Colombine, Arlequin,
et l’opéra-comique, la Commedia d’El Arte,
le jardin des chimères, les quatre volontés ;
vous savez les mensonges, les fournaises d’enfer,
tout du vieux bonnet d’âne et des vapeurs d’éther ;
vous savez les rivières qui mordent la prairie,
les essences de terre, des pierres de bergerie ;
vous savez que demain, déjà, pointe le nez,
qu’hier a de larges rides, qu’on ne peut plus pleurer,
que le vent a tourné, que le soleil se lève,
que l’envie d’avancer nous piétine et nous crève !
———–
Je n’ai rien à raconter mais mille choses à dire,
pardonnez si parfois cela peut être pire !
allons à l’essentiel : siffle, chantons, dansez,
va, cour, vole, aime, caresse, buvons, riez,
n’attendez à demain, cueillez dès aujourd’hui…
merde, jouissons de la vie !
5. Coquineries
Une cloche, au village, ne cessait de vomir
sur mes draps les heures passées et à venir.
Par la fenêtre, à bout d’œil, l’étang, noir, luisait ;
je savais que sous le cresson la vie crissait !
Sous un rideau de joncs bleus les nymphes riaient.
Elles s’effleuraient du doigt en se courant après.
Il flottait au plafond des senteurs de mélisse ;
des perles de sueur roulaient dans les abysses.
Elles effleuraient de l’œil le téton du soupir,
jumelant l’oisiveté, l’eau et le désir.
De longs cheveux de jais se collaient à leur peau
et leurs frissons hurlaient, tendant les lèvres au chaud.
L’eau bouillante, ou quelque chose de similaire,
faisait de la vapeur le nectar de la terre
et toutes s’enivraient d’un soleil en morceaux
puis se savonnaient à la mousse des roseaux.
De jeunes pousses laiteuses perlaient sur leur dos.
L’une à l’autre léchait santolines et pavots,
l’autre à l’une étirait le fil de ses envies ;
elles gémissaient, tendues, sous le joug de la nuit !
A l’heure où la truite vient moucher en surface,
où l’anguille se meurt dans le fond de la nasse,
c’est à peine si ricanent deux vaguelettes ;
rien sur l’étang ne laisse penser qu’une fête
avait ici déroulé ses plaintes de vie,
que l’orgasme avait retentit dans le pays,
qu’une cloche gueularde, au village voisin,
m’avait empêché de dormir mon soûl, ma faim…
mais la nature, toujours ivre de folie,
m’avait donné la grâce d’écrire une poésie !
quant aux nymphes jolies qui dansent sur la rime,
à caresser leur corps, vos chances sont infimes !
6. Le rire du vent
Le vent s’en est allé
happer en d’autres terres
les feuilles de peupliers,
les feuillets de prières,
le fil des habitudes,
les mots de tous les jours,
le flot des inquiétudes,
les fleurs d’arrières cours.
Ici, le calme, enfin,
déploie ses larges ailes ;
tout naît et croît serein !
A voir les asphodèles
étirer leurs étoiles
dans l’espace apaisé,
à oublier le râle
lugubre, échevelé
du souffle tyrannique,
on dirait que tout flotte
sous un air angélique ;
au loin rit Iscariote !
Léger le pas nouveau,
le battement de cœur,
tout repart à zéro…
comme en apesanteur !
Sous les blanches poitrines
des broderies altières,
l’âpre nuit se termine
ravinant de lumière.
Le vent s’en est allé
rire au bout de la terre,
le calme est éphémère…
dansez dans sa trouée !
7. Rouge comme la brique du Midi
Les pelles ont tombé deux maisons
de briques rouges, où naguère,
les Espagnols, fuyant leur guerre,
avaient posé leurs baluchons.
Depuis trente-six on y accourait
et parlait autour de la table
quelque mélange délectable
d’espagnol, patois et français.
Leurs mots craquaient comme un soleil,
et sous leurs “porrons“de vin clair
la faux dansait avec la mer,
la mer avec la faux, pareil…
et ça sentait la paella,
la souffrance et le dur labeur,
la fleur de vigne à l’âcre odeur,
la bouche pleine de “ola“ !
Doigts entaillés par les sarments
on n’y jouait peu de guitare,
mais on y larguait les amarres
quand montait un filet de vent
de Catalogne ou de Castille,
quelques pas de danse interdits,
un de ces poèmes bénits
sur les processions à Séville !
Douces empierrées de toujours,
sur chaque fronton, en trente-six,
ils ont placé leurs crucifix
au nom du Père et de l’amour…
puis ont laissé la porte ouverte
à la lune, aux chats de minuit,
aux esprits qui viennent la nuit
tendre les plis de la couverte !
Ils ont abattu, au village,
non pas des pierres, mais un temps
où la vendange allait chantant,
où l’on sifflait aux charruages,
où le sein jaunâtre, alourdi
par une huile d’olive rance,
cachait les trésors d’une errance ;
parfums d’horizons engloutis !
Sur les murs bleuâtres délavés
ricochaient des rires d’enfants ;
de longues filasses d’argent
redonnaient à ses cheminées
le goût de vivre et de fumer
le tabac de la vache enragée,
tandis que les tomates égrainées
pleuraient dans les éviers de gré.
L’amitié, liée de ciment,
de l’après trente-six a fini
à six pieds sous les pissenlits
par sceller planches et serments.
Partant les uns après les autres,
subissant l’âge sans retour,
qu’aux pierres il advienne le tour…
et puis le mien… et puis le vôtre…
on peut en rire ou en pleurer
l’histoire passe son chemin
se foutant des vôtres et des miens
comme des masures délabrées !
même le ciel se fout de trente-six
comme de sa première communion !
fallait bien tomber ces maisons,
bleus délavés et crucifix !
Réhabilitez le quartier,
faut toujours aller de l’avant
même si ce n’est pas toujours marrant ;
même si ce n’est pas souvent le pied !
Accordez donc aux nostalgiques
de croire aux bienfaits du salpêtre ;
comme aux poètes de soumettre
la poussière des temps aux critiques !
8. Acrostiche à LABASTIDE
Labastide est sortie des entrailles de la terre un dimanche à midi. Je m’en souviens encore car le clocher sonnait la fin de la messe et sur les petites tables rondes du bistro les verres de quinquina attendaient les clients. Oh, pas les dames chapeautées et gantées pressées d’aller mouliner leur soupe, ni les jeunettes en fleur trottant dans leur sillon, les sourires dessus, les bras luisants dessous, les jeunes hommes derrière, ni les regards de biais ; les autres, tous les autres, y compris Monsieur l’abbé !
Alléluia s’écria le Bon Dieu, non pas en voyant les fesses de Mathieu, mais lorsqu’il façonna Labastide, avant qu’elle ne sortit des entrailles de la terre, j’ai le curé qui convient ! Effectivement. Petit, râblé, tonsuré, aimant la bonne chair, menteur, braconnier, jardinier, chasseur, pêcheur devant l’éternel, rusé, filou, beau parleur, intelligent, de quoi remplir l’église de fidèles, d’athées et de bons anticléricaux !
Bons anticléricaux, à ne pas confondre avec les bonshommes de la foi cathare !
A Labastide ces hommes-là croyaient en Dieu, n’avaient aucune confiance en la « curetaille », mais se rendaient à l’église quand même, au cas où !
Ceux-là étaient au quinquina, puis glissaient tout doucettement à table. Ils dégustaient à grands coups de revers de manches les soupes que les dames chapeautées et gantées avaient soigneusement moulinées. Ensuite, ils passaient volontiers aux charcuteries, aux légumes frais garnis de gibiers rôtis, aux fromages, aux crèmes et aux gâteaux de saison dont les jeunes filles en fleur avaient délicatement décoré la porcelaine du dimanche. Ceux-là, étaient les grands hommes de la création.
Avant Labastide, « c’était un trou de verdure où chantait une rivière accrochant follement aux herbes des haillons d’argent, où le soleil de la montagne fière luisait ; c’était un petit val qui moussait de rayons… 1 ». Des ceps en guise de soldats, des escadrons de vignes jusqu’à l’horizon veillaient au calme du lieu. Des coteaux coulait un vin renommé de la Narbonnaise à Lutèce, en passant par Rome et Villar-en-Val, patrie de Joseph Delteil et du charbon de bois.
Ce n’était donc un trou noir, mais bien vert au printemps, doucereux en été, roux en automne et gris en hiver, comme partout ailleurs !
Seulement, entre l’automne et l’hiver, les vendanges et le pressurage passés on y chassait le sanglier ; une sorte de gauloiserie dans le sang ; coutume et tradition. Les grands hommes de la création faisaient leurs cartouches eux-mêmes ; savant mélange de poudre et de plombs.
Ensuite, on faisait descendre le sanglier et les plombs à grands coups de vin rouge, on passait la seconde couche réglementaire et l’on causait d’amour les quatre pieds à la douceur de la cheminée. A l’automne suivant, venaient au monde les balances et les scorpions de l’année. En quelque sorte, un rouage bien huilé ; une affaire qui tourne rond ; n’est-ce pas Gaston ? Les grands hommes de la création, parfois, cuisinaient eux-mêmes leurs sangliers ; ils secondaient effectivement leurs dames chapeautées et gantées dans certaines taches.
Toujours est-il qu’à Labastide, et peut-être plus à Labastide qu’ailleurs, grâce au microclimat que procure au village la montagne de Lacamp, les cœurs et les esprits étaient perpétuellement en fête ; l’accordéon était de toutes les sauces. Les jeunettes en fleur espéraient vivement les jeunes hommes qu’elles refusaient aussitôt, les dames chapeautées et gantées, sages, n’espéraient plus ce qui ne viendrait jamais, l’abbé ricanait et les grands hommes de la création se retrouvaient à la buvette. Sur les petites tables rondes du bistro le quinquina était de sortie. Les nœuds des cravates étaient impeccables. Le soleil était toujours de la partie. On y chantait les refrains des vieux de la vieille, les chiens et les chats étaient de la fête ; tournez manèges !
Il fallait être idiot, aveugle ou cul-de-jatte pour ne pas, en avril, aller cueillir les jonquilles sur la montagne de Lacamp ! C’était là une perpétuelle procession digne des plus grands ordres religieux ! C’est tout juste si l’on n’emmenait pas les enfants de chœur et le dais sous les châtaigniers, sur une charrette plateau pour officialiser l’évènement ! Il faut dire que les flancs de la montagne, ainsi parés de jaunes orangés étaient sublimes ! Les dames chapeautées tenaient les paniers, les jeunes filles en fleur cueillaient, les jeunes hommes aidaient, l’abbé confessait à l’occasion et les grands hommes de la création refaisaient le monde à leur façon ; ils se chargeaient d’emmener les victuailles pour le traditionnel repas du midi et cherchaient un endroit convenable pour faire asseoir leur monde… refait ou pas.
Des années durant ce paradis terrestre continua d’évoluer sous le regard complice de son créateur. Il tirait si bien les ficelles que tout fonctionnait à merveille. Les anticléricaux et leurs dames chapeautées et gantées disparaissaient peu à peu, les jeunettes en fleurs et les jeunes hommes devenaient à leur tour dames chapeautées et grands hommes, et l’abbé, jouisseur né, ne pêchait plus que le goujon. Sans chasseur, les sangliers prospéraient.
Au fond de “son trou de verdure la rivière chantait, accrochant follement aux herbes ses haillons d’argent“ ; heureux Rimbaud, le Val-de-Dagne moussait effectivement de mille rayons !
Encore un paragraphe pour vous dire qu’un jour le génie est mort, laissant aux hommes le chef-d’œuvre qu’il avait accompli. Tout alors est parti à vau-l’eau ; tout est mort avec lui.
Il paraît qu’il reviendra avec d’autres plans pleins les bras. Alors, de la rivière monteront de nouvelles senteurs, d’autres grands hommes se retrouveront après la messe autour des petites tables du bistro, le quinquina coulera à flots, de nouvelles jeunes filles en fleur sèmeront leurs parfums et des regrets à tous vents et le ciel bleu resplendira. Sur la montagne de Lacamp les sangliers courront à nouveau et les jonquilles revêtiront les couleurs du soleil. Un nouvel abbé, tout frais moulu, se fera les dents sur les nouveaux anticléricaux… et quelques femmes chapeautées et gantées de la contrée…
Oui, Zarathoustra, je sais, il est l’heure du café, verse, j’ai quelques rayons à resserrer ; les roues sont faites pour tourner ; non ?
1 Le dormeur de Val (Rimbaud)
9. Madeleine
Si Madeleine avait quitté ses bas de laine
qu’elle avait tricotés pour sa majorité,
et ses bas et sa gaine, pour son trousseau dondaine,
elle put en mariage, certes vierge, se donner !
il n’est là, seulement affaire de chaussettes
ni de tablier troué sur la grille du puits,
de poignets de liquettes rongés par les biquettes ;
cela ne rebute à la campagne un mari !
non, je dirais plutôt que la fine moustache
qui part de sous son nez pour rejoindre son cou,
déstabilise un peu celui qui s’amourache
qui envisagerait de devenir l’époux !
mais il n’est là, seulement, une affaire de poils,
Madeleine est atteinte de strabisme divergeant
et lorsqu’elle brosse le bouc à rebrousse poil,
elle prend un coup de corne et pleure évidemment !
alors de chaudes larmes sur ses bajoues festoient,
qu’un reniflement suivi d’un revers de manche
sèche archaïquement, se mouche entre les doigts,
épure à fond son nez et s’essuie sur ses hanches !
passons encore sur cette indélicatesse ;
la pénibilité des travaux et l’ivresse
tourneraient ici les fols esprits d’une abbesse ;
soigner les animaux n’est pas dire la messe !
mais si les épluchures enfin jetées aux poules,
le baquet du cochon regorgeant de bouillie,
elle faisait chauffer un peu d’eau dans sa grande houle
et se lavait un brin avant d’aller au lit…
que dis-je, avant d’aller tournoyer sur la place,
bien rasée, parfumée, sous un jupon clinquant,
quelque bel homme enfin, un Alfred, un Horace,
lui chatouillant le ventre lui tournerait les sangs !
mais Madeleine ne se donne aucune peine
et se plaint ; c’est une vieille fille pardi
qui croit encore qu’aux innocents les mains pleines
Dieu réserve une place de choix au Paradis !
d’autres seraient bien en peine sans mari !
10. Les joies d’un étendoir collectif
Suspendus la tête en l’envers
aux fils râpés de l’étendoir,
entre ses draps, ses pull-overs,
ses dentelles, ses rêves, ses espoirs…
suspendus les pattes en haut,
alignés comme des chauves-souris,
au vent, des chapelets de mots
livraient un passionnant récit
d’où me parvenaient les musiques
de ces orgues de barbarie
tendant leurs voiles romantiques,
le soir, sur les quais de Paris.
Grisée par les chevaux de bois,
les lumières du carrousel,
la danse de son palefroi
qui prenait les chemins du ciel,
elle tournait, souriant aux anges,
face au bonheur en contre jour ;
elle vivait l’excitant mélange
des doux coloris de l’amour.
Un gars dansait à ses côtés
lui tenant la main en chantant ;
l’orgue de barbarie avalait
les refrains perforés des amants.
Le manège sans cesse tournait,
les chevaux trottaient dans la nuit
et l’orgue qui s’époumonait…
une merveilleuse alchimie !
Les mots pendus en chapelets
s’égrenaient en lettres fleuries ;
de l’étendoir un alphabet
offrait au vent ses confettis.
Lorsqu’elle dégrafa ses envies,
plus tard, sous un croissant de lune,
les chapelets je dépendis
laissant à leur cause commune
les amants jouir de la vie.
Je termine là le récit,
le reste eut été indiscret ;
les mots se croyant tout permis
manqueraient de décence, de respect !
Laissant mes rêves sur le fil,
mes draps, mes caleçons, mes chaussettes,
je fis ma prière ; ainsi soit-il,
et partis au pays des poètes
conter mon histoire, illuminé
par ces guirlandes de dentelles
que faisait sécher mon hirondelle
sur les fils de la copropriété…
anecdote en sol-mi
anecdote en ciré !
11. Diableries
Si dans l’art de la diablerie,
hier, je démarrais diablotin,
Dieu, me voilà diable aujourd’hui
et “Chef“ assurément demain !
J’ai grimpé dans la hiérarchie
respectant scrupuleusement
les paliers de l’anatomie,
la panoplie, les sacrements !
Je suis pourvu d’un corps de braise
surmonté de cornes pointues ;
quant au reste, faut que je taise
le schéma de mes attributs !
Ma cape me va comme un gant ;
mes gants caressent de travers
(à rebrousse poil, mes enfants)
les fruits mûrs et les filles au pair !
Avec ma “foufourche“ je “pipique“
et les “cucus“ et les “nénés“ ;
je suis un diable sympathique,
mon but sur la terre est d’aimer !
Là-haut, on rôtit trop de gens ;
j’ai horreur de la viande cuite
qui empeste sur les vêtements,
autant que le fish et les frittes !
Oui, je suis un diable angélique !
si je n’ai d’aile dans le dos
c’est par respect pour “Joséphine“ ;
bon diable n’en fait jamais trop !
La queue fourchue, le sabot noir,
le doigt velu, l’haleine rance,
je suce la peau de vos espoirs,
me repais de vos jouissances !
Je vous précède et je vous suis.
Vous ne pouvez plus vous défaire
de mes parfums, mes railleries ;
vos noirceurs je viens satisfaire…
vous détourner du droit chemin,
vous faire sombrer dans le vice ;
vous aimerez, j’en suis certain,
caresser le poil de mes cuisses…
et quand je vous aurai croqués
je trouverai d’autres victimes
qu’à leur tour je dépouillerai
de leurs vertus les plus intimes,
puis je gagnerai les enfers
pour rendre des comptes à Papa !
j’aurai fait mon œuvre sur terre
et la planète m’oubliera !
mais comme tout deviendra fade
vous me prierez de revenir
pour qu’en une ultime régalade
vous puissiez à nouveau jouir…
l’idée, déjà me fait frémir !
12. Le temps des deux écoles
Il a passe Montaigne en revue et Zola,
d’Italo Calvino à marché sur les pas,
il a planché sur Sartre et Pascal et Camus
qu’il a visités de son âge, sans abus…
On lui a rempli l’esprit d’idées “à la va-vite“,
quand le programme vous emmène d’Héraclite
au slam en quelques mois, bon ado malgré soi,
plein de vie, de critique, bourré de “Je sais, moi !“
Les cours n’apprennent pas à lire entre les lignes
que des vents et des cieux l’homme est toujours indigne,
qu’il faut fermer les yeux et lire avec le nez
les parfums qu’en rêvant l’ouvrage vous remet,
qu’il faut ravir l’oreille aux bruits de la marée,
au sable qui obstrue le chenal des pensées,
qu’il faut s’émerveiller au chant d’une sirène,
aux pleurs du baleinier, aux cris de la baleine !
On finit par délaisser la ponctuation,
dans la littérature comme dans la chanson ;
on respirait au point, riait à la virgule,
mettait les guillemets, l’illustre majuscule !
Ce sont les jours d’hiver, quand les strophes à larmes
des poèmes récents, profondes de vacarme
viennent, impétueuses, vous glacer le sang,
que l’interligne alors fait le plus de boucan…
et l’auteur et l’ouvrage passent au second plan,
et l’on hurle comme on hurlait étant enfant,
et l’on apprend enfin qu’au bout de chaque cri
la cloche qui résonne est celle de la vie !
Il a passé Montaigne en revue et Zola,
de Prévert à Rimbaud a marché sur les pas.
L’histoire m’a conté qu’il aurait commencé
à lire entre les lignes ; il a donc progressé !
L’homme a besoin de temps pour comprendre l’hiver,
le poème éternel, à l’endroit, à l’envers ;
lorsqu’il l’aura saisi, alors il comprendra
le souffle familier qui remontait ses draps ;
tout ne serait bien sûr qu’une question de temps !
il quittera l’hiver et vivra au printemps,
au présent, rempli d’amour, de soleil, de joie…
et puis viendra l’été et nous serons tous là !
Je vais passer Montaigne en revue et Zola,
moi qui sais le comment, j’apprendrai le pourquoi
lorsqu’on boit ses vingt ans l’on se prend pour le roi,
et cinquante accourus l’on se sent dévêtu !
13. Ha bein ça alors !
Comment vous dire, j’ai…
un travail simple,
des objectifs simples,
un chemin de vie simple,
des envies simples,
des besoins simples,
un compte en banque simple,
des idées de gauche simples,
des idées religieuses simples,
des idées amoureuses simples,
des idées philosophiques
des idées extra planétaires simples,
une maison simple,
un jardin simple,
une voiture simple,
une table simple,
quatre chaises simples,
un lit simple,
des draps simples,
une couverture simple,
deux lampes de chevet simples,
un pyjama simple,
des sandales simples,
un réfrigérateur simple,
des mets à l’intérieur simples,
un appétit simple,
un diabète simple,
un cholestérol simple,
un range CD simple,
des goûts musicaux simples,
une chaîne stéréo simple,
une moto simple,
des bottes de moto simples
des sorties du dimanche simples,
des balades en forêt simples,
des restos attitrés simples,
des envies de poésie simples,
des envies d’écrire simples,
des textes simples,
des vêtements simples,
un chapeau simple,
une pipe simple,
du tabac simple,
un sommeil simple,
des rêves simples,
des réveils simples,
des déjeuners simples,
une machine à café simple,
du café équilibré simple,
une douche simple,
un savon de Marseille simple,
un dentifrice simple,
une brosse à dent simple,
une femme simple,
avec des boucles d’oreille simples,
du bleu sur les yeux simple,
du rouge à lèvre rose simple,
des cheveux noirs simples,
un travail simple,
des objectifs simples,
un chemin de vie simple,
des envies simples,
des besoins simples,
un compte en banque simple…
pourtant… je ne suis pas socialiste !
14. Appel !
Plus de poudre dans son bac à souffre jauni,
vide son cuvier à sulfate mal bleui…
rouge la terre battue de sa cave à vin,
noire la couleur de son tragique destin.
Ses ciseaux à tailler rouillés sur l’établi,
sa pierre à aiguiser dans un fond d’eau croupie,
rouge la terre battue de sa cave à vin,
noire la couleur de son tragique destin.
Ses rouleaux de fil de fer pour les espaliers
entassés sous des boufanelles 1 liquéfiées…
rouge la terre cuite de sa cave à vin,
noire la couleur de son tragique destin.
Un sac d’engrais vomissant des perles de vie,
son soc de charrue laissé là, à l’agonie…
toujours rouge la terre de sa cave à vin,
noire la couleur de son tragique destin.
Quatre doigts de poussière sur son pauvre tracteur
dont la cheminée ne vivra d’autre chaleur…
rouge la terre battue de sa cave à vin,
noire la couleur de son tragique destin.
Ses robinets de buis noirs comme du charbon
et ses portes de cuves en portes de prison…
rouge la terre battue de sa cave à vin,
noire la couleur de son tragique destin.
Ses mèches à barriques rongées par les rats,
ses douelles de tonneaux couvertes de trépas…
et le sol, devinez, de son ex cave à vin…
noire la couleur de son tragique destin.
Cuits ses seaux à vendange, anses désabusées,
son numéro d’exploitant pavillon baissé…
rouge la terre battue de sa cave à vin,
noire la couleur de son tragique destin.
Sur un clou, son pantalon de pluie desséché,
les mites aux manches de sa parka de février…
rougie, sa terre, par les flots de lie de vin,
à jamais noire la couleur de son destin.
Ses bouchons, dans lesquels les mirgues 2 ont fait l’orgie,
ses siphons bouchés par l’eau du ciel et l’ennui…
rouge la terre battue de sa cave à vin,
noire la couleur de son tragique destin.
Son portail et ses tuiles d’une autre génération,
et ses cuivres qui engendraient l’admiration…
rouge éternellement le sol des caves à vin,
noire la couleur de leur tragique destin.
Le sourire du vieux et les dents de la vieille
on ne les retrouvera pas demain la veille…
rouge la terre battue de leur cave à vin,
noire la couleur de leur tragique destin.
Leurs traites, leurs impôts et puis “la conjoncture“,
leur vieux rotabator 3 et leur vieille voiture,
toujours l’état qui les saigne comme un furet
serrant une lapine entre ses crocs d’acier…
le vin de Californie qui coule sans taxe,
la mondialisation – recettes et syntaxe –
morte notre viticulture du Midi,
adieu cultivateurs, l’état nous a trahis !
Intelligenti pauca !
(à qui sait comprendre, peu de mots suffisent !)
1 boufanelles : de l’occitan, fagots de sarments de vigne.
2 mirgues : de l’occitan, souris.
3 rotabator : de l’occitan, matériel agricole.
15. C’est entre l’herbe et le tonneau
(suivant la théorie de J.L )
Si ses vignes sont pleines d’herbe,
travaillées à l’emporte-pièce,
à la binette du dimanche…
si alternent souches et gerbes
de rouquette, tant d’autres espèces
de coquelicots et de pervenches,
de pissenlits, de boutons d’or…
de rouges, de violets et de jaunes…
d’azur, de soleil, de cosmos…
c’est pour faire un vin qui a du corps
comme ceux de la douce Babylone,
de Rome, de Naples ou de Byblos !
c’est pour échapper à vos caves
où tout sent l’acquis commercial
et l’uniformité du goût !
Cet homme est bon, cet homme est brave ;
son savoir faire est virginal ;
son raisonnement tient debout !
Laissez de Narbonne à Madère
venir les fleurs et les herbages
au cœur des vignes alanguies ;
debout les damnés de la terre ;
croquez à la souche sauvage
les grains éclatés de la vie !
Ne me soutenez, ironiques,
– parce que la jalousie vous mord –
que cet homme fait du vin “bio“…
ou qu’il à l’esprit bucolique…
ou partisan du moindre effort…
ou qu’il a perdu les pinceaux !
bien, cet homme est un visionnaire !
son vin ressemble au liseron,
il s’entortille à vos émois !
C’est un nouveau propriétaire !
sa science est à maturation,
son vin un argument de poids !
Le problème, vous le connaissez :
les habitudes vous encroûtent ;
toujours la raie du même côté !
Raisonnez-donc votre critique,
un jour prochain, croyez en moi,
on causera biodynamique…
même si, to day, pour vous
cela demeure énigmatique !
16. Jadis, à la tour de Monze
Là, les cochons et les chiens rognent
la fin de l’hiver patiemment.
Ils aspirent tous au printemps ;
ils ont vu passer les cigognes.
Hommes, femmes, bêtes et enfants
verront naître d’autres cigales,
des pies hardies en martingale,
des filles en robe de safran…
alors on sortira les tables,
les oies à la peau craquelée
siffleront des airs de Guinée,
les chèvres seront délectables,
le seigneur aura le sourire,
les pierres de la tour rougiront
au soleil de la belle saison ;
il faudra planter et construire !
Et puis viendront les épousailles,
les pluies de pétales de fleurs,
les troubadours et les jongleurs…
mais l’on parle de funérailles !
La mort est là, le vin est noir,
les bûchers crépitent à tous vents ;
Montfort 1 boit l’hiver et le sang,
Innocent 2 jouit chaque soir
de coups d’épée, de chairs meurtries,
d’hérétiques dépossédés,
de christianisme à satiété,
de mitre d’or, de croix de buis !
Ils sont étendus tous les trois
parmi leurs femmes et leurs enfants,
leurs cochons, leurs chiens, leur printemps,
leurs chèvres, leurs pierres, leurs oies,
leurs pies hardies en martingale,
leurs troubadours et leurs jongleurs,
leurs pluies de pétales de fleurs
et le silence des cigales.
Adieu Philémon et Baucis,
cathares et de profundis ;
quatorze avril douze cent dix,
la tour de Monze 3 perd trois fils.
1 Simon de Montfort : chef militaire de la croisade contre les Albigeois.
2 Innocent III : Pape de 1198 à 1216.
3 Monze : village audois.
17. Têtes de bois
Ils ont un trou au cimetière, avec leur nom,
de braves gens qui les espèrent sur le perron,
à qui ils portent des brassées de joncs fleuris,
des chrysanthèmes à Toussaint, comme des pissenlits…
qu’ils n’oublient jamais de citer dans leurs prières !
car ils sont ainsi les travailleurs de la terre ;
doigts calleux au pays des pierres et du raisin
ils votent rouge et se signent avec les deux mains…
– mon père, mon frère, mon fils ! –
Leurs églises sont remplies, à Pâques, à Noël
de cierges, d’encens, de prières à l’Eternel ;
sur l’harmonium leurs anges valsent en riant
et leurs pièces jaunes vont en quête cliquetant.
Ils se décoiffent à l’église comme au cimetière,
puis se hâtent d’aller décoiffer la soupière
ou quelque os de sanglier dans un rouge de choix
sera douce évangile quand l’abbé s’assiéra…
– mon père, mon frère, mon fils ! –
Les gens de la vigne sont à l’aise partout.
Ils se marrent aux enterrements comme des fous
pour peu qu’un curé bégaie, que l’autre soit sourd ;
il est vrai, les gens de la vigne ont de l’humour !
La nuit tombée sur la porte du cimetière,
les feux follets cherchent à s’attraper par derrière ;
derrière l’église, pour les autres – et comment ! –
la ruse consiste à se coller par devant…
– mon père, mon frère, mon fils ! –
Un jour, on n’entend plus leurs pas sur le gravier,
ils sont suivis de pleurs et de pas étouffés ;
de nouveaux freluquets sortent alors du vignoble,
tendres têtes de bois et gentiment ignobles…
– mon père, mon frère, mon fils ! –
18. Ma très grande affection pour Plassan
Adieu Giono, je t’abandonne
car mes pensées vont à Zola ;
si j’ai “Le hussard 1“ à la bonne,
les “Rougon“ réveillent en moi
les robes à pois des provençales
qui vont au marché de Plassan,
panier au bras, dans un dédale
de rires, de gestes et d’accents.
Prenant “le Cours“ de large en long,
vives, elles tutoient les marchands ;
elles viennent des quatre coins du canton
pour la causette et le safran.
Elles portent des parfums de myrtille,
la joie de vivre des poètes
et sur la tête des aiguilles
de pin en guise de barrettes.
——
Adieu Giono, je t’abandonne
car mes pensées vont à Zola ;
si j’ai “Le hussard“ à la bonne,
les “Rougon“ réveillent en moi
la terre entre les oliviers,
d’un rouge “révolutionnaire“,
mêlée aux grains blancs de l’engrais
et la sueur de vendémiaire…
et puis le moulin de Plassan,
les olives pressées sous la meule,
le regard bleu du paysan
par-dessus l’huile qui dégueule…
les bonbonnes avec les noms
qu’on a rangé dans l’antre obscur
et le rosé et le jambon
dans une niche du vieux mur.
——
Adieu Giono, je t’abandonne
car mes pensées vont à Zola ;
si j’ai “Le hussard“ à la bonne,
les “Rougon“ réveillent en moi
les longues balades à cheval,
Plassan au rythme des cigales
et le vent septentrional
qui fait chanter la collégiale…
les santons autour de Jésus,
les crèches de paille et de miel,
puis les rois mages attendus
et Vénus haute dans le ciel.
Plassan où l’on fête Noël
dans la plus grande effervescence ;
où l’on cueille sur l’arc-en-ciel
les sept desserts de la Provence.
——
Adieu Giono, je t’abandonne
car mes pensées vont à Zola ;
si j’ai “Le hussard“ à la bonne,
les “Rougon“ réveillent en moi
le hameau aux maisons étroites,
hautes et fraîches où j’ai vécu,
les vieux qui portaient la cravate
sitôt qu’ils empruntaient la rue…
les tortues qui cherchaient le soir
l’aventure sous les lauriers
et les vers luisants dans le noir
qui balisaient notre sentier ;
Plassan où brillent les réverbères
des nuits de noces et de draps blancs,
à qui va mon amour sincère ;
l’accolade à ceux de mon sang.
19. Merci 36
Le poste ressassait l’une de ces rengaines
qu’il vaut mieux écouter toutes vitres baissées
pour que l’air de la ville, rosâtre, pollué,
ôte de vos pensées cette ânerie soudaine ;
de mauvais vers s’allongeaient sur une musique
que s’appliquait à gruger quelque énergumène,
un poltron à la mode, qui vous vient et vous peine
de ses cordes vocales d’arrière-boutique…
et maman, à l’avant, qui m’indiquait la route ;
maman, à l’avant, qui reniflait les radars !
Sur la banquette arrière, les mômes se chamaillaient ;
il me semble à propos de l’ombre et du soleil,
que c’était différent, que c’était pas pareil…
que l’un prenait la place que l’autre convoitait !
l’un pleurait de faim, l’autre pour un arrêt pipi,
ils se filaient des baignes, s’enfilaient des bon becs ;
on aurait dit des singes à l’arrière du break !
je roulais baignant dans cet embrouillamini…
et maman, à l’avant, qui pistait les gendarmes ;
et maman qui chantait plus fort que la radio !
A côté des mômes, belle maman dormait.
Dans le coffre, les perruches reprenaient en cœur
les refrains de mamie, ronflant comme un tracteur.
La clim était en panne, la chaleur étouffait…
les perruches hurlaient en se volant dans les plumes,
le chat guettait la cage, le canari riait.
Je buvais les vacances comme du petit lait.
La belle doche ne cessait de monter le volume…
et maman, à l’avant, qui comptabilisait
les points de mon permis si je grillais les feux !
Je gloussais à l’idée de ces super vacances.
Nous passions enfin les portes de l’Aveyron
le soleil au zénith et la sueur au front.
Je me disais qu’au fond nous avions de la chance :
la belle doche aurait pu se casser le fémur,
les enfants attraper un virus coutumier,
les perruches, mais c’est rare, avoir la voix cassée ;
nous serions donc partis dans le calme, c’est sûr…
mais maman aurait quand même, à chaque tournant,
tenté d’apercevoir la mort qui nous attend !
Il en est ainsi pour chaque chef de famille,
prévoir les vacances, ensuite les assumer…
ce qui n’est certainement pas à la portée
d’un de ces braves gai-lurons de pacotille !
Ouvrons et fermons la parenthèse : parfois,
je voudrais être un gai-luron, célibataire,
et passer mes vacances à n’avoir rien à faire
que de boire le silence du feuillage qui verdoie !
quand je rêve maman me ramène à la route ;
« Conduire ou rêver, me dit-elle, il faut choisir !»
Je sentais l’impuissance peu à peu m’envahir,
une sorte de fièvre m’enserrer le gosier ;
je n’avais plus envie de parler, de rêver…
les vacances accouchaient des couleurs du plaisir ;
merci 36 !
20. Lettre à maman
C’est moi, La mer, juillet 2006,
maman,
Je vais au bord de l’eau, parce qu’il fait chaud en ville !
Je pars au bord de l’eau m’éveiller les papilles…
pour apaiser à l’eau mon esprit érectile !
De loin, j’ai aperçu l’eau du potage – mer d’huile –
J’ai mis les pieds à l’eau, sorti de l‘automobile ;
je n’ai pas peur de l’eau qui lèche la presqu’île…
eau claire qui pourlèche les doigts de la presqu’île !
Les petits fendent l’eau ; les enfants sont habiles…
tous ont les fesses à l’eau, les sardines jubilent !
Je suis venu à l’eau car il fait chaud en ville !
La gent se glisse à l’eau la cervelle fébrile !
J’aime quand sort de l’eau quelque vierge nubile ;
la naïade, hors de l’eau, a tant de sex appeal
que je me jette à l’eau la sagesse indocile !
L’aire qui borde l’eau à tout du vaudeville
entre seins nus à l’eau, pilons, minois graciles !
Les mots du bord de l’eau parfois me désopilent ;
il n’émerge des eaux de réflexion subtile !
Le clapotis des eaux clame les évangiles !
Je revis près de l’eau, il fait si chaud en ville !
La méduse est à l’eau ; sur la plage, un bacille
guette au sortir de l’eau sa proie, froid, versatile !
Le sable gorgé d’eau est un album tactile !
Le sable gorgé d’eau est d’accès difficile,
mais pour sa dose d’eau le mortel s’y faufile ;
toutes races à l’eau, mais bien peu de nautiles !
Soleil et sable et eau sont pour l’âme un asile ;
toujours entre homme et eau quelque nouvelle idylle !
Le harnais suspendu au quotidien servile,
délaissant pour le ciel mes chevrons et mes tuiles,
ne t’en fais pas, maman, ici je dors tranquille !
à bientôt, une bise à papa.
21. Fil de vie
Elle a dansé, Mamie ; elle a connu la guerre !
quand elle s’est mariée, on entendait les bottes
qui résonnaient ente le désastre et la flotte,
le chant des Partisans, les refrains de naguère !
Et Papi lui venant, fringuant, conter fleurette !
son labeur peaufiné, c’est pour boire l’amour
que l’âme au pédalier et le cœur troubadour
il menait à bon train, le soir, sa bicyclette !
Elle a senti, Mamie, les essences de terre,
le vent hurlant sous la toile des capelines,
monter d’un clair-obscur les clameurs féminines,
l’herbe dresser le cou sous la houe des galères…
et elle sourit, Mamie, à la saison nouvelle,
aux enfants qu’elle a eus, aux petits qu’elle aura !
toujours prête, Mamie, à emboîter le pas
aux hivers de papier, aux printemps de ficèle !
Elle met soigneusement les petits plats dans les grands ;
le caramel embaume sous sa tuile faîtière
– la convivialité est bonne conseillère ! –
sur ses nappes le rouge s’acoquine au blanc !
Puis passent les jours, à la petite semaine !
quand le ciel se colore de nuages épais,
quand Dieu joue dans son coin, Mamie pleure en secret ;
à chaque instant, chaque idée suffit à sa peine…
alors, l’été suspend aux volets ses lampions,
on chausse l’accordéon, la musique revient ;
il est l’heure, Mamie, de se tenir la main
et suivre la farandole vers l’horizon !
22. Onze heures au vieux coucou
Il est onze heures au vieux coucou,
les flammes lèchent le chaudron ;
deux pincées de sel au bouillon
– du gros sel – pour la soupe au chou…
puis un tour de bâton, manière
d’envoyer le sel par le fond
entre les couennes et les oignons,
le chou, les os, les pommes de terre…
et puis le calme à la maison.
Seul, sous quelques crépitements
d’un billot de chêne suffocant,
le feu mouline sa chanson.
L’aïeule vit sur une chaise basse.
C’est là qu’elle passe ses journées
à coudre, à moudre, à cuisiner,
puis à tuer le temps qui passe.
Elle veille machinalement
le chaudron et la crémaillère,
le temps des écoles buissonnières,
le rire des enfants, ses galants ;
elle est ici, elle est ailleurs…
elle boit aux fontaines des saisons,
et puis s’en revient au bouillon,
au gros sel, au coucou d’onze heures.
Les pieds dans des chausses de laine,
au ras des lueurs, des chenets,
elle sait que l’hiver terminé,
sans joie, sans peur, sans pleur, sans peine
elle quittera sa cheminée,
sa soupe au chou, son coucou
qui chante à s’en tordre le cou
chaque nouvelle heure qui naît…
alors, elle pourra à nouveau
serrer la main de son époux,
au Paradis… ou dans le trou !
qu’importe, la mort est un cadeau !
Mais l’hiver est long cette année,
la faux s’affaire loin d’ici ;
en attendant il est midi,
la soupe et le coucou sont prêts …
l’un chante, l’autre dans la cuisine
répand ses parfums de bonté,
l’aïeule renoue son tablier…
faut bien que chaque heure se termine ;
faut bien que le chemin chemine !
23. L’aïeul à qui l’on a volé…
Il a porté, jadis, sur son dos des montagnes
de rires, de cailloux, de bois, de bonne humeur ;
il fut un vrai de vrai – un vieux de la campagne –
de ceux qui ne se levaient pas à contrecœur !
Il a passé sa vie entre vignes et jardins ;
de la paille d’écurie aux cieux enluminés
il à traité les dieux, les choux, le vent marin
avec la même poudre de religiosité.
A quinze heures par jour à creuser le sillon,
à caresser la terre, l’eau, le pain et le blé,
vous diriez qu’il a mené “une vie de con“
et pourtant c’est pour lui que l’aube se levait !
Les brumes ont tant dansé sous ses yeux ébahis
qu’il a bien souvent perdu le souffle et le Nord ;
à sa manière il a profité de la vie,
croquant par tous les trous le gruyère du décor.
Il a porté ses deuils jusqu’au bout de l’espace
et boit les airs viciés des mondes actuels ;
il a couché la mort sur de larges paillasses
avant que ne paraissent nos mondes virtuels !
Assis sur le fauteuil, le regard égaré
dans les méandres gris de son plafond croûté
il demeure depuis plus d’une heure sans bouger
comme si quelque mort au col le saisissait ;
il a les larmes aux yeux ; il a le cœur serré !
—————
Aux sinistres oiseaux qui ont volé ses pots
de vin, de géraniums, ses jarres de bonheur,
son vélo d’avant guerre, ses houles à fricot ;
à ces gens sans vergogne, sans jugeote et sans cœur
je hurle ma colère ! que la malédiction,
la justice sans bouche les frappe de plein fouet !
moi qui ai peine à dire “guillotine, pendaison“,
parfois je voue, Grand Dieu, quelque honneur au gibet !
24. Voies sans issue
Du fond de votre nid de granit et de froid,
pauvres aïeux, vous ne pouvez plus rien pour moi.
Pardon de vous avoir si souvent dérangés,
par de nobles prières vous avoir incités
à citer en haut lieu toutes mes exigences,
à veiller sur mes chers désirs en transhumance ;
l’homme a parfois besoin de nouveaux avocats,
prenant un galet de rivière pour un roi !
intercéder auprès de sa majesté même
pour qu’en un tournemain elle règle mes problèmes !
vous qui détenez tous les passe-droits des cieux,
qui vénérez le jour et oubliez l’adieu,
du fond de votre nid de drap blanc, de granit,
vous m’auriez obtenu quelque satisfecit,
cela, certes, aurait ressemelé mes bottines
et j’aurais poursuivi, quand l’orage ravine,
les pieds dans la gadoue, le soleil au guidon ;
l’homme a besoin de voir scintiller l’horizon
lorsque le soleil vient y pourlécher les brumes !
mais depuis, chers aïeux, que vous buvez l’écume,
que l’humidité boit la brique de vos foyers,
pardon, j’aurais du vous laisser dormir en paix !
oubliez mon prénom, délaissez mes requêtes,
les hommes sont chaque jour qui passe plus bêtes !
du fond de votre nid, sans fleur, sans feu, sans foi,
pauvres aïeux vous ne pouvez plus rien pour moi !
qu’en souvenir du temps où l’on s’aimait si fort,
claque un baiser de vie sur un soupir de mort !
25. L’étoile du myopathe
Elle est là, l’étoile, elle trône dans les cieux ;
chaque soir je lui parle et nous chantons tous deux !
puis, les autres, rayonnantes, se joignent à nous
et nous croquons la mélodie par les deux bouts !
je voudrais m’étirer, la serrer dans mes bras,
lui faire un signe, mais je ne peux lever le doigt ;
je voudrais, pour la rejoindre, courir la nuit,
mais mon corps en sommeil laisse mes rêveries
bouillonner en tous sens, s’agiter à sa place ;
seul mes songes et mon âme font preuve d’audace !
Je suis obscurité à l’heure du grand soleil ;
à l’heure où chacun dort, un trait de ciel vermeil !
alors, entre les planètes je plane et je bois
ces éthers multicolores qui s’offrent à moi ;
je n’ai pas de rollers, de vélo, de ballon
dont jouissent en riant filles et garçons…
d’ailleurs, je ne suis plus ni fille ni garçon,
je suis moi, rien que moi, moi pour seul horizon ;
ce qui brille, ce sont mes parents et les nues,
je suis là car il faut à la vie ses berlues !
ce qui chante, ce sont mes parents et l’étoile,
si je rêve, c’est pour mes parents et la voile
sur laquelle je vogue, accroché, suspendu
dans cette spirale sans histoire, sans issue !
je ne peux élever la voix, lever le poing,
ne peux me contenter d’être assis dans mon coin,
je ne peux me crisper sur l’accoudoir du fauteuil !
et je ne peux non plus esquisser un clin d’œil !
du seuil de ma prison je regarde vers les cieux
cette étoile qui trône et nous chantons tous deux ;
puis les autres, rayonnantes, se joignent à nous
et nous croquons la mélodie par les deux bouts !
alors oui, je m’étire et la serre dans mes bras,
puis l’on chante et je bats la mesure du doigt ;
j’ai la force et la foi, la matière n’est plus
qu’accessoire, et je vis en ce charmant chahut !
26. L’orage
Bernadette, il faisait gris,
ma sœurette, il faisait froid,
mais il fallait quitter le nid,
gagner la croûte à petits pas,
à petits pieds sur le sentier,
dans le givre du pâturage,
à l’âge où l’on voudrait croquer
toutes les couleurs du paysage !
Bernadette, il faisait jeune,
bien jeune et des sabots trop lourds ;
et pire encore si l’on jeûne
les brumes musellent le jour !
Cape de laine pour l’hiver,
le bâton des quatre saisons,
les bouillonnements amers
du Gave qui boit l’horizon
Bernadette, il faisait bleu !
ton doigt menu, ta joue pâlotte,
il faisait roux, il faisait vieux,
il faisait bien gris dans la grotte !
puis le pas s’est illuminé,
son aura tapissait la pierre
d’une drapée de pureté,
le froid glissait sur la rivière…
et c’est sur toi qu’elle a posé
son souffle d’or, ses mots d’azur ;
sur toi qu’elle a fait reposer
les fondations d’un nouveau mur…
et c’est pour toi qu’elle a chanté
les couplets de la délivrance
– pastourelle d’éternité –
Massabielle sortait du silence !
alors les hommes ont fait grand bruit
et le moulin a dû se taire,
puis ils ont parlé de folie,
t’on affublé des pires fièvres,
t’ont enlevé à tes moutons,
ton rouge foulard, la lumière,
t’ont cloîtré en cette maison
où seule subsiste la prière,
le murmure des anges clairs
qui vont et viennent au vent glacé
des pots de terre et des fers
d’une rigueur exagérée !
Bernadette, au fond du nid
tes larmes ont pétri le duvet
et lorsque trop noire est la nuit,
que le loup guette l’agnelet,
je rajoute quelques couplets
à la grand-messe de l’espoir,
puis je m’endors à tes côtés,
sans bruit, sans pleur, sans cauchemar…
comme le gosse et sa poupée,
comme quand l’orage est passé ;
oui, comme quand l’orage est passé.
28. Virage à la corde
Faut que je change plume et papier,
j’écrive un langage différent,
que je boive ces vieilles idées
dans lesquelles je macère gaiement…
je donne un grand coup de balai
au pied du titre, sur le perron,
faut que de mes caves et greniers
je sorte la poudre à canon…
que je bombarde mes intros,
que je lapide mes conclusions,
que mes strophes prennent un coup de chaud ;
que j’ai raison de la raison !
Je ne compterai plus les pieds,
pas plus ne lisserai mes rimes ;
« Poètes, poètes, vos papiers ! »
Va donc, je m’en vais à la mine,
Déesses, je vais au charbon
extraire la poésie nouvelle,
la mi-cuite, celle au torchon,
des métaphores d’étincelle
qui durciront dans les salons
et l’enthousiasme et la critique…
et le sourire et le téton
des poétesses romantiques !
ça va bouger sous leur jupon,
éternuer sous la cervelle ;
il va y avoir liquéfaction
à la lueur de la chandelle !
Je brûle là mes vieux recueils ;
Landru, ma rime part en fumée
avec les titres de l’orgueil
et les décades va nu-pieds !
Saint-Honoré, je prends congé,
l’ami, j’ai du pain sur la planche !
tu sais ce que c’est, dans le métier
faut même bosser le dimanche !
je te laisse au croissant de lune,
ce soir je pieute chez les muses
entre Mars, Pluton et Neptune…
et que le personnel s’amuse !