Même si j’étais né là-bas
entre les sabots d’un chameau,
et la soif asséchant mes bras,
et le sable fouettant ma peau,
parmi les regs et les dayas
menant sans cesse le troupeau…
pour quelques bruines éphémères
je n’aurais pas quitté le nid ;
jamais n’aurais quitté la terre
que mes ancêtres auraient bénie !
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Même si j’étais né là-haut
dans ces maisons de bois teinté
de rouge vif pour avoir chaud,
près d’un fjord où même l’été
les orques et les cachalots
ont la chair de poule et l’onglet…
pour quelques soleils éphémères
je n’aurais pas quitté le nid ;
jamais n’aurais quitté la terre
que mes ancêtres auraient bénie !
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Même si j’étais né sous l’épaisse
forêt tropicale, où les rais
de lumière serrent les fesses
pour pénétrer la canopée,
à l’heure grave où la tigresse
s’en vient croquer quelques pigmés…
pour quelques néons éphémères
je n’aurais pas quitté le nid ;
jamais n’aurais quitté la terre
que mes ancêtres auraient bénie !
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Même si j’étais né sur les pentes
lavées de cendres et de fumées,
fraîches moulues de laves ardentes
d’un volcan sans cesse harcelé
par quelque tripe bouillonnante
et des râles en pointillés…
pour quelques prairies éphémères
je n’aurais pas quitté le nid ;
jamais n’aurais quitté la terre
que mes ancêtres auraient bénis !
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mais je suis né dans un vallon
où la violence est quotidienne,
où mes semblables, à l’unisson,
font couler le sang et la haine,
où l’on court à la perdition
sitôt qu’on court à perdre haleine !
J’ai préparé mon baluchon
et dois en pleurs quitter le nid,
abandonner ce vert vallon
que mes ancêtres avaient béni !
« Fontaine, jamais je ne boirai
ton eau ! » c’est avec conviction
que du perce-neige au muguet,
de la vendange à la moisson,
sous mon vieil arbre je clamais
cet adage en toutes saisons !
Que mes ancêtres me pardonnent
je brûle la plume du nid ;
les vers ont gangréné la pomme ;
la pomme rouge du pays !