Dans une maison paysanne
où je prenais hier la tisane
entre la Beauce et le Berry,
on veillait une vielle femme ;
bien sûr on priait pour son âme,
et pour la nôtre, certes, aussi !
Elle, raide comme le tisonnier,
semblait encore se régaler
des histoires de ceux d’ici,
et la famille, fort éprouvée,
avait sorti pour la veiller
quelques gâteaux et l’eau de vie…
car de la Beauce au Berry,
de Gallardon à Saint-Aigny,
des champs d’orge aux étangs de Brenne
on ne veille les morts à demi ;
on vient ici passer la nuit,
partager le pain et la peine !
Elle, blanche comme son drap de toile,
courait le chemin des étoiles
sous la fumée grise des bougies ;
puis les commères ôtèrent leur châle
sous les crépitements du poêle
et les lampées de riquiqui.
L’ombre vacillante des chandelles
en bouquets de blé et de prêle
dansait sur des murs sans couleur ;
parfois une brève étincelle
sautait d’un œil, d’une mamelle,
d’un souvenir haut en couleur.
Des confessions de fenaison,
de fêtes, de mauvaises saisons,
et puis d’amours illégitimes…
toujours le même feuilleton,
comme qui dirait « la tradition »…
on chante les mêmes comptines !
La morte semblait en rire aussi,
elle avait veillé tant d’amis
qu’elle connaissait bien ces soirées !
elle aimait que les copines rient,
ensemble elles avaient fait leur vie !
et là-haut c’est triste à pleurer.
Ensuite, d’un pas de déterré,
sur les tommettes on vit passer
un mulot gras comme un cochon…
et comme dans un ciel d’été
une comète vint raser
de ses cheveux verts le plafond.
Chacun allait d’une anecdote
sur la défunte, et la parlote
à tous donna soif et grand faim ;
alors ils sortirent la cocotte
et la farcirent d’une popote
qui mit des parfums au chagrin.
Le soleil retrouvait Paname
qu’on vantait encore son âme
et l’alouette de Pithiviers…
il n’y avait plus guère de flamme
aux bougies ni aux yeux des femmes,
le rata était terminé.
Le pâté de Chartres était loin,
Sancerre n’avait plus de vin,
la morte était couleur de blé ;
on rangea les chaises dans un coin,
et comme venait le matin
on s’embrassa main dans la main ;
la larme à l’œil on prit congé.