Je ne sais si cette année les souches ont la rondeur
des femmes en délicatesse de huit mois ;
des ventres lisses et ronds chantant dans leur chaleur
les trésors de la vie, de leur plus douce voix…
je ne sais si le vent marin boit aux rameaux
ni si le soleil coule sur le pourpre des grains,
si les cigales solfient dans leurs soirs rougeauds,
si d’autres abreuveront de moût leurs fols quatrains…
je ne peux faire de pronostic de vendange,
vous dire si le cru va tenir ses promesses,
si les cueilleurs bûcheront les pieds dans la fange
ou si fuseront dans l’azur des traits de liesse…
vous dire si ailleurs les machines sont prêtes
à enjamber les ceps et avaler l’offrande,
comme le font, au ruisseau sacré, les poètes,
et la tramontane vorace sur la brande…
je ne sais si la musique des barriques qu’on roule,
ou l’alcool des anges sous les voutes des caves,
ou les senteurs ferrées des outils qu’on émoule
rempliront l’âme de mes frères les plus braves…
je ne sais à quelle sauce cuira la saison,
si les foudres cuveront un automne charnel,
s’il fera bon, ensuite, sous les coups de tisons,
et ce que chanteront les futurs ménestrels…
je ne sais
car mon corps s’est éteint juste avant la récolte,
roulé par les déferlantes de temps ingrats ;
et je suis là, couché face aux vieilles archivoltes,
sur un drap à longs pans et sous un ciel extra…
je suis là, rouge encore, comme ceux des révoltes !
je suis là, raide et blanc, comme ceux du trépas !
je suis là, au milieu d’amours qui virevoltent ;
je ne suis plus rien, ni vigneron ni força !