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L’homme nu

I

  

La pleine lune avait, déjà plus de cent fois,

du jeu perpétuel dont l’astre blond jouit,

à savoir se vêtir d’un apparat de soie

où de brumes rosées broder son fol esprit,

 

tiré l’épingle au gré des voluptés cosmiques

de la nuit qui s’égrène le long des sons glaireux,

archanges de mots doux, ronflements syllabiques,

pure fantasmagorie de tous gens orgueilleux !

 

Tel ce Dieu accoudé au balcon de l’Olympe

j’humais dans l’air du soir quelque éclat de bonté ;

philosophant au fil des valeurs les plus simples,

mon âme se gorgeait de vertus vanillées…

 

la fleur de bruyère ne convient pas au lieu ;

trop aride ; si beau sans le moindre artifice,

qu’au temps des folles amours j’y attèle mes vœux

et tire en sifflotant la houe de mes caprices…

 

le roulis des cyprès, étiolés à la taille,

dans l’azur pigmenté de papillons nacrés,

pareil aux filles des bals de la fin des semailles,

caressait sous les cieux un quatre temps parfait…

 

une onde claire allait, sans se presser vraiment,

léchant les rocs moussus d’une arrière-saison,

clapotant par ici, par-là se lamentant,

errant par habitude, sans but et sans raison…

 

afin qu’entre les plis de leur ventre adipeux

ne s’égarent en chemin les messagers d’Eole,

les candélabres, jaunis par la fumée des vieux,

accrochaient dans la plaine leurs mornes girandoles…

 

l’aurore était honnête et respectait les lois,

la logique sacrée, la gouverne des temps ;

le souffle d’Artémis, sur mon chemin de croix,

vint comme une promesse… et fût envoûtement !

 

la grive, si criarde, en son lit de feuillage

susurrait en silence, par ses vols éreintée,

les abeilles et les baies de ses papillotages ;

oiselle, mon amie, que demain te soit gai !

 

de ma blague polie au velours côtelé

d’un fond de poche usé par des ongles trop lourds,

quelques brins de tabac, à trois herbes mêlés,

sautaient en persillant, ô fieu, les alentours…

 

d’entre mes doigts brunâtres au travers de ma lippe,

d’un geste familier, d’un plaisir méthodique,

fidèle au règlement des étranges principes,

je bordais, là, ma nuit, d’un drapé féerique !

 

Apollon, par mégarde, me pensant assoupi

ou sur l’heure asservi à l’emprise des sens,

saupoudra les volutes de mes rêveries

de perles de folie et de poudre d’encens.

 

 II

 

 Au nirvana bleuté de l’extase empirique,

fidèle au souvenir des voyages d’antan,

lorsque la brume ôtait ses voiles impudiques

ma couche s’entrouvrait sur des lieux bienfaisants…

 

alors, l’esprit vidé d’encombre matérielle

j’atteignais l’océan de la sérénité ;

pendant que tremblements, sueurs et ribambelles

empoignaient ma tête et faisaient tout sauter

 

mon âme, elle, dansait au pays des sorcières

dont elle perçait la nuit de rires pénétrants ;

 apparaissaient alors aux reflets des cuillères,

Baudelaire et Gautier et l’hôtel Pimodan,

 

la confiture verdâtre des jeunes initiés,

les moqueries d’anciens, les réunions secrètes ;

les coches de l’île saint Louis, les délires programmés

mêlaient dans l’air ambiant, les Dieux, les hommes aux bêtes !

 

bien sûr, je n’étais rien qu’un corps dans la garrigue,

avachi en bordure des rives de l’enfer…

du « Paradis » dirait le père de Rodrigue !

ô Corneille, l’ami, pardonnes mes éthers…

 

quand tout tourne, sais-tu, de Ronsard et sa rose,

des orphelins de Rimbaud au triste hiver d’Eluard,

le passage clandestin des rimes à la prose

fiance les tragédies au roman de Renart !

 

chacun n’est que lui-même ! à quoi bon se mentir ?

Soi, en fait, est tout autre… et c’est Dieu que voici !

au balcon de l’Olympe Dieu SOI se fait plaisir

et nos corps dénudés redeviennent fourbis !

 

bientôt, d’ici, naîtra un monde unique et rond,

incontestablement j’en serai le maître !

les Dieux, au pinacle, unis me porteront !

qui pourrait sous vos cieux dire qu’il s’est vu renaître ?

 

ô nuages enfuis, ô lune galopante…

qu’il est doux, aujourd’hui, ce semblant de retour !

ô pays de l’absinthe, ô prairies d’acanthes,

ô pétales de rimes, ô couleurs de l’amour !

 

Apollon, par mégarde, me pensant assoupi

où sur l’heure asservi aux effets de la drogue,

saupoudra les volutes de mes rêveries

de poudre de folie et pensés interlopes.

  

III

  

Sur le char d’Apollon, Phaéton, les larmes aux yeux,

ordonnait aux chevaux de calmer leur ardeur,

car où Phaéton passait, tout n’était plus que feu ;

 vint le bruit du tonnerre, puis le calme enchanteur…

 

l’ondine, si tranquille, qui courait à mes pieds,

se fendit par là même où les ajoncs, tantôt,

jouant aux clapotis comme des gosses désœuvrés

riaient en aspergeant leurs superbes manteaux…

 

quand un chant mélodieux, entrecoupé de voix,

me parvint du ruisseau en un halo doré,

trois créatures de chair, vêtues de draps de soie,

dessinaient le profil d’une étrange destinée…

 

les nymphes allaient souffler une chaleur intense,

un bonheur sans pareil, une ivresse lucide ;

comme bouquet final de mes dernières transes,

je régnais désormais sur les terres d’Euripide !

  

IV

 

Bien sûr, la lune avait, une nouvelle fois,

du jeu perpétuel dont l’astre blond jouit,

à savoir se vêtir d’un apparat de soie

ou de brumes rosées troubler mon fol esprit,

 

tiré l’épingle au gré des volontés humaines,

rassasié l’un des siens, réconforté un brin !

 

A chacun son histoire, à tous la même peine

à tous le même but… à chacun ses chemins.

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