Je partage avec toi une croûte de pain,
deux miettes de fromage avec un cul de vin,
la soupe populaire et la couche et le feu,
mais t’emmener en villégiature je ne peux…
tu ne connaîtras ni Venise ni New-York !
Un chien maigre à la place d’un bichon, d’un york,
à la belle saison nous verrons du pays
de la place des Grands Hommes jusqu’à l’île Saint-Louis.
Je partage le monoxyde de carbone
avec toi et tous les animaux de la faune
qui rugit chaque nuit sous les arches des ponts
entre les vols, les viols et cent mille agressions.
Tu ne connaîtras, ni liberté, ni Pérou,
ni le plaisir d’un foulard Dior autour du cou ;
mais t’emmener en villégiature je ne peux…
nous irons de Montmartre à l’Etoile, si tu veux,
de la Concorde à Beaubourg par les chemins creux ;
le chien jouera devant, la musette perdra
quelques goulées de vin à chacun de nos pas.
La Tour Eiffel, Poupée, tu la verras d’en bas,
au mois d’août, si les flics ne nous gerbent de là.
Je partage avec toi les galères de la vie !
Ma « meuf », tu pisses droite, moi je pisse accroupis
sur les cartes qu’un jour nos vieux nous ont données.
Nous n’avons pas eu d’as, d’atout ni de carré ;
pour toi, Poupée, je n’ai qu’une paire de deux…
t’emmener en villégiature je ne peux !
mais un jour, dans une caisse de déchetterie,
par les boulevard nous dirons merde à la vie
et par les cieux, enfin, nous aurons en partage
le véritable, l’inévitable voyage !
nous y verrons des îles où le sable est si bleu,
où l’azur est si blanc que nous irons heureux,
comme avant, souviens t’en, quand nous avions un toit !
comme avant, souviens-t’en, quand nous avions la foi !
allons, prends un morceau de ma croûte de pain,
deux miettes de fromage avec un cul de vin !
pense à l’autre vie quand nous nous donnions la main ;
aie confiance, Poupée, on approche de la fin…
confiance, Poupée, sûr que nous mourons demain !