A ceux qui disent qu’en se baissant
on ramasse, tout simplement,
une fois qu’elles sont mûres et tombées,
les lettres de l’arbre alphabet
je profère un holà sonnant !
pour les champignons seulement
on peut aller à pleins paniers
courir les tertres et les forêts !
mais pour les lettres, c’est différent !
seul, le poète va devant,
et dans le creux de son tablier
les enfile en longs chapelets,
les sélectionne, les bichonne,
les multiplie, les additionne,
les groupe en mots, puis en idées…
c’est qu’il y passe la soirée…
il en brûle de la chandelle
à aligner chaque voyelle,
et à lister chaque consonne
pour que son texte enfin bourgeonne !
parfois même, il s’endort dessus
avant même d’avoir conclu…
mais lorsqu’il revient à la terre,
après son ailleurs solitaire,
sa cueillette au sein de trois rimes
exalte un parfum si sublime,
qu’adieu sa nouvelle soirée
l’homme retourne à ses pensées !
alors, la femme du poète
guette son retour de cueillette ;
les enfants pleurent et tous ont faim ;
ils n’ont – qu’un vers – entre leurs mains !
si quelques lettres étaient bien mûres,
on en ferait de la confiture ;
s’il trouvait un énorme « i »,
on en ferait un beau rôti !
elle se signe, lui fait le nègre,
chez les poètes on est bien maigre !
mais un jour le succès viendra
avec la viande, le chocolat,
les jours heureux, et cætera !