le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…
En ce temps-là sous le café
était la télé communale ;
je ne veux pas rouvrir la malle
remplie d’étoiles surannées,
ni rouvrir mon âme aux regrets,
ni choisir entre deux époques,
ou deux amours, ou deux bicoques…
de tout il faut s’accommoder…
mais puisque deux bribes me reviennent
laissez-moi vous conter la chose ;
le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…
revenons aux choses anciennes.
Le conseil avait installé
la télé sur une étagère
fixée entre deux murs de pierres
et les vivats de l’assemblée ;
nous étions soixante au village,
et sur les deux rangées de banc
nous étions là soixante enfants
à boire les mêmes images !
Je revois encore, bouche bée,
des papillons dans le regard,
ces ménines 1 et ces vieux brisquards
que la vie avait martelés…
je les revois rire de bon cœur
en se trémoussant sur les planches
et se frottant le nez des manches,
unis en un simple bonheur…
je les entends pester parfois,
je les revois lever le poing,
réagir à brûle-pourpoint
contre les menteurs de l’Etat…
je les revois encore au débat
suivant « Les Dossiers de l’écran 2 »
pesant la grive et l’ortolan
le plus naïvement qu’il soit !
le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…
Je me souviens des « Raisins verts 3 »,
de « La Caméra invisible 3 »…
des sautes d’humeur du fusible,
des fichus de la vieille Esther…
du « Palmarès de la Chanson 4 »,
comme de « Chef-d’œuvre en péril 5 »,
des réparties du brave Emile
et des rires fous de Gaston…
Je revois « La Piste aux Etoiles 3 »,
et les adieux de Jacques Brel 6 »…
la télé sur le maître-autel
et les fidèles autour du poêle…
je me souviens d’ « Au Théâtre ce soir 6 »…
du tintement des derniers verres,
des bises sous le réverbère,
des pas repartant dans le noir.
Puisque deux bribes me reviennent
laissez-moi vous conter la chose ;
le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…
on se perd dans les choses anciennes !
L’Emile acheta la télé
et ne revint plus à la salle ;
bientôt on ne vit plus ses châles,
Esther acheta la télé…
puis comme un virus qui se donne
par le désir ou la fierté
d’autres achetèrent la télé…
l’un au printemps, Gaston en automne…
une poignée encore pour Noël…
peu à peu la salle se vida.
La télé ? On la débrancha.
Ce jour-là on perdit le ciel !
Le vent n’est jamais bleu – le vent n’est jamais rose…
mais je vous ai conté ces choses…
bien qu’elles n’aient rien d’exceptionnel !
1: ménine : de l’occitan menina (grand-mère)
2 : Emissions TV 1967
3 : Emissions TV 1964
4 : Emissions TV 1965
5 : Emissions TV 1962
6 : Concert J.Brel 1966 / Emissions TV 1966