Je venais juste de finir mon temps, ce qui signifie, pour ceux dont l’expression ne parle guère, que je venais d’accomplir mon service militaire… et non que j’aie fini mon temps sur la terre… bien heureusement ; à tout il faut mettre le temps !

  N’étant de ceux qui disent que ce qu’on ne fait pas le temps le fait, bien conscient qu’il faille laisser du temps au temps, et plus conscient encore que le temps passe et court, n’ayant du temps à revendre je devais vitre trouver une occupation afin de ne pas perdre mon temps. Cela-dit, pour qui a du temps rien ne presse… le temps amène les roses… mais combien de temps mettrais-je à trouver ma Rose de vie ?

  Ma philosophie était de prendre le temps nécessaire afin de ne point me tromper de voie. Le temps est le dévoileur de la vérité ! On dit que le temps est le meilleur conseiller des hommes ! Le temps fournirait les moyens… et les bonnes choses demandent du temps.

  Mais en un rien de temps, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire je décidais que l’écriture m’irait comme un gant ! « N’emploie pas si mal ton temps que tu fasses des mécontents » me disait mon aïeule ! N’aie crainte, mémé, je ferai attention de ne froisser personne ! Mais bien malin qui peut dire quel temps il fera dans un an !

 En un laps de temps raisonnable je fus équipé d’un porte-plume, de cartouches d’encre violette (puisque cette couleur réussit à Verlaine) et de feuilles de papier d’une blancheur virginale.

 Entré dans l’âge adulte depuis peu, mon temps d’activité s’annonçait donc relativement long et je ne pouvais encore savoir si écrire serait un passe-temps, une tâche à mi-temps ou à plein temps ! Sachant que tuer le temps nous le rend bien, j’envisageais plutôt le temps complet, mais serait-ce possible ? « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » nous dit La Fontaine ; je verrais bien.

  Ceci-dit, « le ciel rouge à la fin du jour, du beau temps prédit le retour », c’était le cas, et ce fut un excellent présage !

  Mais un temps de latence s’immisçait alors dans mon projet, ces temps de frimas où le doute incite allègrement à la renonciation. Convaincu que le temps des cerises prendrait le dessus je ne prêtais gare à ce temps mort car le temps est la médecine de la colère ! La nature, le temps et la patience sont les trois meilleurs médecins ! De toute manière j’étais dans les temps. Aujourd’hui, où tout doit aller très vite, un jeune, pressé, s’embrigaderait dans une autre branche aussitôt, mais autres temps autres mœurs, confiant, je persévérais.

  Nous n’étions nullement en temps de crise, encore moins en temps de guerre ou de décadence. Au contraire, un temps de prospérité baignait ces années d’une paix favorable à la musique, à l’amour nouveau et à la libre circulation des idées. A chose bien faite on ne demande pas combien de temps on y a mis ! En ce temps-là les hippies prônaient le bien vivre ensemble et je dirais même que se nourrir de l’air du temps était leur hobby préféré ! N’allez pas croire qu’ils trompaient ou tuaient le temps en faisant l’amour des journées entières, il n’est là qu’un cliché ! En même temps que la liberté ils prônaient la non-violence et l’égalité. Il faut prendre le temps quand et comme il vient, car le temps s’en ira ! Il faut prendre les hommes pour ce qu’ils sont et l’argent pour ce qu’il vaut… que ce soit une époque tronquée, un temps de chien, un temps de cochon ou un temps de saison ! Ainsi était leur temps et de tous temps des gens ont donné leur temps pour servir la bonne cause ! Le temps et le cœur des femmes ont toujours fait comme ils ont voulu !

  Bien, puisque je disposais d’un temps suffisant pour me mettre à l’ouvrage, le temps de prendre la panoplie du parfait écrivain et m’installer au lutrin j’allais pouvoir noircir quelques pages d’idées bien de mon temps. Les jours suivants je passais tout mon temps à écrire et j’étais extrêmement fier de faire, enfin, quelque chose de mon temps libre ! Le temps que je prenne le coup de construire la rime, que je classe et aligne mes idées en même temps, l’amour de la poésie courtisa mon âme et je ne jurais à présent qu’à travers elle.

  La plupart du temps mon temps de parole étant illimité, je tirais au hasard, sur l’échelle des temps, des sujets aussi bien modernes que des anecdotes venues de la nuit des temps !

  Dans le temps, les poètes classiques étaient fondus d’alexandrins mais aujourd’hui le vers libre permet d’aller cueillir des métaphores à deux temps et de les faire tourner sur une valse à trois temps sans être houspillé ! On peut aussi bien se jouer des unités de temps comme de la concordance des temps ! J’aime poser délicatement le temps de l’indicatif, le temps du subjonctif, le temps de l’impératif, le temps de l’infinitif, le temps absolu, le temps relatif, le temps simple, le temps composé et les temps primitifs dans une boîte, la secouer énergiquement, et faire, le plus poétiquement possible, la pluie et le beau temps avec la sauce parfumée qui en découle !

  Certes, il y a un temps pour tout. En d’autres termes, avec de la paille et du temps les nèfles blettissent ; chaque chose en son temps. Le temps ne nous rend pas plus sages, mais plus vieux. Parfois, avec l’âge, je me tiens à la règle et la suis scrupuleusement, mais ne la suis tout le temps car je trouve le temps long à composer entre des barrières étriquées et ne suis guère un aficionado des contraintes !

  La poésie n’étant du sport, améliorer son temps d’écriture à chaque texte ou réaliser un meilleur temps, à longueur de quatrain égale, que l’un ou l’autre de mes confrères est sans intérêt. Saviez-vous que depuis la nuit des temps les poètes sont considérés comme des demi-dieux ?

  Le temps fait changer, mûrir, oublier et mourir, et, hélas, il n’est point de cordeau pour amarrer le temps ! Comme la rose enfin devient gratte-cul, tout, avec le temps, par le temps est vaincu et je dois bien considérer que mon temps de vie est déjà bien entamé ! Au temps où j’écrivais mes premières rimes ma barbe ignorait encore l’existence des poils blancs ! C’était le bon temps, le temps du soleil permanent, les cornes de la lune étaient bien en haut ! Ah, vous ne connaissiez l’expression ? « Il fait beau temps quand les cornes de la lune sont en haut, mauvais temps lorsqu’elles sont en bas !»

  Avant que des feuilles du mûrier le temps fasse du satin, mon temps biologique me rappelle qu’à mon âge il est bon de manger à heures régulières ; je vais donc devoir m’y employer ! Si mon temps cosmique et mon temps légal s’entendent encore un peu de temps je continuerai à faire filer l’encre sur le papier ! La béquille du Temps fait plus que la massue d’Hercule, dit-on, mais le temps est infidèle pour qui en abuse ! Donc, depuis le temps que je vous serine avec mes états d’âme il est grand temps que je vous laisse vaquer à d’autres occupations. De plus, le sage doit être ménager du temps et des paroles ; les babillards quant à eux sont les larrons du temps !

  Je fus délicieusement heureux de passer un brin de temps en votre compagnie et vous embrasse bien affectueusement. Aujourd’hui il fait un temps de demoiselle : ni pluie, ni vent, ni soleil ; et qu’importe qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il fasse froid, pourvu qu’il ne fasse pas mauvais temps ; hein ? Il est midi, bon appétit !