à Françoise, Flora,
Michel et Cyril ;
à la vie qui fleurit.
Mise en bouche
Le civet de sanglier mijote à petit feu, la purée de marrons sera vite passée, le rouge de Serviès est tiré, j’ai donc un peu de temps pour vous présenter ce nouveau recueil que je placerai sous le signe du voyage.
C’est sous un air de Thaïlande que je vous invite à démarrer cette «ballade » poétique.
La montagne d’Alaric en sera la seconde étape. Suivront Fontiès, Montirat, Labastide, le hameau de Villemagne… mais tout cela vous connaissez déjà.
L’été dernier n’étant pas si loin nous irons faire un petit tour du côté de la Méditerranée et nous emprunterons ensuite, histoire de faire un peu d’exercice, le G.R 10 qui traverse les Pyrénées de Cerbère à Bayonne, sur les traces d’Yves Larrégola.
De là nous filerons respirer l’air de la Corrèze sur les coteaux de Brives-la-Gaillarde, au Peuch de Sadroc exactement, et nous prendrons l’apéro sous le figuier de Marie-Claude.
Nous participerons aussi à quelque sauterie sur le Mont-Olympe d’où nous glisserons un tendre clin d’œil à Pénélope et son brave Ulysse ; Dame Carcas sera bien évidemment à nos côtés !
Nous flânerons au retour sur les terres du pastel ; le Lauraguais.
Le voyage terminé je pense qu’il sera l’heure de passer à table, car si le sanglier est meilleur réchauffé la purée de marrons ne joue pas avec le feu !
Si les voyages «forment la jeunesse», ils donnent aussi grand appétit !
Pour le reste il s’agit là de la troisième version du « Marinas est rentré », ce vent redoutable (que vous connaissez parfaitement puisque vous avez lu les deux précédents recueils), qui soulève à grand force les chapiteaux des forains de Krung Thep (Bangkok en tai), lors des marchés du mardi, et ce, tout le printemps ; enfin, le nôtre !
Certes, ce malotru n’épargne personne !
L’humour bien sur, l’ironie, l’amour et la fantaisie se glisseront entre les lignes, pour, je l’espère, votre plus grand plaisir !
Merci d’être une nouvelle fois au rendez-vous ; je vous souhaite une excellente promenade et vous embrasse sur les deux joues !
J.G
Table des Poèmes
- Petit, l’air du soir est exquis.
- Bien content.
- La « Pelharote » de l’an 4.
- Danse au pas des sorcières.
- Nostalgies.
- Curé au village.
- Montirat qu’on croyait foutue.
- Rimailleur à Labastide.
- Labastide; au moulin de Gilbert.
- La carthagène de Roger C.
- Retour d’âge.
- Le poulailler de Simone.
- La dame au chien.
- Tracé de plume.
- Les petits pois sont de mer.
- Haïkus iodés.
- Songe de plage.
- Devinette pâtissière.
- Les splendeurs du P de S.
- La différence.
- Engagés virtuels.
- Pluies.
- L’Odyssée d’Eros.
- L’arbre mort de Bastan.
- Haïkus de pédaliers.
- Voyage cornélien.
- Qu’adviendra-t-il Tirésias.
- Ci et là.
- Lettre à mon âme.
- Fin de saison.
1. Petit, l’air du soir est exquis
Garçon du vent, fils de la terre,
de l’éphémère et du néant ;
fils d’un ciel gris de providence,
danse, l’air du soir est exquis !
Demain, tu seras musicien,
ou tu couvriras de paroles
– pour des mélodies un peu folles –
des kilomètres de parchemin !
Oui, demain tu seras «artiste»
comme tous ceux qui ont souffert !
tu noirciras ce qui t’est cher,
tu chériras ce qui subsiste
au fond d’une âme martelée ;
ton courage naîtra de tes nuits,
ton talent des images qui fuient,
ton mérite d’une étincelle…
l’étincelle qui fait chavirer
par-dessus le bastingage
– quand l’amour part à l’abordage –
le cœur chatoyant et noué ;
car Cyril, tu seras artiste !
ainsi l’on fait le premier pas…
une fois tulipe, une fois lilas,
brave, généreux, fantaisiste !
Je hèle silencieusement
les cieux obscurs et les étoiles ;
là-haut est hissée la grand-voile,
va petit, car la vie t’attend !
Garçon du vent, fils de la terre,
Sujet muet de l’épilogue ;
fils de ciel gris, fraîche pirogue,
vogue, l’air du soir est exquis !
2. Bien content
Un vieux plantait un olivier
dans la rocaille de son jardin,
à la sortie d’un patelin
que seule la misère connaît,
où ne viennent que les corbeaux,
le cri lugubre du grand vent,
quelques fidèles revenants
quand le soir ouvre ses tombeaux.
Le vieux plantait son olivier
dans la rocaille d’un jardin
où ne pousse que le chagrin
entre l’espoir et le fumier.
Tant que quelque force lui restait,
il enfouissait ses prières
sous une grosse motte de terre
et puis le travail terminé,
courbé sur sa canne de buis,
de sa vieille bouche édentée
le brave homme laissa échapper
le sourire de l’œuvre accomplie.
Un rayon de soleil perça
l’épaisse couche de nuages ;
Dieu devait lire son message.
Alors, le vieil homme se tourna,
se releva tant bien que mal,
sourit encore et se signa,
puis repartit à petits pas
près du feu lire son journal.
Les oliviers poussent aisément,
sans trop d’engrais, dans la rocaille ;
chez nous, c’est vrai, d’un peu de paille
on fait sa couche ; bien content.
3. La « Pelharote 1 » de l’an 4
Nous étions là, main dans la main,
l’âme dans l’âme, le pied léger,
nous suivions le même chemin,
pieds dans les pieds, l’âme aux confins
de quelques songes enfantins.
Tous étaient là, tout était là,
Dieu, les sorcières et Attila,
les pierres, les arbres et les rois ;
notre paradis rayonnait !
Il suffit d’entrouvrir la porte,
après c’est le vent qui exhorte
les jeunes pousses, les feuilles mortes ;
tous vous reviennent et tout s’anime !
Il ne suffit que d’un regard
quand tous arborent le brassard
ensoleillé des pères peinards ;
d’un clin d’œil la nature exulte !
Le reste n’est qu’histoire ancienne ;
pour autant que je me souvienne
– on va – des bras de Melpomène
aux pitreries de Polymnie.
Le coquelicot, l’orchidée
vous précèdent sur le sentier ;
l’âme dans l’âme, le pied léger
nous inhalions la liberté !
Nous étions là, main dans la main,
nous suivions le même chemin,
unis dans l’unique dessein
de vivre,
ivres d’un rien.
1 « Pelharote » : Balade annuelle organisée dans les Corbières, le 3ème dimanche de juin, par J.G, au cours de laquelle poètes et non poètes peuvent exprimer leur art.
4. Danse au pas des sorcières
La terre était marquée, martelée tel le sol
des enclos à chevaux à la saison des pluies.
Je mettrai cependant à l’image un bémol :
les cavaliers, jamais, ne s’aventurent ici,
non que l’accès leur soit délicat, trop ardu,
ou que le point de vue ne vaille un grand galop,
mais clairière le jour, sous des chênes moussus,
d’autres chaînes à minuit leur glacerait le dos.
Car de rires stridents, de ferraille qu’on suspend,
– coassements apeurés des crapauds qu’on dissèque –
la sueur des rochers se change ici en sang
toutes nuits de sabbat et leur monde intrinsèque !
C’est à peine si la terre, ainsi martelée
par des chausses satins aux semelles de peau,
ose entrouvrir les yeux à la fraîche rosée,
craignant de voir pendus aux branches ses oripeaux.
Les sorcières ont chanté et tanné de battoirs
chaque carré de mousse ; les harpies officient !
le langage de leurs pas est un code d’espoir ;
ne qualifiez jamais leurs danses de frénésie…
elles invoquent ainsi les forces vives des cieux
et les prient de s’allier aux besoins de la terre !
Plus leur danse est rapide et leur menton hideux,
plus la clémence des cieux leur sera salutaire !
Je vous lègue mes terres pour les nuits de sabbat ;
je vous offre mon cœur, mon corps et mon esprit ;
dansez pour que demeurent aux enfers les rois
pour que brisant ses chaînes, l’homme s’ouvre à la vie !
Dansez toute la nuit, je serai là demain
pour enfiler mes pas au collier de vos nuits,
je suis J.Garrigou, votre cousin germain,
je suis du vieux village et ne vis qu’à demi.
5. Nostalgies
J’allais avoir, enfin, le temps de revenir
sur ce roc émergeant d’une garrigue sèche ;
rocher des souvenirs où résonne à «la fraîche»
l’ode des jours heureux qui m’a tant fait frémir ;
aux portes de Fontiès, à deux pas du village,
un rocher grignoté par des vents insatiables
où l’on allait, jadis, rituel immuable,
embrasser le plein air et gober les nuages !
J’allais avoir, enfin, le loisir d’approcher
les cigales plantées dans l’écorce des pins ;
avec délicatesse, joindre alors mes deux mains
et voler leur musique pour vivre et pour danser
en l’honneur de ces jeunes qui ont quittés le village
emportant avec eux les larmes de l’adieu ;
de ceux pour qui Fontiès n’est qu’un bout de ciel bleu
à travers les brouillards d’un lointain paysage !
J’allais pouvoir, enfin, chausser les godillots
et suivre la rangée, goûter au raisin noble,
respirer le terroir, boire entier le vignoble,
redevenir enfin ce simple ecce homo…
l’innocent qui savait trouver le lièvre au gîte,
la perdrix au plus chaud des journées de printemps,
qui courait le jupon dans le soir rougeoyant,
apprivoisait les fées des terres interdites !
Si je déblatérais mes rêves les plus fous,
je pourrai à Fontiès domestiquer le monde !
mais si la vie se résumait à la faconde,
devant ces faux brillants, parterres de faux bijoux
je n’aurai pas pleuré en mettant pied à terre.
Fontiès a bien changée ; le clocher d’autrefois
fait tinter à présent qu’une cloche sur trois
et l’odeur de vinasse me parait étrangère !
De tous ces familiers que j’embrassais hier,
tout juste une poignée se souvient aujourd’hui ;
la chanson dit «qu’avec le temps, va, tout s’oublie»
que j’étais l’un des leurs au temps des vrais hivers.
Fontiès je t’aime encore, mais mon cœur est amer.
Au diable le rocher, la cigale, le raisin ;
au diable mon esprit qui fredonne à Toussaint
heureux comme Baptiste, ses éloquents paters !
Fontiès je t’aime encore, mais mon cœur est amer.
6. Curé au village
Hier, après avoir fait l’amour,
Monsieur le curé a laissé
traîner ses caleçons de velours
estampés d’une croix dorée
sous un coussin du canapé ;
l’affaire put être sans effet
si leur mettant la main dessus
la bonne, qui dépoussiérait,
d’un seul coup d’œil les reconnus
et pesta contre le faux-cul !
Au village, comme partout ailleurs,
les bonnes sont pourvues de zèle ;
elles ont de la cuisse et du cœur,
au clergé sont toutes fidèles ;
chez nous, ce sont des bonnes modèles !
Mais qui avait donc pu passer,
la bonne se posa la question,
l’après-midi sous le curé ?
était-ce la Mathilde ou Suzon ?
d’où venait cette trahison ?
Bien sûr il fallait tendre un piège,
une toile ; jouer «l’araignée» !
dans le placard, rude stratège,
certes à l’étroit mais motivée
la bonne alla donc se cacher !
Le soir, quand la porte s’ouvrit,
alors que Monsieur l’abbé lisait
un peu l’évangile, beaucoup «Lui »,
par la serrure, elle vit entrer
Marjorie la femme du plombier !
La coquine, qu’on disait sans vice,
pendit ses dentelles – ça m’émeut ! –
à trois branches d’un crucifix,
puis à genoux sur le prie-Dieu
invita l’abbé dans son jeu…
le curé, futal aux chevilles,
elle jouissant en hébreu,
l’absolvait en criant : « Ma fille,
là je vais te faire un aveu :
ainsi la bonne n’éteint le feu ! »
A ces mots la porte du placard
s’ouvrit comme un coup de tonnerre
et la bonne, blessée, en pétard,
se jeta sur l’abbé, en colère,
le moulinant d’étrange manière…
si bien qu’ils projettent, je le crois,
au diable les cancans, ma mie,
de monter un ménage à trois :
le curé, la bonne, Marjorie ;
ce qui est commun aujourd’hui.
On dit que les bonnes sont simplettes ;
que Dieu me garde de juger,
pour l’amour j’ai vu des soubrettes,
certes incultes, mais déchaînées !
l’esprit ne fait prendre le pied !
Quant à la foi du cher abbé…
le corps en paix, l’âme sereine,
si vous croyez qu’il va se passer
de Jésus ou Marie-Madeleine,
vous me faites bien de la peine !
voyez les choses comme il se doit ;
la foi demeure mais ne se rend pas !
7. Montirat qu’on croyait foutue
Il parait qu’à Montirat 1
« los omès son venguts fats 2 ! »
en un grand feu de sarments
ils ont brûlé leur «présent»,
leurs soucis, leur manque d’argent,
des pneus et des contrevents,
des roses, des œillets, du chiendent,
leur soleil et leur Cers violent,
leurs rires, leurs amusements,
la Dépêche 3, l’Indépendant 3,
les Mémoires de Chateaubriand,
leur Clovis, ses hordes de Francs,
brûlé consciencieusement
leurs prières et leur monument
aux morts de la guerre de cent ans,
l’hypocrisie, les faux-semblants,
les promesses du gouvernement
et leurs brebis et leur dieu Pan !
Il parait qu’à Montirat
« los omès son venguts fats »
terminés les sacrifices,
bouts de ficelle et artifices,
tué le serpent d’Eurydice,
finis les charges de police,
la cruauté, les maléfices,
brûlé pain dur et pain d’épice,
jetés aux sarments le calice,
et les bonnets et les pelisses,
le sein des anciennes nourrices,
les cocardes de l’armistice,
les quatre saisons, leurs solstices,
bien sur leurs saintes bienfaitrices,
les sueurs et les cicatrices,
mondialisation et matrice…
puis, sur la braise d’immondices
ils ont fait cuire la saucisse…
puis ils ont bu comme des trous,
causé comme le font les voyous,
sans retenue et sans tabou…
oui, Saint-Antoine de Padoue
Montirat mourait du mildiou !
à coup de fourches et de cailloux
ses braves ont arraché le clou,
fait sauter le moindre verrou…
certes,
mais Montirat demeure debout !
Après cette nuitée sauvage
l’ordre est revenu au village,
le mal a plié ses bagages ;
s’en est fini de l’esclavage !
Puisque le feu brûle au torchon,
et quitte à finir au violon,
j’emboîte par ma conclusion
le pas à la révolution !
1 Montirat : village de l’Aude
2 Los omès sont venguts fats (occitan) : les hommes sont devenus fous.
3 La Dépêche et L’Indépendant : journaux quotidiens.
8. Rimailleur à Labastide
C’est l’heure où Labastide prépare ses vendanges,
l’été a fait son œuvre, la plume me démange !
je suis incorrigible quand septembre revient,
je hurle de plaisir, je siffle et me souviens…
je caresse le pampre qui refait ses chignons,
j’admire les remorques, en longues processions,
titubant de bonheur sur la route des chais ;
à poser le vers sur la comporte il me plait !
Je me souviens de ces banquets en bord de vigne,
des bottes alourdies quand Zeus porte la guigne,
des grappes bien charnues que Dionysos bichonne,
des soirées où Bacchus me lie à la bonbonne…
mais…
que je fais-je, là, à vous parler de cueillette,
à voir si vous tenez à l’endroit la serpette ?
mais que fais-je, là, à patauger dans la glaise,
à m’imaginer que le soleil est de braise…
Labastide est bien là, à quelques pas derrière…
je m’étais assoupi, au bord de la rivière,
à force de scruter le rouge du bouchon
qui attire les vachettes et fait fuir les poissons !
nous sommes en avril ; je suis donc hors saison !
vous parler de vendanges, ais-je pété les plombs ?
d’ailleurs, ceux de ma ligne doivent être si gros
que manier la canne est déjà un fardeau !
Avril,
c‘est l’heure où Labastide prépare ses agneaux !
l’hiver a fait son œuvre… je gribouille trois mots…
je suis incorrigible, dès que Pâques revient
la plume me démange et croque le quatrain !
Je voudrai en été faire quelque sieste,
mais voilà que les muses à toute heure me molestent ;
chuis un enfant perdu ; prions pour qu’à Noël
ne me vienne l’idée de monter un missel !
Noël,
C’est l’heure où Labastide allume ses flambeaux !
l’automne a fait son œuvre, à présent peu m’en chaut !
quand les braves s’en vont à la messe de minuit,
je suis incorrigible, j’écris, j’écris, j’écris …
est-ce la foi, l’illumination, la folie ?
9. Labastide ; Au moulin de Gilbert
Au moulin de Gilbert
il y avait une fontaine,
quelques pieds de verveine
et des cieux grands ouverts
sur un monde si clair,
qu’il faut des yeux d’enfant
pour y pêcher dedans
les plus tendres éthers !
La rivière emmenait
au moulin de Gilbert
un merveilleux concert
de grenouilles et de paix,
de libertés aussi,
d’habitudes, peut-être,
et des senteurs champêtres
qui parfument l’esprit !
Au moulin de Gilbert,
le dos à la fenêtre
je voyais apparaître
au plus froid de l’hiver,
dans les flammes léchant
l’écorce du vieux chêne,
le sourire des reines
et de grands chevaux blancs,
tandis que mes aïeux
causaient à la veillée
de ces simplicités
qui rendent plus heureux !
Au moulin de Gilbert
on causait de la vigne,
lisait entre les lignes
des articles amers,
les propos faux et couards
des ministres d’alors ;
« Qui voudrait notre mort,
finirait au pressoir ! »
Mais nos vieux, les premiers
ont quitté cette terre
laissant à leurs affaires
leurs jeunes affairés !
Au moulin de Gilbert
la fontaine coulait
sans jamais se soucier
des caprices d’hiver !
Gilbert, sur l’écriteau,
mit que c’était à vendre ;
la clé était à rendre
aux murmures des eaux.
Dites donc à Gaston,
dites donc à Baro,
à Madeleine, en haut,
que nous les rejoignons ;
honneur à ceux d’antan !
Parfois je vois Gilbert
entre deux courants d’air ;
hier nous pousse en avant.
Sous les nouvelles tuiles
clinquantes du moulin
d’autres rêves enfantins
élisent domicile ;
là-bas, au grand soleil,
quelques pieds de verveine,
jeunes, tendres et sans peine
sonnent un nouveau réveil !
Dès que la lune luit,
je crois qu’entre deux rêves,
pour trois baies de genièvre
Gilbert rentre chez lui ;
« l’espace » vous échappe, la nuit !
10. La Carthagène de Roger Carbonneau
Nous savons tous que bien des vices,
chez l’homme, s’en donnent à cœur-joie,
et ce serait d’ailleurs du vice
de vous dire que je n’en ai pas !
mais lorsqu’on écrit des poèmes,
les soirs où la muse ne vient pas
si la poétesse blasphème
il est vrai, le poète boit !
Si vous saviez tous les jurons
que Louise Labé brandissait ;
moi qui ne ponds que quelques «cons»
La Belle Cordelière enfilait,
pardonnez, mais il faut le faire,
tant de perles à ses chapelets
que vous en seriez cul parterre
s’il me prenait de les lister !
Hugo tâtait bien le jupon
pour que ses muses soient loquaces !
sous la jarretelle de coton
la rime, alors, gagne en audace !
Comme le haschich chez Baudelaire
quand l’inspiration lui manquait !
le résultat fut exemplaire
personne ne saurait le nier !
Quand Tristan Corbière plongeait
le nez dans l’absinthe trente fois,
ses vers, sur l’heure, se déliaient
et ses «Amours Jaunes» sont extras !
J’en citerai et des meilleures,
des qui chatouillent le palais ;
cent artistes hauts en couleurs
aux mœurs dissolues ; l’art parfait !
Sans tomber dans quelque névrose,
il faut être conscient du fait
et ne pas rejeter la chose
comme si du diable il s’agissait.
Nous savons tous que bien des vices
chez l’homme s’en donnent à cœur-joie ;
ce serait là un drôle de vice
que de vous dire : «Je n’en ai pas !»…
peut-être un seul, des plus sucrés,
chaud comme la terre du pays ;
un vice qui sait où me trouver
lorsque les muses sont au lit…
un qui déniche le sujet,
puis mêle le fond et la forme,
compte les strophes après les pieds
pour rester fidèle à la norme…
une auxiliaire bien précieuse,
car c’est d’une fille qu’il s’agit,
le corps de braise et vertueuse,
maîtresse du poète engourdi !
bien sûr, la dévoiler me peine
et j’en suis d’ailleurs tout penaud ;
mais pour moi c’est « la Carthagène »
de mon camarade Carbonneau !
Mettez-vous à la poésie !
quelques carafes sous l’oreiller
vous verrez donc la fantaisie
poindre alors le bout de son nez !
11. Retour d’âge
Si je ne m’en tiens qu’au langage
des maîtres mathématiciens,
certes,
si j’ai le double de son âge
c’est qu’elle a la moitié du mien !
mais nous allons main dans la main
par les ruelles du village,
doigts entrelacés, et sereins,
indifférents aux commérages !
Dieu sait qu’elles sautent de bon train,
les médisances dans le canton
de vignes vieilles en patelin,
de fenêtres en portillons !
tous faits et gestes sont pesés,
toute excentricité bannie,
toute parole analysée ;
le bon sens veille, sapristi !
Et moi qui prends une jeunette
pour ensoleiller mes vieux jours ;
qui conte à mon âge fleurette,
pire encore, qui lui fait l’amour !
quel exemple pour la jeunesse !
« Ils font ce qu’ils veulent après tout…
il ne la prend que pour ses fesses…
elle ne le veut que pour ses sous ! »
alors les rideaux s’entrebâillent
lorsque je la gobe en plein air,
les vieilles s’étouffent, les marmots braillent,
l’abbé récite ses paters !
Ainsi tourne encore le monde ;
la terre oscille comme elle peut
et je me fous si la Joconde
se fait encore la raie au milieu !
tant pis si je fais des envieux,
si l’on m’en bourre les tympans,
car,
depuis que j’ai retrouvé le feu,
j’ai rajeuni d’au moins vingt ans !
12. Le poulailler de Simone ; ma tante.
Le cadenas de Simone,
celui «qui tient» son poulailler
à l’abri de pas indiscrets
et de «mimines» polissonnes,
n’a pourtant qu’une seule clé
que seule Simone chaperonne !
mais
diable, les voyous s’en tamponnent
et «raspent» toujours ses poulets,
tordent le cou de ses pondeuses,
ouvrent à ses belles lapines
et les clapiers et les terrines !
Simone est furax et songeuse…
mais que fait la gendarmerie !
«- Ma chère tante, elle dort la nuit…
et les voyous ont la vie belle ! »
Quand brille la lune, les poulets dorment
je parle de ceux en uniforme,
d’avant Sarco ; de ceux sans zèle !
à présent,
les flics font un travail énorme :
les procès-verbaux s’amoncellent ;
on traque la moindre bagatelle
depuis la nouvelle réforme !
c’est que,
Sarco met du cœur à l’ouvrage !
mais on troue toujours ton grillage
ma tante !
et là, le renard n’y est pour rien ;
ou les gitanes, ou le curé,
des amis bien intentionnés…
va savoir qui sont ces vauriens
qui narguent la maréchaussée !
reprends la technique des anciens :
le piège à loup pour ces coquins
et les poules seront bien gardées !
Le képi, c’est pas courageux,
çà reste pendu quand il pleut,
çà ne fait la ronde qu’au grand jour,
çà ce moque bien des basses-cours ;
çà n’est jamais là quand il faut
sauf s’il faut prendre quelques euros ;
le gendarme,
c’est sans pigment, c’est ordinaire,
et çà se plaint d’être impopulaire !
Rien ne va plus, faites vos jeux,
les poulaillers sont trop boueux !
tout passe, tout lasse et tout s’émousse,
que voulez-vous …
c’est le pays des poules glousses !
13. La dame au chien
La dame au chien se promenait ;
la dame au chien, devrais-je dire,
offrait aux passants son sourire,
son chien, des crottes à leurs souliers !
Quant aux passants, ô tristes sires,
ils ne se souciaient que du temps
qu’il faut pour aller en marchant
vite du Bénin au Zaïre,
de Bram à Castelnaudary,
de l’Alaric 1 à la Fajeolle 2,
ou du vieux Blagnac à La Baule,
du vieux Trèbes au lac du Lampy,
ou bien du Sidobre à Graulhet,
ou bien de Nantes à Montaigut,
de Vérone à Honolulu,
du Géant vert chez les pigmés…
que sais-je !
je crois que la saison rend con !
plus personne ne rend les sourires,
l’esprit s’encombre de délires
et les souliers de déjections !
Pour moi, sur l’heure, la dame au chien
promenait en laisse une idée,
– par innocence ou par bonté –
rien d’humain… ni vraiment canin…
tiens,
une réflexion sur le temps,
quelque chose de contemporain :
«Où vont ces gens, main dans la main,
moutonneux, hagards et bêlants !»
La dame souriait toujours,
son chien roulait du «popotin»,
les gens flottaient sur le chemin…
et je rêvais encore d’amour !
Ainsi donc la philosophie
naîtrait à l’abri des regards,
de bon matin, sur les trottoirs,
d’une dame drôle, d’un chien bouffi ?
Ha, ha, ha, ha, ha, ha, ha, ha …
là, çà t’en bouche un coin, Socrate !
fais pas la gueule,
laisse donc les «cleps» lever la patte !
1 Alaric : Montagne d’Alaric (dans l’Aude).
2 La Fajeolle : Hippodrome de Carcassonne.
14. Tracé de plume
« Ce sera un champion,
j’en mets ma main au feu ! »
à l’autre, un noir moignon
atteste que le vieux
d’un tel élan, naguère,
d’un coup du sort soudain,
d’un pari similaire
s’est fait rôtir la main !
« Le plus grand des chevaux !
j’en jouerai mon salaire,
ma tête sur le billot ! »
je pourrai vous distraire
de trente locutions ;
le vieux est passé maître
au jeu d’affirmations,
il faut le reconnaître…
mais s’il fut pris au mot,
si – parier ne fut un jeu –
mis à part quelques os,
qu’en serait-il du vieux ?
S’il baptise « champion »
de pauvres boute-en-train,
de trop lourds canassons
qui jurent que par le foin,
s’il n’a pas le nez creux,
lui sait comment on ferre !
pour lui, j’irai, parbleu,
remuer ciel et terre !
Jamais notre écurie
n’eut été un palace,
et nos chevaux bénits
par une telle grâce,
si cette nuit d’avril
il n’eut passé la porte
au terme d’un exil ;
d’une existence morte.
Il est homme au haras,
je dirai «le Bon Dieu !»
Le vent du sud, parfois,
met des larmes en ses yeux…
et je reste impuissant.
Un flot de souvenirs
balaie tout en passant ;
alors il veut mourir.
Lorsqu’un hennissement
chasse la brise maligne,
le voilà, doucement,
qui revient et se signe !
Oh, qu’il en a couru
chez nous des réfugiés ;
que de pleurs sont venus
tremper l’herbe des sentiers !
Je voulais écrire un
poème humoristique,
vous parler de quelqu’un
sous son aspect comique,
mais la plume parfois
trace un autre chemin ;
celle-ci, malgré moi,
picore au picotin…
ne laissant des chevaux,
de Pégase, de Bijou
qu’un court trait de pinceau,
juste un fil de licou !
mais sans être devin
je parie que demain
elle jettera le grappin
sur le fabuleux destin
d’Amiel le poulain !
« j’en mets ma tête à couper ;
vous verrez… pariez ! »
15. Les «petits pois» sont de mer
(chanson)
Je vous ai dit, voilà six mois,
que je n’aimais plus les petits pois ;
voici pourquoi :
Les petits «pois sont rouges»
comme les «olé ! », les «holà !»,
habillés d’or, d’écailles rouges…
comme les capes des corridas !
Je vous ai dit, voilà six mois,
que je n’aimais plus les petits pois ;
voici pourquoi :
Les petits «pois sont scies»,
d’autres «petits pois sont marteaux» ;
j’ai bien la phobie des outils…
moi, «chuis» pas fais pour les travaux !
Je vous ai dit, voilà six mois,
que je n’aimais plus les petits pois ;
voici pourquoi :
Les petits «pois sont chats»,
moi, je hais les miaulements ;
je préfère les poissons chiens qui aboient ;
les poissons chats sont trop collants !
Je vous ai dit, voilà six mois,
que je n’aimais plus les petits pois ;
voici pourquoi :
Les petits «pois sont volants»,
moi, j’ai toujours eu le mal de l’air ;
à tous les bancs de poissons volants
je préfère mon rocking chair !
Je vous ai dit, voilà six mois,
que je n’aimais plus les petits pois ;
voici pourquoi :
Les petits «pois sont lune»,
nouvelle lune ou croissant ;
ce n’est pas que j’ai quelque rancune
mais tous les petits pois sont chiants !
Je vous dirai peut être dans six mois,
pourquoi je n’aime pas les fèves ;
d’ailleurs, tous les féculents me crèvent…
mais nous verrons çà la prochaine fois !
ou bien peut être dans un an
je vous ouvrirai mon carnet rose ;
je vous dirai que je n’aime pas les glands
parce qu’ils me brisent menu les choses!
la, la, la, la, la, la, la, la, la…
16. Haïkus iodés
La mer est de vent,
Le sable fouette la peau ;
Violences orchestrées.
Bleuté de la mer,
Blancheur de la grand-voile ;
Rougeurs sur le dos.
Le père est à l’eau,
Le fils aligne ses tours ;
Le Saint-Esprit dort.
Maman tricote,
Papa lorgne la bonne ;
Solstice d’été.
Haïkus de mer
Tombés sur la glacière ;
Dive méditation.
Boule au chocolat
S’enfonçant dans le sable ;
Nouveau chaud et froid.
Le bas fin vêtu,
Le haut bronzant nu ;
Incompatibilité.
Lueur de jetée,
Poissons de crépuscule ;
Pêcheur de lune.
Lamparo en mer,
Soleils de contrefaçon ;
Mort préméditée.
Moutons entassés
Sur un pré de sable chaud ;
Brebis égarées.
17. Songe de plage
De la proue d’un voilier quelque songe anodin
libéré de ses fers par vingt jours de congés,
bénissant les courants et le mois de juillet,
tire sa révérence, vissant son galurin.
Ce songe fuit le jour où tout sera fini,
où il faudra revenir vers le point zéro,
quitter le sable fin et la chanson des eaux
pour à nouveaux subir, appliquer, obéir.
Quand la lune poindra il montera à bord,
abandonnant sa cache, où, fouetté par la mer,
la peau martyrisée et le cœur à l’envers
il n’aura eu de cesse de changer de décor.
Il sera loin, demain, regrettant son élu
qui poursuivra le but, brave et bon, solitaire ;
et le songe entêté voit s’éloigner la terre,
et puis verse une larme… et l’essuie… et salut !
18. Devinette pâtissière
Comme tout rimailleur parachevant son œuvre,
qui voudrait être LU, LU de la tête aux pieds,
je glisse entre vos doigts, succulente couleuvre,
j’habite votre esprit par mes saveurs sucrées.
Au fond de vos palais, je tapisse de nacre
les vestiges sacrés des moments d’exception ;
à l’instant opportun, sans bruit, sans simulacre,
je transporte vos sens par delà la raison.
Puis, je viens parcourir pas à pas vos entrailles,
y semant goutte à goutte mes extraits de douceur ;
vous devenez voyou et je deviens canaille
et nous vainquons ensemble vos diables intérieurs.
Les lueurs tamisées par vos paupières mi-closes
font alors scintiller les étoiles d’argent
de quelque voie lactée bordée de lauriers-roses
et vous passez vainqueur à l’huis du firmament.
Tel un poétillon parachevant ses rimes,
qui voudrait être LU, LU de la tête aux pieds,
je suis ?
Je suis un « PETIT LU », une galette en soi,
qui dépose à vos lèvres ses arômes subtils,
puis, son œuvre accomplie fond dans l’anonymat.
19. Les splendeurs du PEUCH de SADROC
C’est ici que l’eau de la terre
jaillit au pied d’un chêne bleu ;
ici, pas le moindre réverbère
mais des étoiles plein les cieux…
des champs, re des champs et des bois,
des fleurs et des vaches et la paix,
des puzzles d’ardoise sur les toits,
des bougies sur les cheminées…
un collier d’orties sous le chêne.
Si d’aventure, cependant,
le crépuscule vous emmène
à marcher nu-pieds dans le champ,
vous y verrez le ver luisant
veillant les rires d’autrefois,
haute sentinelle hors du temps
priant son Bon Dieu en patois…
un patois de roc et de vent,
de folle avoine, de luzerne,
de contes, de secrets, de chants
et de veillées à la lanterne.
Vous êtes au Peuch de Sadroc !
L’aube, au grincement des charrois,
au pas des bœufs ou des chevaux,
au chant des coqs, au cri des oies,
vous prend à l’âme, vous transporte
au travers d’heureux souvenirs,
– visages que la raison exhorte –
éphéméride du plaisir.
Clapotant en père tranquille,
Le Maumont lace ses lacets
allant nonchalant à la ville ;
laissons la rivière flâner…
Marie-Claude a dressé la table
sous les ramures du figuier,
offrant au chêne inconsolable
quelques chapelets de baisers ;
puisqu’il est l’heure de déjeuner,
alors je remets le bouchon
sur la Corrèze et l’encrier
implorant haut votre pardon…
mais j’irai pêcher sous la lune,
– si les vers ne sont pas couchés –
toutes vos splendeurs ; sans rancune ;
à plus, toute mon amitié !
20. La différence
Vous avez donc choisi ce thème,
Mademoiselle, pour la soirée :
« la Différence » ; sujet que j’aime !
sans hypocrisie, ni blasphème…
comment devrais-je l’aborder ?
Philosophiquement peut être !
mais il me faudrait faire entrer
par la porte ou par la fenêtre,
– dans l’espoir de les compromettre –
quelques grands noms, vingt sacs d’idées…
et bien sur étayer les unes,
citer les autres, par respect,
coller à chacun sa chacune,
offrir à chacun sa tribune…
vite patience me manquerait !
Par le discours le plus classique,
sur le divan jaune de Chappier
je hurlerai, fier, et sans risque
que l’un acquiesce et l’autre bisque :
« La différence, faut accepter ! »
Tout cela n’est que balivernes ;
déjà tout est dit, tout est fait !
raisonneurs des temps modernes
sachez pour votre gouverne
Socrate y laissa la santé !
Ces sujets ne sont que ciguë !
en rire serait de mauvais goût,
débattre donne la berlue ;
vous n’aurez pas mon point de vue !
à moins que je joue mon va-tout…
Vous avez donc choisi ce thème,
Mademoiselle, pour la soirée :
« la Différence » ; sujet que j’aime !
accepteriez-vous un poème…
forme subtile et déguisée
de la raison et de l’idée ?
21. Engagés virtuels
Aux ruines, aux enfers
qui naissent en jouant,
au bruit de vos Panzers
laboureurs triomphants,
engagés volontaires
des batailles d’écran,
héros de fausses guerres,
virtuels conquérants…
souvenez-vous du temps
où résonnait la botte
au pas de l’allemand ;
puis des compatriotes…
« les nôtres », côte à côte
pour sauver la patrie !
des « autres », croques-notes,
à Londres ou à Vichy !
puis de celles sans âge
qui tenaient la maison,
la vigne, le village,
l’espoir et la raison !
de ces belles sans fard,
portant en bandoulière
le dernier étendard,
le lard et les prières !
souvenez-vous du temps
où l’on cachait la vie,
où le nouveau printemps
arrivait sans bougie !
Revoyez un instant
la maison familiale
et le calme pesant
précédant les vandales…
les lapins qu’on cachait
dans la chambre du haut,
le jambon qui pendait,
les fèves, les artichauts
et la grosse radio,
qui diffusait le soir
l’étrange concerto
des secrets de perchoir !
« – Ici Londres, ici Londres… »
« – ici, c’est Montredon,
nous allons vous répondre…
mais c’est de la fiction ! »
Engagés volontaires
des batailles d’écran,
héros de fausses guerres,
virtuels conquérants…
cliquez donc sur « bonheur »,
le site est excellent ;
paroles d’ordinateur…
la vie ne dure qu’un temps !
22. Pluies
La pluie ne cessait de tomber ;
inlassablement sa musique,
architecture machiavélique,
lessivait la haute vallée.
Le fleuve, nerfs à fleur de peau,
telles ces hordes de sauvages
emportait tout sur son passage…
wisigoths, vandales, ostrogoths !
Billots de châtaignier en tête,
carcasses de vie et broussailles
décidèrent de faire ripaille
fêtant dignement la tempête.
C’est ainsi que sous le pont vieux
s’agglutinèrent toutes épaves ;
c’est alors que les rats des caves
dans ce théâtre moyenâgeux
vinrent danser, l’air triomphant,
hisser le drapeau des victoires,
emporter au creux des mâchoires
le blé, l’orge, l’agneau bêlant !
Jadis, sous l’arche du pont vieux
coulait l’amour, paisiblement ;
j’y baignais triomphalement ;
ses murmures m’étaient délicieux ;
l’orage m’offrait une trêve.
Voguant sur quelque compromis
j’aimais piquer au flan la vie ;
j’étais son plus brillant élève !
La vie se glissait dans mes nuits,
me dorlotait, j’étais son ange !
l’enfance chantonnait ses louanges ;
« Innocence, je gobais tes fruits ! »
Et puis l’enfance vous filoute,
fait une boucle, rentre au pays,
relève aux fers ses ponts-levis ;
l’ombre du fardeau vous déroute…
alors c’est la pluie qui revient,
mais ses cliquetis mélodieux
font scintiller sous le pont vieux
les grappes d’or et de raisins,
le fleuve a remis à la mer
ses fagots noirs et la gangrène,
les saisons de vide et de peine ;
troussé les poches à Lucifer !
Le vrai visage de l’amour,
sous l’arche ondule et jouit ;
quelque ancien parfum reverdit
et tout scintille aux alentours ;
les rats gagnent leurs basses-caves,
le soleil partout est radieux…
le corps, seul, semble être plus vieux ;
l’âme, affranchie, quitte l’esclave !
que diable draine l’horizon ?
Aux prochaines inondations
l’homme gagnera la raison !
23. L’odyssée d’EROS
Eros va quitter ses lapins,
ses nuits de harpes éoliennes,
toutes songeries quotidiennes…
Pyrène ôte ses escarpins !
Les soies blanches des baldaquins
flottent au vent de la montagne,
et dansent au mât de cocagne
les espérances du coquin.
Eros chausse ses godillots,
bourre de sucre sa besace,
donne du miel à ses audaces,
ajuste son sac sur le dos,
liste, reliste une fois encore
– afin de n’être démuni –
tout son nécessaire de vie :
lacets, feu, pâtes, sémaphore.
Eros cherche enfin le repos,
sous un toit d’étoiles filantes
et les promesses affriolantes
de quelques vieux rêves d’ado.
Demain, Pyrène, à ses côtés,
ouvrira ses bras, ses entrailles ;
au creux d’une couche de paille,
les mailles de son déshabillé.
Alors, heureux d’avoir dressé
les diables enragés de son âme,
il reviendra près de sa femme
le teint brunâtre et libéré,
retrouvera ses vieux lapins,
ses nuits de harpes éoliennes,
d’autres songeries quotidiennes…
mais ses rêves seront divins !
Allez, Dieu vous réclame pèlerins !
24. L’arbre mort de Bastan (Pyrénées)
(d’après une photographie d’Yves Larrégola)
On dirait qu’il trône,
à l’écart du sentier,
roi d’un peuple fantôme,
translucide ou discret.
Tout autour, les couleurs
en parfaite harmonie
témoignent des valeurs
inhérentes à la vie ;
lui, trône, indifférent,
fier et majestueux,
sans se soucier du temps,
de son tertre venteux.
Un arbre défeuillé,
un squelette à vrai dire ;
squelettique et taillé
du meilleur et du pire…
enraciné à souhait,
quasi indestructible,
plein d’excentricité,
ferreux, incombustible !
Il sert, je le suppose !
il sert – bois lisses et mûrs –
quelles gens, quelle cause ?
ne sais, mais il est pur…
il prie, soyez en sûr !
voyez, il parle aux cieux,
les yeux bordés d’azur,
les bras bien écartés !
Il dût en sa jeunesse
être bon, respecté,
débordant de sagesse
et force humilité ;
le vent dans son feuillage
dût alors marier
bruissements et ramages ;
la forêt dût danser !
tout autour, les couleurs
en parfaite harmonie
durent reprendre en cœur
de longues mélodies !
Mais il est là, debout ;
les autres sont partis.
Il pliera le genou
sa mission accomplie !
Il veille, pour l’instant,
à l’écart du sentier,
« l’arbre mort de Bastan »,
que l’homme
a immortalisé !
25. Haïkus de pédaliers
Princesse d’azur
Tronquant les éléments ;
La Petite reine.
Gloire à étapes,
Elévation colorée ;
Echelle à barreaux.
Applaudissements
Pour la petite reine ;
Fidèles sujets.
Echappées perdues
Sur les routes de France ;
Le jeu de Yo-Yo.
Aube nouvelle,
Enfourchant la machine ;
Refrain de coureur.
La voie impose,
Le braquet démultiplie ;
Transes de la vie.
Bleu, blanc, rouge… jaune,
Distinctions officielles ;
Hissez les couleurs.
Jaja à moto,
Manège des hélicos ;
« vélociraptor ».
Supporter du tour,
Bière, chocolat, télé ;
Effort inhumain.
Amstrong ronronne,
Devant Voeckler picote ;
Matou et souris.
26. Voyage cornélien
Enfer, paradis, purgatoire …
allez conter à d’autres vos histoires !
A la fois fascinant, fantasque et truculent, tel fut le monde qui m’accueillit, l’espace d’une nuit.
Je ne sais quelles en furent les raisons ; Arès vint me chercher, Era me ramena ; je partis de mon lit et je m’y réveillai, le souvenir intact comme si l’on eût voulu, au terme du voyage, me glisser un message. Pourquoi donc à mon âge et de ma condition… inutile question.
Mes tempes battaient fort. J’avais pour l’occasion forcé sur le nectar, dont l’alcool coulait tiède dans du miel de Tolède et j’avais le cafard des âmes hébétées. Avais-je voyagé, réellement ? Voici que le doute s’installait à présent.
Pourtant, les plateaux d’ambroisie suspendus sous les treilles, dont les ceps émergeaient de la salsepareille ondulaient dans l’air parfumé du soir et les feuilles de vigne parlaient de l’une à l’autre.
Des filles étaient nues, vêtues d’un rien ou bien de peaux de bêtes et tous semblaient heureux que je sois de la fête.
Un vol de colombes, un aigle, une chouette, un cheval, une biche ; un trident, une harpe, un carquois, un casque et des sandales ailées, une masse, la foudre, de la roche de mal, de la poudre de bien ; mille autres choses simples ; j’avais été convié au sommet de l’Olympe.
Transfert des plus cornéliens, nous étions quelques rares mortels, poètes, ménestrels à assister au banquet que donnaient en notre honneur les douze olympiens.
Les filles dénudées étaient donc des servantes. Elles proposaient les mets au gré de l’assistance ; jeunes, embijoutées, affriolantes ; quelques mise-en-bouche des plus classiques, du nectar en carafes et des toasts d’ambroisie ornés d’une pique ou plutôt d’un trident en plastique dont chacun se plaisait à féliciter Poséidon, dieu de la mer, pour son humour excellentissime, original et châtié.
Entre deux buis grimpants, dans le fond du jardin, sur le trône, enfin sur son trône, Zeus, dieu du ciel et maître des dieux, l’air absolument ravi, comme ce santon au regard hagard que l’on pose à Noël sur le toit de la crèche, semblait avoir perdu la raison, quand soudain, jouant avec la foudre comme un vieux grenadier faisant parler la poudre, illumina les cieux d’une multitude d’éclairs fluorescents ; ce qui fût extraordinaire ! Certes, Zeus gatouillait déjà. L’aigle qui sautillait à ses pieds, au plumage reluisant, à l’air niais, semblait également prendre son pied.
Era, femme de Zeus, déesse du mariage et de la jalousie lui parla d’un patois que le bougre compris sans dessein, ce qui mit fin à ses pitreries ; si l’orage grondait, à travers la mégère il finit d’éclater.
Alors, Hadès, dieu du monde souterrain, des enfers, fit tourner les platines. Au son de ses béguines, les servantes dénudées firent hoqueter leur nombril, par-là même sautiller nos sourcils ; la soirée se dessinait sous de plaisants profils. Sur le coup des trois plombes, Hadès, faisant couiner ses vinyles de musique d’outre-tombe acheva de mettre le feu et nous fumâmes pour le coup quelques herbes du Lavandou mêlées à de la pâte de coing d’Epidaure ; pétard des plus classiques, que l’âpreté du coing améliore.
Sur la pelouse, au pied des projecteurs, Héphaïstos, dieu des forgerons, caressait sa femme, Aphrodite, déesse de l’amour, d’une douce façon. Aphrodite dévêtue n’eut cure de l’assistance et préféra battre le fer tant qu’il est chaud…no comment.
Quant au bon Arès, dieu de la guerre, il cherchait – un coup dans l’aile – querelle à d’autres «empégués» notoires, braves larrons en foire, tandis que les étoiles blanches montaient drues dans l’obscurité revenue.
Athéna, présidant d’ordinaire aux destinés de la guerre, offrait prestement ses charmes, ses envies et sa bonté à quelques braves qui du reste acceptaient volontiers. Ainsi casqué et cuirassé comme aux jours de parade, martinet au passant, ni pour la croix d’honneur, ni tout autre médaille, l’amour ne me dit rien qui vaille !
Allongé sur des bordées de jeunes roses trémières, son arc en bandoulière, Sieur Phoebos Apollon, dieu du soleil et de la poésie, composait, lyre en mains, quatre rimes pour sa sœur, Artémis. Déesse de la lune et de la chasse, d’ailleurs couronnée d’un diadème surmonté d’une lune, la pauvre Artémis buvait de ses yeux de bécasse, comme du petit lait les quatrains de frérot ; Dieu que c’était beau ! Les autres eurent tôt fait de bâillonner Apollon et de le ligoter, arc, lyre et capuchon aux branches d’un figuier. La biche d’Artémis finit à l’hémistiche de manger son maïs, puis l’on mangeât la biche à la fin du quatrain et l’on fit un tennis entre les tamaris.
Quelqu’un sonna, Héra ouvrit. Entrèrent, bras dessus, bras dessous deux énergumènes soufflant à tue-tête dans des langues de belles-mères, l’un portant un chapeau et des sandales ailées, tenant un bâton entrelacé de deux serpents, l’autre attifé d’une peau de panthère et coiffé de feuilles de vignes. Le premier était Hermès, dieu des commerçants, des médecins et des voleurs, ce qui me parait être à peu près la même chose, l’autre, Dionysos, dieu de la vigne et du vin. Tous deux arrivaient d’une dégustation en cave particulière du côté de Corinthe ; cave que Dionysos avait officiellement inauguré l’après-midi même ; fonction divine oblige !
Bref, les plateaux d’ambroisie terminés et jetés aux quatre coins du jardin, les filles dénudées aux soins des miséreux, l’alcool qui coulait tiède dans du miel de Tolède ; l’orgie était totale. J’avais ma foi noué de nouvelles amitiés, tutoyé quelques-unes des servantes zélées et commençais enfin à me sentir chez moi, lorsque précisément, le terme est adéquat, c’est au fond de mon lit que je me réveillai ; mille regrets !
La fête fut grandiose sous la voûte des cieux !
Certes, l’homme est bien peu de choses… mais le dieu ne vaut mieux !
27. Qu’adviendra t’il, TIRESIAS ?
Dame Carcas, vieille salope,
par-dessus bord tu as jeté
le dernier porc qu’il nous restait,
et le tricot de Pénélope ;
désormais nos espoirs sont vains !
Charlemagne emporte le gras,
les pucelles, les grappes de lilas ;
Pénélope, le feu s’éteint !
Les fileuses sonnent le glas ;
le roi d’Ithaque pêche à Messine,
et ville après ville cheminent
la peste noire, le choléra.
Ulysse reviendra, peut être !
le soleil fera sa trouée ;
alors Argos viendra japper ;
la bise de mars nous pénètre.
Entre les tours de Carcassonne,
les massacres en ribambelles
font fi du gel et de la grêle ;
à tue-tête une folle sonne !
sonne, sonne, sonne, sonne,
Dame Carcas, triste salope !
qui bandera l’arc, Pénélope ?
Faut-il que vous soyez si connes ?
Reste-t-il du gras au torchon ?
L’une se donne et l’autre attend ;
quand l’une se donne à Satan,
l’autre espère, scrutant l’horizon !
Un mât s’en revient d’outre-tombe ;
en descend un gueux ; c’est un roi !
Dame Carcas lève les bras
et le pauvre Argos en succombe !
Carcassonne pleurera longtemps
ses ciels d’été et ses outrages.
Le guerrier contera ses voyages
et Pénélope ses printemps.
Sous ses toitures grisonnantes
la cité hisse les couleurs ;
les amandiers bleus sont en fleurs,
le sénéchal lisse ses bacantes !
Pénélope et Dame Carcas
ainsi rangées des corbillards,
les dieux recouvrent le cafard…
honneurs au trépas, gloire aux veuves !
faudra t’il de nouvelles épreuves ?
Dis, qu’adviendra-t-il, Tirésias ?
28. Ci et là
Les blés du lauraguais
fixent sur les coteaux
leurs nuances dorées,
la paille des chapeaux.
Ci et là,
quelques gerbes de chaume
qu’on ficelle de jonc,
font revivre ces hommes
sur le pas des maisons,
le béret décoré
par des traces de vie,
dont la pelure d’ivraie
sous l’azur resplendit.
C’est l’été qui sourit
et le Midi frisonne ;
l’accordéon, petit,
joue pour ceux qui moissonnent !
Au cœur de ce théâtre
« Ohé bateliers ! »
glisse un serpent verdâtre :
le canal de Riquet.
Le jour va pas à pas ;
on dirait qu’il s’amuse
à trimbaler le bât
à travers les écluses !
ci et là,
heureux propriétaire
du chemin de halage,
un cygne débonnaire
vient t’ouvrir le passage.
C’est l’été qui sourit ;
midi vient de sonner,
l’accordéon, petit,
joue pour les mariniers !
Mais une histoire tragique
plane sur Avignonet ;
une histoire d’hérétiques,
d’inquisiteurs tués…
les blés du lauraguais
se souviennent encor
des fagots de bûchers,
de l’odeur de la mort !
ci et là,
le sol garde en mémoire
quelque pape «Innocent»
conserve ses grimoires
cousus d’or et de sang.
C’est l’été qui sourit.
Ici, l’on tourne la page ;
l’accordéon, petit,
joue pour ceux qui ont la rage !
Aujourd’hui l’éolienne
remplace le cyprès ;
faudra bien qu’on parvienne
à calmer ces timbrés !
ci et là,
quelle que soit la saison,
il fleurit sur les crêtes
de nouveaux moinillons,
espèce d’anachorètes,
dieux de science-fiction,
qui brouillent le paysage
d’étranges vibrations ;
cylindrage sauvage !
C’est l’été qui sourit
et le Midi innove !
l’accordéon, petit,
fait sourire les chauves !
Enfin, sur le bassin
de Castelnaudary,
petit,
si tu vois un bambin
qui court après la vie,
un « ado » bien trop sage
confiant un beau bateau
de papier, un message,
au bon vouloir des eaux…
sourit lui, parle-lui
du soleil et des blés,
des moulins, de la vie
qui gueule en lauraguais
car ce pauvre enfant pleure
au plus profond de lui ;
son bateau n’est qu’un leurre,
en son âme luit la nuit !
pourtant le jour sourit,
le lauraguais rayonne ;
l’accordéon jouit
la moisson sera bonne !
Les blés du Lauraguais
tressaient sur les coteaux
les nuances dorées
d’un nouvel écheveau ;
ci et là,
je n’avais que treize ans
quand Castel m’accueillit ;
faut croire que les enfants
n’aiment pas changer de vie…
même si l’été sourit…
– n’aiment pas changer de vie –
j’étais au pensionnat,
il y a trente ans déjà.
29. Lettre à mon âme
Chaque coquelicot
qui pigmente les blés
est un rouge sanglot
qu’un nuage a tombé ;
chaque nuage en fleur
que la bise déroute
sème au hasard ses pleurs
sur nos âmes, goutte à goutte.
Les grappes d’amarante
accrochées aux rochers,
le langage des menthes,
les elfes, les cyprès,
l’églantier à l’affût,
les bordées d’orchidées,
notre temps révolu,
mes amours, envolées…
que de coquelicots
parsemés dans les blés ;
de rougeâtres sanglots
que pour toi j’ai versés !
La ronde des nuages,
le manège des tourments,
les nuées de vieux anges,
les automnes d’antan,
les régiments d’ajoncs
et la chaleur épaisse,
les froufrous, les chignons,
nos nuits enchanteresses,
la cabane à refaire,
les murettes à tomber,
nos couches à défaire,
nos serments à jamais…
fini ;
je boucle le voyage !
On dit qu’en chaque lys
sommeille un souvenir,
que la corolle d’iris
dévoile l’avenir…
et les tresses fleuries
des diseuses d’aventure
offrent à qui veut la vie
le bleuet et la mûre !
Tiens,
du creux de son ruisseau
la violette interpelle
les notes d’un flûteau
qui filent à tire-d’aile ;
à l’abri du talus
les boutons d’or déplient
pour deux cœurs éperdus
l’étincelant tapis !
oh,
la folle avoine, qui
n’a de cœur ni d’esprit,
danse seule la nuit
sur d’obscures mélodies !
ici, le brin de thym
fait se courber l’échine
du vulgaire dandin
qui niaisement chemine !
ah,
la jonquille, bien sûr,
lève le nez aux cieux
proférant vers l’azur
ses tendresses à Dieu ;
la bruyère, là-bas,
recueille quelque étoile
saisie par le frimas
dans sa course fatale…
alors je m’époumone
sur le blanc pissenlit
pour que mes vœux jalonnent
les voies du paradis !
adjugé ;
je boucle le voyage !
Je boucle le voyage
et tu es loin de moi,
loin de ce paysage
qui fut tien autrefois !
Tout est là, en l’état,
aussi vrai «que nature»
prêt à prendre le pas
sur nos deux vies futures !
C’est dans cet écheveau
que je quitte la terre ;
je verrai Dieu, bientôt ;
je suis prêt… solitaire…
mais avant de partir
au pays de la faux,
permets-moi de t’offrir
cet ultime cadeau :
de rougeâtres sanglots
du pays enchanteur ;
«simples coquelicots !»
tu vois,
à présent peu m’en chaut
du langage des fleurs
30. Fin de saison
Ce soleil qui tenait en moi la dragée haute,
m’incitant à livrer, au travers de poèmes,
mes sueurs de labours, mes larmes de bohème,
à glisser promptement la dernière anecdote,
à dévoiler ces terres où les anges, adorables,
tendrement enlacés sous les porches d’églises,
– las de n’avoir en poche qu’un chapelet de bises –
aspiraient au matin à cocufier le diable !
Ce soleil qui tenait l’encrier et la plume,
gérait mes insomnies et comptait mes syllabes,
m’insufflant un sonnet, à sa guise une fable,
disposant de mes nerfs, me taillant «un costume»,
me pressant à écrire – chroniqueur de l’âme –
sans soupir et sans eau, sans air et sans relâche ;
que dis-je, sans la moindre goutte de grenache !
me rôtissant le train de sa plus vive flamme,
exigeant que je crie mes plus maigres secrets
aux curieux entassés sur la place publique,
que je sois, sans vergogne, tant grossier qu’impudique,
généreux dans l’effort, empreint de pureté…
oui, ce soleil malsain que les justes réclament,
cet astre pernicieux, ce vautour anobli
par la putréfaction du poète maudit
dans sa glaise vautré, sans pain, sans vin, sans femme,
ce soleil délectable va sauter l’horizon
et les brumes joyeuses lui raviront la place ;
alors, heureux de ne plus entrevoir sa face,
j’habillerai ma vie de cent mille festons…
dont rien ne paraîtra à la nouvelle saison,
sinon qu’une étoile au revers d’un veston.
Tel un océan d’huile la tempête engloutie,
le poète en son trou, je vivrai mes folies.