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Demain, cette étoile lointaine (livre 4) 2014

A mon ami Pierre, d’Alzonne,

qui a perdu la vie, fin 2012, dans une rue de Manille pour quelques malheureux pesos philippins dans le porte-monnaie.


Mise en bouche

 

        Mon cher complice il est midi ; je profite que la grosse aiguille ait rattrapée la petite sur le douze pour aller casser la croûte et je t’invite à faire de même.

    Tu sais quelle image vient à l’instant de me traverser l’esprit ? Celle d’un anagnoste. Peut être l’un de la Petite Syrte, ou de Leptis Magna, ou du grand monde Hellénique, ou de la Narbonnaise, un qui relaterait les légendes d’Homère, qui déclamerait des vers de Properce ou bien des poèmes comiques de Sextus Turpilius à trois ou quatre convives affalés sur des banquettes disposées en fer à cheval autour de la table ! Les temps ont bien changé depuis l’époque romaine et le confort d’avoir un anagnoste à la maison semble un peu désuet. De toute façon je ne pense pas qu’il soit des plus plaisant à écouter de la poésie en mangeant étant donné que les deux ne passent pas par le même trou ; en se concentrant sur l’un on perdrait, me semble-t-il, les bienfaits de l’autre… et puis quels mets choisirais-tu avec ma poésie, du cassoulet, de la fricassée de sanglier, un coq au vin ?

    Non, je te conseille d’attendre la fin du repas et après le verre de carthagène d’aller t’étendre dans le relax à l’ombre du tilleul pour reprendre avec moi la sente de la poésie Animato. Je te rappelle qu’Animato veut dire : avec force, avec vivacité, avec chaleur… ce qui devrait être excellent pour ta digestion !

   Ce recueil commence par deux poèmes qui traitent de cette pratique ancestrale qui vise à quémander l‘aide de nos chers disparus ou de notre ange gardien quand les possibilités humaines semblent épuisées. A ce propos, si l’on se réfère aux hautes instances catholiques, demander aux défunts est du domaine du possible à condition de ne pas les déranger, de ne pas les éprouver ou de ne pas tenter, par des souvenirs, de les ramener à la vie terrestre car on peut alors les gêner dans leur évolution spirituelle ! Si l’on se réfère aux Témoins de Jéhovah, rechercher l’aide des morts est non seulement inefficace mais dangereux à l’extrême car c’est se mettre en porte-à-faux avec les lois de Dieu et s’exposer aux influences démoniaques !

   Moi qui ne suis ni de l’une ni de l’autre des deux chapelles et qui ne sais trop que penser sur le sujet, je te laisse, mon cher complice, à ta propre réflexion.

   Ce dont je pourrais jurer c’est qu’au fil de ces derniers textes nous boirons à nouveau le pays dans ses plus nostalgiques travers. Je te parlerai de Joseph, parti avant que je ne vois le jour, parlerai aussi de l’imperfectible Money-sanscroix, nous nous promènerons dans les allées du cimetière et nous irons prendre le grand air au plus profond de la foret.

   Divers animaux auront aussi l’honneur de la rime.

  Plus loin encore, mon ami Pierre d’Alzonne, encore plus loin Joseph Durtol ; te souviens-tu de lui ?

   Jeanne et Charlou seront toujours de ce livre, le Poète, bien sûr, un agent de nettoyage viendra aussi. Puis l’amour prendra sa place dans la dernière partie du recueil, juste avant de nous envoler pour le volcan Télica sur la Cordillère des Maribios au Nicaragua.

   Nous nous quitterons sur la pointe des pieds tandis que nous serons à la recherche du temps perdu ; à la recherche de cette naïveté enfantine qui parfois nous fait défaut !

   Tu es étendu dans le relax mon vieux complice, à l’ombre du tilleul, détendu… tourne la feuille ; c’est parti !

J.G


Table des Poèmes

 

  1. L’herbe grasse.
  2. Ange inconnu.
  3. Avance automatique.
  4. Le paradis trouvé.
  5. La danse des rameaux de vigne en été.
  6. Ni vigneron ni força.
  7. Guerre.
  8. Joseph.
  9. Franchir le cap.
  10. L’imperfectible « Money-Sanscroix ».
  11. Au cimetière.
  12. Une foret à deux pas des immeubles.
  13. Les clés du paradis.
  14. Mon vieux livre sur le grand Nord.
  15. L’homme du Nord.
  16. Les deux chiens.
  17. L’union.
  18. Mon Pierre, as-tu trouvé la paix.
  19. L’homme du Picardie.
  20. Bafouille du soir, espoir.
  21. Amis.
  22. Panégyrique posthume.
  23. Monter à cru l’illimité.
  24. En réponse à Madame.
  25. Le poète embrassé.
  26. Galette des rois.
  27. Poète écœuré.
  28. Démence.
  29. Instru-mental.
  30. « Belphégor », l’agent de ménage.
  31. L’heure des notes dentelles.
  32. Joue encore puis chasse Apollon.
  33. Fleur de lotus.
  34. L’églantine.
  35. Sur des craquelures de lave.
  36. Le monde chrysocale.

1.  – L’herbe grasse

 

Je me tourne vers vous lorsque j’ai de la peine

et j’attends, impatient, qu’une herbe grasse vienne

couvrir le sol à nu du jardin singulier

que mon pauvre esprit ne se lasse de traîner.

Je me tourne vers vous et j’appelle au secours,

les pieds sur les pavés ruisselants de la cour,

la tête au firmament sur vos âmes transies,

dénonçant l’injustice, implorant l’accalmie,

espérant voir ma canne fendre d’un coup les eaux,

un cygne immaculé émerger des roseaux,

une colombe éclore d’un buisson ardent

ou un scion de buis se commuer en serpent !

Je me tourne vers vous par amitié profonde,

vous qui furent, avant que mon ciel ne se morfonde,

l‘étoile profonde, la couleur et la paix,

la voix coutumière des champs et des coudraies

le parfum du foyer et la lueur de l’âtre,

le béret allégeant et le rire folâtre,

l’arpenteur de l’espace et le lieur des temps ;

vous qui partîtes le nez en l’air en rêvant !

Je me tourne vers vous, parce qu’il tombe sans cesse

sur mon cœur une pluie qui me trempe et m’oppresse ;

une eau d’enfer qui vient me fouetter par travers ;

je n’ai plus de repos et tout sucre est amer !

Je me tourne vers vous, comme le font, sans doute,

ceux qui ont eu la chance de croiser votre route

et qui pour ponctuer de rouge leur noirceur

 cherchent aussi l’appui d’un souvenir rieur !

Certes, l’été viendra, mais je crains d’être vieux,

d’avoir autant perdu l’idée que les cheveux

et de ne jouir alors, derrière mes persiennes,

que du parfum démodé des roses anciennes !

Si vous aviez, amis, près de vous le journal,

vous sauriez ô combien le genre humain va mal !


2.  – Ange inconnu

 

Si mon vieil ange gardien veille

à ce qu’il ne m’arrive malheur,

quel est donc cet ange qui veille

à ce qu’il m’arrive bonheur ?

 

Pour le peu que je lui quémande

cet oiseau de Dieu fait le sourd !

comme s’il n’était de la bande,

s’il n’avait pour moi quelque amour !

 

Qu’ai-je donc fait pour lui déplaire ?

Que n’ai-je fait qu’il eut fallu

pour combler son âme princière ?

Maître Bonheur a disparu !

 

Alors je vais à cloche-pied

entre “pas question“ et “peut-être“

et je le hèle à satiété

à travers portes et fenêtres…

 

mais l’écho de ma voix se perd

dans les couloirs de l’infini ;

un peu comme si Lucifer

m’avait volé la clé de vie !

 

Moi qui pensais qu’un séraphin

m’avait entré dans son vivier !

sonnez, sonnez tristes buccins

je suis un être abandonné !

 

Vous qui peut-être êtes intimes

avec l’un de ces chérubins,

sauriez-vous donc, du clarissime,

tirer quel est le nom du mien…

 

de sorte qu’en trois exemplaires,

datés, signés et tamponnés,

sous quelque forme littéraire

je lui explique mes volontés ?

 

Jadis on parlait d’homme à homme

à Dieu, entre hommes, ou aux saints ;

depuis la crise du pétrole,

il est bien vrai que la parole

ne vaut plus qu’un pet de lapin !


3.  – Avance automatique

 

Des géraniums sur les murettes,

des lauriers roses dans les cours,

des mains de cyprès alentours

et le vol rasant des fauvettes ;

 

des coquelicots à foison,

des nids d’hirondelles bâtis

sous les tuiles et les appentis,

des rideaux brodés aux maisons ;

 

des portes bleues à moustiquaires,

un bonjour qui sort, un bonsoir,

quelques poules rousses, un chat noir,

et des bleuets aux gibecières…

 

puis, pacifistes casqués de vert,

des régiments de pieds de vigne,

en un garde-à-vous rectiligne

récitant leurs antipater ;

 

le vent qui corne jour et nuit

dans les chéneaux et les serrures,

les dégradés d’enluminures

sur les fenouils après la pluie…

 

et la voix roque et chaleureuse

de qui foule au pied le raisin ;

des tapis d’aiguilles de pin

sur une terre rocailleuse,

 

l’huile sauvage des romarins

et des ciels de cigales vives,

le goût des vendanges tardives,

la garde-robe des grands vins…

 

et la peau satinée des femmes,

leur corps parfumé par l’été,

la fougue altière des baisers

et tant de désirs qui s’enflamment…

 

puis des orages de couleurs

et des cascades de tendresse,

la grande saison des promesses

et les crêpes de chandeleur…

 

“le quotidien à minima !“

ici,

la vie roule calme et sereine !

 

Pourquoi donc se charger de peine ?

Pourquoi donc parler de trépas ?

A quoi servirait donc la haine,

la dispute et la guérilla ?

 

Notre terre avance à grands pas ;

enterré le phylloxéra,

nous donnons vie aux éoliennes !


4.  – Le paradis trouvé

 

Une maison de pierre au plus haut des garrigues,

qui dut être joyeuse du temps de nos aînés,

sans porte ni fenêtre, la toiture léchée

par le vent d’ouest et le piaillement du becfigue…

 

l’ocre des murs jaillissant d’un tapis de thym ;

un trois pièces meublé de la paix richissime

des senteurs du coteau et d’une vue sublime

sur une mer de vignes et des vagues de pins.

 

Deux écureuils curieux pour uniques voisins ;

trois perdrix dérangées par le sabot de l’homme

qui pousse sur les cimes ses anges et ses fantômes

sur les pas de la poule faisane et du chien.

 

Un coup de cœur immense sur ma terre d’enfance,

au détour du chemin, dans les herbes jaunies ;

posé là sur les roches, aux airs de bergerie,

mon paradis rêvé ; comme une délivrance !

 

Elle se dresse là, la chose, au beau milieu de rien,

sans rue, sans magasin, sans tramway, sans gloriole ;

ce qui pour vous ressemblerait à quelque geôle ;

mon paradis rêvé au détour du chemin !

 

A l’heure tardive où la sauvagine exulte,

sous un ciel paré de longs colliers de diamants,

qu’il doit être apaisant d’y savourer l’instant

loin des feux de la plaine, du temps et du tumulte !

 

Mon casse croûte n’étant celui du becfigue,

le monde matériel traînant tant de bémols…

mes rêves se disloquent en effleurant le sol !

 

au paradis trouvé,

jamais, hélas, je ne poserai ma fatigue.


5.  – La danse des rameaux de vigne en été

 

Tout change, tout mute, tout prend des proportions

démentes ; tout décline, tout noircit, tout dérive…

la raison est outrageusement permissive

et la bonne graine sature de charançon.

 

L’homme court à sa perte conscient de ses faux pas.

Sans remuer la soupe épaisse de l’affliction

je pense qu’il s’agit bien “d’autodestruction !

l’homme aspirant plus aux enfers qu’au nirvana.

 

“Qu’ils s’en aillent caguer !“ comme disait grand-père,

“Que chacun se l’arrange !“ comme disait mémé ;

la psychologie, eux savaient la cuisiner

à la sauce “ce n’est pas nos oignons, laisse faire !“

 

S’il est bien une grâce que l’homme ne corrompt,

qui ne subit les foudres de la populace,

que ces temps infects n’emprisonnent dans leurs nasses,

qu’aucun effet naturel pervers n’interrompt

 

c’est la danse des rameaux de vigne en été

qui balancent les grappes de leurs agrès noueux

 sous le même  soleil et le même ciel bleu

que connurent César et Bacchus et Noé !

 

Mes pas dans la rangée foulent la même terre

et mes sens respirent le même air parfumé ;

la verdure se croise en musicalité

et mon esprit oublie ce monde de misère.

 

Quelquefois, deux cigales, sur le tibia d’un cep

viennent sucer le sucre de la virginité

tandis qu’un papillon sur un pampre perché

s’enivre des encens du verdoyant transept.

 

Et je passe des heures assis parmi les souches

à picoler le simple, à me saouler du vrai,

à trier en mon âme le bon grain de l’ivraie

puis je lève le camp une feuille à la bouche.

 

Croyez bien que je rentre alors l’esprit léger

comme ceux qui partaient une fleur au fusil ;

mais mon rameau de vigne, un jour, fera des fruits,

tandis que leur fleur, un jour, fut déchiquetée.


6.  – Ni vigneron ni força

 

Je ne sais si cette année les souches ont la rondeur

des femmes en délicatesse de huit mois ;

des ventres lisses et ronds chantant dans leur chaleur

les trésors de la vie de leur plus douce voix !

 

Je ne sais si le vent marin boit aux rameaux

ni si le soleil coule sur le pourpre des grains,

si les cigales solfient dans leurs soirs rougeauds,

si d’autres abreuveront de moût leurs fols quatrains !

 

Je ne peux faire de pronostic de vendange,

vous dire si le cru va tenir ses promesses,

si les cueilleurs bûcheront les pieds dans la fange

ou si fuseront dans l’azur des traits de liesse…

 

vous dire si ailleurs les machines sont prêtes

à enjamber les ceps et avaler l’offrande,

comme le font, au ruisseau sacré, les poètes,

et la tramontane vorace sur la brande !

 

Je ne sais si la musique des barriques qu’on roule,

ou l’alcool des anges sous les voûtes des caves,

ou les senteurs ferrées des outils qu’on émoule

rempliront l’âme de mes frères les plus braves !

 

Je ne sais à quelle sauce cuira la saison,

si les foudres cuveront un automne charnel,

s’il fera bon, ensuite, sous les coups de tisons,

et ce que chanteront les futurs ménestrels…

 

je ne sais

 

car mon corps s’est éteint juste avant la récolte,

roulé par les déferlantes de temps ingrats ;

et je suis là, couché face aux vieilles archivoltes,

sur un drap à longs pans et sous un ciel extra…

 

je suis là, rouge encore, comme ceux des révoltes !

je suis là, raide et blanc, comme ceux du trépas !

je suis là, au milieu d’amours qui virevoltent ;

je ne suis plus rien, ni vigneron ni força !


7.  – Guerre

 

La terre était si dure que le soc ripait

et crissait en rayant la croûte nourricière.

Le champ était hostile à la moindre plaie

et demeurait sourd aux prières ordurières ;

 

pourtant, l’homme, jurant par ses diables intérieurs,

pesait lourd sur le soc impuissant et perdu,

et devant, le cheval, dans toute sa moiteur

offrait à la besogne son échine rablue !

 

Malgré leur volonté et leurs sabots ferrés

ils ne vinrent à bout de l’écorce factieuse ;

la nature, éminente, semblait avoir gagné

quand finit par bégayer la charrue hargneuse…

 

puis d’hésitations en un langage croquant

elle châtia le clos, lui ouvrant les entrailles !

alors le paysan fendit en sifflotant

et le cheval cessa ses larmes de rocaille.

 

Le temps perdu, dit-on, ne se rattrape guère,

le temps perdu, dit-on, ne se rattrape plus ;

c’est vrai pour les soldats comme pour ceux de la terre,

pour ceux de la mitraille et ceux de la charrue !


8.  – Joseph

 

Tu es parti avant que je ne vois le jour,

parti, Joseph, en un roulement de tambour,

parti vers des cimes où la guerre a cessé,

où le canon fait place à la fraternité ;

parti, Joseph, en ayant laissé tes empreintes

au pays de la carthagène, du térébinthe,

la patrie du perdreau, des souches de grenache

et des copains arborant la fine moustache !

 

Je te connais à travers la photo logée

entre deux obus sur le toit du vieux buffet,

derrière ton ciel de verre aux doux reflets bleuâtres

d’où tu n’as pas bougé depuis cinquante-quatre ;

je te connais à travers les dires de papa ;

j’aurais aimé t’embrasser au moins une fois,

et tu m’aurais conté, assis sur tes genoux,

les oiseaux de Verdun dans leurs chants les plus fous !

 

La guerre finie tu m’aurais conté la vigne,

les saisons de bombance et les années de guigne,

conté le vin sucré emplissant tes barriques,

et les « vendus » à la tête de la République ;

et puis, l’accordéon remplaçant la mitraille,

tu m’aurais conté le jour de vos épousailles,

où Anna, le voile piqué de roses blanches,

dansait fièrement tes mains posées sur ses hanches !

 

Que dirais-tu, Joseph, en voyant la marmaille

passer sans regarder le cadre où tes médailles

rappellent qu’il fut un temps où l’on parlait du front

la terreur au ventre et la sueur au menton ?

Que penserais-tu des automnes sans vendangeurs,

des cheminées sans bois et des hommes sans cœur,

des chaises de paille qu’on a toutes brûlées

pour ne plus avoir à faire le soir la veillée ?

 

Allez pépé, je te laisse dormir en paix

sur le haut du buffet, le fil de mon poème

et le sang du souvenir… Joseph… quand bien même

nous ne mettrions guère de temps à nous retrouver !


9.  – Franchir le cap

 

Pourquoi la cuisine ne sent plus à cuisine ?

Pourquoi les vieux draps ne sentent plus à vieux draps ?

Pourquoi mes vieux murs ne sentent plus le chez-moi ?

Pourquoi le placard ne sent plus la naphtaline ?

 

Pourquoi les rues n’ont plus les senteurs de la rue ?

Pourquoi les midinettes ne sentent à midinettes ?

Pourquoi la disette ne sent plus la disette ?

Pourquoi les charrues ne sentent plus à charrue ?

 

Pourquoi les fenouils ne sentent plus le fenouil ?

Pourquoi la dive enfance ne sent plus à l’enfance ?

Pourquoi les souillardes ne sentent plus le rance ?

Pourquoi la jeunesse ne sent plus la débrouille ?

 

Pourquoi les genêts ne sentent plus le printemps ?

Pourquoi les godillots ne sentent plus le phoque ?

Pourquoi l’œuf à la coque ne sent l’œuf à la coque ?

Pourquoi les jardins n’ont plus les parfums d’antan ?

 

Pourquoi le vignoble ne sent plus à vignoble ?

Pourquoi les raisins ne sentent plus à raisin ?

Pourquoi la cave à vins ne sent la cave à vins ?

Pourquoi le chai ne sent la pourriture noble ?

 

Pourquoi les sécateurs ne sentent plus les rires ?

Les couches improvisées ne sentent plus l’amour ?

Pourquoi les vieux d’ici ne sentent plus l’humour ?

Pourquoi les vieux buffets ne sentent plus la cire ?

 

Pourquoi la rivière ne sent plus à rivière ?

Pourquoi les baigneuses ne sentent plus le rêve ?

Pourquoi les pucelles ne sentent plus la sève ?

Pourquoi la clairière ne sent plus à sorcières ?

 

Pourquoi la toile cirée ne sent plus la vie ?

Pourquoi le journal ne sent la bonne nouvelle ?

Pourquoi l’été ne sent plus le nid d’hirondelles ?

Pourquoi l’aube ne sent plus le nouveau défi ?

 

————

 

Parce que l’on a couru, parce que l’on a vieilli !

parce qu’il a fallu chercher loin sa vérité !

parce qu’on revient un jour, tout nu et transformé !

parce qu’il faut du temps pour gagner son paradis !

 

parce qu’on a d’autres yeux et que l’enfance est loin…

qu’elle nous a guidés pour passer chaque porte…

tant idéalisée, qu’un jour on la croit morte ;

et puis chaque senteur ressurgit dans son coin !

 

insouciant le vent coule alors entre vos mains ;

on a franchi le cap et la saison est d’huile ;

les cheveux ont blanchi, comme les vieilles tuiles…

au fond, ce n’est pas si mal d’être déjà demain !


10.  – L’imperfectible « Money-Sanscroix »

 

Le « Money-Sanscroix » est un bonhomme atypique ;

la trentaine sonnée, pur cadre dynamique…

je le trouve cocasse !  j’avoue, un brin risible

sous son air de proche voisin imperfectible !

 

Etant imperfectible, alors, la société,

croyez-moi sur parole, ne cesse de le cloner

et les « Money-Sanscroix » de plus en plus nombreux

commencent, paraît-il, à faire des envieux !

 

N’en soyez étonnés, chez les « Money-Sanscroix »

les appartements neufs sont meublés Ikea,

et je vous assure que sur chaque balcon

vous y voyez même un VTT Décathlon !

 

Ce bonhomme revêt un blazer noir cintré

sur un jean taille basse étriqué au mollet,

puis la chemise blanche et la cravate unie,

sur des souliers pointus ; un vrai look sans chichi !

 

Faut dire que ma ville regorge de bureaux

où le « Money-Sanscroix » est un chantre, un héros !

tel le pâtre, tributaire du nombre de biques,

son clonage est fonction des courbes économiques !

 

Le regard égaré et la mine innocente

le « Money-Sanscroix » roule en berline récente,

les cornes à l’arrière pour suspendre le vélo,

les porte-skis garnis ; sportif ipso-facto !

 

A la forêt, c’est lui, en long cuissard boueux,

le chrono au poignet, la gadoue sur les yeux,

– comme jadis les princes à la chasse à courre –

lui et d’autres « Money » qui se tirent la bourre !

 

Sachez que le « Money-Sanscroix » est un winner ;

un « gagnant » en français ; un être supérieur !

un de ces jeunes cons qui se croient arrivés ;

mais que voulez-vous nous vivons des temps troublés !


11.  – Au cimetière

 

L’un était curé, l’autre était viticulteur,

l’autre était ébéniste et l’autre instituteur…

plus loin un « Mr le Comte »… bien des gens disparates ;

mélange d’os de bougnats et d’aristocrates !

 

Puis, régulièrement, posant sur des photos,

des anciens moustachus de la Ligne Maginot…

et gravé à la pointe sur de froids marbres gris,

cette glorieuse inscription : « Mort pour la Patrie ».

 

Partout des chrysanthèmes et des pensées de soie,

des colombes qui roucoulent, et des signes de croix

qui filent à la hâte de visages éteints ;

un pré de croix par un mur de cyprès enceint.

 

Quelques petites vieilles, qui demeurent encore,

l’arrosoir à la main dès que pointe l’aurore,

charriant l’eau, deux glaïeuls, la canne brinquebalant

et pensant à leur proche futur grimaçant…

 

plus loin un mitron, un commerçant, un pompier,

tous face à face de chaque côté de l‘allée,

séparés par un long drap de gravillons blancs,

les uns bien costumés, les autres en balandran…

 

d’autres femmes évoquant le vieux temps à voix basse,

– tant de souvenirs que volontiers on embrasse  –

le portail qui crisse à chaque allée et venue

séparant le monde décadent du déchu…

 

de jeunes anges se coursant à tire-d’aile

entre le nid des bleus et ceux des Dardanelles,

et dans le ciel, là-haut, un splendide soleil…

et dans la terre, en bas, un splendide sommeil.


12.  – Une forêt à deux pas des immeubles

 

C’est une vraie forêt à l’œil du citadin;

un de ces lieux obscurs où serpente un ruisseau

avec un drap de vapeur flottant sur les eaux,

des troncs de chêne morts allongés sur le dos,

et de toute clairière, à toute heure, l’écho

cafardeux du silence et du cri des corbeaux

sur des baves de mousses et des fils de couvains…

 

avec trois cabanes que firent de vieux enfants,

des champignons à pois rouges entre les fougères,

joyeux, appétissant, juste un brin léthifères ;

puis, pour qui sait l’ancienne chanson forestière,

au bout d’une laie, la chaumière d’une sorcière,

des drapées de chauves-souris inhospitalières,

une présence et des craquements inquiétants…

 

puis un lac avec son parvis et son ambon ;

des brochets et des carpes sous les reflets sauvages

d’un plafond confondu de l’épais lambrissage

d’un ciel de foire et d’un long treillis de boisage ;

de-ci de-là les ronds jaunes du balivage,

des piles de bois alignées sur le passage…

et des traces de biches dans la boue des layons.

 

Cette forêt, en somme, de nos livres d’enfant ;

le sol jonché d’un linceul de feuilles de chêne

la musique sacrée des harpes-éoliennes,

un hibou hululant sur la branche d’un frêne ;

ma futaie à la parfumerie faubourienne

où débarque, en repos, la faune plébéienne ;

la voici la forêt où je lâche mes tourments !

 

Ce n’est pas une sylve, ce n’est pas un bosquet

mais vous y entendrez le sifflement du bouvreuil ;

juste une forêt où mes affres et les chevreuils

partagent en parfaite intelligence le breuil

loin des feux de la ville et loin et de tout orgueil ;

je tenais ce soir à lui glisser un clin-d ‘œil…

trois rimes valent autant qu’un air de galoubet !


13.  – Les clés du Paradis

 

Un lapin sautillait, je voyais sa queue blanche,

j’étais en bord de champ, camouflé par des branches ;

lui m’avait entendu, mais il allait tranquille

vers le talus où il avait élu domicile ;

 

je ne lui voulais aucun mal, bien au contraire ;

pour dîner, la bestiole ne m’aurait fait l’affaire

car je savais un lièvre, de deux tailles au-dessus,

qui dans sa cocotte mijotait dans un jus

 

de mûres et de framboises, d’échalotes rôties…

d’y penser j’en aurais encore la pépie

tant j’avais débouché trois rouges des rocailles

pour accompagner l’animal en nos entrailles !

 

Bref, je me promenais comme on le fait ici

le dimanche matin pour s’ouvrir l’appétit

avant de retrouver les amis de toujours

et croquer avec eux le soleil blanc du jour !

 

Nous ne fêtions rien d’exceptionnel ce jour-là

sinon le fait de partager un bon repas,

de rire dans un monde qui ne s’y prête guère

et d’aller, chacun, d’anecdotes cocardières !

 

Après m’avoir jeté un regard d’échevin

le lapin s’enfonça sous un gros romarin ;

le lièvre, dans son jus, devant danser la gigue,

je fouettais donc du pas le flanc de la garrigue ;

 

Il est des instants où Dieu semble être présent,

où le monde, à nouveau, redevient innocent,

où l’on peut apprécier les beautés de la vie,

les yeux écarquillés… en s’ouvrant l’appétit ;

 

elles sont là, je crois, les clés du Paradis !


14.  – Mon vieux livre sur le grand Nord

 

Il me parle de rennes, de bisons et d’élans ;

il revient du grand Nord où le sapin d’argent

aime à lécher l’azur et la blanche bourrasque ;

qui dépeindrait Eole y dépeindrait ses frasques !

 

“Le blanc manteau“, métaphore des vieux poètes,

celui qui par respect symbolise la fête,

uniformisant dans la plus grande innocence

ces terres engourdies dans un ciel de silence…

 

un “blanc manteau“ cousu de flocons incessants,

un “blanc manteau“ pendu aux songes de l’enfant !

il me parle de rennes, de bisons et d’élans,

du grand Nord, du silence et du sapin d’argent

 

et voici que déjà il me vient à l’oreille

le doux bruit des clochettes, à nulle autre pareil,

d’un traineau rouge et bleu ficelé de fourrures,

glissant à vive allure au cœur de la froidure !

 

Qu’est le grand Nord pour nous, pauvres gens des coteaux,

tout juste habitué au doux chant du grelot

d’un courant haletant dans le pas d’un sanglier ?

et que ronge la neige sur nos maigres bosquets ?

 

Par-dessus les grands lacs, sous des moufles épaisses,

des enfants, une peau de phoque sous les fesses

boivent le jour à rire, à glisser, à tourner ;

que la nature hostile sait les émerveiller !

 

Il me parle de rennes, de bisons et d’élans

et je revois le vieux livre de mes sept ans

qu’un Noël, blanc, sans doute, pour me faire rêver,

au pied de l’âtre avait posé sur mon soulier ;


15.  – L’homme du Nord

 

Nous avons évoqué, par d’amènes images,

l’esprit de la chasse… puis, cette littérature,

qui, par l’éther et les épreuves de nos charnures

dépeint en métaphores l’âme du paysage ;

 

il en est ainsi lorsque la raison braconne !

Il dit qu’il est du Nord et plus encore au nord…

mais dans sa voix, pourtant, je crus ouïr alors

le soleil du Midi causer au téléphone !

 

Il me semblait entendre l’un de ceux des garrigues;

son verbe était chantant et rond et parfumé

comme le sont chez nous le buis et l’olivier,

la grive musicienne, le bruant, le becfigue !

 

Je n’ai jamais chassé les terres qu’il emblave,

mais quand le lièvre gite au cœur de son bocage,

le faisan de Colchide s’envole de ses herbages,

quand le cerf trotte sur ses champs de betteraves,

 

quand mon lapin de garenne boit aux muscats,

mon sanglier fait le ferme et quand nos beagles suent

nous respirons le même sourire entendu

et notre œil, à l’instant, brille du même éclat !

 

Je ne l’ai rencontré, je l’ai juste entendu,

il avait apprécié l’un de mes courts récits

dans lequel cinq sangliers pressentaient l’hallali :

“Les lauses de la laie“

vous qui aimez la vie, l’avez-vous au moins lu ?


16.  – Les deux chiens

 

Quand dans l’ascenseur, dans la cage d’escalier,

le chien du second pressent le chien du treizième,

comme leurs ancêtres allant aux fêtes de Brême

s’ensuit une cantate de haute gorgée !

 

Mais ceux-ci, à défaut de glapir, comme tant,

d’une voix sans appel, sans y aller de main morte

se filent une raclée au travers de la porte ;

un feu d’injures enrobé de vifs aboiements !

 

Ce sont deux mâles, que voulez-vous, deux rivaux !

et vous savez que Dieu, dans sa grande largesse,

n’ayant équitablement transmit la sagesse,

il advient parfois quelques querelles de museaux !

 

Et croyez que lorsque je rentre ou je sors, j’aime

entendre la musique, la colère au ventre

et du prince qu’on sort et du prince qu’on rentre

résonner dans l’immeuble du second au treizième !

 

J’aime leurs voix puissantes s’affirmer sans complexe

dans un pays où l’homme ne sait plus que se taire ;

 si je n’entends leurs mots je perçois de leurs glaires

autant l’accent grave que l’accent circonflexe !

 

Mais n’allons voir le mal où se cache le beau ;

sous ces boules de poil au caractère hargneux

je vous parle de chiens au regard malicieux,

dont l’un a trois pattes et l’autre un brillant grelot.


17.  – L’union  –

 

Deux éléphants, deux marmottes,

deux rhinocéros, deux lapins,

deux souris, deux gelinottes,

deux hippopotames, deux chiens,

 

deux girafes, deux éperviers,

deux couleuvres, deux papillons,

deux libellules, deux poneys,

deux cigales, deux percherons,

 

deux vaches, deux sauterelles,

deux chèvres, deux oies, deux moutons…

« – Empruntez donc la passerelle

et hâtez-vous car l’horizon

 

s’obscurcit et l’éclair, déjà,

zigzague aux quatre coins des cieux ! »

 deux belettes, deux piafs, deux rats,

deux chimpanzés, deux paresseux…

 

« – Passez en couple s’il vous plaît !

silence pendant le comptage !

prenez de l’eau, des vers, du lait,

un grand bol d’air des pâturages…

 

écoutez bien les instructions

et que chacun prenne sa place !

nous devrons, de la quille au pont,

d’une même ardeur faire face

 

à la montée vive des eaux ! »

deux autruches, deux ours, deux chats,

«  – Le déluge nous prendra bientôt ;

Dieu sait où il nous mènera !

 

en fond de cale les plus lourds,

les chouettes veilleront la nuit,

les lynx tiendront la barre de jour,

les aigles nicheront en vigie »

 

deux dromadaires, deux écureuils,

deux grenouilles, deux hannetons,

deux koalas et deux chevreuils,

deux lions, deux paons, deux grillons…

 

«  – Nous n’avons que peu à attendre

le ciel se fend de toute part !

ce soir nous devrions lever l’encre ;

heureuse la main du hasard ! »

 

Voilà donc trois images, “retouchées“, c’est certain,

de la dite Genèse, de l’Ancien Testament ;

avez-vous donc un soir hélé votre destin

et mené loin votre arche malgré les forts courants ?

 

Gardez-vous donc le cap et tenez-vous la barre ?

êtes-vous le maître de votre propre vie ?

n’avez-vous l’impression de filer dare-dare

vers ces lieux où l’on boit le suc des pissenlits ?

 

Il suffit d’une main que l’on donne et d’un poing

qu’on lève haut, rageur, les deux pieds dans la boue,

il suffit qu’on fabrique son soleil pour demain

et qu’ensemble on s’attèle aux brancards de la houe !

 

Travailleurs de tous les pays, unissons-nous !


18.  – Mon Pierre, as-tu trouvé la paix ? –

 

Depuis que tu es parti, mon Pierre, en ces prairies

où tu voyais la paix fleurir sous chaque pas,

je n’ai pas pu prendre une seconde pour toi ;

pardonne-moi, tu sais la course de la vie !

 

As-tu fait bon voyage par les strates célestes…

ne t’es-tu pas perdu par ces voies encombrées…

as-tu trouvé l’endroit, la porte dérobée…

t’es-tu abonné à quelque autre palimpseste ?

 

Dis-moi, mon Pierre, dis au creux de mon oreille,

est-ce conforme au moins à ce que tu espérais…

as-tu vu la Famille Divine… et Beaumarchais…

et les meubles sentent-ils la cire d’abeille ?

 

Nous avons tant et tant de fois, devant un verre,

croqué la philo et les olives ici-bas,

imaginé les nues remplies de nymphéas,

de vignes à longs doigts, de plantes fourragères

 

enguirlandées de pourpre et de jaune et de bleu…

et combattu l’absurde à coup de mots choisis,

et fait coulisser les verrous du Paradis ;

tu me manques, mon Pierre, sous mon ciel ténébreux !

 

Parfois, l’arc en ciel enjambe le Lauraguais

et les tuiles d’Alzonne scintillent sous la rosée ;

le soir, quand tous les autres sont devant la télé

le cul bien enfoncé et les neurones en biais,

 

je pense à toi, mon Pierre, et j’envie le grand jour

où devant un rosé, des olives à la main

 nous trinquerons encore à d’autres lendemains,

nous foutant pas mal du cours du topinambour !

 

Entité en goguette, si tu passes par-là

viens me joindre à la fête, je n’attends plus que ça !

pardonne-moi, tu sais la course de la vie,

je dois te laisser les emmerdes cognent à l’huis !


19.  – L’homme du Picardie

 

Quand le merdier s’y fout il faut du temps Joseph…

et puis on dit qu’un jour les mouches changent d’âne !

tu peux faire ce qu’il faut et prier Saint-Antoine,

comme il est dur de fuir un chemin de méchefs !

triste bief.

 

Joseph Durtol ; qui se souvient encore de toi,

de Thérèse et d’Yvette et puis du « Picardie »,

de Julien et des autres de la batellerie…

des tôles à changer, l’argent que tu n’as pas !

et cætera…

 

Quand le merdier s’agrippe, Joseph, au quotidien,

quand tu es trop vieux pour trouver un autre boulot,

quand ta fin de carrière s’illumine d’un fiasco…

à défaut de grives tu élevais des lapins !

quel foin !

 

Ton histoire est moderne, le savais-tu alors ?

le panier à salade… et puis les vieux copains…

Picardie qui s’en va, Picardie qui revient…

comme les eaux sont différentes à chaque port !

le mors !

 

Nous avons fait un temps, Joseph, canal commun,

toi derrière la barre et moi devant l’ordi ;

que veux-tu faire quand la saison est pourrie…

soutenir ou butter l’un de ces faux tribuns ?

à jeun ?

 

ton histoire sent le simple comme ta vie fut vraie ;

on dirait aujourd’hui qu’elle ne bougeait guère !

notre mode est au stress, aux cancers, aux ulcères…

pauvre, on est que de passage, et hop, du balai !

c’est gai !

 

Merci Joseph d’avoir vogué un temps pour nous…

salut Joseph… et que d’eau depuis soixante-huit !

Christian Barbier a laissé la place à Brad Pitt,

le Picardie aux engins spatiaux les plus fous…

et la télévision nous prend pour des voyous ;

c’est fou !

 

*L’homme du Picardie: série TV de 1968 écrite par Henry Grangé et André Maheux et réalisée par Jacques Ertaud.

20.  – Bafouille du soir, espoir… –

 

Salut Jeanne, salut Charlou,

juste une petite bafouille

de sur terre où tout part en couille ;

dites, est-ce qu’il fait beau par chez vous ?

Ici les intellos divaguent,

les paysans plient la boutique…

si, il nous reste la musique

et sauter l’été dans les vagues

fraîches au pied du drapeau vert,

prendre le soleil et plonger

dans les eaux vives du passé

et pleurer le sel de la mer !

Salut Jeanne, salut Charlou,

juste trois rimes, juste trois plaies

d’une sente où la tronche en biais

l’homme aligne des pas de fou !

Justes des mots enchevêtrés,

des idées à la queue leu leu,

des pets de pleurs, des pets de feu

des miroirs de temps éclopés !

Dites, on mange bien par chez vous ?

Ici l’on croque du cancer,

de la leucémie, de l’éclair,

et dans les couples du licou !

là la viande est pourrie sur pattes,

ailleurs des légumes cyanurés,

de la sauce à l’austérité

et du mensonge à la tomate !

La littérature fait peur,

les fleurs ont du mal à éclore,

les peigne-culs neufs collaborent

et la guerre lâche ses lueurs !

A part ça tout va bien quand même,

je viens de changer de boulot

parce qu’on a plié au tripot ;

nos musicos ont fui vers Brême,

le boss s’est tourné vers la Chine

où le fric lui clignait de l’œil…

les autres peignent leur cercueil

où s’accrochent à la chopine !

La télé, c’est pas folichon,

à vingt heures trente c’est le crime,

les pauvres gens qui se déciment…

où les juifs… ou les francs-maçons…

Allez, je vous laisse, maman rentre,

je dois encore faire la soupe ;

si par bonheur son cœur chaloupe

je lui caresserai le ventre…

et peut-être que la soirée

terminera pleine d’étoiles !

d’autres auront du vent dans les voiles

et des cieux guère constellés.

Au diable la lutte finale,

je vais mettre une bûche au poêle !


21.  – Amis

 

Par ces sentes où je vais empli de solitude

quérir je ne sais quoi par les jours de grand vent,

le souvenir peut-être, la chaleur… sûrement,

et les senteurs de la garrigue qui exsudent,

amis, vous serez près de moi dorénavant !

 

Vous avez ouvert la trousse sous le crachin

et couché votre esprit au cœur de la clairière,

– où nous avons, en somme, fait l’école buissonnière –

sur les folles avoines et les touffes de thym,

la musette et la bonne humeur en bandoulière !

 

Je verrai vos visages et j’entendrai vos voix

se faufiler par delà l’écorce des pins

quand sur ma vie les rafales de vent marin

à la saison mauvaise viendront dicter leur loi ;

et vous serez tous là, parmi les fleurs de lin !

 

Et vous serez tous là, au bord de la rivière,

vous désaltérant aux poèmes de l’amitié

lorsqu’un prochain dimanche je passerai à gué,

les songes affairés, les yeux plein de lumière,

des fleurs roses de ciste pendues à mes lacets !

 

Merci pour l’instant que vous nous avez offert ;

être ensemble et bavarder un peu sur la lande,

– ou celle de Fontiès ou celle de Courlande –

 même si le ciel grommèle trois quatrains amers

est plus doux que d’ouïr les poèmes d’Hollande !


22.  – Panégyrique posthume

 

Pourquoi ai-je toujours cette idée saugrenue,

dès qu’un peu de temps libre pointe le bout du nez,

de faire ainsi danser mes doigts sur le clavier ?

faut-il donc que j’engrange ou bien que j’évacue ?

 

Quel est ce rapport fusionnel, ce jeu de dupe

qu’ont établi la page Word et mon esprit ?

pourquoi faut-il d’instinct que j’allume l’ordi

et salive à l’idée d’y peler mille drupes ?

 

Quel est ce ver qui se tortille en ma cervelle,

laboure sans cesse les landes de mes sens,

craque l’allumette sous la poudre d’encens

et fait trisser en moi les maux de Philomèle ?

 

Pourquoi faut-il qu’au final mes images riment ?

pourquoi dois-je traîner une lyre à mon cou

comme d’autres de lourds diamants ou un  licou ?

à quoi bon naviguer entre “entrée“ ou “supprime“ ?

 

Et pourquoi demeurer fidèle au quatrain

quand de prestigieux confrères, sous d’autres formes,

boivent les honneurs de l’habit vert, du bicorne ?

hélas, le quatrain ne procure plus le pain !

 

Je n’ai rien à manger pourtant j’écris sans cesse ;

misérable qui croit que versifier nourrit !

s’il savait le malheureux combien je maigris,

il m’allaiterait… fut-ce toujours de promesses !

 

Un jour je serai si maigre que les eaux-fortes

qui glougloutent en mon âme feront céder mon corps ;

j’irais en chapelets de quatrains vers la mort,

une métaphore d’or coincée dans l’aorte…

 

et vous direz alors, vous qui me condamnez

à errer dans l’enfer des poètes maudits :

« C’est vrai que ce rapsode avait bien du génie ! »

“panégyrique posthume“…

ces éternelles louanges qu’aujourd’hui vous taisez.


23.- Monter à cru l’illimité

 

Conscient d’être un privilégié,

heureux, je peux courir le monde

du septième ciel aux catacombes,

des rouges levants aux nuits labiées !

 

Jadis, au temps de ma jeunesse,

encore « l’humain » me parlait !

 aujourd’hui, « la nature » me sied

car elle est pleine de promesses !

 

Il m’est sage de chercher « l’humain »

au travers du vol de l’abeille,

du sombre cri de la corneille,

la mie virginale d’un pain,

 

l’ombre apaisante d’un vieux chêne,

 les cimes d’un mont enneigé,

à travers un moucharabieh,

céans le tonneau de Diogène !

 

Conscient d’être un privilégié

je cours le monde à pas lents

comme le faisaient mes grands parents

de la cuisine au jardinet…

 

et je prends tout vent à plein nez,

toute couleur à grands coups d’œil,

mes couches de fortune pour des breuils,

mes casse-croûtes pour de grands mets ;

 

pour mes petites soifs je bois

la rosée à même le bleuet ;

si l’orage vient à éclater

je lape l’eau fraîche entre mes doigts…

 

et puis je marche droit devant

conscient d’être un privilégié

quand d’autres, hélas, n’ont ni souliers

ni rêve semé de vers luisants.

 

Heureux d’être privilégié,

de me satisfaire de peu,

de préférer l’idée au feu,

je monte à cru l’illimité.


24.  – En réponse à Madame

 

Partout la poésie fait retentir son cor !

partout la poésie fait exulter son corps !

et ses membres et sa voix et son âme et son cœur !

partout la poésie fait éclore ses fleurs !

 

A la dame qui clamait, funèbre tribun,

que l’art de la rime est bel et bien défunt,

je dis ces trois vers, plein d’amitié pour elle ;

si le lai se meurt au vingt-et-unième siècle,

 

la ballade, l’élégie, la chanson de geste,

le triolet, la fable, et l’églogue et le reste,

c’est qu’ils atteignent l’âge canonique, à regret,

où le choix ne réside à se faire lifter !

 

D’autres formes, bien sûr, aux couleurs de notre ère

revêtissent plutôt quelques robes légères

sous lesquelles les mots, en un nouveau langage,

sans complexe oscillent des dessous au corsage,

 

et jouissent de la totale liberté

de dépeindre sans règle et sans timidité

le ressenti profond induit du grand tumulte

de l’esprit qui s’anime et la chair qui exulte !

 

La poésie, bien sûr, demeure universelle,

mais si vous trouvez, Madame, qu’elle chancelle,

c’est que les médias aujourd’hui ne la relaient ;

soit qu’ils ne la comprennent ou soit qu’elle ne leur sied !


25.  – Le Poète embrassé

 

Vous le conter m’est simple tant je connais ces gars

qui sous le vent de Cers et le fol « Marinas 1 »,

sur notre terre rocailleuse marchent droit,

sifflant comme le train, jodlant comme La Calas,

 

jouant de la guitare entre les buis amers,

se riant de l’orage qui tempête à cent pieds

comme des objurgations de leurs anges les plus chers,

de leurs docteurs, de leurs penseurs et leurs curés !

 

Car c’est ainsi qu’il est ; j’en mets ma main au feu ;

joyeux drille, insouciant ; un lapin de garenne !

et je le vois laper les étoiles des cieux

étendu dans un pré de harpes éoliennes !

 

Puis je l’imagine en grande conversation,

les soirs de pleine lune sur les rives du Lauquet

avec quelques « Mitounes 2 » prises d’admiration

pour les allégories du Poète embrassé…

 

puis je le vois tendant sa bourse aux miséreux,

la croix cathare au flanc et le chapeau de paille,

sur la lippe toujours un sourire délicieux

et des guirlandes de rimes en accordailles !

 

Je le vois et l’entends, je le hume et le bois ;

lorsqu’il œuvre sur scène je flotte en son sillon !

que voulez-vous y faire, ma paix passe par là

et je cueille le ciel à son monde facond !

 

Ecris pour nous Erick 3, chante encore et toujours,

donne-nous ton message comme on donne l’hostie ;

– notre monde manque tant de quiétude et d’amour –

Va Troubadour, il est l’heure de l’Eucharistie !

 

1 Marinas: vent marin qui souffle dans l’Est audois.
2 Mitounes: fées qui vivent dans les grottes au fond des rivières et battent leur linge avec des battoirs d’or, ratissent les flots avec des peignes d’or et gardent l’entrée des mines contre les intrépides qui cherchent à dérober leur or (légende occitane).
3 Erick : Erick LENGUIN ami auteur, compositeur, interprète au répertoire et au talent exceptionnels.

26.  – Galette des rois

 

De quel roi, de quelle galette,

de quelle crèche parle-t-on ?

du sable de quelle planète,

quelle myrrhe et quelles raisons ?

 

qui donc et comment et qui est-ce…

un âne, un bœuf, une naissance…

des bergers, de la paille épaisse…

les badauds, l’étoile, le silence ?

 

et pour quelle finalité ?

et pour assouvir quel destin ?

pour quelle faim de cruauté ?

pour quel février, pour quel juin ?

 

qu’avons-nous gagné dans l’histoire ?

« courbez le dos et priez Dieu ! »

je préfère les chansons à boire

qui rendent les copains joyeux !

 

—————

 

Pourquoi et par qui et comment ?

tout juste par simplicité !

pour aller sous le rire, le vent

bien seul comme à l’accoutumée !

 

savoir que la chair se dissout

livrée aux enzymes gloutons

et que l’esprit, lalaitou,

prend le chemin de l’extinction !

 

Pour le soleil que tu reçois,

la main aimante qu’on te tend,

pour le sourire que tu bois

oublie le message inconscient !

 

sois toi jusqu’à la fin du jour

sans te préoccuper du temps

qu’il fera dans l’arrière-cour

quand tu iras les pieds devant !

 

sois toi jusqu’à la fin du jour

dans le malheur comme dans l’amour ;

va comme si tu étais béni ;

 

vis !


27.  – Poète écœuré

 

Tu as pris le bâton, gueulé ton désaccord,

pour de nobles valeurs flirté avec la mort

et tu n’as jamais eu peur du fusil d’en face ;

bec et ongles, tu as su défendre ta place !

 

Toujours premier lorsqu’il a fallu faire front,

barrer la route à l’injustice et l’oppression ;

tu as porté sans cesse le drapeau et l’idée,

droit et fier, au son du maître mot “Liberté“ !

 

Je me souviens des feux de camps autour desquels

tu mêlais à la lutte l’amour et le ciel ;

tu gravais des poèmes sur le flanc des nuages

pour que le vent, partout, promène tes messages !

 

Je me souviens des caves où tu tenais conseil

quand les hommes étaient encore à toi pareils,

de ta volonté à faire demain paisible,

voulant que le bonheur soit à tous accessible…

 

puis tu as pris la tête des hommes de la rue

et tant de fois encore vous vous êtes battus

contre les rois de la finance et de l’état,

les empereurs de la peste et du choléra !

 

Epuisé, tu as fini par quitter la terre.

Un drapeau rouge a couvert ton lit de misère ;

nous avons dressé une stèle en ton honneur

et les rois sur ta tombe ont versé quelques pleurs !

 

L’hypocrisie dans le peuple a creusé son lit ;

l’individualisme, la peur et la folie

ajoutent à nos maux d’abjectes retenues,

des œillères sous lesquelles l’homme va nu…

 

les groupes de soi-disant “révolutionnaires“

rampent aux pieds des rois comme des vers de terre

parce qu’aucun leader n’endosse – la vraie chemise –

nous avons manqué le coche à maintes reprises !

 

Faut-il que notre identité se prostitue ?

Faut-il donc laisser l’anarchie battre la rue ?

Faut-il laisser notre pays à la dérive ?

 

Et les rois se délectent et le peuple salive !

 

Qui va désormais prendre la bonne initiative ?

est-ce à l’homme des rues, à la fourche… à l’élu ?


28.  – Démence

 

Partout des grosses vagues et des coulées de boue,

des routes qui s’effondrent, des bateaux qui s’échouent,

des rivières en crue, des cultures ruinées,

des milliers d’âmes devant tout abandonner ;

 

partout des gaz nocifs et des coulées de lave,

des tremblements de terre, des cabanes à esclaves,

des terres craquelées où le feu règne en maître,

des contrées où l’on tue encore la fille à naître ;

 

tant de glèbes que l’homme met à feu et à sang

y brûlant la charrue, y installant le carcan ;

tant de ventres creux et de dignité perdue,

tant d’enfants maltraités et de regards perdus ;

 

partout, au fil des rues, des corps sous des cartons,

ronflant le mauvais vin des longues nuaisons,

des files de chômeurs et des filles engrossées

par l’étoile radieuse de la nativité,

 

des champs de rêves, des tickets de loterie

et des paquets éventrés de cochonneries,

des vies par procuration, des esprits obèses,

de mauvais courants d’air, de mauvaises exégèses,

 

des nuées de mouettes sur les grands boulevards,

des vieux cons, des putains et de nobles connards

encore main dans la main, comme en ces temps joyeux

où la terre tournait rond sous l’égide des cieux !

 

et des poètes encore qui n’ont rien d’autre à foutre

que d’aller téter la métaphore à l’outre…

 

qui donc va se dresser, qui va traiter l’urgence,

ceux de l’opposition, ceux de la présidence ?

 

démence…


     Mon ami Damien est rappeur à TOULOUSE, et j’apprécie ses textes où les jeux de mots colorés et les images sans violence se côtoient harmonieusement. Le RAP étant une forme poétique de structure différente de mes quatrains habituels, j’ai laissé aller mon inspiration sur l’un de ces textes protestataires écrits pour être scandés sur un rythme répétitif ! Vas Damien, exprime-toi, la scène est à toi !

 

29.  – Instru-mental

 

Aujourd’hui c’est dimanche, il faut aller voter,

 un siège en cuir est vide, là-haut, à l’Elysée ;

mais à quoi bon glisser mon bulletin dans l’urne,

élire un autre guignol me casse les burnes ;

des hommes se succèdent pour notre destinée,

ils veulent notre bonheur il faut aller voter ;

voter, voter,

qui choisir le véreux, l’escroc, le déloyal…

celui qui mentira le moins chez Claire Chazal ?

 

instru-mental, instru-mental …

 

Aujourd’hui c’est dimanche, il gèle, je grelotte,

la glace du caniveau me rentre dans les bottes,

je cherche du boulot, intérim, CDI,

dans ma cuisine ça sent le sapin rôti

j’e n’ai plus d’oseille pour le chauffage de ma cage,

les présidents disent que vingt ans c’est le bel âge…

le bel âge, le bel âge,

qui choisir, la crapule, le fourbe, le déloyal

celui qui connaît par cœur la lutte finale ?

 

instru-mental, instru-mental …

 

Aujourd’hui c’est dimanche, c’est le jour du Seigneur,

les dieux politiciens, tous la main sur le cœur,

jureront à l’émission « Spéciale Erection »

qu’ils vont reprendre les rênes de la Nation,

qu’ils nous ont entendus, qu’ils savent le mal-être ;

je n’ai qu’une envie, les passer par la fenêtre…

par la fenêtre, par la fenêtre,

qui choisir, le perfide, le sournois, le déloyal

celui qui planquera son fric au Sénégal ?

 

instru-mental, instru-mental …

 

Puisque aujourd’hui c’est dimanche pour les joueurs,

je vais user du sexe pas de la carte d’électeur,

je vous laisse l’avenir, laissez-moi le présent,

une suée est plus utile qu’un dirigeant !

pas d’urne pour moi, chacun son trip, son éther,

à l’isoloir je préfère m’envoyer en l’air…

en l’air, en l’air,

qui choisir, Zora, Sarah ou Marie-Chantal

qui sera ce soir pour moi la femme fatale ?

 

instru-mental, instru-mental … instru-mental, instru-mental …


30.  – « Belphégor », l’agent de nettoyage

 

De l’aube au midi noir il balaie, il serpille

des cages d’escalier où pour toute couleur

il ne perçoit que les pétales rouges des fleurs

dont les paillassons, à la mi-saison, s’habillent.

 

Dans la profonde solitude de sa tâche,

sous le martèlement de l’outil sur les plinthes

il lui revient l’écho funèbre des contraintes

et le grelot d’un chat qui joue à cache-cache.

 

Parfois quelqu’un entrouvre une porte à la hâte,

le chat rentre au logis… ou c’est quelqu’un qui sort…

mais les deux passent à l’écart de « Belphégor »,

l’homme le dos au mur, le chat pressant la patte !

 

Puis un labre vient voir si la poussière est faite,

si la serpillère est trop ou peu essorée,

puis hèle sa hiérarchie, peu ou prou courroucé ;

voici le rez-de-chaussée, son instant de fête !

 

Le soleil, au dehors, le prend par les épaules,

les hirondelles le saluent d’un vol rasant ;

heureux, il longe le trottoir, clopin-clopant,

et pénètre dans l’antre d’une nouvelle geôle.

 

Toutes les cages d’escalier ont le même ciel gris,

celui des heures passées à gagner sa misère ;

qu’il est dur de traîner son balai sur la terre

et qu’ils reviennent vite ces satanés lundis !


31.  – L’heure des notes dentelles

 

A l’heure où le bleu-roi s’étend d’un faîte à l’autre,

où les vieux, déjà, marmonnent leurs patenôtres,

où ma ville, jusque dans le fond des impasses

s’amuse, rit et chante et sirote aux terrasses,

 

près de la baie vitrée, d’un geste solennel,

toujours à la même heure et sous le même ciel,

elle colle à son corps les flancs du violoncelle

et tricote, apaisée, ses notes à dentelles !

 

Peu à peu, des guirlandes s’étirent sur nos murs,

des notes illuminent notre antre clair-obscur,

des rires et des chants courent entre nos portes,

tant, que la ville à cet instant me semble morte !

 

Et nous sommes bien loin quand le son disparaît,

quand l’ardent violoncelle regagne alors son pied ;

nous revenons, heureux, nous retombons des nues

et la ville ressuscite en noirs trotte-menu.

 

Le bleu-roi a foncé sous la lune brillante,

jusque dans le fond des impasses la nuit chante ;

il est l’heure où mon ange replie ses partitions ;

où la chair se conjugue en d’autres communions.


32.  – Joue encore, puis chasse Apollon

 

De Sarabandes en menuets

et de clés d’Ut en clés de Fa

j’aime quand tu poses tes pas

le soir dans les pas de l’archet ;

 

J’aime alors te voir, grimaçante,

sur ces notes encore sibyllines

que le papier musique décline

en délectations hoquetantes ;

 

Quand ton doigt, sur la corde, file

avec le dièse l’accord parfait,

j’aime alors la vie qui renaît

de ces exercices graciles !

 

Mais ce que j’aime par-dessus tout,

quand le violoncelle s’arrête,

ce sont ces doux parfums de fête

que tu viens coucher sur mon cou…

 

alors c’est un autre voyage

qui vient ponctuer la soirée ;

le paradis à bout de nez

et le corps au gré des nuages !

 

Comme ta musique a du bon

lorsque tu chasses Apollon !


33.  – Fleur de lotus

 

Un petit air de violoncelle:

la “Ballade pour un trois-quarts 1“,

un va-et-vient de balancelle,

une capeline, un foulard,

 une longue robe d’organdi,

 sautoir Hermès et escarpins,

un rouge à lèvres Givenchy,

des gants résilles en satin,

des clés à cheval sur un sac,

table de bronze ciselé,

deux verres, ice et applejack,

 une Jaguar bleue mal garée…

 

un saule pleureur, une barque,

une allée de quartz vert amande

bordée des trois statues des Parques,

des romarins en plates-bandes,

l’eau calme de la retenue,

carolins, mandarins, sarcelles,

des pizzicatos trotte-menu,

l’ombre furtive d’une ombrelle,

un subtil parfum de lilas

et des mésanges alentours,

des roses étagées ci-et-là,

deux cyprès chandelle dans la cour…

 

un violoncelle qui s’éteint,

une porte à petits carreaux

qu’on ouvre au museau d’un carlin

ce chien baveux, beige et lourdaud,

puis deux verres qui s’entrechoquent

dans un tintement de cristal

et de la musique baroque

entre les voiles du mistral,

une robe qui gît à terre,

une Jaguar vitres ouvertes ;

 

juste une histoire d’adultère ;

une fleur de lotus offerte.

 

1 Ballade pour un trois-quarts : Marc Didier THIRAULT

34.  – L’églantine

 

J’aurais pu trembler quand ses mots ont ensemencé

mon ciel ;

J’aurais pu trembler quand de ses doigts elle a couvert

mes doigts ;

J’aurais pu trembler quand ses lèvres ont déposé sur mes lèvres

la paix ;

J’aurais pu trembler quand le murmure de ses râles a étreint

ma raison ;

J’aurais pu trembler quand sa bouche a muselé

mes sens ;

J’aurais pu trembler quand sa jambe a coiffé

ma jambe ;

J’aurais pu trembler quand elle a clos ses yeux sur

mes désirs ;

J’aurais pu trembler quand ses désirs ont perforé

l’instant ;

J’aurais pu trembler quand l’instant fut mûr

à point ;

J’aurais pu trembler quand son allant a pris

ma peau,

J’aurais pu trembler quand mes mains ont sculpté

son corps ;

J’aurais pu trembler quand mon agonie a perlé sur

son cou ;

J’aurais pu trembler quand m’ont étreint

ses silences ;

J’aurais pu trembler quand mes doigts ont dansé sous

sa robe ;

J’aurais pu trembler quand l’éther a ouvert

ses grilles ;

j’aurais pu trembler quand ses alcools se sont

épanchés ;

 

j’aurais pu trembler,

mais je n’ai pas tremblé car le diable n’attendait que ça !


35.  – Sur des craquelures de lave

 

Les brumes s’évaporent sous les airs chauds montant ;

sur le crâne du Télica l’aube nouvelle

hèle des fils de songes et des mailles de dentelles ;

la Cordillère des Maribos va ondulant.

 

Au bord du cratère, pour le lever du soleil,

sous la lumière fine, deux âmes entrelacées

dans des senteurs de souffre et des cris de forêt ;

en bas, des champs de haricots quittent tôt le sommeil.

 

Un lever de soleil différent cette fois ;

un jour où seul l’amour battra de ses tambours !

où plus rien n’aura d’égard, ni chats d’arrière-cours,

ni vent des Caraïbes, ni son des marimbas!

 

Ames ardentes sur des craquelures de lave,

l’aube se lève sur un tableau bouillonnant ;

il paraît que ces âmes pouffent d’un même sang !

tant identiques qu’elles ne font qu’un corps suave !

 

Sous le soleil la terre se fait enchantement

et les âmes en fusion vibrent de pareilles images,

elles demeurent sans voix  comme des enfants sages,

le regard fixe devant ce cirque émouvant !

 

C’est la première fois que ces âmes se trouvent

sur la crête d’un mont, mêlées et loin du nid ;

on dirait là que la nature les unit

comme on dirait là que le ciel blanc les approuve !

 

Mais au tic-tac du temps nul ne doit rester sourd ;

je ne sais si ces âmes sont posées sur la roche

ou ondoient dans la fraîcheur des airs quand la cloche

du retour vient brouiller les nuées de l’amour…

 

alors, main dans la main par ces sillons verdâtres

où l’iguane boit le vent humide de Léon,

deux corps reviennent à la civilisation ;

la vie sauvage exulte au cœur de son théâtre.


36.  – Le monde chrysocale

 

En l’espace d’un songe je suis devenu vieux ;

hier soir j’étais enfant et ce matin, adieu !

J’ai sauté la barrière, en dormant, cette nuit ;

les chemins de la subsistance m’ont trahi !

 

En me levant, j’avais la larme au coin de l’œil

de celui qui a bel et bien perdu le breuil ;

non de celui qui a démérité, je pense,

ni craché dans la soupe, la soupe dans la panse !

 

J’ai perdu mes repères, changé d’entendement,

ne reconnais plus le chant des vieux arguments

et ne vois plus de coquelicot sur ma route ;

comme si mon âme, d’un coup, s’était dissoute…

 

et ne suis mort non plus, puisque je vous relate

ce qui, ma foi, pourrait bien être les stigmates

d’un mal irréversible, dont je ne sais la cause,

mais auquel, par le biais d’une métempsychose

 

je voudrais mettre fin ; m’éveiller à nouveau

sur l’herbe du talus ! sortir du caniveau !

A défaut de trouver sous le lit ma jeunesse,

je voudrais plus encore retrouver ces faiblesses,

 

ces forces, devrais-je dire, qui m’ont permis

de fendre la bise, le regard ébloui,

dans la naïveté, ô combien virginale,

de prendre pour de l’or les étoiles chrysocales !

 

Je ne suis pas déçu, je ne suis pas amer ;

j’ai seulement pris trop de choses à l’envers !

En l’espace d’un songe je suis devenu vieux ;

hier soir j’étais enfant et ce matin, adieu !

 

mais qu’ai-je fait de constructif entre les deux ?