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Demain, cette étoile lointaine (livre 1) 2010

      à tous ceux qui connaissent une période de bouleversements, qui doutent, qui subissent, qui traversent les noirceurs de l’âge ou des évènements ;

amitié et compréhension.


Mise en bouche

 

            Cher lecteur, ami fidèle, mon camarade, cela fait maintenant vingt-quatre ans que tu parcours en long, en large et en travers les chemins de ma vie ; la Corbière comme toile de fond, l’amour du ciel bleu et du chant des cigales comme raison, et comme but le besoin de cheminer au gré de ton emploi du temps dans les sillons fraîchement travaillés du simple et du sincère.

    M’accompagner ne veut pas dire accepter tous les itinéraires que je te propose, toutes les idées que je défends, tous les plats que je cuisine comme tous les vins que je débouche ; nous sommes peut-être d’une génération, d’une culture, d’une région ou d’une condition sociale différentes !

   Nous n’aurons certainement pas la même approche quant aux images de ce recueil qui reflètent mes états d’âme au vu des bouleversements, au vu de cette période de transition qu’est naturellement la cinquantaine !

   De ce fait, autant par les bouleversements psychologiques que professionnels ou familiaux l’essence même de ma poésie se pare ici de teintes plus affirmées. Le poète évolue-t-il avec l’expérience, l’âge, ou la société qui l’entoure ?

    Quel est alors l’élément déclencheur de ce chamboulement : l’envie d’autre chose, le besoin d’une certaine tranquillité, d’une routine, l’éloignement des enfants, l’heure du bilan, l’expérience d’un licenciement économique ? Certainement tout réuni.

   Alors la rime va prendre appui sur les temps forts d’un passé heureux, sur des relations humaines colorées, sur l’avenir d’un vignoble en pleine renaissance, elle va laisser le « moi » tirer toutes les ficelles à sa disposition, peut-être va-t-elle nous surprendre ?

    « Demain, cette étoile lointaine » un titre au nom aussi évocateur qu’ambigu ; peut-être cette inaccessible étoile à laquelle Brel faisait référence ? Et si la paix retrouvée c’était pour demain… là, demain, dans quelques heures seulement !

    Bon cheminement à toi cher lecteur, ami fidèle, mon camarade, et que les vents de la nuit te soient légers !

J.G


Table des poèmes

 

  1. Les raisins de ma treille.
  2. Rupture saisonnière.
  3. La migration des idées philosophiques.
  4. L’oiseau blanc.
  5. L’homme qui passe.
  6. Un licenciement classique.
  7. Je suis vivant.
  8. La plus exaltante histoire.
  9. Octobre 2010, la crise dure.
  10. Vigne toujours.
  11. La plume d’or.
  12. Le tendre tableau.
  13. Impossibilité de choix.
  14. La couleur du passé.
  15. D’une Côte de Nuit.
  16. Aux faiseurs de misère.
  17. Vivaldi, être mésange un jour.
  18. Le poète nu.
  19. Le trésor enfoui.
  20. L’ex bête de somme.
  21. Le dépoussiérage.
  22. La paire de trois.
  23. Liberté conditionnelle.
  24. L’idée lumineuse.
  25. A la Fontaine de Lautrec.
  26. Actrice, acteur.
  27. L’envie d’être des leurs.
  28. La fille des bals.
  29. Le paradis rose.
  30. La vie en sifflotant.
  31. Filer le bonheur.
  32. De ma fille à ma fleur.
  33. Le temps béni des vieilles cavalcades.
  34. Le temps qui passe.

1.  – Les raisins de ma treille

 

C’est de la “Poésie“, n’en déplaise à la gente

qui sur le quatrain se lamente et se tourmente;

c’est une poésie à nulle autre pareille

qui chatouille ce soir le creux de votre oreille !

 

C’est une poésie qui conte des histoires,

– ni des textes sacrés ni des chansons à boire –

sous des parfums communs, alignés à la lettre,

des vers qui louent le vent qui coule à nos fenêtres…

 

des rimes qui dépeignent les rides de nos mains,

la sueur sur nos fronts, notre amour du prochain,

et nos luttes aussi, nos espoirs, nos plaisirs

et tout ce qu’on ne cesse ici-bas de chérir !

 

Une “littérature“, n’en déplaise aux messieurs

pour qui le poète n’est qu’un avorton des cieux,

un intellectuel fils de muses en chaleur

qui vomit ses entrailles pour quelque admirateur !

 

Juste la littérature du temps qui passe

et l’homme, là-dedans, qui cherche encore sa place,

qui gagne son croûton, qui cherche à faire son trou

en remuant le sable, les dossiers ou la boue !

 

C’est une poésie à nulle autre pareille

qui chatouille ce soir le creux de votre oreille,

car à travers son âme elle déblaie le chemin,

et met tout son allant à serrer votre main…

 

à nulle autre pareille car elle sait changer

deux larmes naissantes en un bouquet de bleuets !

C’est une poésie à nulle autre pareille,

les seuls raisins qui subsistent encore à ma treille !

 

croquez à pleines dents, mes rimes sont girondes ;

dégustez pleinement leur musique profonde !


2.  – Rupture saisonnière

 

C’est le dernier vendredi de cette saison ;

mais qu’est-ce qu’un vendredi et qu’est-ce qu’une saison

dans l’univers des mots, dans le cercle des songes

au profil de la rime qui nous gruge et nous ronge

 

chaque hiver un peu plus, chaque été davantage ?

Plus je perds en hauteur et plus je prends de l’âge,

et plus je meurs souvent, et plus je ressuscite

pour la douceur du vers, la hargne qui m’habite,

 

pour le verbe et son saoul, pour la rime si fière,

et l’image que je traîne à la boutonnière,

pour les muses qui me comblent allégrement,

grâce auxquelles je gagne le cœur du firmament…

 

pour lesquelles, en des contrées forts enchanteresses,

dans les hautes herbes j’engrosse les déesses !

pauvre imagination, ô poète profond,

solitaire et blâmé, qu’est donc une saison…

 

et qu’est ce qu’un vendredi au fil de la raison,

sous les poumons enfiévrés du bandonéon,

les tripes dénouées de la vive éloquence,

sinon du temps fleuri au bonheur de la chance ?

 

Allez gueuler l’amour, tirer la queue du diable,

vomissez vos sonnets, vos ballades et vos fables !

qu’est-ce qu’un vendredi, le dernier m’a-t-on dit ?

C’est le banquet final des poètes maudits !

 

Maudites soient la saison, les muses de peu !

qui prétendrait encore que notre art est un jeu ?

Tant d’âmes se perdent dans les ondes profondes,

et combien de gangrènes en deux rimes fécondes ?

 

Puisqu’il est, ce soir, une fin dans l’infini,

lâchez vos retenues, libérez vos envies,

ces images brûlantes dont vous n’avez jamais

montré le fond du bec, ni le sexe et le nez !

 

ouvrez la porte secrète de votre esprit,

lâchez les lionnes et les chiennes en furies,

percez le fond, déclamez du contemporain,

la métaphore n’est qu’une ombre de catin

 

de l’âme, ou je ne sais de quelque autre quartier !

mettez-vous en tête qu’il faut bien versifier

des pieds troubles aux esprits bleutés de l’espérance,

que le corps tout entier n’est qu’un pot de fragrances,

 

et que les mots, enfin, le prochain vendredi,

nous reviennent à flots, véritable appétit !

quand nous recollerons les bouts des deux saisons,

qu’en nous touchant la main nous embrassions nos fronts !


3.  – La migration des idées philosophiques

 

Bien des idées philosophiques,

perchées sur des fils électriques,

si l’on en juge la saison

préparent là leur migration !

 

Quelles sont drôles au purgatoire,

les idées folles, les idées noires,

celles qui veulent conquérir

le monde avant de revenir !

 

Alors les rouges iront hurlant

du côté du soleil levant ;

elles partiront le poing dressé

causer aux hommes de liberté !

 

D’autres, le regard pacifique

se préparent pour l’Amérique,

mais arriveront-elles à temps

pour stopper la course à l’argent ?

 

Les blanches, pour le Moyen-Orient

déjà revêtent le drapeau blanc ;

sous la canonnade fournie

où construiront-elles leur nid ?

 

Les vertes, toutes en salopette,

portant les maux de la planète

pondront, je sais, à chandeleur,

la saison des grands prédateurs !

 

D’autres idées se font la cour,

les bleues, celles qui chantent l’amour ;

elles iront au septième ciel

voir si l’amour est éternel !

 

Il en est qui traitent de Dieu,

ou bien des femmes, ou bien du jeu,

il en est, bien sûr, qui plaisantent ;

d’autres timides ou qui se vantent…

 

et sans arrêt d’autres rejoignent

les fils à mesure que s’éloignent

les idées qui ont trouvé leur voie !

d’autres idées prennent du poids !

 

Bien des idées philosophiques,

sur bien des fils télégraphiques

rendront là leur dernier soupir ;

transmise, l’idée doit mourir !

 

Je n’ai rien à faire et c’est marrant

de donner, sans prendre de gant,

son idée sur la migration

de quelque grands thèmes à la con,

 

de philos extraordinaires

qui révolutionneraient la terre

portant la paix en tous logis,

dont l’homme, hélas, ne se soucie !

 

et tant la conscience me pèse

je passe des heures sur la chaise,

le nez vers les fils électriques,

l’œil grand ouvert, l’esprit critique !

 

Un jour, quelque idée jaillira

depuis la chaise tout en bas ;

partout elle fera des petits,

ce sera mon idée de génie !


4.  – L’oiseau blanc –

 

L’oiseau a quitté la montagne

et sa langue s’est déliée ;

il dépeint les chaines et les bagnes

que l’homme traîne à ses souliers.

 

Il est venu de son plein gré

ouvrir, au nom de la sagesse,

la porte de l’illimité,

guider le doigt de la caresse.

 

S’il est vrai que le mal abdique,

que, Nietzsche, la roue a tournée,

il faut marier aux cantiques

le vent nouveau de l’envolée !

 

Il parle mais trop peu l’écoutent,

l’oiseau ne piaille pas, il dit !

le gros des hommes suit sa route

et chemine sans parapluie !

 

J’étais assis sur une pierre

lorsque j’ai entendu sa voix,

et par devant et par derrière

elle résonnait autour de moi.

 

Puis la voix a percé les brumes,

les brumes se sont dissipées ;

dessus, le soleil et la lune,

hagards, rajustaient leurs effets.

 

Il faut entendre pour savoir,

il faut savoir pour réfléchir ;

vaincre à tout prix la peur du noir

et savoir le prix du désir !

 

foncer ensuite coûte que coûte,

suivre à la lettre son idée ;

jamais sur le chemin du doute

ne pousse l’herbe de liberté !

 

Quand la saison est revenue

l’oiseau a déplié ses ailes ;

peu d’hommes l’avaient entendu

mais la saison s’annonçait belle !

 

Il reste à s’unir à présent,

regarder dans le même sens,

instruire la marche en avant

et brûler de nouveaux encens !

 

Bien sûr, demain est à ce cri !

– la colombe a quitté le nid –

bien sûr, demain est à ce prix…

c’est l’oiseau blanc qui l’a induit !


5.   – L’homme qui passe

 

Ou tout va de guingois

ou tout dort sur la laine ;

qu’elles sont drôles parfois

les relations humaines !

 

Ou tout sent l’avenir

ou tout boit le passé ;

tout est en devenir

ou déjà consommé !

 

Tout honore le jour

ou tout chérit la nuit,

suivant si c’est l’amour,

ou l’espoir, ou l’envie…

 

ou si le féminin

l’emporte à l’occasion,

ou si le masculin

régente à l’unisson …

 

et tout va de guingois

parce que le vieux est con !

le jeune est aux abois,

c’est la malédiction !

 

Pour un mot de travers

on se mange le foie,

et l’on se fait la guerre

pour un autre à l’endroit !

 

Parce que l’un est crevé,

parce que l’autre se traîne,

l’un aspire à l’été

l’autre aux fins de semaines…

 

tous devons composer

dans la joie ou la haine ;

qu’elles sont compliquées

les relations humaines !

 

Suivant si c’est pour rire,

si c’est plutôt sérieux,

ce pourrait être pire !

ce devrait être mieux !

 

Les relations humaines

c’est du paranormal !

bien souvent de la graine

pour un triste journal !

 

Toujours les uns s’embrassent,

les autres se repoussent

et d’autres qui se cassent

 encore la frimousse…

 

et d’autres qui regardent

encore le temps passer ;

la Bonne Mère garde

toujours les marseillais…

 

quand le reste s’épie,

se jalouse et se vend

pour des francs, des roupies,

toujours au plus offrant…

 

et le reste se targue

d’être encore dans le vent,

et le reste vous nargue

pour le reste des temps !

 

Le débat éternel

ça coule quand c’est chaud,

puis, comme le caramel

ça se fige aussitôt !

 

Même si je rentre tard,

bien sale et harassé,

souriez-moi, le soir,

je ne fais que passer !


6.  – Un licenciement classique

 

Non je ne verrai plus la cheminée fumer,

je ne sentirai plus la silice oxydée,

n’ingurgiterai plus les solvants, les acides,

et ne garderai plus au creux de chaque ride

la trace des coups bas, la marque de la bride ;

 

l’usine va fermer !

 

Je ne subirai plus la casquette à galons,

ces généraux qui débutèrent moussaillons,

nos droits qu’il faut quémander en courbant l’échine,

ces mérites qu’ils attribuent aux hyènes, aux fouines

pour qui vendre un copain n’est qu’un air de routine ;

 

l’usine va fermer !

 

Bien sûr, il est ces amis qui rient de bon cœur,

des pauses au cours desquelles s’invitent des bonheurs ;

bien sûr, chacun prendra un chemin différent

bordé de cactus ou de fleurs jaunes des champs ;

il est bien évident que nous aurons du temps ;

 

l’usine va fermer !

 

Je vais abandonner enfin le microscope

et retrouver Ovide, Aristote et Procope ;

je vais abandonner l’horaire antisocial,

prendre le temps de déjeuner sur mon journal ;

si je mange qu’un jour sur deux ça m’est égal ;

 

l’usine va fermer !

 

D’abord je vais dormir et puis je chanterai…

et peut-être qu’un jour je retravaillerai !

jardiner le matin, faire de la musique

pour adoucir mon cœur rêche comme la brique ;

être licencié a quelques côtés pratiques !

 

l’usine va fermer !

 

Je pense à ceux qui ne dorment, à ceux qui ne mangent,

ceux qui perdront beaucoup et ceux que ça arrange ;

une usine de plus qui pleure à la télé ;

des statistiques qu’ils vont bien devoir fausser !

putain de politique, putain de société ;

 

l’usine va fermer !

 

Putain d’indifférence et de pain à gagner,

putain de différence, de manque de respect,

putain d’actionnaires et putain de guillotine,

putain d’éducation et putain de vermine ;

putain de capitalisme, putain d’usine…

 

ils s’expatrient, ils coulent, ils ferment…

et putain de pavillons en berne !


7.  – Je suis Vivant

  

Ce sont « Eux » les vieux de la vieille !

La vieille avait le poing levé,

l’Internationale à l’oreille,

l’œil sur la trame des dossiers

et le corps offert à la cause…

pour peu qu’elle puisse modifier,

sereine, en tout état de cause,

les ratios de cause à effet !

 

La vieille est morte, alors ils ont

appris l’ABC syndical

et les couplets de la chanson

qui parle de lutte finale.

Joyeux ils ont pris le flambeau

pour sécher les larmes et les cris

et coudre un à un les lambeaux

de l’injustice et l’utopie !

 

Contre l’esclavage moderne,

les roses noires de l’oppression,

entre brûler ou mettre en berne

l’étendard souillé des patrons

Eux préfèrent passer à l’action !

Mais qui peut les suivre aujourd’hui ?

Nous, la vieille génération,

qui savons le prix de la vie !

 

Sachant combien la liberté

vient de ces hommes militants,

je voudrais en toute amitié

leur rendre un hommage fervent ;

merci Didier, merci Jojo,

à la manière des poètes

– et dans un milieu plutôt clos –

vous œuvrez pour qu’il fasse beau

chaque fois qu’on lève la tête !

 

sonnez buccins, sonnez trompettes,

épaulez-nous dans la tempête !


8.  – La plus exaltante histoire

 

Que seront mes pas de demain,

moi qui cesse aujourd’hui de croire

à la plus exaltante histoire

qui fut donnée au genre humain ?

 

J’ai fini de croire au divin ;

ma culture judéo-chrétienne

a fait en mon âme des siennes

et les cieux m’ont lâché la main !

 

Qui peut donner et puis reprendre

le soleil d’un coup d’élastique ?

qui pétrit la terre fait des briques !

qui tresse la corde à vous pendre ?

 

Mes fleurs poussent sur mon pain bis,

mon pain rassit, mes fleurs se fanent ;

l’exaltante histoire est en panne…

c’étaient des fleurs de paradis !

 

Et j’aime un ange à tous les temps

pour qui je fais bien des prières ;

je la voudrais tant sur la terre

le sourire au cœur permanent…

 

mais des rafales d’air vicié

passent la langue à sa fenêtre ;

j’ai tant sollicité le maître,

en vain ; mon ange est désailé !

 

“Fais ta prière tous les soirs,

rends grâce au Seigneur qui te veille

et bois le vin frais de sa treille !“

ce fut une exaltante histoire…

 

mais j’ai tant prié, j’ai tant bu,

tant de fois ajusté ma voile

qu’en touchant à présent l’étoile

du berger au plus haut des nues

 

je passe ma main au travers !

l’exaltante histoire n’est qu’un leurre,

un couteau planté dans du beurre,

un pet de lapin au grand air !

 

Que seront mes pas de demain !

cinquante années passées à croire

à la plus exaltante histoire

qui fut donnée au genre humain !

 

Je vais croquer une autre poire

et choisir un nouveau chemin !


9.  – Octobre 2010, la crise dure ! –

 

Moi qui croyais que tout ce qui fait des ravages

par une nuit d’été filait en sifflotant,

le pas nonchalant, vers le sable d’une plage,

et sifflotait plus joyeux encore en s’embarquant,

 

je parie aujourd’hui que l’âme sédentaire

du mal, qui croque tant l’air pur que le vieux fer,

à posée ses valoches son mon lopin de terre !

croyez-vous seulement qu’il ait le mal de mer ?

 

Moi qui toujours faisais confiance au lendemain

et taillais en suant mes quatre pieds de vigne,

cet hiver le gel se plaît à mordre mes mains

et les coups de sarments à l’âme m’égratignent !

 

Une demi-récolte pour des factures entières ;

allez dire à Bruxelles que le temps n’est clément

on vous rétorquera “surproduction…jachère…“

et viendront vous saisir les chiens du parlement !

 

Le temps qui ne fait plus, d’ailleurs, pousser un cèpe

alors que juillet nous accueillait à seaux d’eau,

chandeleur, en terrasse, faisait sauter ses crêpes

et les lézards se prélassaient dans les chéneaux !

 

La vigne est suspendue aux rires des saisons,

sans guère d’exigence elle va son chemin,

mais si le temps aussi se met à faire le con

alors qu’en l’hémicycle on dort aux quatre coins

 

il faudra peu de temps pour qu’on plie la boutique,

qu’on pense à construire de ces logis nouveaux

où la terre, par défaut, vient remplacer la brique,

où l’on dort paisible entre quatre planches à tonneaux !

 

J’en ai contre le temps et n’ai plus le moral,

une coulée de boue traverse mon esprit !

ils prévoient la sècheresse dans le journal

alors qu’à la télé on annonce la pluie !

 

Moi qui croyais que tout ce qui fait des ravages

de temps en temps filait vers des contrées lointaines,

l’accalmie ne semblant s’installer au village

pardonnez si ces vers ont le goût de la peine !

 

Je vous conterai bien, avant de vous quitter,

manière de plaisanter, une histoire coquine,

mais il me faut plier les muses et le papier

car voici qu’une ondée pointe sur la colline !


10.  – Vigne toujours ! –

 

Bien sûr

je vous reparle de la vigne ;

vigne sans cesse, vigne toujours,

vigne tendresse, vigne retour

au temps de quelque été maligne,

 

des rires “pégueux“ de l’automne

et du haut regard pétillant

qu’affichaient ces presque madones

qui vous offrait sueur et sang !

 

bien sûr

poète sans passé, sans avenir,

si parfois l’encre pisse drue

au pressoir de mes souvenirs,

– rimes de quête et de salut –

 

c’est que tristesse et nostalgie,

que mélancolie et dégoût

prennent en grippe mon humble vie

et mes insomnies par le cou !

 

Souvent poète fait les frais

de l’infortune et l’injustice

et vous dépeindra les sept plaies

comme les vents du doux supplice !

 

C’est la vigne qui m’a vu naître,

apaisé mes gémissements ;

heureux ô celui qui peut-être

lié à sa terre d’enfant !

 

Et lorsque la nuit boit mes rêves,

emporte au loin mes arguments

sur le sable mou d’une grève

où ne pousse que le chiendent,

 

ce sont mes vignes qui reviennent,

mes ceps qui me tendent la main

emportant au loin toute peine

toute épine, au loin tout chagrin !

 

alors

sans avenir et sans passé,

fol dingo de l’aube nouvelle,

quand la vigne vient m’embrasser,

en vers libres ou ritournelle

 

l’étreindre est ma seule pensée !

Ainsi, de rouquettes abondantes

en lits de bourgeons éclatés,

en allégro comme en andante,

 

quelle que soit la sonorité

des mots ou de la société

et quel que soit le temps qu’il fait,

la nuit me somme de vendanger !

 

laissez-moi donc prendre mon pied !


11. – La plume d’or

 

J’ai trouvé une plume dans ma benne à vendange,

Nougaro, ce n’était pas une plume d’ange

mais une plume d’or qui me venait des nues

pour habiller mon corps trop longtemps dévêtu !

 

J’ai bien souvent posé, au fil de mes poèmes,

aux saints comme au Bon-Dieu de drôles de problèmes ;

ce que je ne pouvais résoudre sur la terre !

équations qui toujours me déclaraient la guerre…

 

mais mis à part un signe quand la neige tombait,

jamais rien de précis, jamais rien de concret !

c’est pour “pleurer“ que j’ai mis la main à la plume,

non pour être couvert de quelque honneur posthume !

 

Je suivais le sillon sans jamais rechigner,

les bottes dans la boue, les doigts de pied gelés

je semais des alexandrins à tous les vents

pour faire vivre la chaleur de l’ancien temps,

ceux que j’avais aimés, ce que j’avais connus…

 

pourquoi suis-je donc tant lié à la charrue ?

détournement de l’âme ou sale coups de cœur ?

est-ce un malentendu, une terrible erreur ?

est-ce le passé qui fonde en moi ses espoirs ?

pourquoi devrais-je avancer en broyant du noir ?

 

Désormais, vers demain je vais l’œil pétillant

sans me soucier de ce que furent mes quinze ans…

une plume est venue dans ma benne à vendange,

Nougaro, ce n’était pas une plume d’ange

mais une plume d’or qui me venait des nues ;

 

la réponse du ciel m’était bien parvenue !


12.  – Le tendre tableau

 

Sous un cep de vigne, deux coquelicots blancs,

les narines ouvertes jouissaient d’un fort vent ;

deux coquelicots blancs, le sourire aux lèvres,

dansaient dans des senteurs de thym et de genièvre.

 

Au dessus, dans la verdure d’un pisse-vin

une mésange bleue déroulait ses quatrains

et faisant fi du ciel qui roulait ses tombeaux

longuement je contemplais ce tendre tableau.

 

Wagner qui tapissait les cieux de percussions,

le vent du Nord jouant de ses bandonéons,

les lampions d’églantiers nauséeux sur leurs tiges

et les coquelicots dans les plis du vertige

 

que la nature était douce et fière en colère !

puis des larmes ont coulé sur des rides de terre,

la mésange a quitté le devant de la scène

et j’ai noué plus haut mon écharpe de laine.

 

Avant que les furies n’emportent au loin mes fleurs,

la mort dans l’âme et cent mille raisons au cœur

je les ai donc cueillies, glissées sous mon manteau

ne pouvant plus pour elles qu’un verre et trois doigts d’eau !

 

Nous étions en automne et je passais par là,

bucolique toujours en de pareils endroits

et toujours attentif à l’appel du superbe !

ai-je gardé la foi des poètes en herbes ?


13.  – Impossibilité de choix

 

Dis,

que te raconte l’air qui passe

quand tu cultives par grand vent

tes vignes vieilles en terrasses ?

Dis si le vent sur ses échasses

a le verbe triste ou chantant !

 

dis,

quelles sont les senteurs de ta terre

et les lueurs de l’horizon

qui éblouissait ton grand-père

et la maisonnée toute entière ?

quel est donc cet alcool profond ?

 

dis,

quelle est cette drogue étonnante

qui sur tes garrigues et tes champs

roule ses voiles flamboyantes

aux accents de thym et de menthe

de l’aube ambrée jusqu’au couchant ?

 

douce la fierté qui t’enivre,

beau ce doux pays de misère,

dure la vigne qui te fait vivre,

tendres les pages de ton livre,

jaune ton livre de prières !

 

dis,

que ressens-tu au creux de l’âme

quand tu sulfates ton coteau

au point d’en oublier la femme

et ce long frisson qui se pâme

sur le galbe brun de son dos ?

 

dis,

les jours de gel et de frimas

quand ton armée de ceps te guette,

que l’hiver hargneux mord tes doigts

que murmure ton cœur tout bas ?

dis-moi quelle est alors ta quête ?

 

Je te chahute mon ami

ou bien m’interroge peut-être ?

si la saison m’avait sourie,

si je n’étais jamais parti,

“qu’ailleurs“ ne fut jamais mon maître…

 

je te conterais l’air qui passe

et la chanson des vieux amants,

mais de ma petite terrasse,

je ne vois guère que trois pétasses

qui se trémoussent dans le vent !

 

Le temps ronge la populace,

toute origine, ici, s’efface ;

mon centre ville est affligeant !


14.  – La couleur du passé

 

Seize recueils où je peints les couleurs des vendanges,

la douceur et le sel en un puissant mélange,

le grand vent et l’ondée, le pampre qu’on défrise

et ces repas de vigne où le sucre vous grise ;

 

seize recueils où je mêle être humain et machine

sous de bruyantes rimes ou de larges sanguines ;

seize recueils où je racle le fond de mes poches

quand la mélancolie vient exciter ses cloches…

 

et voici qu’à nouveau la vendange résonne,

et voici qu’à nouveau le fouloir, les bonbonnes

et le jus de pressoir envahissent mon âme !

et voici qu’à nouveau l’encrier me réclame !

 

et voici qu’à nouveau je rêvasse, là-bas,

où la joie me rappelle qu’il était une fois

où tout encore paraissait être permis !

la vigne exulte même au plus noir de la nuit !

 

seize recueils au travers desquels le noir cépage

qui paraphe chez moi le bas de chaque page

prend tantôt des couleurs d’espoir ou d’illusion !

seize recueils atteints de frénétiques équations !

 

seize recueils et des grappes à flanc de coteaux,

des amis de toujours qui remplissent leurs seaux

et le grain qui éclate et roule sur leur vie ;

des poèmes tricotés à l’encre de lie !

 

la vendange toujours, irrémédiablement,

septembre, ma sueur, mon étoile et mon sang,

et mes vieux godillots où la terre sommeille

sous les rires enfumés des vieux de la vieille !

 

lisant mes souvenirs, comprenez une chose,

qu’elle soit versifiée ou qu’elle soit en prose,

la couleur du passé, pour chacun d’entre nous

à la teinte des cimes, mais n’est pourtant qu’un trou !


15.  – D’une Côte de Nuit

 

J’ai regardé ses vignes et j’ai goûté son vin ;

mon verre était rempli de rires et d’accolades,

le vent traversait mon âme à la régalade

et Dieu mon gosier à travers ce Chambertin.

 

J’ai regardé la terre et j’ai goûté l’azur ;

mon verre était rempli d’une rondeur subtile,

à mes bottes collait une fraicheur tranquille,

dans mes veines coulait un raisin noir bien mûr.

 

J’ai regardé sans voir et j’ai goûté sans boire ;

mon verre était rempli d’un monde aimant et chaud

où le bruissement du présent sur les rameaux

faisait éclore une rouge fleur de mémoire.

 

J’ai regardé plus loin et goûté plus longtemps ;

mon verre était rempli de ceps en enfilades,

plus joyeux chacun d’eux qu’un char de cavalcade ;

des bourgerons connus sifflaient en labourant.

 

J’ai regardé sa robe, j’ai goûté ses saveurs,

mon verre était rempli d’arômes essentiels ;

tous les grands vins, pour moi, sont un morceau de ciel

et ce Chambertin-là, de toute sa grandeur

 

faisait naître une larme à quelque écho chantant !

le Pinot noir se déguisait en Carignan,

mon Gevrey-Chambertin prenait d’autres accents ;

la Bourgogne avait l’air d’un Fontiès d’autres temps !

 

J’ai relevé la tête et regardé ses yeux,

nos verres étaient remplis d’identiques fragrances.

Si les vins n’ont pas tous la même exubérance,

le cœur de tout homme livre un chant mélodieux !

 

A chacun son histoire, son terroir et ses goûts,

– le cheval à nouveau est attelé au soc –

on rafistole les temps de bric et de broc ;

prenez votre vin chaud, prenez votre vin doux…

 

et prenez garde aux fous !


16.  – Aux faiseurs de misère… –

 

Le temps n’est plus au pampre, aux comportes, aux tonneaux,

la vigne, peu à peu, déserte le coteau,

les hautes herbes et la sauvagine envahissent

notre terre où le sucre fait place aux épices…

 

les rires cèdent le lit à l’indifférence…

nous sommes en « Corbières », un bas-fond de la France

où jamais un ministre de l’agriculture

n’offre un satisfecit à sa viticulture !

 

Territoire oublié de Bruxelles et de Dieu,

qui, suivez mon regard, fait pourtant tant d’envieux !

territoire offert au diable, à la sècheresse,

pour qui je versifie cet ardent S.O.S !

 

Le temps n’est plus à nos embrassades d’octobre;

aujourd’hui tout est nu, tout est pâle et bien sobre !

la vigne qu’on arrache alimente le feu

mais le crépitement des ceps n’est plus joyeux !

 

C’est un tableau aux patines méridionales,

un désert pour amateurs d’œuvres picturales

que vous laisserez à nos enfants, en partage !

prenez-garde, Messieurs, aux chants du paysage !

 

Prenez-garde aux cris de colère de ces hommes

qui n’ont même plus le cœur tourné vers la Rome

où quelque bout de croix recevait leurs prières !

prenez-garde messieurs les faiseurs de misère !

 

prenez-garde, Messieurs les faiseurs de misère !


17.  – Vivaldi, être mésange un jour ! –

 

Se vêtant de bruns-roux la montagne alentour

– vierge que le poète pare de mille atours –

pour ses soirées d’octobre a sorti ses satins ;

préparez vos hautbois, raisonnez musiciens !

 

vous verrez au parterre la sauvagine émue,

accoudés aux balcons les critiques des nues,

à l’évidence, les palombes au pigeonnier

et trônant au paradis le dieu des forets !

 

Se vêtant de bruns-roux pour la belle saison,

offrant au poète la dive inspiration

la montagne alentour se prépare au concert ;

les paillettes de givre y répètent l’hiver !

 

Ah, “Les Quatre Saisons“, Vivaldi, quelle aubaine !

ici jour après jour la vie coule sereine !

pas de musique instrumentale au bord de l’eau,

tous les accords majeurs viennent boire au ruisseau !

 

il n’est de maestro que le fort vent des cimes,

glacial au nez de l’ours… le poète l’estime !

les muses dans sa traîne, Vivaldi, quelle aubaine !

Mozart déliait son clavecin par les faînes !

 

Pourvue de bruns satins et de chausses noirâtres,

recouverte d’azur, d’une brume d’albâtre,

– vierge pour le poète – la montagne alentour

ce soir change mon encre en verve aux mille atours !

 

On dit que sur l’autre versant chantent la grive,

la perdrix, l’ortolan, les torrents à l’eau vive ;

demain je tenterai d’en trouver le chemin…

pour ce soir je batifole en mes huit quatrains !

 

dans ce bric à brac où je ne trouve ma place

il est des soirs où je rêve de grands espaces ;

mais comment tout plaquer, vivre de l’air du temps

comme la mésange sur sa branche, chantant ?


18.  – Le poète nu

 

J’ai voyagé, souvent en rêves,

de l’autre côté de la grève.

Sans gouvernail à mon bateau

comment savoir au bout de l’eau

si les hommes des autres rives

pourraient être une force vive ?

si les hommes de l’autre terre,

les gens de l’inconnu, mes frères,

se rallieraient à la bannière

de la révolution dernière,

celle qu’alors, à bout de bras,

je lèverais dans le frimas,

sous la canicule ou le vent ?

 

Je veux des rires pour nos enfants !

– assez de misère et de drames ! –

je veux du respect pour nos femmes,

je veux la paix, l’égalité,

la nourriture partagée,

je veux des draps sur chaque couche,

des mots d’amour dans chaque bouche,

que tous accèdent à l’instruction

quelque soit l’âge et la nation,

pour tous je veux que la musique

remplace les chaînes et la trique,

je veux que le parfum des fleurs

remplace la haine en nos cœurs,

je veux qu’on se donne la main

à la croisée de tous chemins !

adieu la guerre pour le pétrole,

pour un dieu, pour des vierges folles !

adieu l’hémicycle ronflant

sous les velours de vieux croulants,

 

à nous l’iode des traversées

des océans de l’amitié !

et je veux voir sous ma bannière

les couleurs de la terre entière,

cil contre cil, peau contre peau

danser le plus beau des tangos !

je veux qu’un joueur de cithare

tienne le cap, tienne la barre,

je veux que tout change ici-bas,

je veux que la vie mette bas

à quelques portées d’insouciance,

qu’on ne me parle plus de France,

de frontière ni de coup d’état…

 

je rêve d’union et j’ai foi

en cette saison d’avenir

où nous saurons enfin bâtir

ce monde utopique à vos yeux,

où sous un ciel constamment bleu

– adieu la grêle, adieu le feu –

nous coulerons des jours heureux !

 

J’ai voyagé, souvent en rêves,

de l’autre côté de la grève.

Sans gouvernail à mon bateau

comment savoir au bout de l’eau

si les hommes des autres rives

pourraient être une force vive ?

 

Je suis un poète ordinaire ;

qui donc viendra sous ma bannière ?

Je survole les continents

des nues, tout nu, totalement,

des nues, trop nu, évidemment !


19.  – Le trésor enfoui

 

Entends ceci l’ami ; j’ai fait le tour du monde,

touché quelques bas-fonds, puis je suis revenu

clamant sur tous les toits que Dieu n’existait plus,

que, sus aux sages, notre terre n’est ronde !

 

J’ai charrié des sacs de cailloux sur mes épaules

pour des gens qui buvaient l’argent de mes sueurs

et perdu quelques os en cherchant le bonheur

sur des sentiers où ne subsistait que l’obole !

 

J’ai mangé, cependant, aux vents de bons auspices,

sur des planches où de pauvres gens rompaient leur pain

par de larges sourires et des poignées de main ;

j’ai bu de grands vins dans de très précieux calices !

 

J’ai appris à lire les étoiles et l’azur,

le cœur et l’âme de quelques Zarathoustra ;

si les ronciers de l’errance déchirent les bas

ils offrent en retour le musc des fruits bien mûrs !

 

Le but jamais atteint je courtisais la mort

quand je sentis vibrer au plus noir de ma nuit

cette étoile insolite qu’on appelle “la vie“,

qui scintille, hypocrite, au plus noir de ton corps !

 

J’appris vite à décrypter son heureux langage

et me mis à “comprendre“, à “aimer“, à “vouloir“ !

j’ai retroussé mes manches et sorti le semoir ;

semant l’amitié j’ai récolté le partage !

 

Je cherchais le parfum qui dissipe le doute

dans des champs où jamais il ne pousse une fleur

quand de mes sabots creux est sorti le bonheur…

et l’air pur, désormais, vient alléger ma route !

 

N’écoute plus, l’ami, fais donc le tour du monde,

compose ta chanson, fredonne tes couplets ;

file par le chemin qui contourne ton pré,

tu seras là, demain, si la terre est bien ronde !


20.  – L’ex bête de somme

 

Avant je voyageais ; j’allais en tous pays ;

puis je fus licencié avec un grand mépris.

Depuis je capture en pleurant le vent qui passe ;

ainsi j’utilise mon temps libre à la chasse !

 

et le vent me ramène des horizons lointains

les rires et les plaintes des pailles et des foins,

les colères de la mer, la froideur des montagnes,

les chants des tyroliens, la souffrance des bagnes !

 

Je n’ai plus de patron, d’horaire, de vitrine,

juste dans l’âme une épuisette à mailles fines ;

aux pieds toujours une paire de vieilles tongues,

au cœur une échelle du modèle “extra-longue“

 

et de l’aurore au crépuscule, mes amis,

capturant la langue du vent je la délie ;

ainsi je parcours les terres et l’arc en ciel

sur la barbe des songes et la couleur du fiel.

 

Avant je “moutonnais“ dans le cœur du troupeau

et dédaignais le chien portant les oripeaux.

Aujourd’hui n’ayant plus le pain qu’un jour sur deux

– sans faire toutefois partie des malheureux –

 

je prends tout ce qui vient, je donne et je partage !

depuis qu’on a scié les barreaux de ma cage,

c’est en toutes saisons que  je cueille le rire…

même les rires jaunes que la nuit je fais frire

 

et jette aux albatros, les mâles de passage,

grands fossoyeurs d’ennui, de rancune et de rage !

Niais comme les vents amers de Cochinchine,

un jour je me prendrai à quelque maille fine…

 

et si elle délie ma langue je conterai

au pauvre bougre qui en émettra le souhait,

qu’en un pays lointain, jadis il fut un homme,

joyeux drille entaché d’une bête de somme !


21.  – Le dépoussiérage

 

J’ai oui dire que la saison serait propice…

 

que la rime voyage sous d’excellents auspices

et que l’on dépoussière l’idée de “Poésie“

du plumeau flambant neuf de nouvelles envies !

 

 que certains redécouvrent les muses et le pourquoi

de celui que exulte par les nues et les bois,

qui offre volontiers et ses larmes et ses mots,

de celui qui jouit les deux pieds au tombeau !

 

La mode aurait le blues du velours et du miel,

d’un petit quelque chose d’intellectuel,

et l’envie de connaître à nouveau le frisson

sur la croupe fleurie d’un quatrain d’exception…

 

oui dire que de sales types sortiraient

de la fosse commune où ils se lamentaient ;

mais «La relève est là, endormez-vous crieurs ! »;

qui a le monopole de l’esprit et du cœur ?

 

Peu de nouveaux poètes atteignent l’horizon,

par d’autres hommes stoppés pour bien des raisons…

mais il en est toujours, la verve à bras le corps,

qui s’échineraient par-delà même la mort…

 

oui dire que le vers aurait de l’avenir,

qu’il faut laisser aller la plume à ses désirs,

et par quoi, et par qui, à qui cela profite

que l’on trouve au poème un quelconque mérite…

 

et qu’on le ressuscite… et pour quoi et pour qui…

dites-moi à quel poids, dites-moi à quel prix,

quel en est le but et quels en sont les desseins ?

 

Parlez donc, que je vive ou je meure serein !


22.  – La paire de trois

 

N’écoute pas le vent porteur de commérages,

n’écoute pas les eaux du fleuve tourmentées,

n’accepte pas la fleur que te tendrait le sage,

ne suis aveuglément quelque clameur d’idées !

 

Ne te fie à l’histoire, sache qu’elle est tronquée,

ni aux saisons qui cheminent sans dessous-dessus,

encore moins à l’homme, fade et déboussolé ;

tout fonctionne ici-bas tête par-dessus cul !

 

mais pense par toi-même, apprécie de tes yeux

le lever du soleil sur la paille des couches,

décèle le regard radieux du malheureux

et bois le sourire qui perle sur sa bouche !

 

Pense par toi-même, ne te laisse dicter

la morale à suivre et la conduite à tenir !

seuls les agneaux sont là pour se laisser guider,

leur curé pour le jour où ils devront partir !

 

“Sois un homme, mon fils“ clamait un vieux poème !

aux valeurs liquéfiées jette un regard furtif,

invente une lignée qui boira ce qu’elle aime

et n’aura nul besoin d’hurler dans les manifs !

 

Réinvente l’entraide, les rires et le bon air,

refuse la politique, ignore la religion,

sache que l’homme et la femme vont toujours de pair,

 et qu’elle est là la vérité de leur union !

 

Cesse de regarder par-dessus la montagne

rêvant qu’il est peut-être un autre été ailleurs,

dès lors suspend tes chaînes aux grilles de ton bagne

et fort, suis le sentier que te dicte ton cœur !

 

—————

 

Est-ce à vous que je vends ces vers réactionnaires ?

Ais-je besoin d’unir le courage et la foi ?

Vous ou moi ?… vous et moi… certes, les deux font la paire !

si le doute s’en mêle, si le loup sort du bois…

 

vous ou moi ?… vous et moi… certes, les deux font la paire !

si le doute s’en mêle, voici une paire de trois !


23.  – Liberté conditionnelle

 

Sartre aurait donc raison quant au regard de “l’autre“ ?

le vôtre, évidemment ! … le mien ? … assurément !

 

Nous trempions les mêmes maillots

toujours à la même rivière,

nos rires éclatants d’ados

toujours à la même lumière !

sur de longs rochers inclinés

nous faisions sécher nos amours,

mêmes amours d’un même été,

immaculés, comme toujours !

 

quant à l’œil innocent et le regard de Dieu,

et l’enfant qui sourit le nez levé aux cieux ?

 

Est-ce par envie, par besoin…

soumis aux vents de sa culture…

qu’on plonge tous au même bain ?

par chance alors ? par infortune ?

nous avions tous les mêmes dents,

fut-ce par souci d’égalité ?

nous avions tous un rire franc…

ou par souci de liberté ?

 

nous ne portions, ensemble, pourtant qu’un seul regard ;

pour tous, à quarante cinq il était moins le quart !

 

Et puis l’insouciance a passé

l’autre saison sans crier gare

et sous les cris de la lignée

chacun tient son quart à la barre ;

et “l’autre“ est toujours là, présent,

donneur d’ordres, juge et partie,

toujours allongé sur le banc

à sanctionner tes insomnies…

 

on dit bien qu’à “la fin“, fut-ce mortel ou charmant,

on regarderait moins les autres en vieillissant !

 

Alors nous soumettrons notre âme

au regard de l’éternité ;

plus d’homme enfin et plus de femme,

plus d’enfant, plus de voie lactée !

un regard pour la nuit des temps

et le tremblement sarcastique

de Sartre qui claque des dents

dans le fin-fond de la boutique

entre deux philtres excitants

et trois liqueurs philosophiques !

 

et si Sartre avait pris, au détour du chemin,

le soleil pour la lune, un gros chat pour un chien ;

 

hein ?


24.  – L’idée lumineuse

 

Pour l’idée lumineuse qui ravissait mes nuits

j’ai longtemps hésité à prendre le maquis

car le maquis est vaste et peuplé d’épineux,

et le maquis, toujours, s’enflamme pour bien peu !

 

Plus j’hésitais, plus mon esprit se morfondait

et plus mon cœur hurlait ; plus mon âme pleurait,

plus je courbais l’échine sous le soleil levant,

plus l’idée lumineuse prenait le pas devant

 

jusqu’à ce jour d’avril où l’idée fut plus forte.

Tandis que je dormais elle crochetait ma porte

et le fort vent du nord vint poser ses couplets

dans les plis ravagés de mon sombre oreiller.

 

Il fallut peu de temps pour faire mon balluchon

juste bourré de la ferme résolution

d’être Moi seulement, d’être Moi pour toujours,

de n’être plus soumis au regard alentours !

 

Sans heurt j’avais enfin traversé la frontière

n’affichant à présent qu’une seule bannière,

celle du rêve, de l’optimisme et la faim

de ne jamais écrire les lettres du mot fin !

 

Bien sûr le mur est à la  portée de tout pied ;

suffit pour le franchir d’avoir “la volonté“ !

quant à savoir comment la volonté s’acquiert,

cela passe souvent par les larmes et le fer !

 

Pour l’idée lumineuse qui ravissait mes nuits

j’ai longtemps hésité à prendre le maquis.

D’un épineux, pourtant, j’acquiers la volonté ;

sous un sabot de mule, un autre l’a trouvée !


25.  – A la Fontaine de Lautrec

 

Pour moi,

 

une nuit sans salamalec,

au grand sabbat de fin d’hiver

l’octosyllabe s’est fait chair

à la Fontaine de Lautrec 1 !

 

J’y ai vu des frères de galère,

nous avons parlé du pays ;

nous aurions les mêmes soucis,

nous avons les mêmes prières !

– à chacun son souffle et son verbe –

nous crochetons tous des poèmes

lorsque le vent des nues essaime

sur notre allant un brin de verve !

 

Parce que nous vivons en excès,

parce que nous sommes en errance,

parce que nos syllabes en cadence

dès l’aube viennent nous presser,

parce qu’on a la muse qui chante

au doigt quelle que soit la saison

ce que vous nommez “la passion“

pour nous n’est qu’une plaie béante !

 

J’y ai rencontré des sœurs d’exil,

les temps modernes à fleur de peau

suspendant sous leurs oripeaux

des métaphores à de longs fils ;

j’y ai vu leurs besaces remplies

de paix et d’immortalité,

et tout au long de la soirée

de leur malheur elles ont joui !

 

Qu’ils sont étranges les poètes,

illuminés et envoûtants ;

ils s’en vont à contre-courant

des coquelicots dans la tête !

Entre frères et sœurs de galère

nous avons parlé du pays

où le quidam est incompris

s’il ne retourne point la terre…

 

mais un encrier desséché

c’est mille étoiles dans les cieux,

des girandoles au Bon-Dieu,

ou des prières enfumées,

ou peut-être des mots perdus,

ou peut-être du temps pour rien,

une limace sur du thym,

une grimace dans la rue !

 

A ce sabbat de fin d’hiver,

une nuit sans salamalec,

à la Fontaine de Lautrec,

pour moi

l’octosyllabe s’est fait chair !

 

1 La Fontaine de Lautrec : Outre le fait que ce soit un domaine aménagé de salles de réunion, de réceptions, de séminaires ainsi que de chambres d’hôtes, c’est avant tout, pour moi, la chaleureuse maison de Leslie et Serge LAGARDE, mes amis, férus de poésie et de partage.

26.  – Actrice – acteur

 

à Brigitte, Yvette, Sylviane, Carole, Marie-France, Marie-Laure, Rose, André et Reggy, artistes au sein de l’association “Les Chants-Sonnets“ de Blagnac, pour le spectacle « Bon Appétit ! » que nous avons donné ce 23 avril 2010, au théâtre Saint Exupère de Blagnac.

 

Merci d’avoir ouvert le grand livre du rêve,

d’avoir, ce soir, oublié les malheurs du temps,

de recouvrer quelques fois votre âme d’enfant

et d’aller boire à la source de joie sans trêve !

 

Merci pour cette farce, cette comédie,

pour nous avoir joué la vie sans artifice,

montré qu’il suffit d’être un tantinet complice

pour que bien des enfers se changent en paradis,

 

d’avoir joué la pièce à visage découvert,

de n’avoir même pas interprété de rôle,

d’avoir extrait vos rimes d’une casserole,

et d’un vieux four à pain d’avoir tiré vos vers !

 

Merci d’avoir saisi le burlesque à grand feu,

d’avoir laissé l’hiver mijoté dans son coin,

d’avoir cueilli la mûre à travers le quatrain ;

merci d’avoir tout simplement joué le jeu !

 

Merci d’avoir clamé vos textes avec le cœur,

le sourire à la bouche et sans jamais faillir ;

même si vous étiez à deux doigts de mourir

votre souffle était empreint de grande chaleur !

 

Il faut oser parfois, il faut pousser la porte

des nues pour découvrir qui se cache derrière :

une gorgone, un souffleur ou le grand Molière,

un souvenir de vie, une nature morte ?

 

Il faut foncer parfois, savoir fouler les planches

pour être un petit peu plus soi même à la fin

le jour où quelque muse vient vous tenir la main,

le jour où vous la prenez enfin par les hanches…

 

le jour où… si l’été fait qu’un jour il y a !

ce soir, ce fut un immense bonheur pour moi,

moi qui bénis la scène, un grand soir de gala

parce que ce fut l’amour, par le geste et la voix,

 

parce que ce fut l’amour, l’amour seul qui parla !


27.  – L’envie d’être des leurs

 

Ils ont tendu l’immense toile dans le champ.

De l’eau frémissant sous de hauts saules ondoyants,

un soleil épinglé sur un vaste un ciel bleu…

à ouïr leurs chants de joie c’était un peuple heureux !

 

Et leurs mules broutaient les colchiques en paix.

Ils déroulaient leurs cordes et leurs masses cognaient

la tête des épieux ; la toile se tendait

et leurs petits, lovés dans l’herbe, sommeillaient.

 

Une odeur de musc, un cri de bête sauvage

sur un courant d’air doux parvenant au village

invitaient nos enfants à s’approcher des cages

où tournaient de grands fauves au superbe pelage.

 

Leurs  singes et leurs chiens, leurs ours et leurs poneys,

leurs autruches et leurs chevaux buvaient la journée

du bout d’une corde où tintait quelque musique

que ponctuait parfois celle d’un grand d’Afrique…

 

et le champ, peu à peu, devenait une ville

où l’on allait sifflant, toujours le pas tranquille…

et les roulottes autour, comme un train circulaire,

allumaient leurs lampions sous leurs portes cochères.

 

Tandis que l’on poudrait de clownesques figures

tout ici-bas sentait la fleur de bonne augure ;

quand deux zèbres harnachés de pompons et clochettes

tiraient en riant une blanche voiturette.

 

Un jongleur entremêlait des balles, des chapeaux,

une contorsionniste ses jambes dans le dos ;

au balcon de l’orchestre les trompettes sonnaient

la levée de rideau car tout était fin prêt !

 

Je dus rester des heures à contempler la scène…

jusqu’au crépuscule… l’envie “d’être“ en haleine !

si Dieu m’avait offert l’un de ces dons du ciel

du cirque j’aurais fait mon amour éternel !


28.  – La fille des bals

 

Elle aime les musiques d’un autre printemps,

ces mélodies superbes qu’on dit “de l’ancien temps“ ;

c’est le bal à papa qui chatouille son âme,

l’accordéon qui fait vibrer son cœur de femme !

 

Elle aime quand ça tourne, elle aime quand ça rie,

elle se grise à la “baloche“, le samedi,

sur des airs de grand’mères aux longs cheveux bouclés

et de robes à dentelles et de baisers volés !

 

Elle n’a pas la nostalgie des saisons passées

et quand la “baloche“ est bel et bien terminée

elle arbore sans peine les couleurs du présent

sous les rideaux fluos de son appartement !

 

Mais chaque samedi elle danse en tournant

et préfère au gin-kass deux verres de vin blanc ;

croquant ici et là à travers les périodes

elle n’a jamais vraiment succombée à la mode !

 

Elle est bien “dans le coup“, ne pleurez sur son sort ;

je sais que quelques fois elle donne son corps

à la science d’un brave fort émoustillé ;

la musique, toujours, a des accords secrets !

 

Que jeunesse se passe, que se fasse la ronde

des idées pacifistes à travers notre monde !

que jeunesse jouisse de valse ou de béguine,

de tatouages, de rastas, de perles fines !

 

Il suffit qu’un arpège lui saisisse la taille,

que le vent, sur sa tête, dépose un brin de paille

et la voilà partie, et la voilà guincheuse,

et la voilà qui rie, et la voilà heureuse !


29.  – Le paradis rose

 

Ta tête abandonnée dans les plis du rideau,

ton corps tombé là comme une pierre au ruisseau,

ton bras en étendard sur l’accoudoir des nues,

les rondeurs de ton être finement dévêtues,

 

évaporée dans les clartés d’un autre monde,

les yeux clos dans les sueurs d’une âme féconde,

pêchant au fil d’espoir de longs poissons d’argent

tu cherches à dénicher les secrets de ton sang.

 

Tu mêles abondamment aux doutes tes envies.

Tu aurais bien confiance en toi, mais la folie

qui règne sur la terre redessine l’image

de l’ange blond en un diable au charmant plumage !

 

Tu sais qu’ici-bas, tout est savamment tronqué,

alors tu passes de doux moments à rêver,

ton corps tombé là comme une pierre au ruisseau,

la tête abandonnée dans les plis du rideau !

 

Tu mérites, ô combien, ces moments de fortune !

j’aime quand tu mélanges le soleil et la lune

et je pose ma tête sur tes jambes perdues.

Tu lèves alors ton bras de l’accoudoir des nues

 

et tes doigts viennent glisser entre mes cheveux ;

je sais que ton cœur bât de songes bienheureux !

tu rouvres alors les yeux et tout en souriant

tu déposes sur mon âme quelque baiser flambant ;

 

le logis est en paix ; peut-être un ange passe

sur mes poèmes dormant sur la table basse…

c’est moi qui voyage alors, paupières closes,

sur les chemins enchantés d’un paradis rose !


30.  – La vie en sifflotant

 

Si quelque rayon de soleil

lèche la vitre à son réveil,

s’il vient un morceau de ciel bleu

pousser le rideau de ses yeux,

qu’une mésange sur son drap

pose délicatement son La,

 

elle descendra en sifflotant !

 

S’il advient que son thé de Chine

roule du bec sous la tartine,

et que les saveurs du Guangdong

dansent au zhusheng dans le salon,

que la confiture de myrtille

fasse frissonner ses papilles,

 

elle rêvera en sifflotant !

 

Trois notre de musique noire

s’envoleront de sa baignoire

et de ses parfums vanillés

les voix d’un gospel oublié ;

un peu de bleu et de violet

puis, la paupière maquillée,

 

elle sortira en sifflotant !

 

Une dentelle sur le cœur

elle enfilera sa robe à fleurs,

ses bagues et ses bracelets,

son chouchou, son petit gilet,

et sous de rouges ballerines

elle s’en ira ma perle fine,

 

après la bise, en sifflotant !

 

Partout la gaieté sur les murs,

son charme fou, son amour pur

sur les tentures et les tableaux,

les moindres replis de ma peau ;

alors, n’ayant cure du grand jour,

je n’attendrai que son retour…

 

peut-être bien en sifflotant !


31.  – Filer le bonheur

 

Ensemble, au bout du monde, quel que soit le décor,

dans la froidure, la sécheresse ou la nuit ;

ensemble pour gueuler un hourra à la vie,

pour qu’à l’unisson monte un merveilleux accord

 

qui régalera toutes gens, les dieux, les diables,

ces âmes que l’on croise au détour du sentier,

ces gens que l’on fascine en portant le béret,

ces âmes qui croisent le fer à notre table !

 

Ensemble, pour la fleur qui pousse sous nos pas,

pour nos nuées de rires apostrophant l’espace

contre l’inexorable saison qui trépasse,

pour alimenter de couleurs vives notre aura !

 

Ensemble, car depuis que nos sabots côtoient,

enlacés, le sable, le terreau, la gadoue,

si nous sommes harnachés au même licou

et portons tour à tour chacun le même bât,

 

c’est qu’au-delà des songes, des valeurs, des humeurs,

chacune de nos rencontres empierre un peu plus

l’autre bout du trottoir, l’autre coin de la rue !

 

et si c’était cela que “filer le bonheur“ ?


32.  – De ma fille, à ma Fleur

 

Je les admire toutes les deux

pour leur peau douce et pour leurs yeux

dans lesquels se mirent chez l’une

tous mes soleils, toutes mes lunes,

chez l’autre les mots les plus tendres ;

tout ce qu’il me plait à entendre !

 

à l’une je suis ressemblant

par la sueur, l’esprit, le sang ;

qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il gèle

de l’autre je suis copie fidèle ;

l’une a le souffle de l’enfant,

l’autre le soupir apaisant !

 

à l’une j’ai donné le jour

et les étoiles alentour ;

comme l’hiver était bien froid

j’ai serré l’autre contre moi ;

heureux qui pose, cœur empli,

le pas sur le chemin de vie !

 

et l’une et l’autre vont de pair,

et l’une et l’autre sont ma chair ;

l’une ma terre, l’autre mes cieux,

l’une d’eau fraiche, l’autre de feu,

l’une semblable au grand satin,

l’autre à la soie des baldaquins ;

 

comment pourrais-je vivre sans

quand les deux ne sont que printemps ?

l’une est de vigne, l’autre de champ,

toutes deux du soleil levant,

l’une ma fille, l’autre ma fleur,

heureux qui possède deux cœurs !


33.  – Le temps béni des vieilles cavalcades

 

Chez Jeanne 1, à Pétérieux 1, j’entends le vent qui passe

à travers l’innocence des années de plein air

quand nous allions fumer l’azur de l’après classe

comme des feux-follets au tombeau grand ouvert.

 

En écoutant la pluie tomber sur les genets

et les pignes de pin rouler sous nos godasses

nous laissions notre instinct finement butiner

la fleur de sucre au cœur d’un pays de caillasse !

 

Chez Jeanne, à Pétérieux, ce sont les immortelles,

les souvenirs rieurs qui couvrent le coteau,

et quand sur la tonnelle chante une tourterelle,

j’entends mille colombes et le La d’un flûteau !

 

Treize ans, qui sait, peut-être quelques mois de plus,

des pantalons courts et de longs rêves en tête ;

toute une vie, peut-être, et qui sait même plus…

Pétérieux fut notre première cigarette !

 

Chez Jeanne, à Pétérieux, c’était le bout du monde

à trois pas du village que l’on quittait à peine !

l’Eldorado c’était la Corbière profonde,

Pétérieux, surement, la barrique à Diogène !

 

Les âmes en paix, ce fut la croix occitane

qui s’accrocha au fer poli de nos semelles ;

origine des pas, sur la porte de Jeanne

la croix scintille entre les rires et l’écuelle !

 

Chez Jeanne, à Pétérieux, lorsque l’hiver viendra

poser quatre flocons sur le chant des cigales,

nous serons attablés autour d’un feu de bois,

riant du temps béni des vieilles cavalcades !

 

tout alors sera blanc ; aurons-nous retrouvé

– les anciens du village, les copains d’autrefois –

entre la croix, les pins et les cris de l’été,

sous l’herbe, à Pétérieux, les traces de nos pas ?

 

1 Pétérieux : Pinède aux abords de Fontiès-d’Aude où nous allions nous cacher pour fumer nos premières cigarettes ; où réside Jeanne aujourd’hui.

34.  – Le temps qui passe

 

D’abord il y a le vase et les roses dedans

qui trône au beau milieu, qu’on remarque en entrant,

et puis il y a l’odeur qu’on cherche à reconnaître

avant qu’elle ne foute le camp par la fenêtre !

 

Puis, il y a le “Bonsoir“, “Fallait pas emmener

les bonbons, la bouteille, ce splendide bouquet !

Donnez-nous les manteaux que l’on vous débarrasse !“

alors on jette un coup d’œil sur la table basse…

 

le canapé regorge d’anecdotes sucrées,

la table basse de friandises salées,

sur la nappe brodée, l’argenterie rutile

sous les poignées de mains et les phrases futiles !

 

Depuis que vous n’avez vu ce copain de classe

vous allez donc passer la soirée face à face…

mais les rires d’avant n’ont plus le même sens ;

déjà vous circulez, amis, à contresens !

 

 Mais les femmes, toujours maquillées de bon sens,

sous la musique douce, les bâtonnets d’encens,

échangent sur les enfants, les fleurs, le printemps,

les brigands que nous étions alors dans le rang…

 

les “méthodes“, et l’époque qui a bien changée !

Nous trinquons ; une rasade à la société !

mais hormis le saumon, les asperges, le civet,

nous n’avons plus vraiment grand-chose à partager !

 

L’heure allant, les souvenirs liquoreux finis,

notre glorieuse époque à nouveau dans le puits,

nous nous embrassons comme on embrasse un gâteau,

puis sous des promesses on ajuste son manteau.

 

On se serre la paluche dans le fond du jardin

– comme autrefois quand nous étions de vrais copains –

et l’on fait demi-tour, fatigué et déçu ;

 

le temps qui passe est un faux frère, un vrai faux-cul !