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De D3 à D114

Je la prenais à longueur de temps cette route.

J’y buvais les voix et y croquais les parfums

d’êtres chers et de longs étés, hélas défunts.

Vous la conter m’apaise ; vous en parler me coûte.

 

C’était un ruban d’asphalte, gris, qu’un artiste

avait imaginé dodelinant un brin

entre les souches de Carignan, les jardins

et les arpèges en fleurs des accordéonistes.

 

Une chaussée qu’il avait crayonnée parfaite

pour que se croisent les chiens errants, les vélos,

les piétons, les voitures, les tracteurs, les tonneaux,

les troupeaux de chèvres, les pâtres et les poètes.

 

Une ganse de satin qui reliait, joyeuse,

la place d’un patelin à l’église de l’autre,

mêlant les chants de chasse et les patenôtres,

les rêves d’interdits et les âmes songeuses.

 

Pour que tous aillent à l’ombre, le pas bienfaisant,

la chaussée traversait sa contrée paysanne

fleurie de boutons d’or, bordée de lourds platanes

sur lesquels les pies bâtissaient en jacassant…

 

quand des villages traversés, l’on percevait

des rires échappés de cognements d’outils,

et des encens d’oignon et de poulet rôti

le jour où le Seigneur laissait les femmes en paix.

 

Puis, des hommes penchés poussaient de part et d’autre

dans un décor de vignes et de rudes saisons…

comme sous les chênes poussent les champignons

et sur les stèles des églises les apôtres.

 

Je la reprends parfois cette route, assombri

par les amis au ciel et les arbres arrachés ;

certes, une route n’est faite que pour passer !

mais quand je pense comment a muté la vie,

 

je pleure et j’appelle, regrette… et puis j’écris.

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