à Sissous, Marie et Thomas,
« mes anges gardiens »
Mise en bouche
Cher ami, puisque le décor de mon premier recueil semble avoir été à votre goût, je vous invite à déambuler encore et sans retenue sur cette terre des Corbières, ma terre d’enfance, ma terre chérie, ma terre d’inspirations !
Accompagnez-moi alors et enivrez-vous de sucs de paix et de ciel bleu, de sucs de vignes, de pinèdes, de garrigues et d’anecdotes originales ! Une « Ballade » au gré du vent de Cers qui pousse un peu plus loin le pas sur l’herbe sèche de la sente, au fil des soupirs de notre civilisation Occitane, emmenant tantôt la bonne nouvelle, tantôt la grêle ou la foudre !
Comme un saut de ruisseau, comme un saut de quartier ou de saison, je vous propose de feuilleter mes poèmes sans ordre précis, au gré de vos désirs, comme si vous étiez là, dehors, sur le chemin, un brin de thym à la bouche, sans regarder derrière, sans montre ni quête !
La saison qui jusqu’à aujourd’hui me fascinait le plus était l’automne. Peut-être trouvais-je dans les senteurs du raisin que l’on coupait à la main, la force nécessaire pour aller de l’avant ! J’ai d’ailleurs poussé le vice de naître en pleine saison de vendange, au mois de septembre 1960, au cœur de la vigne du pont, à Labastide-en-Val… au cœur des Corbières Occidentales… dans une comporte au trois-quarts remplie de mourastel !
Aujourd’hui, sous les pétarades de la machine à vendanger, il me semble que l’automne a perdu, outre l’agréable baiser ferré des grappes et des sécateurs, les rires des vendangeurs et les truculentes histoires dont seuls les aïeux détenaient le secret. Aussi, je fuis cette saison autant que les vieilles filles à poils longs, qui, le soir venu arpentent à pas rapides les ruelles du village, le panier d’osier suspendu à leur bras. J’en profite alors pour puiser d’innombrables images dans des malles de temps révolus, puis, alchimiste débutant, je transforme ces images en rimes que j’enfile sur de longs fils de laine. Je suspends soigneusement, pour l’hiver, ces fils de laine dans la cheminée, comme le faisaient les anciens avec leurs longs fils de champignons à faire sécher pour les sauces, puis m’abandonne aux parfums d’autres éthers.
Au cours de mes errances il m’arrive de croiser, au détour d’une haie, l’armée des Croisés au grand galop, conduite par Simon de Montfort, ou d’admirer un rai de soleil qui illumine, à l’heure des mantras, quelque autel où prient cent cathares. Je revois bien souvent les toits ocres et roux de ma douce Corbière, la vie au sein de mon petit village, le jardin de la cabanette et le petit chemin qui traverse la rivière. Je revois mon père, toujours content, la bêche sur l’épaule, tenant par la main le fier apprenti vigneron, que j’étais. Ma plume alors s’emballe et voici que sous les fragrances tonifiantes de ce pays de cocagne, à sa manière elle délie son monde et me permet d’en jouir encore, encore et encore !
Qu’il est doux, ami, de se laisser bercer ; venez, suivez-moi !
J.G
– Table des poèmes –
- L’enfant du jardin de la Cabanette.
- Au nom d’adolescence.
- « Marais »-vous.
- Le sujet de philo.
- L’âme vagabonde.
- Ma lutte poétique.
- La « genèse » selon mon pote.
- Par la cote d’Adam.
- Le masque bleu.
- L’appel des mitounes.
- L’Ulysse.
- Nouvelles envies.
- Indiscrétions.
- Je voudrais une fois.
- Méditations.
- La petite fleur attristée.
- Faut-il faire l’Europe ?
- Tablier violet sous grand fichu.
- Entre chauve et tordu.
- Hommage à Ferdinand Civade.
- Lettre à Dieu, mon ami.
- Ode à la vie.
1. – L’enfant du jardin de la Cabanette –
En ce temps-là j’étais heureux
et ne le savais pas encore.
Seules la faune et la flore,
comme la course des météores
me rendaient à peine soucieux.
Je n’évoquai la politique
ni n’envisageai l’avenir,
et pour seule conduite à tenir
cherchais un très rare élixir :
« Arcadie », la magnifique !
En ce temps-là j’étais heureux
de prendre la poudre d’escampette
au jardin de la Cabanette,
le pays des mille rouquettes
qui poussaient dans le fond de tes yeux…
lorsque tous deux, main dans la main,
en suivant le lit du ruisseau
nous allions au son du flûteau
vers la roseraie, les oiseaux,
semer nos vœux au grand destin !
En ce temps-là j’étais heureux.
Seuls les fruits espérant l’automne,
les feuilles rousses qui tourbillonnent
et nos godasses d’autochtones,
somme toute, même si c’est bien peu,
suffisaient à me rendre heureux.
Je ne savais pas encore
que l’acide emplit les amphores,
que l’arc-en-ciel se décolore
ni que l’amour est un jeu !
En ce temps-là j’étais l’enfant
du jardin de la Cabanette
et mon âme, sur l’escarpolette,
finassait et contait fleurette
aux lueurs du soleil couchant !
De ce temps où j’étais enfant,
près de toi, au cœur de nos vignes,
bercé par la brise maligne
je porte fièrement l’insigne
où sur la photo, grimaçant
comme les espiègles de mon âge
je respire encore la santé…
aujourd’hui si convoitée…
tellement rare en ces années
que l’on ne cesse de tourner les pages
pensant peut être que le calendrier,
comme celles que l’on a vécues,
nous offrira béat, ému,
de nouvelles années où féru
de liberté le gratte- cul
refleurira près des sentiers !
Papa,
merci d’avoir à ma jeunesse
voué ton temps, jeté les dés,
qui sur le six étant tombés,
m’ont donné l’envie de rimer
et nourris mes folles ivresses
de Muses et de Poétesses,
d’un nectar d’immortalité !
A propos d’immortalité,
à tes côtés, sans le savoir
je voletais en plein terroir
des heures roses de l’espoir ;
« Arcadie »,
en ce temps-là je la vivais.
2. – Au nom d’adolescence –
Au huit de la rue du château,
qu’elle était belle ma mansarde !
Sur la porte, un drôle d’écriteau
interdisait à la camarde
l’accès à l’étage du haut
réservé à ma bouffarde,
mes fantasmes et mes idéaux !
Sans issue aux jeunes mignardes
boutonneuses plus qu’il n’en faut,
ni à ces oies, qui tant cacardent
qu’elles n’en truffent d’ail le gigot !
La philosophie du panneau
indiquait qu’ici l’on chaparde
l’os à l’ancienne, sans couteau !
Une lucarne, sur les toits,
semblait taxer au temps qui passe
les traits d’un printemps qui festoie.
Aussi, quand l’odeur de vinasse
du sol des caves que l’on nettoie
accumulait sur ma paillasse
les notes d’un Ave Maria,
à l’âge où le corps finasse,
à l’âge où l’âme est aux abois,
aux tremblements de ma carcasse
d’ado qui menait son combat,
par les saints les plus loquaces,
à l’amour qui fuyait parfois
j’offrais mes jurons bien pétris
pour n’avoir pas sus retenir
auprès de mon âme transie
la beauté qui me fit frémir,
la main que je ne sus saisir !
Allez au terme de vos conflits,
de vos souhaits et de vos désirs
enfants de la nouvelle vie !
Allez, jurez donc à loisir !
Aimez le printemps qui fleurit !
Priez !
Priez pour que l’adolescence
demeure en vous la prime essence,
qui, au fil des printemps qui fuient
guide vos pas au paradis
des jouissances infinies !
Quant à toi,
lorsque les vents de l’âge adulte
te pousseront à l’agonie,
adolescence, toi qui exulte
sur les terres de ma folie,
promets-moi que dans ce tumulte,
comme entre illusion et magie,
promets-moi que dans ce tumulte
nous serons à jamais réunis !
3. – « Marais »-vous –
Ainsi je voletais,
errant ici ou là
à travers le marais,
si beau au mois de mai
quand sous les acacias
les fines vaguelettes
de l’onde un brin verdâtre
étendaient leurs bouclettes
pigmentées de paillettes
sous des feuilles d’albâtre !
Flottant au fil du temps,
offrant à l’éternel
le tendre bégaiement,
l’illustre coassement
du chant originel,
j’étais en ce temps là
l’éclat de la nature !
Ensemencé de pois
aux couleurs qui flamboient,
parsemé de rayures,
j’étais « ado coléoptère » ;
quelque prince d’azur !
Mais pour un éphémère
je rusais la poussière
et parlais au futur !
Ainsi je voletais,
errant, ici ou là
à travers le marais,..
si beau au mois de mai…
et puis… Alléluia…
pour quelque compassion
au bec d’une pinson,
me voici… papillon !
Il n’est là que logique mutation !
4. – Le sujet de philo –
Le sujet de philo
eut encore cette année
quelque esprit libertin,
et par monts et par vaux
appela à traiter
du peintre contemporain.
Traquer le maestro
en un devoir minuté,
et de si bon matin !
Si fourbe qu’il fut chaud
et drôle ce sujet ;
nous aurions, et de loin,
préféré Scapin !
Mais la littérature
cède bon gré le pas
à qui veut s’affirmer,
et qui par l’aventure
colore son trépas
sur de nouveaux sentiers !
Inventer le futur,
n’est-ce pas là la loi
qui régit l’étudiant ?
C’est ainsi qu’à la peinture
elle voulut une fois
se soustraire en laissant
les honneurs à l’abstrait.
Alors,
au fusain, au couteau,
les rondeurs du pastel
câlinèrent la toile ;
sous le coup de pinceau
ce fut la coulée de miel,
le vent dans la voile !
l’émail des vitraux
reflétant sur l’autel
le sourire d’une étoile !
la clarté de cette litho,
qui, apprivoisant le ciel
de spirale en spirale
son âme nous dévoile !
Pour traiter les prémisses
de l’étrange examen
il eût fallu cent pages…
quand cela tient du vice
de vouloir qu’à notre âge
l’on dresse l’esquisse
du peintre contemporain,
du solitaire, du sage !
Je crains qu’on ne le puisse,
qu’on y perde notre latin,
mais à regarder au loin,
à savoir tourner la page,
nous y trouverons bien le message !
Hanterait-il les coulisses,
les couloirs de quelque esquisse
de Monet, de Matisse ?
Les sujets de philo
sont curieux chaque année,
et par monts et par vaux
appellent à traiter
des grands noms du dico.
Ne serait-il pas plus gai
de n’avoir de cesse
que de redorer la jeunesse,
lui rendre ses ivresses
et les moyens de rêver ?
Ah, enseignement inadapté…
5. – L’âme vagabonde –
J’aurais voulu avoir
quelques années de plus
et jeter au pouvoir
les pavés de ma rue ;
jurer, le verbe haut,
le poing brandi, serré,
et malgré les assauts
des hommes noirs casqués
tenir,
tenir pour l’avenir,
pour que la société
puisse redécouvrir
ce mot de LIBERTE !
J’aurais voulu avoir
quelques années de plus,
m’éveiller au dortoir
d’un monde chevelu,
dans le lit des sarcasmes
où les mille couleurs
fleurissant mes fantasmes
auraient étreint leurs cœurs ;
vivre !
Vivre sans l’ombre de la trique
de ces âmes batées
me désignant d’excentrique,
de jeune écervelé !
Le monde est opprimé,
la lutte continue ;
d’innombrables guerriers
s’affrontent aux coins des rues !
Si je pouvais avoir
quelques années de plus,
sur un caillou, m’asseoir,
contempler la décrue
et sentir dans mon dos
les rayons de bonheur
d’une ère de repos,
d’amour et de chaleur,
alors je laisserai
la place à la jeunesse,
et je repartirai
dansant dans l’allégresse !
6. – Ma lutte poétique –
Circulez, il n’y a rien à voir,
mon âme est tombée du trottoir
et dans le fond du caniveau
s’est brisée en mille morceaux !
Heureusement qu’il passait là
une eau, qui dans l’anonymat
allait du côté de la rivière
pécher au fil de sa misère
quelques bouts de soleil levant,
comme le font parfois les enfants,
d’un fil, d’une boite et de pain,
en espérant qu’un beau matin
se prendra à leur hameçon
un avenir de cotillons
où les serpentins, les lumières
qu’ils réclament en leurs prières
deviennent enfin réalités
et qu’ils pourront boire et danser
au bar des hommes qu’on dit « actifs » ;
qu’ils causeront de leur passif
comme des années de galère
où tout le monde se disait frère
mais où l’on montrait du doigt
le mal rasé en fin de droit,
vêtu des braies d’une politique
ou droite et gauche, identiques,
faisaient la pige au capital,
la cour aux filles du Général !
Parce qu’être fille de général
c’est quand même moins infernal
que d’être le coin-coin du coin,
celui qui ne vit de presque rien
parce que papa n’est pas bien riche,
qu’il ne promène pas de caniche,
parce que dans les bras de maman
un York ne joue pas du séant !
Circulez, il n’y a rien à voir,
mon âme est tombée du trottoir
et dans le fond du caniveau
s’est brisée en mille morceaux !
Ce n’est pas bien grave, d’autres viendront
bercer de rêves mes illusions ;
d’ailleurs j’ai ouï dire que les riches
partageraient leurs pois-chiches…
de gré ou de force parbleu,
moi qui tire le diable par la queue !
Là, j’ai revu ma position,
j’ai même changé de religion,
désormais,
mon Dieu se nomme révolution !
7. – La genèse selon mon pote –
Que mon pote a bien du mérite,
grand Dieu, quel sacré bricoleur !
les clous, les outils, ça l’excite,
de tous, c’est bien lui le meilleur !
Aux confins de la voie lactée
quand surgit Saint-Catavana
ses jambes se mettent à trembler,
son cœur entonne le Hosanna !
Il loue ce fidèle intrépide
en vrai compagnon du devoir !
en ses pensées extralucides
déjà brille son ostensoir…
Le premier jour :
Il créait le ciel et la terre,
vissait et clouait sur l’étau ;
il vint à manquer de charnière,
de rage il partit chez Casto !
Le second jour :
En soudant les astres et la lune,
lui, d’ordinaire si dégourdi,
laissa glisser dans la brume
ses pinces et fila chez Obi !
Le troisième jour :
Pour agencer la terre, les mers,
comment s’y prendre sans dessiner
car les feuilles de plans coûtaient cher…
il se rendit donc à Bricomarché !
Le quatrième jour :
Pour peindre certains animaux
il lui fallut bien du courage,
des huiles, des gouaches, des pinceaux…
et le white de M’sieur bricolage !
Le cinquième jour :
Fidèle à son bon sens divin,
pour finir l’homme comme il se doit,
zut, était-ce au magasin coquin
ou à l’échoppe Caténa ?
Le sixième jour :
Le jour, la nuit, l’ombre, la clarté,
tout cela manquait de logique ;
alors l’ami, comme conseiller,
pris le gaffet du Comptoir Electrique !
Le septième jour :
Arrivait enfin le dimanche
et les sandales bien méritées ;
à s’être autant monté les manches,
du repos il ne put profiter…
si bien qu’au matin du lundi,
la femme souhaitant peaufiner
tout de go il perdit l’esprit ;
le pauvre homme était exténué ;
partout il trouva porte close,
le lundi les gens font la pause !
Quant à la femme, grand Dieu tant pis,
pauvres hommes vous l’aurez ainsi !
8. – Par la côte d’Adam –
Par la cote d’Adam, voie sacrée du mystère,
te voici – surprenant sur mes terres austères –
tel l’enfant innocent empreint de jolis rêves,
à peine haletant au monde qui s’éveille.
Te voici, maintenant, déesse en mes palais,
maitresse nourrissant des accents de Judée
mes soupirs les plus fous, abreuvant mes ivresses,
semant après la houe la graine de tendresse
par laquelle, bleuets, lupins et coquelicots
ornent de fiers bouquets l’antre de mes enclos !
Par ma bouche qui boit au nectar de ta peau,
mes larmes aux abois sur le galbe de ton dos ;
par ta douce blancheur, tes fragrances fragiles
et les peintures vives des saints évangiles ;
par tous les maléfices, par la flagornerie,
par le divin calice, les ténèbres en furies…
Femme, Femme,
Femme, que ton nom est grand et que le mien est triste
à parler si souvent en son âme machiste,
lui qui sans toi n’est rien qu’une poussière infâme !
Pardonne à ce vaurien et offre-lui la flamme,
le feu perpétuel,
l’amour éternel !
9. – Le masque bleu –
Dans le vent des saxophones
flottent des envies exotiques ;
et danse et chante l’amazone
sur la gamme des rythmiques !
Le monde enfin déraisonne ;
les dieux ne sont plus critiques
lorsque l’âme se passionne
pour une déesse antique !
Comme une note poétique
dans ce monde un peu trop flou,
une prairie de colchiques,
un sourire qui rend fou,
comme le parfum érotique
qui étreint le galbe de son cou,
son regard satanique
devient un big-bang magique
lorsqu’il se pose sur vous !
Quand mes désirs peignent leur nuit,
leurs couleurs revendiquent,
du plus noir de la fantaisie,
quelque horizon fantastique
où la saveur de leurs fruits
serait une douce musique
sur laquelle il me serait permis,
dans le big-bang de ma folie,
de connaître l’amour mythique !
Si un jour, par l’interstice
de son masque bleu,
vous cherchiez, un peu par vice,
où elle cache son jeu,
c’est au pire des supplices,
peut-être aux adieux,
vers tous les maléfices
que vous iriez… heureux !
Certes,
ce sont eux qui le choisissent,
mais les hommes ainsi périssent…
tous… à petit feu !
10. – L’appel des mitounes –
Les vignes étaient vertes à Montlaur 1,
le vent marin séchait la terre,
les mitounes 2, en quête d’adultère,
pénétraient mon âme et mon corps.
A Montlaur les vignes étaient belles,
la saison 3 s’annonçait pour bientôt ;
les mitounes, de leurs meilleurs flûteaux
jouaient le tango qui ensorcelle !
A Montlaur les vignes souriaient
sous le poids de raisins bienséants,
quand par la mélodie de leur chant
les mitounes déjà m’attiraient !
Les vignes étaient belles à Montlaur,
le vent marin séchait la terre,
les mitounes, en quête d’adultère
pénétraient mon âme et mon corps.
A Montlaur la lune étincelait ;
je courais à travers la lande
cueillant les plus belles guirlandes
que m’offraient les cieux étoilés.
A Montlaur, la lune était si ronde
que les mitounes y cherchaient l’amour ;
dans les avoines, à la fin du jour
on y trouvait, dit-on, du monde !
Les mitounes sans cesse m’attiraient,
lorsqu’un soir, je suivis, inconscient,
par les vignes la voie de leur chant ;
les belles m’avaient ensorcelé !
A Montlaur la lune étincelait ;
je courais à travers la lande
cueillant les plus belles guirlandes
que m’offraient les cieux étoilés…
lorsqu’elles s’approchèrent,
lorsqu’elles m’agrippèrent,
lorsqu’elles me câlinèrent…
et lorsqu’elles m’emportèrent !
Je pus leur échapper, tremblant ;
courant alors à perdre haleine
je quittai ces sorcières amènes,
et leur monde de faux-semblants !
A mon escapade contrariée
je ripostai par un cru local ;
le rouge de Montlaur est idéal
pour se refaire une santé !
Amis, ne cédez aux appels
des mitounes, poussez plutôt
la porte de cet autre caveau 4
où l’on embouteille le soleil ;
un acte tout autant charnel !
1 Montlaur : village des Corbières.
2 mitounes : légende audoise ; fées qui vivaient dans des grottes au fond des rivières aurifères et gardaient leur trésor contre d’intrépides voleurs.
3 saison : période de vendanges.
4 caveau : référence faite au caveau de la cave coopérative de Montlaur.
11. – L’Ulysse –
J’étais un Ulysse des Corbières,
de ceux qui vont la mine fière
à l’aventure, sans savoir
ce qui se cache derrière le miroir ;
que diable ! L’envie pour un soir
de changer de vie, de trottoir,
poussait en moi sa gueulante,
ouvrait une gueule béante !
Serrant au bec un brin de thym,
fin prêt pour le voyage divin,
mon chapeau de paille sur le nez,
sans strass, sans frime, sans simagrée
je vécus la triste odyssée,
la bouleversante traversée
de quiconque entre les nuages
trouve quelque sale passage !
Sur la rive où je débarquai
les femmes entre elles s’épiaient ;
« T’as vu celle-là comme elle est grosse…
t’as vu comme elle fringue ses gosses…
et l’autre, cette vielle rosse
qui pointe au chômage en carrosse ! »
Je me suis enfui en pleurant,
elles ne vénéraient que l’argent…
lorsqu’une étrange pétarade
fit voler dans ma persillade
le cri des anges que l’on tue ;
je vis passer un détenu,
une espèce de roi déchu
et des femmes armées ; saugrenu !
J’ai fui ce pays de misère,
le fric, la guerre ; j’ai fui la terre !
Mais l’univers était troublant,
pas comme dans les jeux des enfants,
ceux que l’on branche sur la télé,
ceux que l’on truque pour s’amuser !
Celui-ci, pour seule vérité,
n’était qu’un lieu-dit sinistré ;
j’ai pris mes jambes à mon cou,
pris ma musette et le dégoût !
Je voulais rouler une clope
avec quelque brave cyclope,
je voulais tomber amoureux
des sirènes au chant mélodieux,
taper le carton avec les dieux,
être douze fois valeureux !
Hélas, les voiles de mes envies
prirent une direction bien pis !
Avant de sauter le mur du parc,
sept ans avant de bander l’arc,
avant de reprendre ma place
près des miens, de laisser ma « Thrace »,
avant de refaire surface,
d’alléguer ma contumace,
d’être à nouveaux ce vigneron
plus l’aise dans son bourgeron…
mon cher Homère, excuse-moi,
j’ai pété les plombs cette fois !
En ce moment je cauchemarde,
le monde, ici, c’est la camarde !
Bientôt je relirai l’Iliade,
et si je rêve des couillonnades,
mon brave Homère, ne m’en veut pas
si je refais la Guerre de Troie !
12. – Nouvelles envies –
Peu importe l’histoire,
qui donc il faudra croire
du sage ou du vieux loup…
peu importe l’histoire,
qui donc il faudra croire,
le chêne, ou l’amadou ?
De pierres et de planches,
les ruines sous les branches
fuient le vent des querelles…
de pierres et de planches
les ruines renaissent pervenches
ou mères maquerelles ;
les vapeurs libertines,
là-haut, sur la colline,
dansent main dans la main…
les vapeurs libertines,
là-haut, sur la colline,
apprivoisent les chemins ;
il n’y aura plus de guerre,
là-haut, sur cette terre,
la nature l’a compris…
il n’y aura plus de guerre,
là-haut, sur cette terre,
les iris ont bleui ;
le soir, enfin, prépare
ses dernières guitares
pour la fête étoilée…
le soir, enfin, prépare
ses dernières guitares;
nous allons nous aimer !
les thyms, les romarins
iront jusqu’au matin
en une farandole…
les thyms, les romarins
iront jusqu’au matin,
un peu comme un symbole ;
l’hérétique n’est plus,
le français disparu,
la garrigue est bien sage…
l’hérétique n’est plus,
l’histoire a disparu
au fond de ton corsage !
Au pied de la murette,
pour moi ton corps sécrète
le suc de tes vingt ans…
au pied de la murette,
pour toi mon âme sécrète
quelque désir ardent.
Il n’est chose plus douce,
que sur un lit de mousse
on ne batifole un brin…
il n’est chose plus douce,
que sur un lit de mousse
on refasse demain,
moins con, plus sain !
13. – Indiscrétions –
Lorsqu’une rime porte son nom
c’est tout le dico qui jubile,
sous le fil d’encre indélébile
l’alphabet qui perd la raison !
Lorsqu’une rime porte son nom
la mine de mon crayon s’allume
des mille reflets de la plume
et les mots vont en procession !
Lorsque la rime caresse
de son gant de velours, l’amour,
de demi-tons en demi-jours
sous le vent de nos ivresses,
lorsque la rime caresse
le temps nouveau des sentiments,
nos timides balbutiements
ont les couleurs de la tendresse !
A composer la rime, il m’amuse,
plutôt que d’aller en galère,
mais trop donner de caractère
à l’intimité, je refuse !
A composer la rime, il m’amuse,
les mots ne sont que pour jouer ;
son parfum je ne peux dévoiler,
ni son prénom, mille excuses !
Si la rime portait son nom
je vous conterais l’histoire
d’un dico qui partait en foire,
à la foire à la déraison !
Si la rime portait son nom
je vous dirais pourquoi les lettres
peuvent toujours tout se permettre
sur les chemins de la conclusion ;
la rime n’est qu’une illusion !
14. – Je voudrais une fois –
Je voudrais une fois
écrire un mot sur toi,
un petit mot, ma belle ;
je voudrais une fois
dépeindre un peu de toi,
un trait de ma Cybèle !
Si tu ne me ficelles,
si tu ne me muselles
je dirai tes froufrous !
et si ton fier chignon
m’accorde son pardon,
alors je dirais tout !
Je voudrais une fois
camper ton doux minois
avec un brin d’adresse ;
je voudrais une fois
brosser un fil de toi
sur un air de tendresse !
Mais parler de tendresse
serait causer sans cesse,
serait conter beaucoup ;
mais si ton fier chignon
m’accorde son pardon,
alors je dirai tout !
Je voudrais une fois
expliquer le pourquoi
lorsque l’amour frétille !
et puis tant d’autres fois
expliquer le pourquoi
de l’étoile qui scintille !
Quand l’étoile scintille
la faux vers la Bastille
saute les barricades,
mais que ton fier chignon
m’accorde son pardon,
car sous la canonnade
pour la millième fois
ton souffle se posera
au creux de mon épaule,
pour la millième fois
je suivrai fou de joie
le vent de ta boussole !
Et que ma plume braille
le cri de tes entrailles,
les saveurs de ton corps,
jusqu’à ce que le papier,
ma verve et l’encrier
soient morts et archi morts !
Je serai apaisé, alors.
15. – Méditations –
Assis comme l’enfant qui espère, qui attend
quelque feu d’artifice, les yeux pleins de malice
je regarde droit devant, ébloui, impatient,
soutirant du calice les derniers délices,
l’ultime rougeoiement d’un soleil décadent !
Sur ce mont de senteurs je livre ma pudeur
aux esprits du terroir, puis danse dans le soir.
Dans la douce blancheur de la lune, rêveur
je m’abandonne au soir, quand en guise d’espoir
je laisse errer mon cœur sur ce tapis de fleurs.
J’en cueille cent pour toi, ma déesse des bois,
en brassées de plaisir, en bouquets d’avenir !
Sous l’accent de ta voix se ranime ma foi,
dès tes premiers soupirs suinte l’élixir
et se meurent à ta loi mes souffrances d’ici-bas !
Enfin, ma solitude, ma sollicitude
de discours en aveux atteignent la cime des cieux,
de nouvelles latitudes où nos corps se dénudent,
où les anges, besogneux, entretiennent les feux
de la plénitude, de la béatitude !
Assis comme l’enfant qui revit les instants
de son feu d’artifice, les yeux pleins de malice,
aux murmures du vent qui impudiquement
en mon âme s’immiscent, je lègue mes cicatrices.
Dans les enchantements d’un tout autre levant,
lavé de mes tourments, je retrouve, content,
la fade odeur des faînes, mes frères de la plaine
et la douce rengaine des jours de la semaine !
16. – La petite fleur attristée –
Ce matin, en me promenant,
je vis une fleur qui pleurait ;
m’approchant délicatement
je l’entendis murmurer :
« Toutes les abeilles sont parties,
les libellules, les hannetons,
et dansant entre leurs ailes ont fui
mes pétales, vers l’horizon ! »
Ce matin, en me promenant,
j’ouïs une fleur qui pleurait,
qui, pendue à la barbe du vent
pensait qu’il l’écouterait,
la plaindrait, s’attristerait…
mais dans sa course folle
il ne put prendre le temps
d’arrêter sa carriole
pour quelques sentiments ;
si triste fut l’évènement !
Ainsi en est le sort des fleurs,
soumis au gré du baluchon
de l’hiver qui passe sans cœur,
mais qui annonce, plein de compassion,
l’approche de la nouvelle saison !
Ce matin, en me promenant,
je vis une fleur attristée ;
bien que vous trouviez cela surprenant
je lui offris mille baisers !
17. – Faut-t’il faire l’Europe ? –
Savez-vous que bien des cravatés
sans cesse nous causent d’« Europe » ?
« Mon fils, voilà pour toi une fiancée,
(clame la boulangère philanthrope)
que l’on m’amène cette Europe ! »
Il ne s’agirait que de frontières
qu’ils souhaiteraient pousser un brin
pour que notre vieille boulangère
puisse caser son Mathurin
à l’une des filles d’un voisin ?
Là, ils nous cachent la vérité,
ce n’est point pour l’amour qu’ils œuvrent !
Des œufs ils ne nous feront gober
ni même avaler des couleuvres ;
je vais vous en donner la preuve.
Tout avait commencé, soit disant,
parce que Dieu avait de la peine,
oui, beaucoup de peine en nous voyant
mener une existence sereine ;
dans le midi, on allait chantant !
Mais nos chansons n’étaient à son goût,
il n’en connaissait les cantiques !
Les gens d’ici, un tantinet filous,
sans l’offenser, ni émettre de critique,
préféraient des airs plus comiques !
Au son de la cithare ils frappaient
des mains et des pieds… les Cathares…
toute la folle nuit ils sautaient,
chantaient et dansaient dare-dare ;
ils aimaient quand sortait la fanfare !
Mais le Saint-Père, plus « terre à terre »,
bon pape, fier, mais sans humour,
souhaitait du fond de ses prières,
lui, le sage, nous venir en secours ;
hélas, bon Père mais piètre troubadour !
Il envoya quérir près du roi
des hommes de bonne volonté,
un brin nobles comme il se doit,
tel Simon de Montfort, ce guerrier
qui à Toulouse s’en ira trépasser !
La guerre était inévitable ;
par l’âme, « Occitans » nous étions…
avec pour armes peu redoutables
nos réjouissances et nos lampions ;
le soir venu, en Languedoc nous dansions !
Leur histoire parle de sacre,
d’hérétiques, de châteaux assiégés ;
la nôtre pleure les massacres,
les cris du Languedoc mutilé,
la fin de notre tranquillité !
Bien des guerres nous sont parvenues
depuis ce treize septembre quarante-neuf,
du fol treizième, bien entendu.
Aujourd’hui on accouple l’âne au bœuf,
mais pour nous, votre Europe reste du bluff !
Depuis hier seulement nous sommes français,
attendez un peu que l’on s’y habitue !
Si vous voulez encore guerroyer,
à l’arme économique de plus,
cherchez donc loin d’ici, vos recrues…
nous avons, au pays, des soucis ;
pour une fois vous n’y êtes pour rien !
pauvres de nous, à la boulangerie
la vieille a bloqué le pétrin
et entame la grève de la faim
jusqu’à ce qu’elle marie « son Mathurin » !
Envoyez chez nous les casques bleus,
– même s’ils ne peuvent faire grand-chose –
de votre part ce serait généreux,
que dis-je, ce serait grandiose…
la vieille a bien de l’arthrose,
la vérole, de la pègue aux yeux,
la moustache et la tuberculose,
mais son calibre douze est nerveux !
Amis, le village manque de pain !
l’urgence,
n’est-elle à débloquer le pétrin ?
18. – Tablier violet sous grand fichu –
Et chaque jour ça recommence,
tablier violet sous grand fichu,
allez savoir à quoi elle pense
courbée au milieu de la rue !
Chaque soir, la voilà qui passe,
son arrosoir, sa fleur symbole ;
allez savoir sur quelle trace
à petits pas, elle convole !
L’aurore pointe, qu’elle toque
du bout de sa canne pudique ;
allez savoir de quelle époque
nous vient cette douce musique !
Qu’importe le rythme des saisons,
toujours la fleur et l’arrosoir…
allez savoir quel horizon
se mire au fond de son regard !
Est-ce un fils qui l’attend là-bas,
un mari tombé à la guerre ?
Allez savoir entre quels bras
la vieille danse au cimetière !
Puis, dos tourné au vent qui passe,
égrenant son long chapelet,
allez savoir pourquoi elle chasse
la larme qui fait mine de monter !
Je te loue grand-mère, qui seule,
à bout de force va chantant !
Va savoir, corvéable aïeule,
combien il nous reste de temps !
Plus tard je l’embrasse en secret
lorsqu’elle longe ma chaumine ;
allez savoir si mes baisers
au fond de son cœur tambourinent !
19. – Entre chauve et tordu –
A l’angle d’une rue
un chauve se plaisait
à contempler un tordu
qui se dandinait ;
clopin-clopant
il suivait une idée
et trottait hardiment
afin de la rattraper !
Le chauve le fila,
tant il trouva l’idée bonne,
et tenta, pourquoi pas,
de la ravir à cette personne !
L’un cheveux aux vents,
l’autre fendant la bise,
ils achevèrent sur un banc
de perdre leur matière grise !
Ils se mirent à causer,
chacun questionnant l’autre ;
« – Pensez-vous que leur idée,
soit meilleure que la nôtre ? »
De leurs discussions naquirent
roublardises et arguments
que je ne vous livrerai, au pire,
que si vous êtes leurs poursuivants !
Ah, triste est la politique
et coriaces sont les gens
qui pour une idée sympathique
tueraient père, mère et enfant !
Maudite soit la politique !
Adieux veaux, vaches, cochons ;
au pays de la bique,
heureux, soit le mouton !
20. – Hommage à Ferdinand Civade –
Je voudrais porter l’accolade
au fameux Ferdinand Civade,
qui, en ces années d’avant-guerre,
en ces trente glorieuses, bon compère,
aux quatre coins du Val-de-Dagne
transportait son mât de cocagne
sur lequel, en guise d’autographe
on lisait:
Avis à la population, ce soir
CINEMATOGRAPHE
séance à 8 heures au café.
et chez Margot débarquait le cinéma muet !
Quand Ferdinand tournait la manivelle,
sur l’écran arrivaient pêle-mêle
les ouvriers, les gaffets, les poltrons,
de bien étranges situations
et les pitreries les plus loquaces !
Les gamins, devant tant d’audace,
se paraient aussitôt de grimaces !
Quand, hélas, l’appareil chauffait trop,
le Jules, l’Auguste ou la Margot
s’occupait à verser l’anisette,
Ferdinand roulait sa cigarette,
les amis avaient le cœur en fête,
chacun allant de son « qu’ès aco ! »
Ferdinand, sous la pétarade
de sa moto, sur l’esplanade
quittait Labastide en sifflotant ;
il allait par n’importe quel temps !
A ce héro sorti d’un autre âge
laissez-moi rendre un dernier hommage !
Au cimetière, je vous le promets,
Ferdinand semble bien tristounet ;
sur la toile de quelque écran blanc
il regarde, pour passer le temps,
ces grotesques goguenardises
qui aujourd’hui ridiculisent
le ciné de nos grands-parents !
Embrassons de bon cœur Ferdinand,
le Roi du cinéma ambulant !
21. – Lettre à Dieu, mon ami –
Depuis que les bigotes du quartier
pendent leurs culottes aux bénitiers
sans se soucier de l’opinion,
qu’elles accrochent près des caleçons,
près des mirlitons du curé
leurs dentelles et leurs effets,
des balcons de ta religion,
Dieu, mon ami, lève ton veston !
Entre les uns qui n’ont la flamme
et les autres qui te réclament,
où faut-il que je me positionne
pour ne faire de tort à personne ?
Faut-il, pour être dans le coup,
que je te parle en disant vous ?
C’est bien de ta faute après tout,
c’est bien de ta faute malgré tout
si sous ma caboche rien ne résonne !
Dieu, mon ami, gare à la pomme !
Tu sais ce qu’il serait bien de faire
au lieu d’être deux adversaires ?
Je connais, au cœur de la ville,
un vieux meublé, sous quatre tuiles,
où nous pourrions, seuls et peinards,
devant un cruchon de pinard
refaire le monde, tranquille,
Dieu, même si c’est difficile !
Tu pourrais, sans y aller trop fort,
me conter l’histoire de la mort ;
je te raconterais alors la vie,
le business, les nuits de folie…
tu prendrais alors conscience
que tes fils n’ont pas tous la chance
de fouler les trottoirs de France,
bien que chez mes frères aussi,
Dieu, mon ami, tout est fini !
Leur ventre chantonne le soir
la mélopée du désespoir !
alors pour eux, essaie un peu,
essaie de faire de ton mieux,
modifie la situation…
je veux bien être ton second ;
si tu le veux, je serai ton second !
allez, chausse tes bottes, enfile ton bleu,
sinon tu ne seras plus crédible,
on ne la lira plus ta bible
et les bigotes du quartier
pendront fièrement aux bénitiers
leurs culottes et leurs dentelles,
quand le vil abbé, sous leurs ailes,
priera pour que la jupe des pucelles
soit de plus en plus échancrée ;
allez, fais-nous dans l’originalité !
Tu sais ce qu’il serait bien de faire
au lieu d’être deux adversaires ?
Je connais, au cœur de la ville,
un vieux meublé, sous quatre tuiles,
où nous pourrions, seuls et peinards,
dans la fumée de nos pétards,
au pied d’un cruchon de pinard,
d’une grosse boule d’argile
refaire le monde, tranquille,
Dieu, façonne un monde fertile !
Dieu, mon ami, prends ton bâton,
plante-moi la révolution
à coups d’éclairs et de tonnerre !
ce changement, il faut le faire !
Fais donc courir sur l’arc en ciel
les blancs, les rouges, les caramels ;
que les noirs, les verts, les pastels
viennent un soir à la maison,
dans cette ruelle de ma ville
un p’tit meublé sous quatre tuiles
pourrait bien être leur asile !
Au lieu d’être deux adversaires
cette révolution faut la faire !
Prends ta pioche, prends ta brouette,
prends ton grimoire et ta soufflette ;
change les hommes, change les bêtes,
change les femmes et les poètes
et donne les trois coups de la fête !
Depuis déjà belle lurette
flotte sur l’eau des bénitiers
les culottes et les effets
d’une société en goguette !
Change les hommes, change les bêtes,
change les femmes et les poètes
et donne les trois coups de la fête!
22. – Ode à la vie –
Je n’irai plus chercher
aux vents de ma jeunesse
les sourires passés,
les baisers, les promesses
et les divinités,
la chaleur, les caresses,
les fêtes de l’été,
les prières et les messes,
les moments de bonté,
les instants d’allégresse ;
mon cœur est sécheresse
et mon sang est glacé !
Aux bois de mes tumultes
les feuilles ont jaunies,
mes terres sont incultes,
mon âme à l’agonie ;
mes adjectifs insultent,
atterrent et terrifient ;
la mort en moi exulte ;
triste vent de folie !
hardiment elle sculpte
mon spectre et sourit ;
vers l’éternelle nuit
l’ennui me catapulte !
Adieu vent de courage,
tu peux tout emporter !
que viennent les orages,
la foudre peut tomber !
je vais tourner la page,
pour les cieux je suis prêt
à partir en voyage !
point de timidité
et point de maquillage !
Satan peut allumer
ses braises et danser,
point de cabotinage !
Un jour je reviendrai,
tout neuf, étincelant
sous les plis d’un drap blanc…
élégant revenant !
Un jour je renaîtrai !
Un jour je renaîtrai
d’une ride, paysan,
un jour je danserai
sur les fleurs de tes champs !
un jour je reviendrai
sous tes traits, mon enfant,
et recommencerai
le parcours excitant !
Un jour je reviendrai,
et serai ton amant,
éternellement !
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