Un jour je serai célèbre, j’aurai les cheveux jaunes et je dirigerai le monde ! J’aurai ma Garrigou Tower avec les poignées de porte, les robinets, et la tirette de la chasse de mes sanitaires en or ! La porte d’entrée principale ne servira qu’aux élites du monde politique que j’aurai convié à quelque rendez-vous et quelques poules de luxe à l’occasion. Les sans-dents, les ploucs et les péquenauds entreront par les portes du parking souterrain. Je n’utiliserai jamais cette porte d’entrée principale car mon hélicoptère se posera directement sur la terrasse de mon bureau ! Bien évidemment, est-il nécessaire de le préciser, tous mes hélicoptères arboreront mon nom en lettres d’or qui s’étirera du museau des appareils jusqu’au bout des poutres de queue, en longeant les cabines, et ce pour qu’on sache ma magnificence jusqu’aux employés de pistes, aux oiseaux et aux nuages ! Même le Roi Soleil en pâlira de honte ! Mon rayonnement sera tel que même Dieu en sera éclipsé ! Quel pied !
Mon bureau sera couvert de tentures avec des fils dorées et les encadrements de mes tableaux seront en or le plus pur qui soit ! Mes stylos-plumes seront également en or, mes règles, mes porte-documents, mon clavier d’ordinateur, mon téléphone… je ne vais évidemment pas en dresser l’inventaire mais presque tout sera présentement en or chez moi ! Sauf tous les lustres de la Garrigou Tower qui seront en verre de Murano sur des branches en diamant. Derrière mon bureau, mon portrait, de belle taille, impressionnera mes visiteurs et ceux qui voudront traiter quelques affaires avec moi ! La moquette de toute la Garrigou Tower sera noire avec mon nom tissé en lettres d’or ! Ce n’est pas que je trouve l’or joli mais avec la fortune que j’aurai alors amassée je pourrai me permettre de montrer mon aisance au travers de ces balourdises qui feront pâlir de rage autant mes fidèles que mes détracteurs ! Au rez-de-chaussée de la Garrigou Tower je ferai insérer une galerie des glaces dix fois plus grande et haute que celle de Versailles ! Mon orangeraie, mes bassins, mes carpes et tout le tralala feront apparaître ceux du Roi Louis comme une petitesse de jardinets ! Quel pied !
En ce qui concerne la culture j’aurai aussi des jardiniers de l’âme qui feront croître de belles musiques, des pièces de théâtre follement originales, un cinéma iconoclaste et des danses exprimant à nouveau la grâce et la perfection. Je garderai la télévision pour le peuple qui se divertira toujours, après ses rudes journées de gagne-pain, de ces séries de crime, d’urgences absolues, ou de la vie de ce dictateur passé qu’il affectionne tant puisqu’on lui consacre au moins deux soirées dans la semaine.
Vous voyez, je serai le boss absolu, le maître vénéré ! Même ceux qui ne partageront pas mes idées me parleront avec courtoisie, me feront même des courbettes ! Je ferai entourer mon pays d’un grand mur pour que les étrangers n’entrent pas, je posterai des snipers aux endroits stratégiques et je boosterai l’économie nationale en refusant toutes importations ; nous aurons tout ce qu’il faut chez nous pour vivre en parfaite autarcie ! Par contre, comme il le sera stipulé dans nos accords, les autres Chefs d’Etats auront l’obligation d’acheter nos voitures, les produits de nos filières animales, ainsi que nos céréales, nos avions, nos croquettes pour chien, nos préservatifs, notre viagra, nos vaccins antigrippaux et tous les autres produits dont je ne vais évidemment pas dresser l’inventaire ! Je serai populaire parmi les miens et les autres m’aduleront ; quel pied !
Pour choquer le monde et montrer que je dirai et ferai ce que j’ai envie, je tiendrai des propos racistes et antisémites ! Il est évident que les gays et les gougnottes en prendront aussi pour leur compte, comme les handicapés et les fainéants de toutes sortes ! On dira que je suis le pire des salauds mais on me caressera la joue et on me mangera quand même dans la main ! Quel pied !
Vous verrez mon airbus « Air Corbières One » sous tous les cieux et tous les drapeaux ! J’irai prendre le soleil au Maghreb, j’irai pêcher la baleine dans les fjords de Norvège, le saumon en Ecosse, j’irai chasser l’élan au Canada, le grizzli et le coyote dans le parc du Yellowstone, l’éléphant en Inde, mes chauffeurs ne respecteront pas les limitations de vitesse, je pisserai dans la rue, je ferai tout ce qui est interdit, j’irai même prendre l’apéro avec le Pape et la Reine d’Angleterre chaque fois que j’en aurai envie, j’irai faire du ski dans les Rocheuses, j’irai même caguer dans l’espace et je ferai venir chez moi les rock-stars et les people les plus célèbres ! Quel pied !
J’aurai aussi, j’allais oublier de vous en parler, toute une batterie de cuisiniers, de serveuses sexy, et des tonnes d’assiettes et de couverts en or ! Pour les verres je préfère le cristal de Baccarat qui apporte aux grands crus la pointe de féminité qu’il leur manque la plupart du temps ! Puisqu’aujourd’hui je suis déjà fine-gueule, et je ne vois aucune raison pour que cela change, ma table sera ultra-richement garnie, tant de mets que de copains ; de toute façon personne n’osera me refuser cet honneur ! Je crèverai peut-être de trop boire et trop manger, mais pour l’instant quel pied je prendrai ! Mes gens de bureau, mes gens à tout faire dans mes palais et mes jardins et mes gardes du corps porteront tous le costume noir assorti à la moquette de la Garrigou Tower, avec mon nom, d’un bon mètre de long, gravé en lettres d’or ! Ce n’est pas que l’or m’obsède mais chacun doit connaître son rang et sa valeur ; les vers de terre avec les vers de terre, les phénix avec les phénix ! Ils m’obéiront au doigt et à l’œil, sans broncher ; quel pied !
Si je devais, en fait, qualifier ma fonction prochaine je dirais que le mot « marionnettiste » est certainement le plus juste. En effet je me distrairai en tirant les ficelles du monde comme si la mappemonde était le bandeau de la scène et les terriens des marionnettes gesticulant au bout de mes doigts ! J’écrirai alors des histoires pour elles, où, pour m’amuser, je leur ferai faire la guerre, la paix pour nouer des alliances économiques, puis à nouveaux la guerre, puis à nouveaux la paix pour nouer d’autre alliances économiques et cela jusqu’à ce que j’ai envie d’autre chose ! Peut-être bien qu’un jour de cuite je déciderai d’appuyer sur le bouton rouge et faire péter le monde comme on fout un coup de pied dans une fourmilière ; que sont quelques fourmis qui passent queue par-dessus tête ? Passer sa journée à s’amuser, quel pied !
Comme je me foutrai pas mal de l’écologie je ferai turbiner mes usines à pognon à fond et le jour où le vent soufflera fort il emmènera avec lui les particules fines et les gros nuages noirs vers les pays voisins ! Que chacun se démerde, et qu’on ne vienne pas me titiller les choses avec un avenir vert ; voilà bien du grain pour la piétaille ! Je développerai la filière du gaz de schiste et si on bombarde la terre et on y injecte toute une batterie de produits chimiques pour en extraire le gaz, je m’en ficherai éperdument car je ne verrai jamais la fin du monde qui est réservée à quelques générations encore ! Je me foutrai aussi que le fond des océans et l’espace soient de vastes poubelles car je n’irai jamais ! Je presserai l’industrie et l’agriculture comme des olives sous la meule pour en recueillir le flouze de première pression, je ferai tapiner les ouvriers jours et nuits et quand j’en aurai assez je me retirerai par le biais de quelque élection truquée, comme celle qui m’aura donné le pouvoir ! Ceci-dit, avant de m’en aller je les ferai mariner un peu et j’instillerai le bordel, rien que pour m’amuser ! Je prendrai tous les honneurs qu’ils m’attribueront et pour ne pas devenir impopulaire de trop j’allégerai leurs impôts, ce qui les mettra en liesse, et ma cote de popularité augmentera ! L’année suivante j’ajouterai quelques taxes pour rattraper le retard financier et tous accepteront car ils auront conscience que la période sera bien aux sacrifices !
Mais voyez-vous, chers amis, je ne serai jamais célèbre car je ne suis ni politicard, ni criminel, ni excentrique notoire, ni d’une quelconque confession, ni d’une quelconque obédience, ni sorti du lit d’une quelconque mentore, car seuls ceux-là voient la lumière !
Je ne suis qu’un Poétaillon d’en bas, un Poétaillon de l’ombre au pays du soleil, un Poétaillon que personne ne lit et que bien peu écoutent ; un faiseur de métaphores, un modeleur d’élucubrations, un raconteur d’histoires ! Et de mon trou jamais on ne grimpe au ciel ; macarel !
Ne dormez pour autant tranquilles, chers amis, même si je ne préside jamais aux destinées du monde d’autres se chargent de nous asservir et nous détruire jour après jour !
Pour moi ce n’était qu’une plaisanterie, qu’un pamphlet ; mais quel pied !