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« Ballade » au gré du vent de Cers (livre 2) 1997

à Sissous, Marie et Thomas,

« mes anges gardiens »


Mise en bouche

        

                    Cher ami, puisque le décor de mon premier recueil semble avoir été à votre goût, je vous invite à déambuler encore et sans retenue sur cette terre des Corbières, ma terre d’enfance, ma terre chérie, ma terre d’inspirations !

   Accompagnez-moi alors et enivrez-vous de sucs de paix et de ciel bleu, de sucs de vignes, de pinèdes, de garrigues et d’anecdotes originales ! Une « Ballade » au gré du vent de Cers qui pousse un peu plus loin le pas sur l’herbe sèche de la sente, au fil des soupirs de notre civilisation Occitane, emmenant tantôt la bonne nouvelle, tantôt la grêle ou la foudre !

   Comme un saut de ruisseau, comme un saut de quartier ou de saison, je vous propose de feuilleter mes poèmes sans ordre précis, au gré de vos désirs, comme si vous étiez là, dehors, sur le chemin, un brin de thym à la bouche, sans regarder derrière, sans montre ni quête !

   La saison qui jusqu’à aujourd’hui me fascinait le plus était l’automne. Peut-être trouvais-je dans les senteurs du raisin que l’on coupait à la main, la force nécessaire pour aller de l’avant ! J’ai d’ailleurs poussé le vice de naître en pleine saison de vendange, au mois de septembre 1960, au cœur de la vigne du pont, à Labastide-en-Val… au cœur des Corbières Occidentales… dans une comporte au trois-quarts remplie de mourastel !

   Aujourd’hui, sous les pétarades de la machine à vendanger, il me semble que l’automne a perdu, outre l’agréable baiser ferré des grappes et des sécateurs, les rires des vendangeurs et les truculentes histoires dont seuls les aïeux détenaient le secret. Aussi, je fuis cette saison autant que les vieilles filles à poils longs, qui, le soir venu arpentent à pas rapides les ruelles du village, le panier d’osier suspendu à leur bras. J’en profite alors pour puiser d’innombrables images dans des malles de temps révolus, puis, alchimiste débutant, je transforme ces images en rimes que j’enfile sur de longs fils de laine. Je suspends soigneusement, pour l’hiver, ces fils de laine dans la cheminée, comme le faisaient les anciens avec leurs longs fils de champignons à faire sécher pour les sauces, puis m’abandonne aux parfums d’autres éthers.

   Au cours de mes errances il m’arrive de croiser, au détour d’une haie, l’armée des Croisés au grand galop, conduite par Simon de Montfort, ou d’admirer un rai de soleil qui illumine, à l’heure des mantras, quelque autel où prient cent cathares. Je revois bien souvent les toits ocres et roux de ma douce Corbière, la vie au sein de mon petit village, le jardin de la cabanette et le petit chemin qui traverse la rivière. Je revois mon père, toujours content, la bêche sur l’épaule, tenant par la main le fier apprenti vigneron, que j’étais. Ma plume alors s’emballe et voici que sous les fragrances tonifiantes de ce pays de cocagne, à sa manière elle délie son monde et me permet d’en jouir encore, encore et encore !

   Qu’il est doux, ami, de se laisser bercer ; venez, suivez-moi !

J.G


 Table des poèmes

 
  1. L’enfant du jardin de la Cabanette.
  2. Au nom d’adolescence.
  3. « Marais »-vous.
  4. Le sujet de philo.
  5. L’âme vagabonde.
  6. Ma lutte poétique.
  7. La « genèse » selon mon pote.
  8. Par la cote d’Adam.
  9. Le masque bleu.
  10. L’appel des mitounes.
  11. L’Ulysse.
  12. Nouvelles envies.
  13. Indiscrétions.
  14. Je voudrais une fois.
  15. Méditations.
  16. La petite fleur attristée.
  17.  Faut-il faire l’Europe ?
  18. Tablier violet sous grand fichu.
  19. Entre chauve et tordu.
  20. Hommage à Ferdinand Civade.
  21. Lettre à Dieu, mon ami.
  22. Ode à la vie.

1.  – L’enfant du jardin de la Cabanette

  

En ce temps-là j’étais heureux

et ne le savais pas encore.

Seules la faune et la flore,

comme la course des météores

me rendaient à peine soucieux.

Je n’évoquai la politique

ni n’envisageai l’avenir,

et pour seule conduite à tenir

cherchais un très rare élixir :

« Arcadie », la magnifique !

 

En ce temps-là j’étais heureux

de prendre la poudre d’escampette

au jardin de la Cabanette,

le pays des mille rouquettes

qui poussaient dans le fond de tes yeux…

lorsque tous deux, main dans la main,

en suivant le lit du ruisseau

nous allions au son du flûteau

vers la roseraie, les oiseaux,

semer nos vœux au grand destin !

 

En ce temps-là j’étais heureux.

Seuls les fruits espérant l’automne,

les feuilles rousses qui tourbillonnent

et nos godasses d’autochtones,

somme toute, même si c’est bien peu,

suffisaient à me rendre heureux.

Je ne savais pas encore

que l’acide emplit les amphores,

que l’arc-en-ciel se décolore

ni que l’amour est un jeu !

 

En ce temps-là j’étais l’enfant

du jardin de la Cabanette

et mon âme, sur l’escarpolette,

finassait et contait fleurette

aux lueurs du soleil couchant !

 

De ce temps où j’étais enfant,

près de toi, au cœur de nos vignes,

bercé par la brise maligne

je porte fièrement l’insigne

où sur la photo, grimaçant

comme les espiègles de mon âge

je respire encore la santé…

aujourd’hui si convoitée…

tellement rare en ces années

que l’on ne cesse de tourner les pages

pensant peut être que le calendrier,

comme celles que l’on a vécues,

nous offrira béat, ému,

de nouvelles années où féru

de liberté le gratte- cul

refleurira près des sentiers !

 

Papa,

 

merci d’avoir à ma jeunesse

voué ton temps, jeté les dés,

qui sur le six étant tombés,

m’ont donné l’envie de rimer

et nourris mes folles ivresses

de Muses et de Poétesses,

d’un nectar d’immortalité !

 

A propos d’immortalité,

à tes côtés, sans le savoir

je voletais en plein terroir

des heures roses de l’espoir ;

 

« Arcadie »,

 

en ce temps-là je la vivais.


2.  – Au nom d’adolescence

  

Au huit de la rue du château,

qu’elle était belle ma mansarde !

 

Sur la porte, un  drôle d’écriteau

interdisait à la camarde

l’accès à l’étage du haut

réservé à ma bouffarde,

mes fantasmes et mes idéaux !

 

Sans issue aux jeunes mignardes

boutonneuses plus qu’il n’en faut,

ni à ces oies, qui tant cacardent

qu’elles n’en truffent d’ail le gigot !

La philosophie du panneau

indiquait qu’ici l’on chaparde

l’os à l’ancienne, sans couteau !

 

Une lucarne, sur les toits,

semblait taxer au temps qui passe

les traits d’un printemps qui festoie.

Aussi, quand l’odeur de vinasse

du sol des caves que l’on nettoie

accumulait sur ma paillasse

les notes d’un Ave Maria,

à l’âge où le corps finasse,

à l’âge où l’âme est aux abois,

aux tremblements de ma carcasse

d’ado qui menait son combat,

par les saints les plus loquaces,

à l’amour qui fuyait parfois

j’offrais mes jurons bien pétris

pour n’avoir pas sus retenir

auprès de mon âme transie

la beauté qui me fit frémir,

la main que je ne sus saisir !

 

Allez au terme de vos conflits,

de vos souhaits et de vos désirs

enfants de la nouvelle vie !

Allez, jurez donc à loisir !

Aimez le printemps qui fleurit !

Priez !

 

Priez pour que l’adolescence

demeure en vous la prime essence,

qui, au fil des printemps qui fuient

guide vos pas au paradis

des jouissances infinies !

 

Quant à toi,

lorsque les vents de l’âge adulte

te pousseront à l’agonie,

adolescence, toi qui exulte

sur les terres de ma folie,

promets-moi que dans ce tumulte,

comme entre illusion et magie,

 

promets-moi que dans ce tumulte

nous serons à jamais réunis !


3.  – « Marais »-vous –

  

Ainsi je voletais,

errant ici ou là

à travers le marais,

si beau au mois de mai

quand sous les acacias

les fines vaguelettes

de l’onde un brin verdâtre

étendaient leurs bouclettes

pigmentées de paillettes

sous des feuilles d’albâtre !

 

Flottant au fil du temps,

offrant à l’éternel

le tendre bégaiement,

l’illustre coassement

du chant originel,

j’étais en ce temps là

l’éclat de la nature !

Ensemencé de pois

aux couleurs qui flamboient,

parsemé de rayures,

j’étais « ado coléoptère » ;

quelque prince d’azur !

Mais pour un éphémère

je rusais la poussière

et parlais au futur !

 

Ainsi je voletais,

errant, ici ou là

à travers le marais,..

si beau au mois de mai…

et puis… Alléluia…

pour quelque compassion

au bec d’une pinson,

me voici… papillon !

 

Il n’est là que logique mutation !


4.  – Le sujet de philo

  

Le sujet de philo

eut encore cette année

quelque esprit libertin,

et par monts et par vaux

 appela à traiter

du peintre contemporain.

Traquer le maestro

en un devoir minuté,

et de si bon matin !

Si fourbe qu’il fut chaud

et drôle ce sujet ;

nous aurions, et de loin,

préféré Scapin !

 

Mais la littérature

cède bon gré le pas

à qui veut s’affirmer,

et qui par l’aventure

colore son trépas

sur de nouveaux sentiers !

 

Inventer le futur,

n’est-ce pas là la loi

qui régit l’étudiant ?

C’est ainsi qu’à la peinture

elle voulut une fois

se soustraire en laissant

les honneurs à l’abstrait.

 

Alors,

au fusain, au couteau,

les rondeurs du pastel

câlinèrent la toile ;

sous le coup de pinceau

ce fut la coulée de miel,

le vent dans la voile !

l’émail des vitraux

reflétant sur l’autel

le sourire d’une étoile !

la clarté de cette litho,

qui, apprivoisant le ciel

de spirale en spirale

son âme nous dévoile !

 

Pour traiter les prémisses

de l’étrange examen

il eût fallu cent pages…

quand cela tient du vice

de vouloir qu’à notre âge

l’on dresse l’esquisse

du peintre contemporain,

du solitaire, du sage !

Je crains qu’on ne le puisse,

qu’on y perde notre latin,

mais à regarder au loin,

à savoir tourner la page,

nous y trouverons bien le message !

 

Hanterait-il les coulisses,

les couloirs de quelque esquisse

de Monet, de Matisse ?

 

Les sujets de philo

sont curieux chaque année,

et par monts et par vaux

appellent à traiter

des grands noms du dico.

 

Ne serait-il pas plus gai

de n’avoir de cesse

que de redorer la jeunesse,

lui rendre ses ivresses

et les moyens de rêver ?

 

Ah, enseignement inadapté…


5.  – L’âme vagabonde

  

J’aurais voulu avoir

quelques années de plus

et jeter au pouvoir

les pavés de ma rue ;

jurer, le verbe haut,

le poing brandi, serré,

et malgré les assauts

des hommes noirs casqués

 

tenir,

 

tenir pour l’avenir,

pour que la société

puisse redécouvrir

ce mot de LIBERTE !

 

J’aurais voulu avoir

quelques années de plus,

m’éveiller au dortoir

d’un monde chevelu,

dans le lit des sarcasmes

où les mille couleurs

fleurissant mes fantasmes

auraient étreint leurs cœurs ;

 

vivre !

 

Vivre sans l’ombre de la trique

de ces âmes batées

me désignant d’excentrique,

de jeune écervelé !

 

Le monde est opprimé,

la lutte continue ;

d’innombrables guerriers

s’affrontent aux coins des rues !

 

Si je pouvais avoir

quelques années de plus,

sur un caillou, m’asseoir,

contempler la décrue

et sentir dans mon dos

les rayons de bonheur

d’une ère de repos,

d’amour et de chaleur,

 

alors je laisserai

la place à la jeunesse,

et je repartirai

dansant dans l’allégresse !


6.  – Ma lutte poétique

  

Circulez, il n’y a rien à voir,

mon âme est tombée du trottoir

et dans le fond du caniveau

s’est brisée en mille morceaux !

 

Heureusement qu’il passait là

une eau, qui dans l’anonymat

allait du côté de la rivière

pécher au fil de sa misère

 

 quelques bouts de soleil levant,

comme le font parfois les enfants,

d’un fil, d’une boite et de pain,

en espérant qu’un beau matin

 

se prendra à leur hameçon

un avenir de cotillons

où les serpentins, les lumières

qu’ils réclament en leurs prières

 

deviennent enfin réalités

et qu’ils pourront boire et danser

au bar des hommes qu’on dit « actifs » ;

qu’ils causeront de leur passif

 

comme des années de galère

où tout le monde se disait frère

mais où l’on montrait du doigt

le mal rasé en fin de droit,

 

vêtu des braies d’une politique

ou droite et gauche, identiques,

faisaient la pige au capital,

la cour aux filles du Général !

 

Parce qu’être fille de général

c’est quand même moins infernal

que d’être le coin-coin du coin,

celui qui ne vit de presque rien

 

parce que papa n’est pas bien riche,

qu’il ne promène pas de caniche,

parce que dans les bras de maman

un York ne joue pas du séant !

 

Circulez, il n’y a rien à voir,

mon âme est tombée du trottoir

et dans le fond du caniveau

s’est brisée en mille morceaux !

 

Ce n’est pas bien grave, d’autres viendront

bercer de rêves mes illusions ;

d’ailleurs j’ai ouï dire que les riches

partageraient leurs pois-chiches…

 

de gré ou de force parbleu,

moi qui tire le diable par la queue !

Là, j’ai revu ma position,

j’ai même changé de religion,

 

désormais,

 

mon Dieu se nomme révolution !


7.  – La genèse selon mon pote

  

Que mon pote a bien du mérite,

grand Dieu, quel sacré bricoleur !

les clous, les outils, ça l’excite,

de tous, c’est bien lui le meilleur !

 

Aux confins de la voie lactée

quand surgit Saint-Catavana

ses jambes se mettent à trembler,

son cœur entonne le Hosanna !

 

Il loue ce fidèle intrépide

en vrai compagnon du devoir !

en ses pensées extralucides

déjà brille son ostensoir…

 

Le premier jour :

 

Il créait le ciel et la terre,

vissait et clouait sur l’étau ;

il vint à manquer de charnière,

de rage il partit chez Casto !

 

Le second jour :

 

En soudant les astres et la lune,

lui, d’ordinaire si dégourdi,

laissa glisser dans la brume

ses pinces et fila chez Obi !

 

Le troisième jour :

 

Pour agencer la terre, les mers,

comment s’y prendre sans dessiner

car les feuilles de plans coûtaient cher…

il se rendit donc à Bricomarché !

 

Le quatrième jour :

 

Pour peindre certains animaux

il lui fallut bien du courage,

des huiles, des gouaches, des pinceaux…

et le white de M’sieur bricolage !

 

Le cinquième jour :

 

Fidèle à son bon sens divin,

pour finir l’homme comme il se doit,

zut, était-ce au magasin coquin

ou à l’échoppe Caténa ?

 

Le sixième jour :

 

Le jour, la nuit, l’ombre, la clarté,

tout cela manquait de logique ;

alors l’ami, comme conseiller,

pris le gaffet du Comptoir Electrique !

 

Le septième jour :

 

Arrivait enfin le dimanche

et les sandales bien méritées ;

à s’être autant monté les manches,

du repos il ne put profiter…

 

si bien qu’au matin du lundi,

la femme souhaitant peaufiner

tout de go il perdit l’esprit ;

le pauvre homme était exténué ;

 

partout il trouva porte close,

le lundi les gens font la pause !

Quant à la femme, grand Dieu tant pis,

pauvres hommes vous l’aurez ainsi !


8.  – Par la côte d’Adam

  

Par la cote d’Adam, voie sacrée du mystère,

te voici – surprenant sur mes terres austères –

tel l’enfant innocent empreint de jolis rêves,

à peine haletant au monde qui s’éveille.

 

Te voici, maintenant, déesse en mes palais,

maitresse nourrissant des accents de Judée

mes soupirs les plus fous, abreuvant mes ivresses,

semant après la houe la graine de tendresse

par laquelle, bleuets, lupins et coquelicots

ornent de fiers bouquets l’antre de mes enclos !

 

Par ma bouche qui boit au nectar de ta peau,

mes larmes aux abois sur le galbe de ton dos ;

par ta douce blancheur, tes fragrances fragiles

et les peintures vives des saints évangiles ;

par tous les maléfices, par la flagornerie,

par le divin calice, les ténèbres en furies…

 

Femme,  Femme,

 

Femme, que ton nom est grand et que le mien est triste

à parler si souvent en son âme machiste,

lui qui sans toi n’est rien qu’une poussière infâme !

Pardonne à ce vaurien et offre-lui la flamme,

 

le feu perpétuel,

l’amour éternel !


9.  – Le masque bleu

  

Dans le vent des saxophones

flottent des envies exotiques ;

et danse et chante l’amazone

sur la gamme des rythmiques !

Le monde enfin déraisonne ;

les dieux ne sont plus critiques

lorsque l’âme se passionne

pour une déesse antique !

 

Comme une note poétique

dans ce monde un peu trop flou,

une prairie de colchiques,

un sourire qui rend fou,

comme le parfum érotique

qui étreint le galbe de son cou,

son regard satanique

devient un big-bang magique

lorsqu’il se pose sur vous !

 

Quand mes désirs peignent leur nuit,

leurs couleurs revendiquent,

du plus noir de la fantaisie,

quelque horizon fantastique

où la saveur de leurs fruits

serait une douce musique

sur laquelle il me serait permis,

dans le big-bang de ma folie,

de connaître l’amour mythique !

 

Si un jour, par l’interstice

de son masque bleu,

vous cherchiez, un peu par vice,

où elle cache son jeu,

c’est au pire des supplices,

peut-être aux adieux,

vers tous les maléfices

que vous iriez… heureux !

 

Certes,

ce sont eux qui le choisissent,

mais les hommes ainsi périssent…

 

tous… à petit feu !


10.  – L’appel des mitounes

 

 Les vignes étaient vertes à Montlaur 1,

le vent marin séchait la terre,

les mitounes 2, en quête d’adultère,

pénétraient mon âme et mon corps.

 

A Montlaur les vignes étaient belles,

la saison 3 s’annonçait pour bientôt ;

les mitounes, de leurs meilleurs flûteaux

jouaient le tango qui ensorcelle !

 

A Montlaur les vignes souriaient

sous le poids de raisins bienséants,

quand par la mélodie de leur chant

les mitounes déjà m’attiraient !

 

Les vignes étaient belles à Montlaur,

le vent marin séchait la terre,

les mitounes, en quête d’adultère

pénétraient mon âme et mon corps.

 

A Montlaur la lune étincelait ;

je courais à travers la lande

cueillant les plus belles guirlandes

que m’offraient les cieux étoilés.

 

A Montlaur, la lune était si ronde

que les mitounes y cherchaient l’amour ;

dans les avoines, à la fin du jour

on y trouvait, dit-on, du monde !

 

Les mitounes sans cesse m’attiraient,

lorsqu’un soir, je suivis, inconscient,

par les vignes la voie de leur chant ;

les belles m’avaient ensorcelé !

 

A Montlaur la lune étincelait ;

je courais à travers la lande

cueillant les plus belles guirlandes

que m’offraient les cieux étoilés…

 

lorsqu’elles s’approchèrent,

lorsqu’elles m’agrippèrent,

lorsqu’elles me câlinèrent…

et lorsqu’elles m’emportèrent !

 

Je pus leur échapper, tremblant ;

courant alors à perdre haleine

je quittai ces sorcières amènes,

et leur monde de faux-semblants !

 

A mon escapade contrariée

je ripostai par un cru local ;

le rouge de Montlaur est idéal

pour se refaire une santé !

 

Amis, ne cédez aux appels

des mitounes, poussez plutôt

la porte de cet autre caveau 4

où l’on embouteille le soleil ;

 

un acte tout autant charnel !

 

1 Montlaur : village des Corbières.
2 mitounes : légende audoise ; fées qui vivaient dans des grottes au fond des rivières aurifères et gardaient leur trésor contre d’intrépides voleurs.
3 saison : période de vendanges.
4 caveau : référence faite au caveau de la cave coopérative de Montlaur.

11.  – L’Ulysse

 

J’étais un Ulysse des Corbières,

de ceux qui vont la mine fière

à l’aventure, sans savoir

ce qui se cache derrière le miroir ;

que diable ! L’envie pour un soir

de changer de vie, de trottoir,

poussait en moi sa gueulante,

ouvrait une gueule béante !

 

Serrant au bec un brin de thym,

fin prêt pour le voyage divin,

mon chapeau de paille sur le nez,

sans strass, sans frime, sans simagrée

je vécus la triste odyssée,

la bouleversante traversée

de quiconque entre les nuages

trouve quelque sale passage !

 

Sur la rive où je débarquai

les femmes entre elles s’épiaient ;

« T’as vu celle-là comme elle est grosse…

t’as vu comme elle fringue ses gosses…

et l’autre, cette vielle rosse

qui pointe au chômage en carrosse ! »

Je me suis enfui en pleurant,

elles ne vénéraient que l’argent…

 

lorsqu’une étrange pétarade

fit voler dans ma persillade

le cri des anges que l’on tue ;

je vis passer un détenu,

une espèce de roi déchu

et des femmes armées ; saugrenu !

J’ai fui ce pays de misère,

le fric, la guerre ; j’ai fui la terre !

 

Mais l’univers était troublant,

pas comme dans les jeux des enfants,

ceux que l’on branche sur la télé,

ceux que l’on truque pour s’amuser !

Celui-ci, pour seule vérité,

n’était  qu’un lieu-dit sinistré ;

j’ai pris mes jambes à mon cou,

pris ma musette et le dégoût !

 

Je voulais rouler une clope

avec quelque brave cyclope,

je voulais tomber amoureux

des sirènes au chant mélodieux,

taper le carton avec les dieux,

être douze fois valeureux !

Hélas, les voiles de mes envies

prirent une direction bien pis !

 

Avant de sauter le mur du parc,

sept ans avant de bander l’arc,

avant de reprendre ma place

près des miens, de laisser ma « Thrace »,

avant de refaire surface,

d’alléguer ma contumace,

d’être à nouveaux ce vigneron

plus l’aise dans son bourgeron…

 

mon cher Homère, excuse-moi,

j’ai pété les plombs cette fois !

En ce moment je cauchemarde,

le monde, ici, c’est la camarde !

Bientôt je relirai l’Iliade,

et si je rêve des couillonnades,

mon brave Homère, ne m’en veut pas

si je refais la Guerre de Troie !


12.  – Nouvelles envies

 

Peu importe l’histoire,

qui donc il faudra croire

du sage ou du vieux loup…

 

peu importe l’histoire,

qui donc il faudra croire,

le chêne, ou l’amadou ?

 

De pierres et de planches,

les ruines sous les branches

fuient le vent des querelles…

 

de pierres et de planches

les ruines renaissent pervenches

ou mères maquerelles ;

 

les vapeurs libertines,

là-haut, sur la colline,

dansent main dans la main…

 

les vapeurs libertines,

là-haut, sur la colline,

apprivoisent les chemins ;

 

il n’y aura plus de guerre,

là-haut, sur cette terre,

la nature l’a compris…

 

il n’y aura plus de guerre,

là-haut, sur cette terre,

les iris ont bleui ;

 

le soir, enfin, prépare

ses dernières guitares

pour la fête étoilée…

 

le soir, enfin, prépare

ses dernières guitares;

nous allons nous aimer !

 

les thyms, les romarins

iront jusqu’au matin

en une farandole…

 

les thyms, les romarins

iront jusqu’au matin,

un peu comme un symbole ;

 

l’hérétique n’est plus,

le français disparu,

la garrigue est bien sage…

 

l’hérétique n’est plus,

l’histoire a disparu

au fond de ton corsage !

 

Au pied de la murette,

pour moi ton corps sécrète

le suc de tes vingt ans…

 

au pied de la murette,

pour toi mon âme sécrète

quelque désir ardent.

 

Il n’est chose plus douce,

que sur un lit de mousse

on ne batifole un brin…

 

il n’est chose plus douce,

que sur un lit de mousse

on refasse demain,

 

moins con, plus sain !


13.  – Indiscrétions

 

 Lorsqu’une rime porte son nom

c’est tout le dico qui jubile,

sous le fil d’encre indélébile

l’alphabet qui perd la raison !

 

Lorsqu’une rime porte son nom

la mine de mon crayon s’allume

des mille reflets de la plume

et les mots vont en procession !

 

Lorsque la rime caresse

de son gant de velours, l’amour,

de demi-tons en demi-jours

sous le vent de nos ivresses,

 

lorsque la rime caresse

le temps nouveau des sentiments,

nos timides balbutiements

ont les couleurs de la tendresse !

 

A composer la rime, il m’amuse,

plutôt que d’aller en galère,

mais trop donner de caractère

à l’intimité, je refuse !

 

A composer la rime, il m’amuse,

les mots ne sont que pour jouer ;

son parfum je ne peux dévoiler,

ni son prénom, mille excuses !

 

Si la rime portait son nom

je vous conterais l’histoire

d’un dico qui partait en foire,

à la foire à la déraison !

 

Si la rime portait son nom

je vous dirais pourquoi les lettres

peuvent toujours tout se permettre

sur les chemins de la conclusion ;

 

la rime n’est qu’une illusion !


14.  – Je voudrais une fois

  

Je voudrais une fois

écrire un mot sur toi,

un petit mot, ma belle ;

je voudrais une fois

dépeindre un peu de toi,

un trait de ma Cybèle !

 

Si tu ne me ficelles,

si tu ne me muselles

je dirai tes froufrous !

et si ton fier chignon

m’accorde son pardon,

alors je dirais tout !

 

Je voudrais une fois

camper ton doux minois

avec un brin d’adresse ;

je voudrais une fois

brosser un fil de toi

sur un air de tendresse !

 

Mais parler de tendresse

serait causer sans cesse,

serait conter beaucoup ;

mais si ton fier chignon

m’accorde son pardon,

alors je dirai tout !

 

Je voudrais une fois

expliquer le pourquoi

lorsque l’amour frétille !

et puis tant d’autres fois

expliquer le pourquoi

de l’étoile qui scintille !

 

Quand l’étoile scintille

la faux vers la Bastille

saute les barricades,

mais que ton fier chignon

m’accorde son pardon,

car sous la canonnade

pour la millième fois

ton souffle se posera

au creux de mon épaule,

pour la millième fois

je suivrai fou de joie

le vent de ta boussole !

 

Et que ma plume braille

le cri de tes entrailles,

les saveurs de ton corps,

jusqu’à ce que le papier,

ma verve et l’encrier

soient morts et archi morts !

 

Je serai apaisé, alors.


15.  – Méditations

 

 Assis comme l’enfant qui espère, qui attend

quelque feu d’artifice, les yeux pleins de malice

je regarde droit devant, ébloui, impatient,

soutirant du calice les derniers délices,

l’ultime rougeoiement d’un soleil décadent !

 

Sur ce mont de senteurs je livre ma pudeur

aux esprits du terroir, puis danse dans le soir.

Dans la douce blancheur de la lune, rêveur

je m’abandonne au soir, quand en guise d’espoir

je laisse errer mon cœur sur ce tapis de fleurs.

 

J’en cueille cent pour toi, ma déesse des bois,

en brassées de plaisir, en bouquets d’avenir !

Sous l’accent de ta voix se ranime ma foi,

dès tes premiers soupirs suinte l’élixir

et se meurent à ta loi mes souffrances d’ici-bas !

 

Enfin, ma solitude, ma sollicitude

de discours en aveux atteignent la cime des cieux,

de nouvelles latitudes où nos corps se dénudent,

où les anges, besogneux, entretiennent les feux

de la plénitude, de la béatitude !

 

Assis comme l’enfant qui revit les instants

de son feu d’artifice, les yeux pleins de malice,

aux murmures du vent qui impudiquement

en mon âme s’immiscent, je lègue mes cicatrices.

Dans les enchantements d’un tout autre levant,

lavé de mes tourments, je retrouve, content,

la fade odeur des faînes, mes frères de la plaine

 

et la douce rengaine des jours de la semaine !


16.  – La petite fleur attristée

  

Ce matin, en me promenant,

je vis une fleur qui pleurait ;

m’approchant délicatement

je l’entendis murmurer :

 

 « Toutes les abeilles sont parties,

les libellules, les hannetons,

et dansant entre leurs ailes ont fui

mes pétales, vers l’horizon ! »

 

Ce matin, en me promenant,

j’ouïs une fleur qui pleurait,

qui, pendue à la barbe du vent

pensait qu’il l’écouterait,

la plaindrait, s’attristerait…

 

mais dans sa course folle

il ne put prendre le temps

d’arrêter sa carriole

pour quelques sentiments ;

si triste fut l’évènement !

 

Ainsi en est le sort des fleurs,

soumis au gré du baluchon

de l’hiver qui passe sans cœur,

mais qui annonce, plein de compassion,

l’approche de la nouvelle saison !

 

Ce matin, en me promenant,

je vis une fleur attristée ;

bien que vous trouviez cela surprenant

 

je lui offris mille baisers !


17.  – Faut-t’il faire l’Europe ? –

 

 Savez-vous que bien des cravatés

sans cesse nous causent d’« Europe » ?

 « Mon fils, voilà pour toi une fiancée,

(clame la boulangère philanthrope)

que l’on m’amène cette Europe ! »

 

Il ne s’agirait que de frontières

qu’ils souhaiteraient pousser un brin

pour que notre vieille boulangère

puisse caser son Mathurin

à l’une des filles d’un voisin ?

 

Là, ils nous cachent la vérité,

ce n’est point pour l’amour qu’ils œuvrent !

Des œufs ils ne nous feront gober

ni même avaler des couleuvres ;

je vais vous en donner la preuve.

 

Tout avait commencé, soit disant,

parce que Dieu avait de la peine,

oui, beaucoup de peine en nous voyant

mener une existence sereine ;

dans le midi, on allait chantant !

 

Mais nos chansons n’étaient à son goût,

il n’en connaissait les cantiques !

Les gens d’ici, un tantinet filous,

sans l’offenser, ni émettre de critique,

préféraient des airs plus comiques !

 

Au son de la cithare ils frappaient

des mains et des pieds… les Cathares…

toute la folle nuit ils sautaient,

chantaient et dansaient dare-dare ;

ils aimaient quand sortait la fanfare !

 

Mais le Saint-Père, plus « terre à  terre »,

bon pape, fier, mais sans humour,

souhaitait du fond de ses prières,

lui, le sage, nous venir en secours ;

hélas, bon Père mais piètre troubadour !

 

Il envoya quérir près du roi

des hommes de bonne volonté,

un brin nobles comme il se doit,

tel Simon de Montfort, ce guerrier

qui à Toulouse s’en ira trépasser !

 

La guerre était inévitable ;

par l’âme, « Occitans » nous étions…

avec pour armes peu redoutables

nos réjouissances et nos lampions ;

le soir venu, en Languedoc nous dansions !

 

Leur histoire parle de sacre,

d’hérétiques, de châteaux assiégés ;

la nôtre pleure les massacres,

les cris du Languedoc mutilé,

la fin de notre tranquillité !

 

Bien des guerres nous sont parvenues

depuis ce treize septembre quarante-neuf,

du fol treizième, bien entendu.

Aujourd’hui on accouple l’âne au bœuf,

mais pour nous, votre Europe reste du bluff !

 

Depuis hier seulement nous sommes français,

attendez un peu que l’on s’y habitue !

Si vous voulez encore guerroyer,

à l’arme économique de plus,

cherchez donc loin d’ici, vos recrues…

 

nous avons, au pays, des soucis ;

pour une fois vous n’y êtes pour rien !

pauvres de nous, à la boulangerie

la vieille a bloqué le pétrin

et entame la grève de la faim

jusqu’à ce qu’elle marie « son Mathurin » !

 

Envoyez chez nous les casques bleus,

– même s’ils ne peuvent faire grand-chose –

de votre part ce serait généreux,

que dis-je, ce serait grandiose…

 

la vieille a bien de l’arthrose,

la vérole, de la pègue aux yeux,

la moustache et la tuberculose,

mais son calibre douze est nerveux !

 

Amis, le village manque de pain !

l’urgence,

n’est-elle à débloquer le pétrin ?


18.  – Tablier violet sous grand fichu

  

Et chaque jour ça recommence,

tablier violet sous grand fichu,

allez savoir à quoi elle pense

courbée au milieu de la rue !

 

Chaque soir, la voilà qui passe,

son arrosoir, sa fleur symbole ;

allez savoir sur quelle trace

à petits pas, elle convole !

 

L’aurore pointe, qu’elle toque

du bout de sa canne pudique ;

allez savoir de quelle époque

nous vient cette douce musique !

 

Qu’importe le rythme des saisons,

toujours la fleur et l’arrosoir…

allez savoir quel horizon

se mire au fond de son regard !

 

Est-ce un fils qui l’attend là-bas,

un mari tombé à la guerre ?

Allez savoir entre quels bras

la vieille danse au cimetière !

 

Puis, dos tourné au vent qui passe,

égrenant son long chapelet,

allez savoir pourquoi elle chasse

la larme qui fait mine de monter !

 

Je te loue grand-mère, qui seule,

à bout de force va chantant !

Va savoir, corvéable aïeule,

combien il nous reste de temps !

 

Plus tard je l’embrasse en secret

lorsqu’elle longe ma chaumine ;

allez savoir si mes baisers

au fond de son cœur tambourinent !


19.   Entre chauve et tordu

 

A l’angle d’une rue

un chauve se plaisait

à contempler un tordu

qui se dandinait ;

 

clopin-clopant

il suivait une idée

et trottait hardiment

afin de la rattraper !

 

Le chauve le fila,

tant il trouva l’idée bonne,

et tenta, pourquoi pas,

de la ravir à cette personne !

 

L’un cheveux aux vents,

l’autre fendant la bise,

ils achevèrent sur un banc

de perdre leur matière grise !

 

Ils se mirent à causer,

chacun questionnant l’autre ;

« – Pensez-vous que leur idée,

soit meilleure que la nôtre ? »

 

De leurs discussions naquirent

roublardises et arguments

que je ne vous livrerai, au pire,

que si vous êtes leurs poursuivants !

 

Ah, triste est la politique

et coriaces sont les gens

qui pour une idée sympathique

tueraient père, mère et enfant !

 

Maudite soit la politique !

Adieux veaux, vaches, cochons ;

au pays de la bique,

heureux, soit le mouton !


20.   – Hommage à Ferdinand Civade

  

Je voudrais porter l’accolade

au fameux Ferdinand Civade,

qui, en ces années d’avant-guerre,

en ces trente glorieuses, bon compère,

aux quatre coins du Val-de-Dagne

transportait son mât de cocagne

sur lequel, en guise d’autographe

on lisait:

 

 Avis à la population, ce soir

CINEMATOGRAPHE

séance à 8 heures au café.

 

et chez Margot débarquait le cinéma muet !

 

Quand Ferdinand tournait la manivelle,

sur l’écran arrivaient pêle-mêle

les ouvriers, les gaffets, les poltrons,

de bien étranges situations

et les pitreries les plus loquaces !

 

Les gamins, devant tant d’audace,

se paraient aussitôt de grimaces !

 

Quand, hélas, l’appareil chauffait trop,

le Jules, l’Auguste ou la Margot

s’occupait à verser l’anisette,

Ferdinand roulait sa cigarette,

les amis avaient le cœur en fête,

chacun allant de son « qu’ès aco ! »

 

Ferdinand, sous la pétarade

de sa moto, sur l’esplanade

quittait Labastide en sifflotant ;

il allait par n’importe quel temps !

 

A ce héro sorti d’un autre âge

laissez-moi rendre un dernier hommage !

 

Au cimetière, je vous le promets,

Ferdinand semble bien tristounet ;

sur la toile de quelque écran blanc

il regarde, pour passer le temps,

ces grotesques goguenardises

qui aujourd’hui ridiculisent

le ciné de nos grands-parents !

 

Embrassons de bon cœur Ferdinand,

le Roi du cinéma ambulant !


21.  Lettre à Dieu, mon ami

 

Depuis que les bigotes du quartier

pendent leurs culottes aux bénitiers

sans se soucier de l’opinion,

qu’elles accrochent près des caleçons,

près des mirlitons du curé

leurs dentelles et leurs effets,

des balcons de ta religion,

Dieu, mon ami, lève ton veston !

 

Entre les uns qui n’ont la flamme

et les autres qui te réclament,

où faut-il que je me positionne

pour ne faire de tort à personne ?

Faut-il, pour être dans le coup,

que je te parle en disant vous ?

C’est bien de ta faute après tout,

c’est bien de ta faute malgré tout

si sous ma caboche rien ne résonne !

Dieu, mon ami, gare à la pomme !

 

Tu sais ce qu’il serait bien de faire

au lieu d’être deux adversaires ?

Je connais, au cœur de la ville,

un vieux meublé, sous quatre tuiles,

où nous pourrions, seuls et peinards,

devant un cruchon de pinard

refaire le monde, tranquille,

Dieu, même si c’est difficile !

 

Tu pourrais, sans y aller trop fort,

me conter l’histoire de la mort ;

je te raconterais alors la vie,

le business, les nuits de folie…

tu prendrais alors conscience

que tes fils n’ont pas tous la chance

de fouler les trottoirs de France,

bien que chez mes frères aussi,

Dieu, mon ami, tout est fini !

 

Leur ventre chantonne le soir

la mélopée du désespoir !

alors pour eux, essaie un peu,

essaie de faire de ton mieux,

modifie la situation…

je veux bien être ton second ;

si tu le veux, je serai ton second !

allez, chausse tes bottes, enfile ton bleu,

 

sinon tu ne seras plus crédible,

on ne la lira plus ta bible

et les bigotes du quartier

pendront fièrement aux bénitiers

leurs culottes et leurs dentelles,

quand le vil abbé, sous leurs ailes,

priera pour que la jupe des pucelles

soit de plus en plus échancrée ;

allez, fais-nous dans l’originalité !

 

Tu sais ce qu’il serait bien de faire

au lieu d’être deux adversaires ?

Je connais, au cœur de la ville,

un vieux meublé, sous quatre tuiles,

où nous pourrions, seuls et peinards,

dans la fumée de nos pétards,

au pied d’un cruchon de pinard,

d’une grosse boule d’argile

refaire le monde, tranquille,

Dieu, façonne un monde fertile !

 

Dieu, mon ami, prends ton bâton,

plante-moi la révolution

à coups d’éclairs et de tonnerre !

ce changement, il faut le faire !

Fais donc courir sur l’arc en ciel

les blancs, les rouges, les caramels ;

que les noirs, les verts, les pastels

viennent un soir à la maison,

dans cette ruelle de ma ville

un p’tit meublé sous quatre tuiles

pourrait bien être leur asile !

 

Au lieu d’être deux adversaires

cette révolution faut la faire !

Prends ta pioche, prends ta brouette,

prends ton grimoire et ta soufflette ;

change les hommes, change les bêtes,

change les femmes et les poètes

et donne les trois coups de la fête !

 

Depuis déjà belle lurette

flotte sur l’eau des bénitiers

les culottes et les effets

d’une société en goguette !

Change les hommes, change les bêtes,

change les femmes et les poètes

et donne les trois coups de la fête!


22.  – Ode à la vie

  

Je n’irai plus chercher

aux vents de ma jeunesse

les sourires passés,

les baisers, les promesses

et les divinités,

la chaleur, les caresses,

les fêtes de l’été,

les prières et les messes,

les moments de bonté,

les instants d’allégresse ;

mon cœur est sécheresse

et mon sang est glacé !

 

Aux bois de mes tumultes

les feuilles ont jaunies,

mes terres sont incultes,

mon âme à l’agonie ;

mes adjectifs insultent,

atterrent et terrifient ;

la mort en moi exulte ;

triste vent de folie !

hardiment elle sculpte

mon spectre et sourit ;

vers l’éternelle nuit

l’ennui me catapulte !

 

Adieu vent de courage,

tu peux tout emporter !

que viennent les orages,

la foudre peut tomber !

je vais tourner la page,

pour les cieux je suis prêt

à partir en voyage !

point de timidité

et point de maquillage !

Satan peut allumer

ses braises et danser,

point de cabotinage !

 

Un jour je reviendrai,

tout neuf, étincelant

sous les plis d’un drap blanc…

élégant revenant !

Un jour je renaîtrai !

Un jour je renaîtrai

d’une ride, paysan,

 

un jour je danserai

sur les fleurs de tes champs !

un jour je reviendrai

sous tes traits, mon enfant,

et recommencerai

le parcours excitant !

 

Un jour je reviendrai,

et serai ton amant,

éternellement !

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