à Bruno VERGNES,
Si j’ai mis au monde mon premier texte de « Poésie Contemporaine » au printemps 1986, et si très vite a jacassé dans son sillon une ribambelle de frères et de sœurs, je devais néanmoins attendre ce mois de mars 1996 pour mettre toute cette petite famille en musique et la voir grandir et mûrir devant un public fameux, particulièrement attentif et chaleureux.
Nos mélodies, à la guitare, sont nées de la passion et du talent d’un jeune artiste toulousain, aussi bien nourri par la clé de sol que par les sonorités de notre langue française, la peinture et la sculpture… un artiste complet s’il en est, que je remercie profondément pour tout le bonheur qu’il apporte à mon moulin, et à qui je dédie ce recueil.
Notre duo a pris le nom de « Pelharots 1 de Gobe-Lune 2 » et nous lui souhaitons longue vie !
1. Pelharot: Ce mot occitan vint de « pelha » qui signifie chiffon ou une chose peu importante ou mal entretenue. Le Pelharot achetait donc des chiffons, mais aussi des peaux de lapins et des peaux de lièvres. Il sillonnait, entre autre, le département de l’Aude jusque dans les années 1965, et s’annonçait dans les villages au cri de « Pelharot, Pelharot, pels de lebres, pels de lapins (peaux de lièvres, peaux de lapins) ». Toujours sale, avec un grand sac de toile de jute sur l’épaule, les enfants en avaient une peur bleue et les parents se servaient de sa venue pour les faire obéir ; « Je vais te donner au Pelharot si tu ne m’écoute pas ! ». Enfants, nous cherchions à voir ce personnage fascinant… mais de loin, cela va de soi.
A l’image de ce « rodeur » nous allons aujourd’hui de village en village, notre grand sac de toile de jute rempli de musiques et de rimes sur l’épaule. Nous l’ouvrons devant des badauds curieux d’en connaître le contenu… et les enfants, toujours, nous regardent passer de derrière les carreaux !
2. Gobe-Lune: Au travers d’une trentaine de textes, sur les places, à l’ombre des platanes, ou dans les salles du peuple nous emmenons nos « badauds curieux » vers ce pays magique de l’évasion. Un pays fort en anecdotes, en couleurs, en senteurs, où l’on va, l’espace d’une heure trente, les épaules dégagées des vicissitudes actuelles, où l’on va bouche-bée… et où l’on gobe la lune sans s’en apercevoir !
Mise en bouche
Il se trouve qu’à l’une des tables toulousaines où j’éprouve le grand plaisir de m’asseoir le troisième mardi de chaque mois en compagnie de mes « frères » d’écriture : les « Drosophiles Capitolins », ce jour-là la discussion ricochait entre les « classiques » et les « contemporains » à propos d’une Langue Française en pleine effervescence.
Un « drosophile » étant par définition un « amateur de rosée » et « Capitolin » en référence aux célèbres Capitouls de notre histoire locale, cela va de soi.
« Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse… », il me fut, ce mardi-là, bien difficile de savoir quelle pouvait être la sonorité la plus juste du mot « Poésie ». J’ai omis de dire que ces Drosophiles Capitolins sont tous ou Poètes ou rimailleurs et qu’il fait bon ouïr à leur table une liberté d’expression fort joufflue, ouvrant une large bouche pourvue de mille couleurs et d’autant de senteurs sur un monde extérieur trop sombre à notre goût !
Cela ne faisait que trois ou quatre séances que j’étais des leurs, j’écoutais donc plus que je ne m’exprimais !
Alors que l’ensemble de mes amis s’accordait à dire que « Poésie » descend du grec « poiein », qui signifie « écrire en vers », certains, justesse oblige, rajoutaient une précision, certes importante, qui visait à expliquer ce mot comme un art de combiner les sonorités, les rythmes et les mots d’une langue pour évoquer des images, suggérer des émotions et des sensations ; cool ! D’autres se mirent aussitôt à adjoindre à cette « Poésie » la « prose » comme une sorte de sœur jumelle… mais comme la prose ne rime pas, on ne put trouver recevable cette aussi proche parenté. Pourtant, il arrive quelques fois que la prose accouche des bienfaits de la rime et l’on dit alors qu’il s’agit d’une « prose poétique » ! Nous la baptisions donc à l’unanimité: « demi-sœur » !
Nous étions maintenant d’accord sur la définition de la « poésie écrite », et si je précise écrite, c’est parce qu’à l’autre bout de la table l’un d’entre nous repartit de plus belle sur les chemins du vice en nous affirmant, comme Pierre Dac l’avait fait avant lui, que de toute façon « La poésie est partout et vice-versa ». Nous repartîmes donc pour un nouveau tour de table où chacun put argumenter sur les fondements de sa propre vérité.
Nous venions juste de trouver une entente préalable qu’une amie cita Jean Cocteau: « L’art est une vibration, où personne ne dépasse personne » ! Nous comprimes vite que le sujet serait long et difficile à gérer, aussi nous le remettions à l’ordre de la prochaine réunion et passions à la lecture de nos poèmes respectifs.
J.G
– Table des poèmes –
- La philo de la rime.
- Ô vent de Labastide.
- Le vent d’orage.
- Mon frère, mon ami.
- Les étoiles scintillent en rêvant.
- Mais si ce soir.
- Pauline
- Et le vent de Tolède…
- Mon plus bel arc-en-ciel.
- L’exclue.
- Le départ.
- Les fées d’Atax.
- Les terres de Fontiès-d’Aude.
- Le vagabond.
- Le jour se lève à Labastide.
- Le renard des gloriettes.
- L’étreinte des teintes.
- Fantôme, ou pas ?
- Dix ans déjà.
- La ride.
- Madame.
- J’écris.
- La señora.
1. – La philo de la rime –
Mais que font les saisons
à parsemer ainsi
leurs espoirs, leurs soucis,
dans l’immense fourbi
du poétaillon joli ?
Lui, ne ressent de frissons
que dans la floraison,
et n’a que dévotions
pour vents et tourbillons
et feuilles qu’ils charrient !
Au diable le salpêtre
du poème classique,
les mots antipathiques,
la rime bucolique,
le vers atmosphérique !
Que fait l’homme de lettre ?
N’a-t-il sous sa fenêtre
l’écorce du bien-être,
la plume diabolique…
celle qui sème l’envie,
qui récolte la folie ;
celle qui réfléchit
sur l’onde d’un lavoir
le sentiment d’un soir…
celle qui donne l’espoir,
la senteur dans l’écrit ;
celle qui fait s’émouvoir,
qui fait aimer le noir,
l’amour et puis la vie ?
C’est par l’hypocrisie
d’une génuflexion,
d’un sourire de saison,
qu’ainsi s’acquittera
des formes de la foi,
le texte de sa vie…
quand le poète partira
au pays des nantis !
2. – ô vent de Labastide –
Sur l’étang ocre et roux
des tuiles des Corbières,
entre Casteillas 1 et rivière
naquît un vent si doux…
– le vent de « Labastide 2 » –
qu’il recouvrît chaque nuit
les murs de nos chambrettes,
le sourire des soubrettes,
d’or et d’encens bénits.
Il coula aux fontaines
en perles de satin,
en un nectar divin
qui colora nos veines.
Le vent de Labastide
me couvrît de son châle,
étanchât mon râle
de son onde limpide.
Il murmure à jamais
au creux de mon oreille,
le printemps des merveilles,
les secrets de l’été,
le tanin de l’automne,
l’hiver sur le béal,
les festoiements dans le « Val 3 »
et la chaleur des hommes !
Quand tu seras fatigué
de ce monde cupide,
à l’ombre de mes rides,
ô vent de Labastide
viens donc te reposer !
Sur le banc, près du pont,
Charles et Jeanne apparaissent ;
les souvenirs renaissent
quand les âmes s’en vont ;
quand je serai fatigué
de ce monde cupide,
à l’ombre de tes rides,
ô vent de Labastide
je finirai en paix ;
je finirai en paix.
1 Casteillas : colline qui surplombe le village de Labastide.
2 Labastide-en-Val : village des Corbières Occidentales.
3 Val : Val-de-Dagne (vallée de Labastide-en-Val).
3. – Le vent d’orage –
On dit que le vent d’orage
n’est chargé que de miel ;
on dit que les nuages
écrivent dans le ciel
un drôle de message
où tout est au pluriel…
que les rimes voyagent
sur des chemins pastel
transmettant le message
de l’amour éternel…
que bruit des feuillages
le soir est un appel ;
tous les libertinages
sont exceptionnels !
fut-il un mariage
de couleur et de gel…
fut-il un maquillage
la peau au naturel ?
on dit que le vent d’orage
n’est chargé que de miel ;
que de miel !
4. – Mon frère, mon ami –
S’il lui venait un jour
la force de creuser,
d’entrouvrir les labours
de ses jeunes années,
d’étendre au grand soleil
les couleurs, les secrets
et les mille senteurs
de l’enfant qu’il était…
alors vous comprendriez !
On dit qu’il est parti de rien,
qu’il n’est guère arrivé plus loin,
mais dans son cœur
sont encrées la chaleur,
un peu de vieille France,
beaucoup de tolérance,
et tout de l’enchanteur !
S’il lui venait un jour
l’envie de raconter
le bruit des grands faubourgs,
le calme des forêts,
de glisser une histoire
sur quelques amitiés,
de conter une foire
sous un ciel étoilé…
alors vous comprendriez !
On dit qu’il est parti de rien,
qu’il n’est guère arrivé plus loin,
mais dans sa voix
le verbe est d’autrefois ;
le monde enfin défile
aux accents de son île
quand les dieux il tutoie !
S’il lui venait un jour
l’envie de s’amuser,
de poser à l’amour
un rendez-vous secret,
d’abaisser les frontières
et d’abuser un peu
de dames bien trop fières,
de s’adonner au jeu…
alors vous comprendriez !
On dit qu’il est parti de rien,
qu’il n’est guère arrivé plus loin,
mais dans ses yeux
les cœurs sont si nombreux…
les prénoms infidèles
des filles qu’il ensorcèle
résonnent à cent lieues !
Il habite aujourd’hui
aux confins du village ;
loin des temples maudits
l’homme a tourné la page ;
vers d’autres paysages
il chevauche la vie ;
mon frère, mon ami,
fais donc un beau voyage !
5. – Les étoiles scintillent en rêvant –
L’histoire raconte, à sa manière,
les batailles qui ont pu glorifier
de quelque Jeanne un peu trop fière
à quelques âmes excommuniées ;
l’histoire oublie, à sa manière,
de temps en temps, de rappeler
que sous les chênes un tas de pierres
est un château qui fait rêver…
on ne sait plus qui le hantait,
plus d’historien qui ne se souvienne
des hérétiques ou des parfaits,
de la plus jolie des paroissiennes…
tu devrais venir plus souvent,
les étoiles scintillent en rêvant !
L’excentricité vagabonde
au gré des fleurs, au gré du vent ;
ici, noir et blanc se racontent
un monde encore transparent…
tout est si calme, si mystérieux,
le château a rendu les armes ;
dans le miroir de tes yeux
les seules épées sont de charme !
tu es venue si près de moi,
je sens vibrer chaque seconde ;
les étoiles apparaissent déjà,
la nature est devenue blonde…
tu devrais venir plus souvent,
les étoiles scintillent en rêvant !
Si tu as un jour le cœur bataille,
si tu as un jour besoin d’espoir,
sous les chênes est une muraille
sur laquelle il ne peut pleuvoir ;
même si l’histoire, à sa manière,
oublie un jour de « divulguer »,
les noms des héros de poussière
quelque part resteront gravés ;
même si l’histoire, à sa manière,
oublie un jour de « raconter »,
l’amour des héros de poussière
est une autre étoile qui naît !
tu devrais venir plus souvent,
les étoiles scintillent en rêvant ;
tu devrais venir plus souvent
les étoiles scintillent en rêvant !
6. – Mais si ce soir –
La lune est vieille ce soir,
ridée par trop de froid ;
je ne supporte plus le noir,
les étoiles sans toi !
mais être à tes côtés,
être à tes côtés…
Enlacés l’un à l’autre
refaire le monde,
la nuit serait la nôtre,
l’envie vagabonde !
créer sous l’arc en ciel
de nouvelles couleurs
et sous un drap de miel
s’offrir d’autres senteurs !
par des rires idiots,
par des balbutiements,
retenir les sanglots
à coup de sentiments !
mais être à tes côtés,
être à tes côtés…
Et puis vivre ton corps
dans la pure folie,
accéder au trésor
par besoin, par défi !
faire danser les lits
dans des accords de brume,
un amour inédit
sous des tonnes de plumes !
être deux… et puis qu’un…
écumer le bonheur…
ce bonheur clair, commun
à deux êtres en sueur !
mais être à tes côtés,
être à tes côtés…
Mais être à tes côtés
n’est pour ce soir non plus,
ce n’était qu’une idée,
un espoir perdu…
un malentendu.
7. – Pauline –
Des chemins de Pauline
à ta propre oraison,
toutes les femmes sont divines
et les hommes trop cons…
aux humeurs féminines
qu’on tue sous l’édredon,
toutes les femmes sont divines
et les hommes trop bons ;
mais nul n’est prophète
comme le dit le dicton ;
et puis l’on s’entête
et l’on vit la chanson !
Du sourire de Pauline
aux mots de la passion,
bourrés de vitamines
et d’incompréhension,
aux humeurs féminines,
aux étranges confessions,
à l’amour qui chemine
entre mille questions…
mais nul n’est prophète
comme le dit le dicton,
comme l’écrit le poète,
fils de malédictions !
Parait-il que cheminent,
le soir, à l’horizon,
des lueurs féminines
à perdre la raison ;
les parfums de Pauline
vous enivrent dit-on ;
depuis la nuit des temps
c’est la même illusion !
Ferme bien la fenêtre
et prends garde au vent,
celui de la défaite
souffle cruellement !
Doux esclave d’un temps
où tes taches de rousseur
ensemençaient de fleurs
les jardins du présent,
assailli de tourments,
j’effeuille encore, fillette,
souvent la pâquerette
comme le font les enfants ;
comme le ferait l’enfant
que tu voudrais être…
si souvent.
8. – Et le vent de Tolède… –
Douce chimère, toquade,
son sourire m’obsède,
son parfum, ses œillades…
et le vent de Tolède !
J’ai besoin de la voir
chevauchant ma folie,
apparaissant le soir
dans des éclairs d’envie,
réchauffant de sa voix
les brumes matinales…
et du bout de ses doigts
laisser choir ses percales !
Douce chimère, toquade,
son sourire m’obsède,
son parfum, ses œillades…
et le vent de Tolède !
Un peu comme l’horizon
quand le soleil s’endort,
comme la floraison
dans son ultime effort,
comme tous ces moments
qu’on voudrait éternels,
la voie du sentiment,
la science du charnel…
douce chimère, toquade,
son sourire m’obsède,
son parfum, ses œillades…
et l’air chaud de Tolède !
Elle vit de l’air du temps
sur une autre planète
dont le moindre fragment
parfume et vous entête,
le langage de ses yeux
est un bouquet de fête,
son monde est mystérieux…
et moi je voudrais être,
chimère, son ami !
toquade, son amant !
Et le vent de Tolède
m’insuffle ses arcanes ;
et le vent de Tolède
m’abroge monomane…
j’ai besoin de la voir
chevauchant ma folie,
apparaissant le soir
dans des éclairs d’envie,
réchauffant de sa voix
les brumes matinales…
et du bout de ses doigts
laisser choir ses percales…
et le vent de Tolède…
et le vent de Tolède…
et le vent de Tolède…
et le vent de Tolède…
et le v…
9. – Mon plus bel arc-en-ciel –
Quand tes lèvres murmurent rouge,
le dessin de ton corps qui bouge,
je vis du rouge à l’orangé ;
je fonds au cœur de ce brasier…
ton corps révèle le secret
de la couleur, de la beauté.
Flagrant délit sur une fleur jaune,
v’là que mon cœur papillonne ;
je n’ai vécu meilleur concert
que l’harmonie de tes bras ouverts…
ton corps révèle le secret
de la couleur, de la beauté.
Le loup m’a dit « c’est dangereux »,
mais cette nuit le ciel est si bleu…
pour quelques notes de piano,
caché par un voile indigo
ton corps révèle le secret
de la couleur, de la beauté.
Ce petit chose « exceptionnel »
à rendre l’amour éternel,
mélange de soleil et de miel…
tu es mon plus bel arc-en-ciel !
Le loup m’a dit « c’est dangereux »,
mais cette nuit le ciel est si bleu…
v’là que mon cœur papillonne,
v’là que je fonds, que je déraisonne,
v’là que je vois la vie en jaune;
v’là qu’il est bon d’être amoureux!
10. – L’exclue –
La nuit elle bombarde
de tags tous les murs,
elle joue les loubardes,
les filles au cœur dur…
elle s’envole peut être,
le jour, lorsqu’elle dort,
sa prison de salpêtre
alors change de décor ;
adieu l’étiquette
de boue et de mort,
salut la perpette
il fait si beau dehors ;
adieu l’étiquette,
les plissures de son corps,
du fond de sa musette
elle dédie sa rosette
aux futures années d’or…
elle joue les loubardes,
les filles de la rue,
la haine qu’elle bazarde
est celle des exclus…
elle n’a pas de boulot,
pas d’amour non plus,
et n’a sur le dos
que des espoirs perdus ;
elle partage un tripot
avec trois farfelus,
trois espèces d’ados
qui n’en veulent qu’à son cul
et qui lui piqueront son tricot
– les compères à nunu –
entre deux bécots,
dans le fond du tripot,
au premier froid venu…
elle n’est pas loubarde
et ne joue pas non plus
à celle qui poignarde
le premier venu…
elle voudrait bien
de cette société
que la nuit elle peint
sous de drôles de traits ;
il y a bien longtemps,
espérant de la vie,
encore qu’une enfant
elle m’a souri ;
si vous la croisez,
elle s’appelle Annie ;
avec ma poupée
soyez très gentils…
donnez-lui la main
en suivant l’avenue,
c’est un peu de chagrin
qu’elle aura de moins ;
donnez-lui la main
en suivant l’avenue,
c’est un peu de chagrin
qu’elle aura perdu…
11. – Le départ –
A l’aurore, l’amour qu’on troque
c’est la science des équivoques ;
à l’aube, une île se disloque,
c’est l’illogisme des époques !
Une île a perdu sa verdure ;
les bouclettes de sa chevelure
ne seront jamais plus peinture ;
ô vent mauvais des craquelures !
La mousse, alors, devient rocaille,
l’amour un champ de bataille ;
sous des cieux de feu, de grisaille,
où vont les âmes de funérailles ?
Quand le troupeau enfin s’éloigne,
le ruisseau ne court plus la campagne…
envolée la vie de cocagne
quand l’animal perd sa compagne !
A l’aurore, l’amour qu’on troque
c’est la science des équivoques ;
à l’aube, une île se disloque,
c’est l’illogisme des époques !
Serait-ce le culte, tout simplement,
qui viendrait à manquer d’arguments,
qui voudrait choisir ses moments
et deviendrait impertinent ?
A la saison du désir,
je voulais voir son cœur fleurir !
Puisqu’aujourd’hui tout est fossile,
tout est faussé chez mon idylle,
vers d’autres œillets je m’exile ;
comme « Eros », je quitte mon île ;
aimer, devient trop difficile.
12. – Les fées d’Atax –
Selon les femmes aux cheveux blancs
sorties d’un monde si différent,
selon les fantômes imprudents
sortis des cachots du néant,
l’histoire est morte il y a longtemps !
Atax 1, une ville d’amour,
de tolérance et de chaleur ;
elle est repos du troubadour,
la cité des mille senteurs !
Atax de vignes et de pailles,
de troubadours, de cent cultures,
vivent à l’ombre de ses murailles
les fées de la beauté future !
C’est le mystère qui vogue
aux accents de leurs mélodies ;
de rires sont construits leurs dialogues,
leurs danses ne sont que féeries ;
l’histoire est ainsi repartie !
Pour parler de péché véniel,
sachez que tout près du pont vieux
les étoiles en lune de miel
viennent le soir faire leurs vœux !
l’histoire rend les gens heureux !
Parce qu’elles voudraient que nos enfants
– les fées de la beauté future –
ne fassent flotter que le blanc
des chevaliers sans armure,
elles font d’Atax un lieu clément,
loin de la cohue, des tourments ;
elles font l’histoire à tout moment !
Atax de vignes et de pailles,
de troubadours, de cent cultures,
vivent à l’ombre de ses murailles
les fées de la beauté future;
les fées, de la beauté future…
de la beauté future…
future…
1 Atax : Nom de Carcassonne sous l’Empire Wisigoth.
13. – Les terres de Fontiès-d’Aude –
Les aiguilles de pin
craquant sur mon passage,
des perles de satin
inondant mon visage,
ma musette et mon cœur
aspirant au repos…
sur le tapis de fleurs
qui bordait le coteau
je trouvais là fort sage
de poser mon fardeau ;
Fontiès, en contrebas,
partait jusqu’au matin
sous le chant des cigales ;
Fontiès était bien là,
je lui tendis les mains…
soleils des temps anciens,
quelques accents latins
au Cers gonflaient leurs voiles !
Enivré et meurtri
par un bouquet de thym
dont les bras étourdis
serpentaient sous mes reins,
fervent admirateur
du sentiment sauvage,
de la prude senteur
qui court l’herbe du sage…
enivré, mais meurtri
par de trop longs voyages !
Fontiès, en contrebas,
fondait jusqu’au matin
bercé par les cigales ;
Fontiès était bien là,
je lui tendis les mains…
au creux de ses jardins
mon âme put enfin
faire la cour aux étoiles !
Le vent, plein de malice,
siffla un vieux refrain
aux mots brûlants de vice,
à l’air républicain !
de la plaine au coteau
je vis alors danser
les fourches et les faux,
les vignes se dresser !
si Marcelin 1 revenait
boire le vin nouveau ?
Enivré, mais meurtri
par de trop longs voyages,
la folie des esprits
me fit tourner la page ;
je découvris l’émeraude
encore endolorie
blottie sous une souche ;
la terre de Fontiès-d’Aude,
en me donnant la couche
me redonnait la vie !
1 Marcelin : Marcelin Albert, meneur de la révolte des vignerons du Midi en 1907
14. – Le vagabond –
A l’ombre d’une croix
se reposait un marchand,
qui, sifflant joyeusement
du bout de ses cent ans,
filait allégrement
vers je ne sais trop quoi ;
que pouvait-il vendre
puisque son baluchon
n’était en provisions
pourvu que d’un melon,
trois tranches de saucisson
et de vulgaires cendres ?
Quant à leur provenance
il ne voulut dire mot…
tant est que le vieillot
me parut plus idiot
qu’un collecteur d’impôts
en mal de jouissance !
Il balbutia enfin
et me dit qu’après tout
le monde est tellement fou
qu’entre Corse et Poitou
il usait ses genoux
et goûtait à tous les vins !
Je compris alors
pourquoi sans cesse il sifflait ;
sous les cailloux qu’il foulait,
le puzzle de la liberté
fixait à ses souliers
de larges semelles d’or !
A la mort il allait…
confier tous ses trésors !
15. – Le jour se lève à Labastide –
Des coups de tonnerre, naguère,
et des roulements de tambour…
à la blancheur des Corbières,
la chaleur de ses prières…
entre les pierres… au petit jour…
quand sous le voile de leurs rides
le jour se lève à Labastide !
Là-bas,
tout près de l’étal ambulant,
écoute donc causer l’enfant
qui connait la brume maligne ;
là-bas,
tout près de l’étal ambulant,
écoute donc causer l’enfant
qui décrit la feuille de vigne…
quand sous le voile de ses rides
le jour se lève à Labastide !
Tu vois,
leur peau a le brun du sarment
et porte la trace du vent
qui caresse le fond du sillon ;
chez eux,
pas de peinture, pas de serment,
mais simplement l’amour du temps
qui court au cœur du vigneron…
quand sous le voile de leurs rides
le jour se lève à Labastide !
Des coups de tonnerre, naguère,
et des roulements de tambour…
à la blancheur des Corbières,
la chaleur de ses prières…
entre les pierres… au petit jour…
quand sous le voile de leurs rides
le jour se lève à Labastide !
C’est vrai,
ce fut un temps de grand soleil
que le temps des premiers réveils
où l’hiver a goût de saindoux;
c’est vrai,
ce fut un temps de grand soleil
que le temps des premiers réveils
sous les clapotis de l’Alsou1…
quand sous le voile de nos rides
le jour se lève à Labastide !
Quand vous poserez sur le banc,
comme le posaient nos grands-parents,
votre « saint » siège, pour un soir…
quand vous poserez sur le banc,
comme le posaient nos grands-parents,
votre immense lueur d’espoir,
vous comprendrez qu’à Labastide,
sous les traits du soleil couchant…
vous comprendrez qu’à Labastide
on reste à jamais un enfant !
1 Alsou: rivière qui passe à Labastide
16. – Le renard des gloriettes –
Au son du clocheton,
entre Villar 1 et Taurize 1
flotte au gré de la bise
une étrange procession ;
écrêtant la fleur de jonc,
effeuillant l’aubépine,
le cortège des caprines
tortille sa toison.
Toquant de la houlette
sur l’air du quotidien,
voici l’ange gardien,
le renard des gloriettes !
Au creux de la vallée,
respectueusement il veille
les trésors, les merveilles,
les ancêtres oubliés.
Il marche vers l’espoir,
il détient la sagesse
et la pierre maitresse
des secrets du terroir ;
la lanterne du temps
illumine son âme,
nourrissant l’oriflamme
des murmures du vent.
Filant sa solitude
loin des griffes acérées
de quelque vieux roncier
chu en désuétude,
on dirait qu’il parcourt
la lande à outrance ;
cherche-t-il cette enfance
où il courait l’amour ?
Dans la senteur musquée
du troupeau qu’il amène,
chaque jour il promène
une tendre fierté ;
dans la senteur musquée
du troupeau qu’il tisonne,
chaque jour il fredonne
l’air de la liberté !
Sur la terre fétiche
des guerriers de la friche,
heureux soit le renard !
heureux sois-tu, renard,
entre Taurize et Villar !
1 Villar et Taurize : Villages des Corbières Occidentales.
17. – L’étreinte des teintes –
Par excès de zèle,
un jaune, infidèle,
sur des pigments bleutés
se prit à tournoyer
tel un amant modèle ;
les terres voisines
regorgeant d’étamines
– comme chacun le sait –
rondelettes à souhait
et d’humeurs libertines !
Sans aucune protection
ils mélangèrent leurs tons,
et sortirent de l’affaire
le vert du calvaire
se lisant sur leur front !
Pour un franc, maintenant,
que l’on use en errant
sur les chemins du doute,
ils n’eurent – somme toute –
point fini en mendiants
et leur sang eut encore
gardé toute sa flore,
exempt de ces maux
qui vous jettent au tombeau
dès que pointe l’aurore !
Mélanger les teintes
en une douce étreinte
agrémente la nuit ;
fort bien, qu’il en soit ainsi !
Mais contre toute atteinte
aux couleurs de la vie !
18. – Fantôme, ou pas ? –
Comme la goutte de cire
qui caresse le bougeoir,
qui lutte, qui s’étire
et puis se laisse choir,
comme l’ombre maligne
elle parcourt les années ;
elle brille, se calcine
et pour l’amour renaît !
Puis elle a revêtu
le drap de la beauté.
Sous son drap, presque nue,
elle parcourt les allées,
les chemins de ma vie,
le jardin des secrets ;
au nom de la folie,
mes terres sont hantées !
Je ne connais pas la môme,
je ne sais plus qui elle est,
je ne sais rien du fantôme
qui me fait délirer
si ce n’est qu’elle est grande,
si ce n’est qu’elle est jolie,
si ce n’est qu’elle est de cendres
sous son voile fleuri !
Quand trois ou quatre notes
colorent le silence,
au son de l’anecdote
les diablotins mènent la danse ;
quand arrivent l’espoir,
les sueurs de l’envie,
elle teinte de noir
son instinct de survie !
Comme la goutte de cire
qui caresse le bougeoir,
qui lutte, qui s’étire
et puis se laisse choir,
comme l’ombre maligne
elle parcourt les années ;
elle brille, se calcine
et pour l’amour renaît !
Mais sous un ciel odieux
comment croire aux légendes
qu’on conte près des feux ?
Je ne veux plus attendre !
j’ai besoin de l’entendre
gémir ses chants de joie !
Même un être de cendres
doit jouir sous son drap !
Quand elle quittera
son voile fleuri,
au nom du mimosa,
au nom de la patrie,
quand tous ses préjugés
seront anéantis,
alors, fantôme ou pas,
je crois qu’elle comprendra ;
dieu merci.
19. – Dix ans déjà –
Depuis dix ans déjà
sous la toile tendue du cirque « Maharaja »,
quand le public a vu l’artiste, ses exploits,
quand le public s’en va, quand l’artiste n’est plus
qu’un rêve à demi nu, un grain de mimosa ;
depuis dix ans déjà
je ne vis que pour toi !
Toi, la femme de ma vie,
toi qui vis tout là-haut, qui a planté le nid
au milieu des émaux, reine de l’acrobatie ;
pour les gens ébahis, leurs gosses et leurs drapeaux,
jonglant avec la nuit sous le ciel du chapiteau
c’est la femme de ma vie,
c’est notre numéro !
Deux minutes durant,
portés par la lumière vous deviendrez l’amant
de la douce écuyère aux longs cheveux d’argent
qui tournoie son talent sous la tuile faîtière,
défiant à sa manière les étoiles et le temps ;
deux minutes durant
je serai là, tremblant !
Et puis l’on s’en ira ;
sur la route des fleurs vous entendrez la voix
de l’oiseau migrateur qui vous enivrera
de quelque alléluia, de quelque autre lueur,
de l’immense bonheur d’être de ces gens-là ;
et puis l’on s’en ira
au son de l’harmonica !
Depuis dix ans déjà
dans l’arriére cour du cirque « Maharaja »,
loin du son des tambours, de la maestria,
tu vis près de moi et me parles d’amour,
me berces chaque jour de tes rires aux éclats ;
depuis dix ans déjà
tu ne vis que pour moi… que pour moi !
20. – La ride –
Comme s’il voulait,
par ironie, par jeu
ou par naïveté
jouer avec le feu,
sur ta peau s’est posé
un vent bien capricieux
dont ses nouveaux attraits,
se riant du passé,
cerclent d’un fil d’acier
l’éclat de diamant bleu
des mirettes de tes yeux !
Surtout ne maudis pas
le miroir qui reflète
cet accent circonflexe
que tu n’attendais pas !
Surtout ne maudis pas
les folles nuits qui passent
emportant dans leurs nasses
les grappes de tes lilas !
La plus belle des couleurs
n’est pas celle des fleurs
d’un jardin au printemps ;
la plus belle des couleurs
est celle de ton cœur
qui reste un cœur d’enfant !
Comme si elle voulait,
déployant tout son art,
doucement déposer
un voile de désespoir,
une ride a buté
au fond de ton regard
sur les franges dorées
qui ornent désormais
l’étendard
de tes futures années !
Comme si elle voulait,
par ironie, par jeu
où par naïveté
jouer avec le feu,
une ride a omis, ce soir,
de faire son devoir !
21. – Madame –
Vos yeux se sont plissés
sous la lueur des flammes,
tout est si calme, Madame,
comme si le temps n’avait frappé !
Vous êtes heureuse, vous souriez,
vous rêvassez à demi-mots ;
la cheminée vivra bientôt
votre cent millième secret !
Où sont les années de soleil,
les chapeaux de paille fleuris,
les dentelles qui ornaient de fruits
les longues robes de vermeil ?
Où sont les années de soleil
qui ont vu fêter les moissons,
vu fêter toutes les saisons,
où l’on avait jamais sommeil ?
Vos yeux se sont plissés
sous la lueur des flammes,
ne vous tourmentez pas, Madame,
le feu continue de brûler !
Elle était belle la mariée,
les filles avaient tressé des roses
et tout autour de la couronne
elles avaient planté du muguet !
Trois musiciens, sur un coche,
donnaient de l’accordéon,
il y avait grand vent dans les lampions,
dans la valse et dans la bamboche !
Vos yeux se sont plissés
sous la lueur des flammes,
je vous sens si loin, Madame,
dans les vapeurs du temps passé !
On s’occupait de la volaille,
on aimait aussi jardiner,
pour l’amour du travail bien fait
on n’a jamais eu de médaille !
Bientôt faudra que je m’en aille,
avec le siècle j’ai grandie ;
la place aux jeunes comme l’on dit,
bientôt faudra que je m’en aille !
Vos yeux se sont plissés
sous la lueur des flammes,
tout est si calme, Madame,
comme si le temps n’avait frappé !
Vous êtes heureuse, vous souriez,
vous rêvassez à demi-mots,
la cheminée vivra bientôt
votre cent millième secret !
22. – J’écris –
J’écris
pour ceux qui n’ont plus le temps
de vivre au rythme des bergères,
des allumeurs de réverbères ;
qui perdent peu à peu leur accent !
J’écris
pour ceux qui n’ont plus le temps,
à l’ombre d’un pin parasol,
d’écouter un rossignol
au loin sonner de l’olifant !
J’écris
aux idéaux, aux théories
qui grisaient drus notre jeunesse,
pleins d’amours et de promesses,
de révolutions et de calories !
J’écris
pour ceux qui n’ont plus le temps
d’aller chercher le ver luisant,
main dans la main, chemin faisant,
comme on le faisait à treize ans !
J’écris
pour ceux qui n’ont plus le temps,
qui aujourd’hui ne font ripaille,
n’aiment plus l’amour dans la paille
comme on le faisait au bon vieux temps !
J’écris
pour ceux qui n’ont plus le temps,
qui ont vieilli sans s’en apercevoir,
qui auraient dû, mais c’est trop tard,
écouter les conseils du vent !
J’écris
pour ceux qui n’ont plus le temps
de découvrir mille images
en lisant l’album des nuages ;
de vouloir rester des enfants !
J’écris
car il n’est jamais trop tard
de conjuguer la philosophie
à tous les temps de la mélodie,
sur quelque chemin de hasard !
23. – La señora –
La brume emporte sur les toits
le chant du coq, le chant du roi,
les embruns de petites envies,
le parfum des grandes folies ;
la brume emporte sur les toits
le murmure d’un corps en émoi ;
sous un arc en ciel de vapeur
naît un soupir provocateur ;
il faut se plier à sa loi…
sinon, gare à la señora !
La brume emporte loin d’ici
des airs de fêtes, des airs d’orgies,
des saisons de solitude,
des saisons de gratitude ;
la brume emporte sur les toits
l’air des plus folles corridas ;
des nuits d’amour, des nuits d’ivresse ;
lorsque l’Espagne est pècheresse
il faut se plier à sa loi…
sinon, gare à la señora !
La brume emporte bien souvent
l’illogisme des arguments
sous l’œil de l’oiseau de proie ;
un accent d’or à chaque doigt !
la brume emporte sur les toits
quelques éclairs, quelques éclats,
quelques prénoms, et bien souvent
sur ses ailes un drôle d’accent !
il faut se plier à sa loi…
sinon, gare à la señora !
Sous le clapotis des sabots
la brume emporte tout là-haut
une esquisse désordonnée,
méli-mélo d’encre dorée ;
bouts de ficelle et bouts de bois,
toits d’usines ou petits toits,
la brume cueille chaque jour
à la tuile un bouquet d’amour !
il faut se plier à la loi…
aux exigences de la señora !
Si la brume ne voulait plus
d’amours étranges, exiguës,
coloriant au gré l’étendard
sur les rochers de Gibraltar,
si le temps se mettait au froid,
qu’il gèle un matin sur les toits,
alors, au pied d’un feu de bois
je me plierai à sa loi…
j’épouserai la señora!
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