Chaque coquelicot
qui pigmente les blés
est un rouge sanglot
qu’un nuage a tombé ;
chaque nuage en fleur
que la bise déroute
sème au hasard ses pleurs
sur nos âmes, goutte à goutte.
Les grappes d’amarante
accrochées aux rochers,
le langage des menthes,
les elfes, les cyprès,
l’églantier à l’affût,
les bordées d’orchidées,
notre temps, révolu,
mes amours, envolées…
que de coquelicots
parsemés dans les blés ;
de rougeâtres sanglots
que pour toi j’ai versés !
La ronde des nuages,
le manège des tourments,
les nuées de vieux anges,
les automnes d’antan,
les régiments d’ajoncs
et la chaleur épaisse,
les froufrous, les chignons,
nos nuits enchanteresses,
la cabane à refaire,
les murettes à tomber,
nos couches à défaire,
nos serments à jamais…
fini ;
je boucle le voyage !
On dit qu’en chaque lys
sommeille un souvenir,
que la corolle d’iris
dévoile l’avenir…
et les tresses fleuries
des diseuses d’aventure
offrent à qui veut la vie
le bleuet et la mûre!
du creux de son ruisseau,
la violette interpelle
les notes d’un flûteau
qui filent à tire-d’aile !
à l’abri du talus,
les boutons d’or déplient
pour deux cœurs éperdus
l’étincelant tapis !
la folle avoine, qui
n’a de cœur ni d’esprit,
danse seule la nuit
sur d’obscures mélodies !
ici, le brin de thym
fait se courber l’échine
du vulgaire dandin
qui niaisement chemine!
la jonquille, bien sur,
lève le nez aux cieux
proférant vers l’azur
ses tendresses à Dieu !
la bruyère, là-bas,
recueille quelque étoile
saisie par le frimas
dans sa course fatale…
alors, je m’époumone
sur le blanc pissenlit
pour que mes vœux jalonnent
les voies du paradis !
adjugé ;
je boucle le voyage !
Je boucle le voyage
et tu es loin de moi,
loin de ce paysage
qui fut tien autrefois !
Tout est là, en l’état,
aussi vrai «que nature»
prêt à prendre le pas
sur nos deux vies futures !
C’est dans cet écheveau
que je quitte la terre !
je verrai Dieu, bientôt ;
je suis prêt, solitaire…
mais avant de partir
au pays de la faux,
permets-moi de t’offrir
cet ultime cadeau :
de rougeâtres sanglots
du pays enchanteur ;
«simples coquelicots !»
tu vois,
à présent peu m’en chaut
du langage des fleurs!