Le chariot de la joie sillonne le village;
les enfants, enchantés, chicanent en son sillage,
les feux d’artifice et les pétards enjôleurs
font vibrer les pupilles, les tympans et les cœurs ;
partout la liesse fait grand ouvrir les fenêtres,
on voit planer les rires sur plusieurs kilomètres,
la terre, humide, accouche d’un air de violoncelle
et les filles de joie chatouillent les pucelles !
dis, connais-tu les secrets du pré aux phalènes ?
Soudain, les coins de rues s’embrasent et l’on se tient,
la longue farandole revêt un fier dessein,
les haches, à grands coups, éventrent les barriques,
le cristal des coupes a des reflets mirifiques !
tant de fleurs recouvrent le bitume à présent,
qu’on dirait un hameau au beau milieu des champs !
les grillons donnent corps à cette symphonie,
l’exaltation déplie ses bras nus dans la nuit !
dis, connais-tu les secrets de la douce Arcadie ?
Droite sur le pare-boue d’un vélo de bois,
une Ève de couleur tient un coq en ses bras ;
à ses ailes tournoient deux clés de sol en or ;
de notes blanches, Ève a tatoué son corps !
d’un faîte à l’autre les étoiles sautent pieds joints,
les déshabillés couvrent les meules de foin ;
le chariot de la joie suspend aux réverbères
quelques fragments de temps, ses pantoufles de vair !
dis, connais-tu les secrets de la blanche Cythère ?
Dans les ruelles, de longs ballets d’hirondelles
accompagnent gaiement la folle ribambelle,
les visages se parent de multiples couleurs,
les mots se transforment en délicates senteurs !
bientôt l’on ne reconnaît l’endroit que d’instinct,
convaincu d’être alors au jardin de l’Eden !
Quel est la part de rêve, quel est donc cet éther
qui suce l’ordinaire par le côté amer ?
Le chariot de la joie poursuivra son voyage
pour faire, en d’autres lieux, ouvrir bien d’autres cages !
si seulement la vie pouvait avoir conscience !
si seulement l’esprit pouvait avoir confiance !
dis, qu’as-tu fait de tes os, Byzance ?