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Tant que j’aurai du pain, du vin et de l’amour (livre 4) 2009

Aux amis fidèles,

 

aux amis fidèles qui depuis 1986 effeuillent mes recueils comme on effeuille un bouton d’or, avec délicatesse et respect ;

qui, depuis 1996 sont présents à chacun de mes récitals et m’encouragent à poursuivre l’aventure ;

qui, sans être forcément adeptes de l’art poétique le sont incontestablement de celui de l’amitié sincère ;

 

Merci.


–  Mise en bouche

 

    Si vous trouvez toujours, passé le millième texte, quelque amusement ou quelque réconfort à lire mes poèmes, ou votre amitié est grande, ou vous aimez la manière dont je guide la rime sur les chemins de traverse ; terroir, coups de gueules, sentiments diverses !

  J’espère que c’est un bon mélange des deux !

  En fait je guide la rime comme on guide les oies, en les poussant du bâton entre les plantes à tisanes et les orties. Bien sûr je m’y pique parfois et m’en délecte le reste du temps.

  Vous savez, on ne choisit pas le sujet ; il vous vient, là, à l’instant T, sans crier gare et il est tenace le bougre ! Tant que vous n’avez pas noirci la feuille il vous tenaille et ne prenez pas le luxe de vouloir choisir entre l’octosyllabe ou l’alexandrin, entre le rondo ou le sonnet, c’est lui qui commande ! Le sujet dicte sa loi dès le premier vers et vous devez suivre, impérativement !

  Quant au style il vous est imposé par votre âge, votre condition, votre culture, vos envies, vos idées, votre manière d’avancer les pieds dans la société, et n’allez pas chercher à plagier quelque mentor vos écrits ne vaudraient pas plus qu’un pet de lapin ou quelque vérité de curé ! Tout vous est commandé par une espèce d’inconscient en perpétuelle rébellion !

  Et les muses ? Ah, n’allez pas croire qu’elles sont fictives celles-là, qu’elles ont été inventées pour expliquer les errances de fous furieux ! Ce sont elles, réellement, qui vous insufflent les théorèmes des grands éthers ! Incroyable non ?

  Le fait est qu’il faut caler un maximum d’images dans un minimum de place : « introduction, développement, conclusion », sans oublier le titre qui ne doit avoir un rapport avec le texte qu’au second ou troisième degré… comme à l’école… et Dieu merci c’est bien le seul point commun avec le temps des pupitres en bois et des porte-plume vomissant ! Porte-plume qui demeure invariable au pluriel !

  Lorsqu’on dit que la poésie est le fruit d’une vaste liberté de pensée, d’un art jubilatoire… des nèfles ! Elle n’est qu’une forme de soumission à quelque dictature élégante de l’esprit !

  Cependant vous pouvez choisir le nombre de textes que vous voulez insérer dans votre recueil, mais s’il est trop court vous laisserez le lecteur sur sa faim, s’il est trop long vous le lasserez rapidement et il pliera boutique avant d’arriver au bout ! S’il est entre les deux, faut-il qu’il soit encore finement consistant… et intelligible !

  Et la taille du recueil, et la police de vos textes, et la taille de la police, et la couleur du recueil, et l’ordre des poèmes ? Un travail de romain !

  N’allez pas me rétorquer qu’il faut être un tantinet fou pour être poète ; comment un maçon “un tantinet fou“ ferait tenir debout sa maison ?

  Mais à travers toute cette construction c’est à vous que je pense, amis. Je perçois vos attitudes lorsque le texte fait remonter en vous une multitude de souvenirs. J’entends votre respiration. Je bois votre souffle et je le retiens avec vous lorsque vous êtes au cœur de l’histoire. Je lis sur vos lèvres. Je contemple votre doigt qui s’apprête à tourner la page, qui hésite, qui accompagne votre œil plus haut dans le texte, à la pêche au détail… et vous inventez votre propre histoire ; oh vous ne changez pas le texte, vous adaptez seulement votre propre conclusion, et vous avez raison ! Voilà l’âme vivante de la poésie ; en voilà la raison !

  Si Fontiès et Labastide sont miens, au travers de leurs ruelles chaudes, étroites et pierreuses, c’est chez vous que vous déambulez, dans votre jardin secret ! Si je vous dépeins mon ruisseau ce sont les clapotis de vos rivières que vous entendez chanter… et la poésie n’a rien de magique… elle est seulement universelle !

  Amis fidèles, tant que vous continuerez à me lire, tant que vous viendrez à mes récitals, je continuerai à guider la rime comme on guide les oies, en les poussant du bâton entre les plantes à tisanes et les orties ! Je continuerai à m’y piquer parfois et m’en délecter le reste du temps avec entrain ! Tant que je pourrai partager avec vous le pain, la rime et la Carthagène, tant que je vous aurai près de moi sur les chemins de traverse, le soleil sera haut et le vent léger un allié !

  Je vous embrasse bien affectueusement et vous souhaite d’effeuiller avec bonheur ce nouveau bouton d’or, le quatrième « Tant que j’aurai du pain, du vin et de l’amour ».

  Bon voyage !

J.G


    Table des poèmes

 

  1. Acompte ardemment souhaité.
  2. Hugo Victor était bien là.
  3. Ensemble.
  4. Ceux de Fontiès sont là.
  5. La Pelharote de l’an 8.
  6. Une journée ordinaire dans le Val-de-Dagne.
  7. Interrogations.
  8. Labastide, porte ouverte.
  9. Le pic de Bugarach.
  10. Automne 1208.
  11. Secours mutuel.
  12. L’insatisfait.
  13. Les trompettes de liberté.
  14. Le goût du sucre.
  15. Les lambris de la vie.
  16. Faute de crise.
  17. Période charnière.
  18. Introspection.
  19. Les vrais amis.
  20. La course.
  21. La dame d’en haut.
  22. Ilot de paix.
  23. L’homme à cran.
  24. Fenêtre ouverte.
  25. Elle.
  26. Ma lumière.
  27. Le ciel dans la main.
  28. Le long chemin.
  29. Désirs.
  30. La chose étrange.

  1. Acompte ardemment souhaité !

 

Qu’il fasse beau, qu’il grêle, qu’il gèle ou qu’il neige,

j’ai toujours, à ce jour, quelqu’un qui me protège ;

ou quelqu’un, ou quelqu’une, je ne sais pas vraiment

qui s’intéresse à moi du fond du firmament,

 

ni pour quelles raisons on insuffle à mes yeux

l’air des vastes espaces et le rire de Dieu !

Le fait est que je vais toujours la tête au vent,

quelques fois dans les nues, ébouriffé souvent…

 

et filant de guingois pour sentir une fleur,

ou cueillir dans les blés un rayon de chaleur !

je vais aveuglément où mon maître me guide ;

à moins que je ne sois le fils des Espérides !

 

Ceci-dit, j’ai le pied bien en terre, et l’esprit,

qui l’assiste et le suit au hasard de la vie ;

comme tout un chacun je me mouille lorsqu’il pleut,

mais la pluie d’hiver est saine pour mes cheveux !

 

N’allez pas croire que l’autosatisfaction

soit le reflet de ce texte, pauvres couillons !

non, c’est une lettre que j’adresse au divin,

à l’Espéride, à l’ange inconnu comme au saint

 

qui me tient la main ou vient me tirer l’oreille ;

quelques mots pour lui dire que les fruits de ma treille

depuis quelques saisons laissent à désirer,

que je n’aurai bientôt plus grand-chose à becter…

 

lui dire qu’il est temps de m’ouvrir le chemin,

de m’offrir aux charmes d’un éclatant destin !

qu’il est temps, car le jour où je l’aurai rejoins,

je n’aurai guère besoin d’air pur ni de vin !

 

Qu’il fasse beau, qu’il grêle, qu’il gèle ou qu’il neige,

j’ai toujours confiance en l’être qui me protège ;

ou quelqu’un, ou quelqu’une, je ne sais pas vraiment…

 

mais qu’il se mette au boulot, de grâce, ardemment !


2.  – Hugo Victor était bien là ! –

 

Figurez-vous, cette nuit là

j’étais à table à ses côtés !

nous échangions des vérités,

quelques pensées sur l’au-delà…

 

nous discutions autour d’un verre

des philosophies de Socrate,

nous mettions l’idée à la patte

et jouissions de sa lumière !

 

Après le café, le cigare,

la gnole, et comme il faisait beau,

par le portillon de l’enclos,

sans femme, sans veston, sans guitare,

 

nous sommes allés marcher un brin

entre les houx et les jonquilles,

où nous avons vanté les filles

et le chant plaisant du serein.

 

Après le gaillard rouge-gorge,

nous avons évoqué l’enfer

des machines-outils et du fer,

et des brûlures dans les forges !

 

La mer, inévitablement,

fracassant son front de violence

loin des douces baies et des anses

où l’été se pavane, brûlant,

 

vint jeter ses idées reçues

sur le phare de Guernesey

et j’entendis les naufragés

chanter l’hymne aux peines perdues !

 

Il aimait causer des bateaux

comme j’aime causer du bon vin ;

il connaissait de bons marins

comme je connais de bons caveaux !

 

En lui parlant de Marcelin 1

j’eus des nouvelles de Claude Gueux 2 ;

chaque geôle à son malheureux

et chaque aurore ses chagrins !

 

Il savait Dieu sous chaque pas

parmi les herbes et les nuages ;

ils sont ainsi les enfants sages,

en toute image ils ont la foi !

 

Nous lisions le livre éternel

de la nature triomphante,

quand une cloche tonitruante

fit taire les souffrances d’Abel…

 

déjà, dans la chambre, le soleil

inondait les plis des draps blancs ;

Hugo Victor était absent,

la cloche était celle du réveil…

 

mais mon réveil était heureux !

figurez-vous, cette nuit-là

j’avais franchi un nouveau pas ;

faut dire, que

Victor m’y avait aidé un peu ;

entre poètes on peut faire ça…

 

non ?

 

  1. Marcellin ALBERT : Père de la révolte des vignerons du Midi en 1907.
  2. Claude GUEUX : Roman de Victor HUGO paru en 1834.

3.  – Ensemble

 

Ensemble au bout du monde, quel que soit le décor,

dans la froidure, la sécheresse ou la nuit ;

ensemble pour gueuler un “hourra“ à la vie ;

pour qu’à l’unisson monte un merveilleux accord

 

qui régalera toutes gens, les dieux, les diables,

ces âmes que l’on croise au détour du sentier,

ces gens que l’on fascine en portant le béret,

ces âmes qui croisent le fer à notre table !

 

Ensemble pour la fleur qui pousse sous nos pas,

pour nos nuées de rires apostrophant l’espace,

contre l’inexorable saison qui trépasse,

pour alimenter de couleurs vives notre aura !

 

Ensemble, car depuis que nos sabots côtoient

enlacés, le sable, le terreau, la gadoue,

si nous sommes harnachés au même licou

et portons tour à tour chacun le même bât,

 

c’est qu’au-delà des songes, des valeurs, des humeurs,

chacune de nos rencontres empierre un peu plus

l’autre bout du trottoir, l’autre coin de la rue !

 

Sur les voies de notre inextricable labeur,

rajoutez une maille aux chaînes d’arpenteur

et vous verrez d’autant croître le vrai bonheur.


4.  – Ceux de Fontiès sont là !

 

Ceux de Fontiès sont là ; nous avons dans l’esprit

une fraternité qui traverse les temps ;

une étoile, sans doute, qui brille jour et nuit,

une sorte d’amour pour ceux de notre sang !

 

n’y voyez un vent de sectarisme, mes frères,

car nous aimons les autres autant que nos enfants !

attirance triviale aux senteurs d’une terre

de sarments multicolores et de merles blancs !

 

Ceux de Fontiès sont là, alors tout s’illumine !

peu importe le lieu, le nombre ou la raison !

peu nous en chaut alors s’il pleut des perles fines,

ou si le ciel jubile sous sa chape de plomb !

 

Ceux de Fontiès sont là, attablés dans les herbes,

tenant au Bon Dieu quelque discourt enivrant :

« Heureux, disait Platon, quand le sage est imberbe ! »

« Heureux le Poilu, clamait-on en d’autres temps ! »

 

Et l’on trinque à l’occasion qui nous réunit ;

la volonté demeure de vouloir vivre en paix !

les gauloiseries ont fait place à l’harmonie

et l’alcool des anges courtise la fumée !

 

Après avoir longuement traîné la savate,

trouvé quelque intérêt à des choses nouvelles,

le pas lent, chacun regagne alors ses peinâtes

et le dernier finit d’enrouler la ficelle !

 

chacun suivra sa route, peut être une saison,

mais tous, à nouveau, se rallieront à l’appel !

deux portes s’ouvriront sur le seuil des maisons

et la Carthagène aura le doux goût du miel !

 

Ceux de Fontiès sont là ; nous avons dans l’esprit

une fraternité qui traverse les temps…

quand on sait combien tout est futile aujourd’hui,

entendez notre amour dans les rires du vent !


5.  – La Pelharote 1 de l’an 8

 

Mes amis ont sué du bec !

ils avaient si chaud dans le verbe

que cent bleuets fleurissaient l’herbe

et le lit des ruisseaux à sec !

 

Les poètes n’ont de saison ;

les poètes se rient du temps ;

et mes amis claquaient des dents

en accouchant leurs décoctions !

 

Mes amis suivaient leur chemin

et leur chemin suivait le soir,

le soir suivait les cris d’espoir

et l’espoir le creux d’une main…

 

une main tendue quelque part,

peut-être à la porte d’en face !

mes amis suivaient une trace

cheminant pourtant au hasard !

 

Mes amis cherchaient un sourire

par delà la haie des soupirs ;

ils étaient tous nés pour frémir

comme vous l’êtes pour les lire !

 

C’est à l’encre de rouge sang,

au point de croix de la douleur,

aux flots d’images et de sueur

qu’ils dénouaient leurs sentiments !

 

La chaleur ne les atteignait,

leurs pieds fumait sous la lanière

et sous leur cœur roulaient les pierres,

et leurs terres s’ensemençaient !

 

Soudain, nous vîmes des roseaux

monter un vol de métaphores !

il en vint des cents, plus encore,

cent couleurs, cent sons et cent mots !

 

quand l’azur, à saturation,

déplia ses voiles béantes,

au cou des étoiles filantes,

en trois éclairs de rébellion

 

mes amis quittèrent le présent

pour de bleuâtres constellations

où sous de vives conjugaisons

on boit la vie à tous les temps !

 

le sol terrestre crevait, fumant !

 

  1. la PELHAROTE : balade poétique sur les terres audoises, que j’organise tous les ans le dernier dimanche de juin.

6.- Une journée ordinaire dans le Val-de-Dagne

 

On n’adulait Delteil, autrefois, dans le Val ;

aux yeux de ses semblables le maître était banal !

beaucoup n’en soupçonnaient même pas l’existence,

affairés, qu’ils étaient, à porter leur souffrance !

 

car en ce pays oublié, ce creux de France,

ils battaient la cognée, charruaient en silence !

ils vendangeaient, rieurs, les bottes dans la boue,

cueillaient le soir la fleur de l’amour à genoux !

 

Ils causaient d’écrevisses, de truites ou de perdrix,

de jardins potagers ; jamais de fantaisie !

après avoir cerclé, préparé les boutures,

l’heure n’était guère à la douce littérature !

 

Ils savaient Jeanne d’Arc et le Jésus des livres

dans lesquels ne flottaient encore de “Bateau Ivre“ !

Monsieur l’instituteur et Monsieur le curé

se partageaient les fautes de rues et de dictées…

 

les autres n’avaient vu de l’école que le mur,

ne savaient du Bon Dieu que le côté obscur,

mais ils sifflaient plus  fort, plus fin que la merlette

lorsque par les cailloux ils poussaient la chevrette !

 

et quand ils ont suivi l’obus au champ d’honneur,

le dégoût au fusil et le Val plein le cœur,

ils ont fumé sous la rage des hallebardes

un tabac parfumé aux éclats de moutarde !

 

Que Delteil soit venu, que Delteil soit parti,

 “Les Poilus 1“ soient lus dans les salons de Paris…

peut-être jusqu’à mai le feu crépiterait ;

sur la coupe de bois le Villar statuait !

 

Dès lors, les choux primaient sur les prix littéraires ;

à chacun, quelque part, sa journée ordinaire !

Ici l’on apprendra à te connaître un jour,

pour l’instant le mitron dort dans l’antre du four !

 

ici l’on apprendra à aimer tes écrits,

mais patiente, Joseph, quatre ou cinq décennies,

et tu verras passer sur les routes du Val,

– cousu de lettres immenses  –

ton nom sur la charrette… et même sur le cheval !

 

  1. Les Poilus: Joseph Delteil 1926

7.  – Interrogations

 

Dis- moi Delteil, Paris…

 

lorsqu’on sort à minuit, est-ce que les chats sont gris ?

est-ce que Vénus brille autant sur la tour Eiffel

que sur les châtaigniers pour la nuit de Noël ?

est-ce qu’au moins, à la ville, tu entends une scie ?

 

dis-moi Delteil, Paris…

 

quand on sort des forêts, est-ce que l’odeur du buis

ne vient pas à manquer, et le chant du hibou,

et le petit sentier tout parsemé de houx,

et l’eau qui déverse ses tendres clapotis ?

 

dis-moi Delteil, Paris…

 

est-ce que nos tuiles ocres et nos toits gondolés

où nos chats se chamaillent jusqu’à des heures indues,

par les immeubles ne sont pas saveurs perdues ?

est-ce que l’inspiration pointe sous les fumées ?

 

dis-moi Delteil, Paris…

 

est-ce qu’au Trocadéro, à l’Etoile ou ailleurs,

comme le faisait ta mère infatigablement,

on concasse toujours la farine de froment

et l’on fait dorer les crêpes de chandeleur ?

 

dis-moi Delteil, Paris…

 

le soleil entre t’il au fond de ta mansarde ?

chauffe t’il ton encre ? revois-tu tes Corbières

et sens-tu d’aussi loin les parfums de ta terre

sur laquelle les rayons de lune musardent ?

 

dis-moi Delteil, Paris…

 

à Montmartre, à Saint-Germain, vois-tu des raisins ?

ont-ils la robe pourpre comme ceux du “Val 1“ ?

à la fin des vendanges, au moins, font-ils un bal

où l’on “mouste 2“ les filles en effleurant leurs seins ?

 

dis-moi Delteil, Paris…

 

les voitures à plein gaz sur les grands boulevards

et le bruit qui se déverse aux bouches d’égout…

comment peux-tu penser dans ce monde de fous ?

et le surréalisme, est-ce bien le panard ?

 

dis-moi Delteil, Paris…

 

est-ce qu’on gagne sa vie en faisant des bouquins ?

est-ce que là-haut tu manges des pois à l’étouffée ?

est-ce que tu as vu un lièvre depuis que tu es monté ?

est-ce que tu as vendu tes collets à lapins ?

 

adieu Delteil, je plie

 

le papier à lettres et la liste des soucis ;

si les loirs commencent à gratter le plancher

c’est qu’il est, tu le sais, l’heure de se coucher !

prends garde à toi, Joseph, ici c’est la routine,

la chouette hulule, nous n’aurons pas la pluie.

 

je t’embrasse, à bientôt.

 

  • Val-de-Dagne (Aude / Corbières occidentales) d’où est originaire Delteil.
  • Tradition / jeu / vendangeurs qui cherchent à s’attraper pour s’écraser du raisin rouge sur le visage.

8.  – Labastide, porte ouverte. –

 

J’ai préparé les vers et graissé la musette,

le vent léger découvre le vent du souvenir,

il va être, grand-père, bientôt l’heure de sortir ;

nous avons somnolé de trop longues siestes !

 

Au jardin l’herbe s’accoquine au poulailler,

le « canelet » d’irrigation fait des caprices,

les taupes, à nouveau, bâtissent sous les narcisses

et notre vieille forge a fini de fumer !

 

Les nouveaux proprios entretiennent la maison

mais leur cuisine est parfumée à la choucroute ;

ce sont des gens charmants ; dans leur champ l’âne broute

et demeure le seul à savoir nos chansons !

 

J’ai préparé la poudre et huilé le fusil,

le vent léger découvre le vent du souvenir,

il va être, grand-père, bientôt l’heure de sortir ;

faut se frotter les yeux et faut quitter le lit !

 

Il serait bien aisé si nous allions à trois

relever les pièges et cueillir quelques lactaires ;

nous avons du renfort ! trois vaut mieux qu’une paire

quand la complicité envahit le sous-bois !

 

Le temps semble bien long pour celui qui attend ;

tant de grain doit encore se frotter à la meule !

toi, tu es près de Dieu, moi, d’ici je l’engueule ;

le croûton, sur la planche, va nous foutre le camp !

 

J’ai préparé la table et graissé le verrou,

le vent léger recouvre la nappe du souvenir,

il va être, grand-père, l’heure de revenir,

et dans “l’oule“, grand-mère fera sa soupe au chou !

 

J’ai préparé de l’encre, graissé la plume d’oie,

fait rentrer le soleil dans cette nuit brumeuse ;

la rime fut pour moi, ce soir, des plus fameuses

et la larme qui signe, un clou de notre croix !


9.  – Le pic de Bugarach

 

Une dent de calcaire, un roc

blanc émergeant d’une gencive

de pâtures salées, de socs,

de fines fleurs, d’absinthes vives ;

 

un bloc rassasié de nuages,

fier, dégoulinant sa brume

dans les sillons, dans le sillage

des brebis… vagues d’écume…

 

troupeaux de la sérénité…

bergères du libre espace…

fromagères du temps figé…

sabots d’une terre bien basse…

 

la chaleur à la bergerie,

le musc jusqu’au cœur de l’âtre,

là, sans dimanche et sans minuit,

la traite, quatre par quatre !

 

Une dent calcaire trônant

sur un hameau de pierres sèches

où lapent aux abreuvoirs, le vent,

l’homme, le loup, le pic-épeiche !

 

Brave pays que je dépeins,

bon pour qui a la peau rugueuse,

l’âme immaculée, l’esprit sain

et conjuguant l’humeur joyeuse !

 

Sol où tout fume l’hiver :

les bœufs et les tracteurs, pareils,

les cheminées et le grand air,

les rires, les pleurs, le soleil…

 

pays du sud, mais d’altitude

où la bruyère chasse le lys ;

où le ballet des habitudes

caresse la main et l’iris…

 

et pays de recueillement,

paillé pour la méditation,

granges étagées de sentiments,

sentiers d’immanquables raisons !

 

Je suis venu, j’ai vu et j’aurai bien voulu

 

vaincre là-haut mes vieux démons

à coup de solitude, d’exil !

fils du bruit, de la pollution,

l’égoïsme perlant aux cils,

 

le stress pendant à mes cheveux,

à mon aura l’hypocrisie,

la couardise épaisse à mes yeux

et la caresse de la non-vie,

 

l’air trop pur et l’azur trop blanc

n’ont eu raison de mes faux vices ;

la cohue me hélant en gants blancs

la ville m’offrant ses abysses !

 

Alors je suis redescendu,

satisfait, vers le brouhaha,

dans la fumée des malentendus,

pour des trous de taupes et de rats !

 

Assurément, un jour viendra,

où je haïrai mes compagnons,

la dent calcaire m’accueillera

et si Dieu daigne venir à moi

 

j’y poserai mon baluchon ;

il en sera fini de cette vie de con !


10.  – Automne 1208

 

Octobre emplissait nos tonneaux

d’olives, de miel et de noix.

Le premier vin coulait à flots.

C’était un automne de choix

 

où le temps, en grâces infinies,

croquait un léger vent du nord.

Les chênes n’avaient pas jauni ;

comme si l’été n’était pas mort !

 

Comme si rien ne voulait partir

tout se cramponnait à ses guêtres ;

comme si tout préférait souffrir

plutôt que d’être et disparaître !

 

Quelque chose allait de travers,

quelque chose d’imperceptible !

il est vrai qu’au diable vauvert

on faisait feu de toute bible !

 

Et la nature qui sent tout

frémissait d’étrange manière,

comme si la roche et la boue

préparaient leurs massues de guerre !

 

Il est vrai qu’au diable vauvert

on tergiversait d’hérétiques,

et l’on disait qu’avant l’hiver

on clouerait là la polémique !

 

C’est bien cela que la nature

appréhendait à juste titre :

machines de guerre, robes de bure,

bulles, bûchers, sièges et mitres !

 

Innocent III s’enorgueillissait,

Raymond de Toulouse jouait,

Philippe-Auguste s’interrogeait…

et la nature qui savait

 

qu’octobre est un mois généreux

donnait son air tiède et ses baies ;

l’hiver jetterait, malheureux,

ses hommes en pâture aux idées.


11.  – Secours mutuel

 

C’est au moindre chagrin que la vigne apparaît,

que les bourgeons en fleurs dépassent de la brume,

que je revois mon père et tous ceux du “béret“,

la rosée sur le soc, la rouquette qui fume.

 

C’est à la moindre larme que je revois la benne,

les grains noirs éclatés sous la feuille juteuse ;

mon âme ensanglantée sait où calmer sa peine

quand le vent des rangées murmure sa berceuse !

 

Ce soir, mon cœur est las, tout stagne et tout périt,

le raisin est amer, je n’ai plus de famille ;

le creux de ma main ne saisit plus que l’ennui ;

que c’est triste l’été lorsque plus rien ne brille !

 

Un bruit de tracteur traverse, comme au vieux temps,

mon esprit fatigué par de vains sacrifices,

mais par la fumée bleue du pot d’échappement

j’entrevois à nouveau quelque feu d’artifice…

 

 si j’étais le gamin brinquebalé sur l’aile,

si papa nous emmenait vers la liberté ?

et si maman avait suspendu aux ridelles,

par trois baisers, la musette de mon goûter ?

 

Papa ne va plus à la vigne et maman ne

suspend plus de musette, les ridelles sont au feu ;

mais lorsque les souvenirs me taquinent un peu,

comme si la vie n’était rien d’autre qu’un jeu

 

je revois les rameaux danser au grand soleil

et la prêle suer sous l’assaut de la lame !

là est mon paradis, à chacun ses merveilles,

à chaque œil son onguent contre le mal à l’âme !

 

C’est au moindre chagrin que la vigne renaît,

qu’elle revêt pour moi les couleurs de la vie !

s’il advient qu’elle ait froid, là tout est inversé,

c’est ma plume enjouée qui réchauffe son lit !


12.  – L’insatisfait

 

Bien sûr, je pars, parfois, comme d’autres en voyage,

mais sitôt que la première mer de nuages

apparaît, ou le large des vastes océans,

non que je sois atteint par de vifs tremblements

 

ni que le mal de mer ne remue mes entrailles,

mais il faut, c’est stupide, que je grogne et je baille

comme si quelque ennui me possédait alors ;

comme si je n’étais plus maître de mon corps !

 

 Je suis, croyez le bien, quelqu’un de dynamique !

mais comme si l’on m’administrait un coup de trique

je suis durement caressé lorsque je pars

par le doigt hypocrite et pointu du cafard !

 

 L’odeur de mes vignes me revient à l’esprit,

la couleur du feuillage et le raisin rubis,

la rouquette partout qui parfume ma terre

et le goût rocailleux de mon vin des Corbières…

 

 alors toute angoisse disparaît, c’est couillon,

je me vois en bleu de travail, en bourgeron,

je vendange, je taille, je désherbe ou je plante,

je prends la suée pour rembourser quelques rentes…

 

mais les choses étant ce qu’elles sont, je suis fier

d’être vigneron (autochtone en plein air) !

où les choses se corsent quelque peu, voyez-vous,

c’est qu’une fois rentré je veux mettre les bouts…

 

non que le grand air ne me remue les entrailles,

mais il faut, c’est stupide, que je grogne et je baille

comme si quelque ennui me possédait alors,

comme si je n’étais plus maître de mon corps !

 

Je suis, croyez-le bien, quelqu’un de dynamique !

mais comme si l’on m’administrait un coup de trique

je me vois caressé par des envies d’ailleurs ;

vous l’avez bien compris, je vis un grand malheur !

 

Peut-être le fait que je sois de la balance

aurait sur mes choix quelque puissante influence ?

d’ailleurs, à ce jour, je ne sais toujours que faire,

j’hésite encore entre Paradis et Enfer…

 

à moins qu’entre les deux je navigue gaiement

lorsque j’aurai les nausées et les tremblements !

et peut-être, si je peux encore le faire,

rien que pour emmerder je reviendrai sur terre !


13.  – Les trompettes de liberté

 

Un général, un jour, dirigeant un pays,

à ses fins extorqua les quatre sacs de riz

qu’une quelconque amicale internationale

avait, en attendant, pour lui faire la balle,

fait emmener ; l’aide a les couleurs de la vie !

 

Partout où le pouvoir ne marche qu’à deux pieds,

quelques hommes de main et leurs fusils braqués

sur un éventuel désir de rébellion,

partout où le soleil va dormir en prison,

partout grondent les trompettes de liberté !

 

Partout, caché au plus profond de ses abîmes,

l’espoir enfante d’armes, de ruses et de rimes

– redoutables bambins de lendemains joyeux ! –

pauvre général qui détient les clés du jeu,

sache qu’un barreau cède sous une infime lime !

 

Les gens mouraient de faim, de soif, du choléra

et lui nourrissait à la volée quelques rats,

et lui nourrissait à la volée quelques hyènes

sous l’œil clos des nations dites “républicaines“

et les discours tronqués de brillants chefs d’états !

 

Il a fallu cent ans pour que s’ouvre la faille

par laquelle sortirent les fourches et la limaille !

les fourches par millier et la limaille épaisse !

en un rien de temps elles eurent dit la messe

et les filles déjà parlaient de fiançailles !

 

Chaque aube apporte encore son nouveau dictateur,

ses hyènes et ses rats, son lot de délateurs,

mais l’aurore, rougeâtre, aux couleurs des drapeaux,

chaque jour fait frémir la paix à fleur de peau !

bonheur,

les rires semblent prendre le pas sur la peur !


14.  – Le goût du sucre

 

Ce ne sont pas tes rides, ce ne sont pas tes coups,

ce ne sont ni tes pleurs ni tes marches à genou,

ce ne sont ni tes heurts ni toutes ces violences

que l’âme endure dans ce monde de démence…

 

ce ne sont tes efforts, tes déceptions, tes craintes,

ce ne sont tes blessures, aucune de ces plaintes

que l’on adresse à Dieu quand tout va de travers,

ce ne sont les parfums de tes sentiers amers…

 

ce ne sont tes saisons de vengeance et de fiel,

la “fausseté“ que l’homme conjugue au pluriel,

ce ne sont tes longues sérénades à l’Enfer,

tes prières au Diable lorsque tu pisses en l’air…

 

ce n’est l’hypocrisie, qui nous sied à merveille,

 ni l’alcool frelaté de la dive bouteille,

ce ne sont là tes fatigues accumulées

ni tes envies de tout envoyer balader…

 

 

laisse en paix tes méninges, car en toute hypothèse

 il n’est là que la cendre qui recouvre tes braises !

depuis qu’à la vie tu paies la dîme, la gabelle,

tes flûteaux sonnent aujourd’hui comme des crécelles !

 

depuis si longtemps que ta nourriture est fade,

tu as perdu le goût du sucre, camarade !


15.  – Les lambris de la vie

 

Hélas, je n’ai le temps de pondre, original,

un terme qui ferait la une des gazettes,

qui, simple et percutant, par quatre pirouettes,

sans frime et sans haine dénoncerait le mal…

 

car il est temps, l’ami, que je hue les bourgeois,

les patrons, les poltrons qui arborent un galon,

tous ceux qui détiendraient ces vielles idées de con

que comme au moyen-âge ils auraient tous les droits !

 

Comme ils le pensent vraiment et souvent l’appliquent,

prenant l’employé pour un esclave notoire,

ne lui accordant qu’un demi-verre d’eau pour boire,

commandant par le harcèlement et la trique,

 

ne m’en veux pas, Zola, j’emprunte ton « J’accuse » !

la situation est plus grave qu’il n’y paraît

et pour l’instant n’ai que des mots à opposer

à la perfidie, l’ignominie et la ruse !

 

Pour la femme qui va le porte monnaie vide,

la baguette de pain pour quatre à cinq repas,

le sac à main sans pilulier ni mascara,

la non vie fleurissant au creux de chaque ride,

j’accuse !

 

Pour la caissière aux horaires bien décousus,

que l’on fait de surcroît bosser les jours fériés

sans qu’elle puisse se plaindre ni rien revendiquer,

et qu’au moindre mot, sans prime, on jette à la rue,

j’accuse !

 

Pour l’employé d’usine que l’on note au mérite,

et qui, pour eux, ne mérite que le dédain

alors qu’il nourrit le monde de ses deux mains,

à qui l’on demande d’aller toujours plus vite,

j’accuse !

 

Pour l’agriculteur à qui l’on vole ses produits

pour quatre francs six sous, qu’on taxe et qu’on surtaxe,

le poète qu’on impose sur la syntaxe

et le pêcheur qui doit sortir en pleine nuit,

l’artisan de proximité qui licencie,

faute de jours meilleurs, son unique apprenti,

et sur des cartons, en guise de nouveaux lits,

tous ceux qu’on a jetés des circuits de la vie,

j’accuse !

 

J’accuse les nouveaux systèmes d’enseignement,

la médecine qui exclut les démunis,

les salops qui oppriment les faibles et les petits,

les élus qui agissent déloyalement ;

j’accuse les sectes, les papes, les maquignons

de l’âme, ceux qui prennent appui sur la misère,

tous ceux qui crachent dans la soupe de nos pères

bercés par le mensonge, le leurre et l’inaction !

 

Sachez mes frères qu’il ont tronqué “la campagne“,

démâté en riant tous nos mâts de cocagne ;

puisqu’ils seraient heureux de nous voir asservis,

montrons-leur qui sont les vrais maîtres du pays !

 

puisqu’ils seraient heureux de nous voir asservis,

peignons en d’autres tons les lambris de la vie !


16.  – Faute de crise

 

Voyez les nuées de criquets,

de vierges folles, d’escargots

et d’actionnaires dépités ;

pour tous la crise est un fléau !

 

Mes muses ont été licenciées,

l’encre ne se fabrique plus

et je ne trouve plus de papier

pour graver les idées reçues !

 

Même l’inspiration s’en va

et les muses convoitent l’Orient ;

on dit que les poètes chinois

se nourrissent d’un rien d’argent !

 

Ici, la parole était d’or

avant le grand chambardement,

et de l’élève et du mentor

on buvait les dires et l’accent !

 

Les éditeurs deviennent amers ;

ils sont réticents à la rime !

les théorèmes des grands éthers

ne trouvent à leurs yeux plus d’estime !

 

Je n’écris plus, je ne vends plus …

certes, il me reste encore la scène !

en quelques mots “je suis foutu“ !

à moins qu’Obama ne survienne,

 

qu’il me prenne dans son giron,

lui, le sacro-saint, le sauveur,

et qu’on éprouve à Washington

pour mes vers un gros coup de cœur !

 

J’irai clamer à Hollywood

ma poésie “Animato“,

je composerai au fast-food

entre un chicken et un pernod…

 

mais si ma poésie ne plaît

plus à Obama qu’au Bon-Dieu,

comme tant d’autres j’offrirai

mes quatrains ardents au grand feu !

 

La crise est la crise mon vieux,

et le petit, le misérable,

qu’il psalmodie pour le Bon Dieu

ou pour le roi clame ses fables…

 

la crise est la crise mon vieux ;

et les temps sont impitoyables !

 

“Selon que vous serez puissants

ou misérables, les jugements de cour

vous rendront blanc ou noir !“


17.  – Période charnière

 

Nous connaissons une ère où tout va de travers,

la terre se réchauffe et les cieux s’alourdissent,

les fleurs de Back perdent leurs senteurs de mélisse,

apaisantes, et l’on vient peupler les cimetières

 

de sacrés fol dingos, de chairs pestilentielles,

de tristes macabets sans le sourire aux lèvres !

la faux vient quérir ses braves à la moindre fièvre,

toute âme dit “amen“ et court dès qu’on la hèle !

 

Je ne listerai donc ce qui va à vau-l’eau

par crainte d’assécher mes bronches et l’encrier !

je ne me désespère et dois le signaler,

nous sommes une période charnière, et bravo

 

à qui pourrait prédire où nous allons si fiers,

le dieu Monnaie, les saints Orgueil et notre pomme !

 mais si tous les chemins mènent vraiment à Rome,

nous finirons bien par trouver la Via Lumière !

 

En attendant, je ris, je bois mon saoul, je baise,

je me fous du vent, du ciel, des cognes et du pèse ;

je n’ai plus le temps de vous exposer ma thèse,

d’entendre l’antithèse, d’en faire une synthèse…

 

en attendant, je vis en tongues, adieu les bottes,

je croque au jour le jour la pomme et les pépins !

« Qui n’engloutit l’amour se lève avec la faim ! »

s’exclamait triomphant le superbe Aristote…

 

tout va bien chez moi, je n’ai besoin d’antidote !

j’ai pigé le message, dors peinard, Aristote,

« Qui n’engloutit l’amour se lève avec la faim ! »

n’aie crainte,

 si je veille ce soir, je ferai “la grasse“… demain !


18.  – Introspection

 

Demande aux étoiles “pourquoi“ ?

demande aux rivières “comment“ ?

demande au vent d’ouest “qui décide“ ?

 

Pose les questions une fois,

sans supplier, bien fermement ;

rien ne brille plus que le vide !

 

Le plein est fait d’ombres hypocrites,

de néant zélé, fallacieux,

de romantiques absurdités…

 

peuplé de vermine et de mîtes,

peinturluré de poudre aux yeux,

attirant par nécessité !

 

Comme les femmes du coin des rues

le néant te hèle quand tu passes

de son verbiage rocailleux

 

et le vide ne comprend plus

que l’homme aille encore la vue basse,

le cheminement tortueux !

 

Demande aux oiseaux s’ils ont vu,

aux tortues, qui passent cent ans,

quelle est donc leur philosophie,

 

aux trottoirs s’ils ont entendu

dire de la bouche d’un passant

que le vide nourrit la vie…

 

 puis interroge les nuages,

– eux qui naviguent dans les cieux –

où se cache donc la sagesse ?

 

Ton nom est gravé sur la page,

fais que ton livre ne prenne feu !

répond à l’ultime caresse !

 

La matière est sans importance,

le plein est vide d’avenir

et le vide est plein de bonté !

 

la flamme est lumière qui danse !

J’en ai vu tant et tant partir

à la mort empreints de gaieté !

 

Demande aux trèfles, aux ancolies,

demande aux ânes, aux sauterelles,

au bon rieur, à l’égaré…

 

ou hèle à ton tour la folie,

l’extase et la mort pêle-mêle

et bouscule les vérités,

 

viendra le jour où la clarté

percera l’iris du déluge

porteuse de larmes de joie,

 

où ton âme, à nouveau en paix,

lâchera l’hermine du juge

et guidera enfin tes pas !

 

Alors, mon frère, tu aimeras !


19.  – Les vrais amis

 

Il voulait que j’y aille, ça paraissait urgent,

je pensais qu’il avait quelque chose à me dire,

un secret, pourquoi pas, quelque chose de pire !

tout était normal, il avait soif, seulement !

 

Il voulait, en fait, que l’on descende à sa cave,

 que l’on goûte, entre amis, un de ces crus gaillards

qui à coups de nectar vous ôtent le cafard ;

un Roussillon peut-être, un Bourgogne ou un Graves !

 

On descend quelques marches, un tournant à l’équerre,

puis un dans l’autre sens, et déjà la fraîcheur

vous saisit au mollet et les chaudes senteurs

du vin qui se repose parfume vos chimères !

 

J’y sens la résine de pin vert et le blé ;

comme les néophytes à la dégustation

j’y trouve la framboise et les fruits de passion !

j’hume entre le moisi et les toiles d’araignées

 

et tout ce qui entre par les yeux, par le nez,

par la bouche ressort en d’innocents soupirs,

quand pris de frénésie, je sens poindre et frémir,

les papilles alanguies, un flot de rosé frais !

 

Je disais “le moisi“, car dans les caves à vin

la pourriture est comme le caramel au flan,

le pénicillium au roquefort, évidemment !

ne me parlez de ces chais qui ne sentent à rien !

 

Il voulait donc que j’y aille, ça paraissait urgent,

j’accourus m’imaginant quelque “effilochade“,

et suis tombé de cul dans un pot d’anchoyade

qui parrainait un Chablis, orgueilleusement…

 

un blanc, un bout de pain, un bout de pain, un blanc,

l’huile d’olive qui perlait sur les anchois,

le Chablis qui succédait au Chablis, je crois,

je ne sais à quelle heure j’ai foutu le camp

 

mais quand mes cheveux fous poussèrent en dedans,

allongé sous un toit où les tuiles dansaient,

la voix comme si j’avais croqué de la craie

et l’haleine boisée au tanin de hareng…

 

je partis à la douche puis à la pharmacie ;

j’avais toujours rêvé d’avoir de vrais amis !


20.  – La course

 

Poète sans frontière, poète universel,

Poète de l’espace – l’espace confiné –

Poète sans frontière au-delà du réel,

Poète des abysses, de l’immortalité,

 

Poète de l’esprit, ô Freud, chante ta plainte !

pour ton ciel des idées, Platon, pousse la rime !

sous le regard des autres, Sartre, choisis la teinte !

que le vers, pour toi, Kant, soit la raison des cimes !

 

que tout retrouve tout et que tout s’entremêle !

Poète sans frontière, plus que jamais livré

au vent controversé des lois immatérielles,

homme, saisis la plume et fais-nous oublier

 

que le soleil, déjà, à l’aube est corrompu,

que le zénith n’est qu’un passe droit pour midi,

que le paradis bleu n’est qu’un nid vermoulu ;

Poète sans frontière, je t’en prie, sans répit,

 

pour nous, versifie une ode blanche à l’amour,

chante l’eau du torrent et la virginité !

à la pureté des âmes, des cœurs et du jour

dédie tes insomnies, ton encre et tes ratés…

 

Poète sans frontière, tu seras le sauveur !

ta prose triomphera sur le sable blanc,

si tout va pour le mieux, peut-être à chandeleur,

si tout va de mal en pis, pour le jour de l’an…

 

et sortiront de l’ombre, chassés par la clameur,

et le doute, et la peur, et les incertitudes !

tu auras gravé dans l’espace le bonheur,

et rouvert les chemins creux de la multitude !

 

S’il n’en faut qu’un, Poète, tu seras celui-là,

les muses l’ont clamé à mon égarement !

sur ton pupitre il est déjà des cris de joie ;

prends le vélo des nues et pédale ardemment !

 

Va, Poète, sans fin, le halo de l’étoile

sera ton guide, mais ne commets point d’erreur ;

on ne change le vent, on ajuste sa voile !

 et sache qu’on ne s’improvise pas rêveur…

 

Poète sans Frontière, de Graulhet ou d’ailleurs !


21.  – La dame d’en haut

 

Là-haut l’accueil est formidable,

le pain est toujours sur la table ;

là-haut le quidam est à l’aise,

la paille qui recouvre les chaises

est la plus souple de l’étable !

 

Toujours une flamme pourlèche

un grill engrossé de ventrêche ;

les rires de graisse fusant

entre les braises et les sarments

s’embrasent en délicates mèches !

 

Entre la lampe et le plafond,

deux bandelettes à moucherons

– guirlandes collantes noircies

par les visiteurs de la nuit –

raidies, veillent à l’intrusion,

 

et le feu crépite toujours

– au nom du père et de l’amour –

sous le cul tanné d’un chaudron

ventru d’un fricot de mouton

et de saisons de non-retour !

 

Elle ne le sait que trop, l’aïeule,

mais à quoi bon le coup de gueule ?

il a connu tant de fumées

le rideau de sa cheminée…

tant de souvenirs qu’elle effeuille !

 

Là-haut, dans cette obscurité,

les anges ont trouvé la bonté ;

la porte est ouverte aux passants ;

elle est en sursis quelque temps,

puis la faucheuse viendra clocher !

 

Vous n’aurez plus le coup à boire

qui accompagnait ses histoires,

et vous ne vous souviendrez plus

qu’en haut, longtemps vous avez bu

le meilleur des alcools de poire !

 

Fermez la fenêtre, là-haut,

même si le courant d’air est chaud,

faut pas que les anges s’en aillent !

l’automne ne me dit rien qui vaille ;

je hais les nuées d’étourneaux !

 

La nature, qui reprend ses droits,

recouvrira portes et toits,

d’abord de mousse et puis de lierre,

puis elle avalera la pierre

sur laquelle encore je m’assois

 

quand je veux boire, dans sa voix,

les accents sucrés du patois…

de la dame d’en haut… à moi !


22.  – Ilot de paix

 

« Des vagues à flanc de colline,

d’une onde verte, résinée,

deux voilures immaculées

sur le bleu lustré des abîmes

 

et dans l’écume du printemps,

« quillé » majestueusement,

un vaisseau de pierres passant

le cap redoutable du temps. »

 

Ainsi, Giono, soyons-en sûrs,

eut dépeint, s’il eut à le faire,

par quatre vers de caractère,

le domaine, les pins et l’azur !

 

« Rougeat 1 » comme le sang des hommes,

comme les godillots crottés

par la boue grasse des rangées,

la sueur des bêtes de somme !

 

Puisque je sais toute souffrance

de chaque sillon du Midi,

– fausse mer et faux paradis

sous le dictât des grands de France –

 

si je dépeignais à mon tour

ce vaisseau, j’en ferais une arche

où viendraient au bon patriarche

les animaux des alentours !

 

J’ouïs les sonates de grillons

et les canons de cent chorales

d’une peuplade de cigales

sur les écorces du vallon,

 

j’ouïs le sanglier et la chevrette,

les compagnies de perdrix grises,

les palombes épousant la bise,

la caille, le lièvre et la chouette,

 

j’ouïs sur le pont un air de fête

et je vois briller les lampions !

Si « Rougeat » n’est à la saison

des mers d’huile, que les tempêtes

 

qui privent ses pins d’écureuils

et ses ceps de grappes luisantes,

viennent en lames déferlantes

rendre l’âme sur les écueils !

 

« Rougeat » est tourné vers demain,

le vent de Cers chante ses louanges !

une seule chose me dérange,

où serons-nous, Giono, demain ?

 

1 : « Le Rougeat » est un domaine viticole sur la commune de Montirat (Aude).

23.  – L’homme à cran

 

Si je souhaite un œuf à la poêle

elle me fait cuire des côtes d’agneau,

ou fait bouillir un os à moelle

lorsque je rêve d’un gigot !

 

aux lentilles vertes du Puy

elle mêle des filets de colin,

comme si Castelnaudary

mêlait aux fayots son boudin !

 

elle fait rissoler des patates

si j’aspire à quelque laitue ;

n’allez pas croire qu’elle me gâte

avec son flan à la morue !

 

elle verse le vin dans les fraises,

l’eau plate accompagne le steak ;

malgré cela je suis obèse…

je compense par les gâteaux secs !

 

quand je pense à ceux qui descendent

un Madiran sur le magret,

la diablesse me sert la viande

avec un litre d’eau d’Alet !

 

elle me fera cuire des pâtes

si j’ai des envies de foie gras

et soyez sûr que je me gratte

si après son frugal repas

 

d’un air guilleret je l’embête,

lui caresse la fesse ou le sein,

un de ses puissants maux de tête

me privera de tout câlin !

 

et merde pour la vie d’ascète !

 

Pardonnez, mais je suis à cran ;

sur l’heure je pars pour Espelette,

où, paraît-il,

la vie ne manque de piment !


24.  – Fenêtre ouverte

 

Elle n’est pas “comme“, elle est plus, beaucoup plus !

elle est tout, et bien au-delà de tout !

elle n’est pas d’ici, seulement d’ailleurs !

ses mains sont fines et blanches,

ses doigts longs et parfumés sont de ciel,

son corps est de fleur,

son âme d’harmonie !

son cœur est d’océan

et de nuage son esprit !

ses pieds sont soignés, elle y tient !

elle ne suit le dictat du divin à la lettre !

ses cheveux sont d’oiseau !

certains jours, ses maux posent le pas sur le damier des vérités !

ses vérités sont ses vertus !

elle sort des eaux salées et profondes !

elle boit l’air goutte-à-goutte !

son œil pétille de félicité !

transparente ou opaque au gré de ses chemins,

lionne ou colibri au gré de ses envies,

tigresse au gré de ses rencontres,

ange au gré de ses souvenirs !

sa peau est étoilée !

son souffle est d’alizé !

ses rêves sont d’azur !

elle n’est pas “comme“, elle est plus, beaucoup plus !

 elle est de tout et bien au-delà de tout ;

elle est d’ailleurs, seulement d’ailleurs, exactement… d’ailleurs !


25.  – Elle

 

Elle va

où le vent la promène au détour des chemins,

elle va

toujours droit devant elle sur son puissant engin,

elle va

sans frange ni breloque, sans aigle sur le dos,

elle va

le soleil dans les yeux, l’âme en paix, à moto !

 

Elle roule

quelle que soit la raison, quelle que soit la saison,

elle roule

son immense besoin d’embrasser l’horizon,

elle roule ;

les arbres, les ruisseaux, les fleurs jaunes des prés,

– elle roule –

colorent sa jeunesse d’un éternel été !

 

Elle suit

les oiseaux dans leur course et les nuages clairs,

elle suit

le temps qui fuit par les itinéraires verts,

elle suit

sans un point, quelque part, qu’elle dut rattraper,

elle suit

son idée sur les traces de la liberté !

 

Elle fuit

la violence, la foule, l’horaire et les tracas,

elle fuit

les chagrins et les heurts, l’ordinaire trop plat,

elle fuit

tout ce qui s’entasse dans le fond des greniers,

elle fuit

le roi“ pécunier“ et son engeance souillée !

 

Elle est

sans visage et sans corps sous son équipement,

elle est

transparente comme l’eau, le doux brin de vent,

elle est

ni d’ici, ni d’ailleurs, elle n’a pas de pays,

elle est

de la voie sacrée où la bonne étoile luit !

 

Elle dort

souriant au bon dieu, un œil sur le compteur,

elle dort

un pied dans les nues, l’autre sur le sélecteur,

elle dort

en comptant les moutons de ses grandes prairies,

elle dort

sur mon épaule et je sommeille au Paradis !


26.  – Ma lumière

 

Elle vient de temps en temps

boire l’eau à la source,

elle passe, entre deux courses,

sur l’échine du vent

comme si d’un autre temps

elle buvait la sève !

 

elle croque le rêve ;

ma môme est une enfant !

 

Nous sommes des mêmes cieux,

nous sommes du même sang,

nous pleurons en riant,

nous gobons le ciel bleu,

et les étoiles fières

 des longues nuits d’été

veillent à ses côtés ;

 

ma môme, c’est la lumière !

 

Demain ne l’effraie guère,

elle ne manque d’élan !

quand on vit en aimant

de cœur la terre entière,

les sons de tous pays

et les quatre saisons …

 

je bois à sa raison

car tout est harmonie !

 

Elle m’apporte, en riant,

des paniers de tendresse,

d’où coulent, enchanteresses,

les saveurs d’un vingt ans

dont elle se rapproche,

qu’elle a juste effleuré,

ou qui n’a pas sonné

mais brûlant en ses poches !

 

Alors elle me rapporte

de coutumes et de gens,

de boulevards vivants

à trois rues de ma porte…

 

puis avant qu’elle n’amène

ses dreds flotter ailleurs,

dix baisers sur son cœur

et cent larmes de peine

délicatement je

dépose, et puis m’endors

sur les plumes en or

d’un crépuscule heureux !


27.  – Le ciel dans la main

 

Les mouches ont changé d’âne, le soleil est radieux !

la poisse ayant tout sucé boit à d’autres os ;

moi qui portais toute la misère sur le dos

le diable a trouvé d’autres couennes dans les cieux…

 

et tandis qu’il les ronge je file mon chemin,

heureux comme Baptiste, le vieux mégot au bec,

le béret de travers, et si je semble “pec“,

que l’homme me pardonne j’ai le ciel dans la main !

 

Je n’ai plus de souci, mes trois vignes bourgeonnent,

ma femme a le sourire et dans la cheminée

crépitent les lueurs d’une douce flambée ;

sur mon esprit serein les anges tourbillonnent !

 

Au jardin du bonheur, tous mes cuviers sont pleins

d’une eau de Paradis et mes fleurs étincellent !

mais je ne peux, hélas, lui donner les ficelles ;

que l’homme me pardonne, j’ai le ciel dans la main !

 

car je ne peux, hélas, lui donner les ficelles,

je ne sais quelle grâce vient me toucher enfin ;

depuis que j’attendais un geste du divin,

voici qu’il troque mes lins contre ses dentelles !

 

Si je vais toujours sans le sou, mes nuits sont chaudes

et je vois les étoiles briller en mon enclos.

Le soir, au pied de l’âtre, j’aligne mes sabots

des fois que le père Noël vivrait dans l’Aude !

 

Ne me prenez, amis, pour un illuminé !

 ne riez point… j’ai bien vu des traces de rênes

au pays des cigales et de la Carthagène,

dans les garrigues bordant mes trois jardinets !

 

Ce soir, mon œil est vif et ma plume est en joie ;

que l’homme me pardonne, ce soir ma poésie

prend des tons de boutade, des airs de comédie ;

j’ai la connerie à défaut d’avoir la foi !

 

Les mouches ont changé d’âne, le soleil est radieux !

la poisse ayant tout sucé boit à d’autres os ;

libre je peux enfin goûter à ce repos

dont paraît-il jouissent les fous et le Bon Dieu !

 

moi qui, poète, tire le diable par la queue,

braves gens avouez que c’est pas malheureux !


28.  – Le long chemin

 

Nous sommes arrivés, nous avons mis du temps,

il n’était question de mode ni de talent,

les décideurs nous avaient barré le chemin ;

dans cette société, nul ne donne la main

 

 alors qu’il serait si facile d’avancer

sur les vagues légères d’une brise d’été !

nous sommes arrivés à force de courage ;

nous sommes passés sous les portes de nos cages…

 

car nous étions en cage, libres, mais muselés !

Nous circulions en tous lieux, certes, à notre gré ;

qu’il fasse un grand soleil, qu’il gèle à pierre fendre,

nous clamions nos quatrains à qui voulait entendre…

 

à ces foules de malheureux en mal de vivre

qui s’attardent toujours aux parfums des vieux livres,

à ces gens du terroir qui savent nous comprendre

et qui ont toujours dans l’œil quelque bûche à pourfendre !

 

Nous sommes arrivés, nous avons mis du temps ;

je n’incriminerai pas le gouvernement

mais le temps absurde a déposé pêle-mêle

au nom de l’art, l’argent, la myrrhe et les poubelles…

 

et l’on a vu s’écarter l’esprit populaire

des rails sur lesquels la culture séculaire

glissait, bleue et légère, harmonieusement ;

celle qui portait à bout de bras nos talents !

 

Nous ne sommes que peu de chose et le chemin

a durci notre esprit et asséché nos mains,

mais nous sommes arrivés à l’heure promise,

l’art rutilant dans la poche de nos chemises !

 

Il n’est jamais trop tard, vous connaissez l’adage ;

oui, nous sommes passés sous les portes des cages…


29.  – Désirs

 

Ce soir les muses font relâche,

ce soir personne ne cravache,

ce soir les muses n’ont la fibre,

ce soir, enfin, j’ai quartier libre…

 

ce soir je vais rouler ma bosse

dans quelque cul de basse-fosse,

j’entends par là “je vais pieuter“,

j’entends par là “je vais rêver“,

 

j’entends par là “je vais errer“

au gré de la naïveté

des perles bleues de l’insouciance,

des contreforts de l’inconscience…

 

je vais gueuler, je vais pleurer,

je vais jouir, je vais planer,

je vais sombrer dans l’infini

des enfers et des paradis,

 

je vais retrouver les copains,

les poètes et les putains,

toute la clique d’excentriques

qui me fout le spleen et la trique !

 

puisqu’il n’y a plus de cinéma,

ce soir, enfin, je pars chez moi,

puisque c’est le jour où l’on ferme,

ce soir, enfin, je pars “en perme“ !

 

je pars boire à l’air du pays

des liqueurs de tout acabit,

des liqueurs qui roulent les R,

breuvages révolutionnaires !

 

ce soir je ne devrai de compte,

ni à Dieu, ni au roi, ni au comte ;

ce soir, enfin, pour une fois,

je brillerai de mille éclats ;

 

ce soir, enfin, sans oripeau,

sans étiquette dans le dos,

sans vie, sans âme et sans trépas,

Garrigou dans tous mes états

je serai moi… et rien que moi !


30.  – La chose étrange

 

Cordonnier du verbe, sur un billot de bois

je clouais quelques rimes à du papier de soie,

et le parfum des mots, sous les coups de maillet,

emplissait mes songes de fragrances salées.

 

Ce soir-là, le message n’était pas primordial,

j’ai souvenance d’un texte plutôt banal ;

je clouais donc des rimes, presque par habitude

– ainsi me vient la paix dans ce monde si rude ! –

 

Ce fut la mélodie, le langage des pieds

qui pointa l’œil d’abord sous les coups de maillet,

me donnant l’envie de poursuivre sans répit,

et de fil en aiguille me donnant la pépie.

 

Par les sons et les lettres je me laissais porter,

si bien qu’en quelques strophes, je me vis embarqué,

sans niaiserie aucune, sans calcul et sans ruse,

embarqué malgré moi dans le lit d’une muse !

 

Je le précise afin qu’entre nous tout soit clair,

je ne cite pas là quelque être bien en chair…

mais la bouche et les yeux en amande, peut-être,

semblables à ceux des anges lorsqu’ils viennent de naître…

 

j’entends bien une muse au sens propre du terme,

à vous faire dresser les poils sur l’épiderme

tant ses parfums subtils, à nos sens méconnus,

vous laissent imaginer l’air ambiant des nues !

 

J’étais donc là, près d’elle, être flou, je rêvais.

Au vent léger, ma foi, nos baldaquins flottaient ;

elle me contait les fleurs des galaxies lointaines…

dans l’odorant dédale je la suivais, sans peine…

 

quand sous les tilleuls d’une très ancienne place,

d’une constellation au fin fond de l’espace,

je reconnus, devant une absinthe, attablés,

je vous le donne en mille… Baudelaire et Gautier !

 

A la vue de mes potes, mon sang ne fit qu’un tour !

je lâchais la main de la muse aux mille atours

et priais le garçon de nous remettre ça !

mais d’une absinthe à l’autre, il est vrai, l’heure tourna !

 

La muse abandonnée me punit en filant

et je dus rentrer seul, cinq grammes dans le sang !

sans GPS j’aurais voulu vous y voir !

le fait est que je pris le chemin du trou noir !

 

En ces terres isolées, où tout semble pareil,

à des milliers de lieues par-delà le soleil,

sans repère à présent, comment faire demi-tour ?

Minuit me sauva, car alors, le front lourd

 

ma tête heurta d’un coup les rimes et le billot !

groggy dans le salon au milieu de mes maux

je retrouvais mon nid, bleu comme une orange ;

oh,

comme la poésie est une chose étrange !