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Le Marinas est rentré (livre 4) 2005

à Anne-Marie, à Jean-Claude VERGNES.

liés par les couleurs musicales de l’âme.


Mise en bouche

 

       Le « Marinas est rentré », je t’en foutrai !

  Voilà trois semaines qu’il « buffe 1» et trois semaines que je ne sais où vivre du mal au dos !

  « Putanièr de pais qu’abitariam aici, s’èra pas lo solelh e s’èra pas lo vin 2 » nous chante La Sauze, et comment !

  Enfin, si d’être plié en deux ne me permet pas de travailler le jardin je peux néanmoins me rouler une clope et terminer ce quatrième recueil consacré au vent le plus désagréable de la terre 3 !

  Alors, comme tant d’autres je suis allé rendre visite à Jean-Claude qui vous remet d’aplomb et de niveau grâce aux  « médecines naturelles »… et trinco – tranquet 4 je marche déjà beaucoup mieux !

  Après cinq « Ballades au gré du vent de Cers » et trois fois que « Le Marinas est rentré », je vous invite à poursuivre nos investigations sur cette terre d’Aude qui n’a guère de secrets pour vous à présent.

   La philosophie de ce recueil demeure fidèle à la bonne bouffe, la sieste et l’amour, comme à quelques anecdotes croustillantes, deux messages à saisir, trois souvenirs et quatre coups de gueule ; le quotidien quoi.

  Côté voyages, de Fontiès nous passerons par la chapelle de Cambourras où Gladys priait autrefois, Labastide, Malves-en-Minervois et nous filerons vers le Périgord où nous attendent Brigitte et Rémi, à Sauveterre sur Lémance.

  Nous cueillerons au passage une Rose et quelques brins de Véronique, rendant ainsi hommage à ces poupées aux prénoms fleuris.

  Nous ferons un bout de chemin guidés par les muses ; ces neuf filles de Mnémosyne, déesse de la mémoire, et de Zeus, dieu du ciel et maître des dieux : Clio muse de l’histoire, Euterpe de la musique, Thalie de la comédie, Melpomène de la tragédie, Terpsichore de la danse, Erato de la poésie lyrique, Polymnie de la pantomime, Uranie de l’astronomie et Calliopé, maîtresse vénérée, de la poésie. Ces muses qui vivaient en Grèce, sur le Mont Hélicon où elles chantaient et dansaient en compagnie d’Apollon dieu de la beauté, de la lumière et des arts.

  Je souhaite vivement que vous puissiez dénicher entre ces rimes vos propres images, car c’est bien là toute la magie de la poésie !

  Bonne lecture et bon voyage, l’ami !

J.G

 

1 buffe: (patois) souffle.
Putanièr de pais qu’abitariam aici, s’èra pas lo soleilh e s’èra pas lo vin ! : Putain de pays que nous habiterions ici si ce n’était pas le soleil et si ce n’était pas le vin !  chanson « Lo vinhairon » «Le vigneron » La Sauze chanteur occitan.
3 Voir recueils précédents.
4 trinco-tranquet: (patois) en marchant mal ; en se déhanchant ; en boitant.
5 Cambourras : la chapelle de Cambourras est située entre Serviès-en-val et Labastide-en-val ; les pèlerins du Val-de-Dagne s’y retrouvent chaque année, le lundi de Pentecôte.

   Table des Poèmes

 

  1. A mon ami J.C.
  2. L’ordonnance.
  3. L’extase du poète.
  4. Reconnaissance.
  5. La maison de l’angle.
  6. La fée et le pauvre hère.
  7. Garçonne.
  8. Rose.
  9. Véronique.
  10. D’autres couleurs viendront.
  11. Languissamment.
  12. L’ami Fernand.
  13. Les mots de mes entrailles.
  14. Le Carla ; un bonheur ordinaire.
  15. Affaire d’état.
  16. Le menhir de Malves.
  17. L’Alzou, à Labastide.
  18. Pour rien.
  19. Vertiges.
  20. Voyage en Périgord.
  21. La vie « gitane »
  22. Bois la tisane des garrigues..
  23. Glaucome
  24. Epreuve funeste.


1.  A mon ami J.C 
(non pas Jésus Christ !)

 

Je loue cet homme, à qui, la nature généreuse

a fait Don du pouvoir de saisir, d’apaiser,

dissoudre sous sa forme la plus belliqueuse

le mal qui nous habite, enragé, cravaté !

 

L’énergie, en ses mains, se transforme en faisceau

de puissance infinie, d’une clarté si pure

qu’elle n’a d’égal que le piaillement des oiseaux

après tout bouleversement de la nature !

 

Il intuite, il calcule, il remet, il  « reboute »

– la chromathérapie, les huiles essentielles… –

une main à l’appui et les sens en écoute

il défait, il replace, il dénoue, il démêle…

 

il « pendule » s’il faut mander des précisions

au supra-intellect, dont nous n’avons accès ;

la télépathie lui ouvre un champ de vision

en lui confiant le passe-partout de la psyché !

 

Il n’est pas un « surhomme », un peu végétarien

qui reste au cassoulet, me semble t’il, fidèle !

préférant à ses heures éviter le malsain,

il se consacre aux médecines naturelles.

 

Il connaît les vertus de l’air que l’on respire,

tout est, pour lui, juste question de vibrations ;

il sait que nous sommes sur les chemins du pire

et tire à chaque instant l’alarme à sa façon !

 

Il connaît les secrets des pierres les plus précieuses,

il parle avec les arbres, les étoiles et les cieux ;

l’Arche du paradis a ses lois capricieuses

et son monde est bien loin de virer merveilleux…

 

il s’efforce pourtant de garder le moral,

il nous considère en fils, en frère ou en père,

pas d’âge ni couleur, chaque humain est égal

à celui qui fait face qu’elle que soit sa bannière !

 

Je loue cet homme et la nature généreuse

qui permit que je m’abreuve à l’eau de son puits ;

je la remercie pour sa bonté bienheureuse

et donne l’accolade à Jean-Claude, mon ami !


2.  L’ordonnance

 

Ferme tes yeux serviles,

recolle aux coloris

de toute extravagance,

débranche l’inutile,

apaise ton esprit,

écoute le silence ;

 

invite l’air du soir

à calquer sur ta peau

les parfums d’autrefois,

ton unique devoir

est brandir le flambeau

d’un nouveau passe-droit ;

 

danse avec le feuillage,

redécouvre l’extase

des senteurs de sous-bois,

dégrafe ton corps sage

et recouvre d’opaze

tes sens et tes émois ;

 

crée ton nouveau langage,

interpelle les cieux,

chevauche la licorne,

n’aie de couleur, ni d’âge,

de peau, de vertueux,

de géométrie, de borne…

 

puis plane entre les mondes,

bois les élixirs

des sorciers d’outre-temps,

garde l’âme féconde

et tu verras s’ouvrir

les chatières du printemps ;

 

ferme tes yeux serviles,

recolle aux coloris

de toute extravagance,

débranche l’inutile,

apaise ton esprit…

 

voici mon ordonnance,

« écoute le silence » !


3.  L’extase du poète

 

On ouvre, à l’écurie, les box où les idées

sortent au grand galop brouter à l’idéal ;

l’esprit est en fusion, mi-homme, mi-cheval ;

le poète est au champ où la graine a germé…

espace sans clôture, régalé par des vents

aux parfums de jouvence, léchant quelque illusion,

retenant par la patte le fruit de la passion,

suscitant chez l’hybride un claquement de dents ;

 

le poète compose des vers pour des sonnets !

 

Le nuage qui passe largue des métaphores

qu’aussitôt ingurgite la bête « rimavore »,

puis inlassablement s’en va les ruminer

à l’ombre des pommiers sous un chapeau de paille…

de la paille de son champ, qu’elle tresse au fil du temps,

quand féroce, le trou fertile du firmament

ne renvoie que l’écho ferreux de la tenaille !

 

Le poète est aveugle et le cheval est sourd !

Pégase, battant des ailes est en pleine ascension ;

Bellorophon cueille des tresses d’inspiration !

lion, chèvre ou dragon, la chimère Glamour

s’écroulera, vaincue par le glaive puissant

du poète en sueur, harassé, mais debout

comme le fût Manolete dans l’arène de Cordoue,

au pied de « Caligan », héros agonisant !

 

La page s’est remplie de lettres comme il pleut

sur Nantes. En un instant les cieux ont déversé

tant de mélancolie, d’amour, de cruauté,

que le poète, hagard, dérive bienheureux !

Son idée mise en forme, ses pulsions assouvies,

son poème fini, ses chevaux vont rentrer ;

pour l’écurie sa plume a quitté l’encrier ;

le poète en travers de l’œuvre est assoupi !

 

Que d’errance pour accoucher de trois quatrains !

Songez aux crépuscules, où, repassant bredouille

la porte de l’enclos, l’âme en pleurs s’agenouille

et trépasse d’une absence d’alexandrin !

 

J’ai péché plus de joie que Saint-Jacques d’ablettes

et vécu le trépas de mille morts secrètes ;

vous, mes frères de jeu, mes bons amis poètes,

quand  poindra l’heure ultime, sur moi faites la fête !


4.  Reconnaissance

 

Si ce soir-là j’étais allé

papillonner avec les autres,

toujours boire, encore danser,

je n’aurai pas été des vôtres …

 

mais d’un coup de cafard, soudain,

à triple tour j’ai clos ma porte

pour me livrer à ces quatrains

à travers lesquels Dieu m’emporte !

 

C’est par la douceur de Clio,

ses yeux verts et ses tresses brunes,

que l’histoire vînt avec brio

contre bon cœur, faire fortune.

 

Euterpe emmena la musique

et Thalie fit la comédie

pour satisfaire la critique

d’un élégant tutti-frutti.

 

Melpomène la tragédienne

noircit la page plus qu’il n’en faut,

mais Terpsigore sur la scène

ne fit jamais un pas de trop.

 

Si ce soir là j’étais allé

papillonner avec les autres,

toujours boire, encore danser,

je n’aurai pas été des vôtres…

 

mais d’un coup de cafard, soudain,

à triple tour j’ai clos ma porte

pour me livrer à ces quatrains

pour lesquels le diable m’emporte !

 

Vinrent Erato la lyrique,

Polymnie à la pantomime

peindre les murs de ma boutique,

couvrir de fétus ma chaumine.

 

Uranie, de poudre d’étoiles

fît briller les vers égarés

et quant à la chute finale,

nous la devons à Calliopé.

 

Ensuite,

 

il suffit de faire rentrer,

d’un coup de sifflet, dans le rang

toutes les rimes éparpillées,

comme «à l’école» les chenapans !

 

alors, le travail terminé

vos muses regagnent le lit,

vous laissant vous gargariser

de l’œuvre quelles ont accomplie ;


5.  La maison de l’angle

 

L’atelier est ouvert à la maison de l’angle,

c’est ainsi que nous la nommons au village !

c’est tous les jours Noël, des guirlandes de sangles

rappellent qu’ici la pauvreté se partage !

 

Les femmes s’échangent des Patati-Patata,

à la grille du poêle chacun pose ses mains,

on s’offre de grands rires, de la piquette s’il y en a,

l’odeur du cuir tanné guide votre chemin…

 

pas besoin d’écriteau, vous êtes chez Zamanillo !

 

Il est venu d’Espagne, et maigre cordonnier

il clame ses idées avec le poing rageur ;

il à dû se passer de pain, de liberté,

même le poing levé, il parle avec le cœur !

 

il gratte la guitare, le soir, à l’atelier,

il retourne chez lui une fois les volets clos ;

la larme à l’œil il se souvient de ses étés

où il ne connaissait guère la fade odeur des peaux…

 

pas besoin d’écriteau, vous êtes chez Zamanillo !

 

L’atelier est ouvert à la maison de l’angle,

la maison du Bon-Dieu, comme l’on dit ici,

mis à part que suspendu au milieu des sangles

vous ne verrez de Vierge ni de crucifix !

 

nous y passons, le soir, avant la fermeture ;

le tabac sur l’enclume, le papier sur l’étau,

de l’opaque fumée des anciennes tortures

demain semble plus clair au bout de nos mégots…

 

pas besoin d’écriteau, vous êtes chez Zamanillo !

 

La charpente nourrie aux vieux airs Castillans

et le torchis des murs ébranlé par la guerre,

il serait drôle que dans trente ou cinquante ans

des poètes, le soir, par leurs chants libertaires,

 

alors que nous, trop vieux, serons au cimetière,

en la maison de l’angle, cœurs et coudes serrés,

clament d’une seule voix ce que l’on n’a pu faire,

et l’Internationale, et l’amour et la paix !

 

vous êtes chez Eliane, pas besoin d’écriteau ;

vous êtes chez Eliane…dors en paix, Zamanillo !


6.  La fée et le pauvre hère

 

La fée

 

  Elle est une fée et les fées sont spéciales, vous le savez, des femmes hors du commun, toujours nimbées de poussières d’étoile, un arc-en-ciel naissant coiffant leurs cheveux bruns !

  Comme une pâquerette prise au vent du talus, elle rêvait, discrète, de petits airs de fête, des lampions de grand-rue.

  Une fée sans baguette qui respirait à peine ;  « lui » l’avait entendu.

  Il s’en allait au port, pour y fendre la bise ou pour fendre le sort ; échapper à l’ennui, échapper à la mort !

  Elle semblait à l’écart de toute turbulence ; à l’évidence elle était une fée; en l’occurrence, elle était une fée… et les fées sont spéciales !

  Il n’y eut entre eux, ni de tricherie ni de jeu, ce soir là l’un était à l’autre jusqu’au plus profond de l’âme et tous deux le savaient !

  Pauvre hère et fée qu’ils furent, ce qu’elle lui offrit, nul autre ne le vivra ; il n’est de paradis que blotti dans ses bras !

  « Tendresse », l’ultime nom que l’être tient au chaud, s’écoulait sur sa peau en fines gouttelettes; lui, buvait sa peau. La nuit était parfaite, la vie était parfaite ; leur râle in-extenso !

  Une bruine légère parfumait leurs éthers ; leurs âmes s’entremêlaient au sortir de l’hiver.

  Ce qu’elle lui offrit, nul ne peut le connaître, les fées ne toquent plus, la nuit, à nos fenêtres !

 

Le pauvre hère

 

  Je voulais des rimes grandioses pour célébrer un sentiment grandiose, mais l’on est si peu de chose lorsque l’amour nous tient ! j’en ai perdu mon latin ; vous n’aurez ni rondeau, ni sonnet, ni quatrain !

  Ces bonnes figures qui peuplent les pensées d’Epicure ne le rendent même plus serein ; il est amorphe dans son coin, quant à l’autre bout de sa vie elle l’embrasse et lui sourit, elle s’amuse, elle l’abuse… et le glisse vers l’infini.

  Lui, l’embrasse et lui sourit ; il la caresse, sans promesse ; il est en elle, il est chez lui à l’autre bout de sa vie !

  Elle pousse avec le printemps ; il la taquine, lui dit en la mordillant que pâquerette lui va comme un gant; elle lui prend la main, ils roulent dans les champs; élégamment.

  A l’autre bout de sa vie, il n’y a que lui… et lui, tout seul. La chaîne qui les sépare est lourde de maillons ; ferraille forgée au fil des temps, figée pour l’habitude et l’isolement.

  A l’autre bout de sa vie, le dernier maillon s’entrouvre sur un monde fleuri ; comme une porte de sortie ; exit, le soleil est au zénith, gobe la lune, sans rancune…il obéit ! mais les jouissances l’excluent aux faveurs de la nuit échue ! Il revient à la terre, mais jamais ne se déferre et le soleil, railleur, grignote son « ailleurs » ; lui vole sa fleur !

  Il ne peut reculer, ni râler, ni gueuler… ni avancer ! …son cœur est aux abois, son âme en perdition… mais aimer une fée en est la condition !

  Que ses larmes d’enfant s’attardent un instant à boire l’illusion !

  Une fleur de tendresse, une étoile de paradis, d’humour et de folie illumine en riant l’autre bout de sa vie ; il admire sa déesse et loue sa propre faiblesse pour tant de barbarie.

  Si vous le souhaitez, conjuguez-le à l’imparfait ; il s’en fout, il est loin de tout, debout ! il en est ainsi lorsque l’on aime une fée !

  et lorsqu’il la perdra, une nouvelle étoile naîtra au fin fond de la voie lactée ; mais là, c’est un secret … de fée !


7.  Garçonne

 

S’il reste un peu de miel, garçonne,

un peu d’air chaud, de café froid,

ouvre-moi ta porte, je frissonne,

ouvre-moi ta porte et tes bras ;

garçonne, j’ai envie de toi !

 

je ne parlerai, je le jure,

d’amour, la saison est passée

– éloges de la raison – pure –

je viens pour te déshabiller

et boire à ta peau sans parler.

 

S’il reste un courant d’air, garçonne,

alors qu’il nous mène au-delà

de ces poèmes qu’on griffonne

sous des couleurs de nirvana ;

– éthers, opales, fleurs d’ébats –

 

Dans mon exacte nudité

je grappillerai chaque instant

et prendrai le soin de voler

chacun des râles incandescents ;

garçonne, mon corps est bouillant !

 

S’il reste encore quelques rires,

ce soir, aux tables de la foi

mets toutes voiles au délire ;

prends la vague au creux de mes bras,

l’embrun, garçonne, Hosanna !

 

Ferme les yeux, laisse garçonne

courir cette nuit sur tes joues

de longues larmes polissonnes,

hume tes désirs les plus fous,

garçonne,

mourir a quelque chose de doux !


8.  Rose

 

Partout où le bon goût fait croître ses pétales,

où les massifs arborent des noces de couleurs,

comment ne pourrait-il, entre les digitales,

naître de la rosée la plus noble des fleurs ?

 

Un univers entier fleurit au nom de Rose ;

Rose-Marie, dit-elle, Dieu qu’elle en soit bénie !

écrivant ces doux vers, c’est à peine si j’ose

murmurer ici-bas le nom de Poésie !

 

Quelques strophes sans titre, à peine versifiées,

que Malherbe et Boileau destineraient aux flammes ;

trois images aux parfums des premiers soirs d’été

lorsque la fleur soudain se mue en corps de femme…

 

 le jardinier se métamorphose en poète,

le poète fait un bouquet de métaphores ;

si la boucle vous paraît ici incomplète,

cueillez la chute au balcon de Clémence Isaure…

 

les poètes, dit-on, cherchent aux jeux floraux

de ces fleurs de métal dont l’éclat monte aux cieux ;

j’ai peine à voir mes frères si peu sentimentaux !

Ronsard, à mes côtés, s’écrirait vertueux :

 « Je connais une fleur, créature de Dieu… »

 

Rose-Marie, disais-je… superbe florilège ;


9.  Véronique

 

Si Ronsard, avant hier, de fragrances subtiles

et secrets de rosiers composât ses sonnets

trouvant en ses jardins l’inspiration fertile,

permettez qu’à mon tour, je cueillisse en forêt,

 

– pour nourrir mes alexandrins de romantisme –

la belle Véronique aux doux épis bleutés,

princesse des sous-bois, suscitant au lyrisme

ces épices et l’allant dont on loue le bleuet !

 

Femmes-fleurs aux prénoms des essences sublimes

de mystère et de joie, de couleurs mirifiques,

accordez au poète, pour parfumer sa rime,

de cueillir une Rose, un brin de Véronique !

 

Le poète est aux champs, le poète est aux bois,

au jardin comme au ciel en extase toujours,

sous les vents de l’amour exhibant un pavois

poudré d’or au gré d’un étincelant parcours

 

où la fleur et la femme, tournoyant dans les nues,

font éclore en ses vers d’étranges mélodies

où se mêlent au miel le vin et la ciguë,

où s’enlacent la petite mort et la vie.

 

Fleur sauvage et bleutée comme les cieux qui la veillent

aux terrasses d’Eden, si suave, si sucrée…

heureux celui qui sait se changer en abeille

et peut à la saison s’en aller butiner !

 

Véronique disais-je …qu’on effeuille au hasard

d’une rêverie intime, d’un poème d’Eluard !


10.  D’autres couleurs viendront

 

Tu connais les lutins, les elfes et les fées

qui peuplent les légendes et ceux qui chaque jour

sonnent de la trompette et battent le tambour

quand l’aurore nouvelle fait perler la rosée ;

 

tu sais que les sorcières apprêtent leurs balais ;

que les nuits de sabbat, leurs cuisants sacrifices

aux dieux dévergondés rarement aboutissent,

n’en déplaise à leurs vœux, aux lendemains dorés ;

 

tu sais que le désir, le rêve et la révolte,

la passion et l’instinct, au bout de nos fusils,

comme sur une corde tendue du paradis

au plus noir des enfers, s’entêtent et virevoltent …

 

tu sais, ma tourterelle, nous sommes des pauvres gens ;

faudra battre des ailes pour sortir du néant ;

faudra prendre la mer, faudra prendre le vent !

 

———-

 

Tu sais, ma tourterelle, nous allons sans le sou,

comme ceux de la terre pour qui demain n’est rien

qu’un peu de vent glacial, qu’une poignée de main,

une étoile lointaine ; pour qui demain est tout !

 

acculés, prêts à tout pour bloquer l’engrenage,

verrouiller les vérins et stopper les poulies,

nous sommes de ceux qui oublient la Vierge Marie ;

nous sommes de rien du tout, même plus de bas étage,

 

sans nom, sans référence, sans âge, sans devenir ;

nous sommes les gens du peuple, limailles à jeter,

même plus recyclables en cette société,

compressés, dévêtus, réduits au souvenir…

 

tu sais, ma tourterelle, nous sommes des pauvres gens ;

faudra battre des ailes pour sortir du néant ;

faudra prendre la mer, faudra prendre le vent !

 

————

 

Mais tu as la jeunesse, la beauté et la foi ;

j’ai promis à ta mère, mais je n’ai pu tenir !

tant de coups assénés ne m’ont fait dégauchir,

seulement réfléchir aux luttes d’autrefois…

 

– rien n’est indispensable et rien n’est inutile –

on jurait à l’amour, la paix, la tolérance,

de grandes théories on s’est bourré la panse…

comme des cons en fuite on a suivi la file ;

 

« Debout les gars, réveillez-vous, il va falloir en mettre un coup ! »

 

Ferré, Brassens et nous, Marx, Hegel et les autres !

nous étions sur les dents, « Gueulez mes bons apôtres ;

le fond manque le moins ! »… et s’est à peu près tout !

 

tu sais, ma tourterelle, nous sommes des pauvres gens ;

faudra battre des ailes pour sortir du néant ;

faudra prendre la mer, faudra prendre le vent !

 

———

 

Tu as grandi dans mes bras, tu as fait de moi un homme

et m’as vite enseigné les bontés de la vie :

qu’il faut juste apprécier sa bonne étoile qui luit,

s’enivrer à la blancheur sucrée de sa môme,

 

trouver en son regard les paradis perdus,

gommer les pas d’exil, saluer les soleils

d’un sourire d’extase et boire à son sommeil

les rêves chimériques du bonheur absolu !

 

tu es prête aujourd’hui à quitter le cocon ;

tu en sais suffisamment pour courir le printemps !

pense à-moi si tu pleures, téléphone à maman,

apprivoise le jour et dompte l’horizon…

 

tu sais, ma tourterelle, quand je dis « pauvres gens »

je parle de noblesse ; tu saisiras demain,

quand…

d’autres couleurs viendront enjoliver tes sens

et que ton père, enfin, deviendra ton copain ;

 

alors tu seras forte ; alors je serai loin !


11.  Languissamment

 

Il m’apporte du large le lointain beuglement

des cornes de brume et les vieux chants d’allégresse

des matelots en joie, pleins de crasse et d’ivresse,

d’un café de repasse et de jus de hareng ;

 

j’entends siffler la nuit les sirènes de proue

et se fendre la mer sur le bois des étraves,

et puis, dans les fayots et les fils de choux-raves,

les mariniers jouer jusqu’à leur dernier sou.

 

Il m’apporte du large le cri des cormorans

et le lourd craquement des filets à la traîne,

le hurlement du temps qui s’étire et s’égrène

sur un océan d’huile, sans canon ni forban ;

 

puis le vent de la mer emporte son visage.

De soleil et de sel il recouvre ma peau

et fouette mes pensées, sable gaiement mon dos ;

 

si loin de son sourire, qu’il est laid le rivage…

qu’il est morne le vent qui caresse la plage !


12.  L’ami Fernand

 

Je revois la paire de mioches

que nous faisions en ce temps là ;

pas le moindre «pélo» en poche

et menant une vie de roi …

 

mon camarade d’infortune !

pas un jour sans chanter demain !

aujourd’hui, mon ami, j’exhume

ces souvenirs aussi lointains…

 

non, je n’ai rien de mieux à faire,

puis le temps est épouvantable ;

puisque tu as quitté la volière

pour t’asseoir au coin de ma table,

 

puisque t’as fais le mur, Fernand,

alors buvons au bon vieux temps !

 

Qui sait si l’atelier subsiste,

si rue des Carmes flotte encor

notre esprit des plus fantaisistes,

et les peintures de Jean Flohr ?

 

Malaxant les teintes primaires,

les siccatifs, l’huile de lin,

crois-tu que de nouveaux compères

ont le ciel à portée de main ?

 

Terre de Sienne pour les bois,

ocre jaune et paille de verre…

chacun a sa règle de trois ;

la nôtre était sur l’étagère !

 

puisque t’as fais le mur, Fernand,

alors causons du bon vieux temps !

 

Quand j’ai senti le casse-croûte,

j’ai fais la valise, Fernand,

fallait pousser au loin la route,

fallait connaître d’autres gens ;

 

adieu l’atelier, le grand art,

nos copines de l’avenue,

adieu la musique du «Grand Bar» ;

tchao vieux frère, je te salue !

 

C’est toi qui reviens aujourd’hui,

– tu as cru bon de quitter la terre –

tu t’es barré du Paradis,

t’avais envie de prendre l’air…

 

puisque t’as fais le mur, Fernand,

buvons à la santé de Jean !

 

Cette fois c’est toi qui t’en vas,

tu retournes auprès de Saint-Pierre ;

vieil ange, ne te retourne pas

avant qu’il ferme la volière…

 

laisse à mes larmes un peu de temps,

faut que je prenne le dessus ;

laisse mes larmes foutre le camp…

je suis heureux de t’avoir vu !

 

rentre, Saint-Pierre va «gueuler»,

tous les boss tiennent même discours ;

souviens de toi de Jean qui râlait

les jours où tu étais à la bourre !

 

Si tu refais le mur, brigand,

    passe à la maison, je t’attends ;

 

nous reviendrons à l’atelier

sentir nos poudres colorées ;

puis réunis comme au vieux temps

nous irons prendre un pot chez Jean ;

 

salut Fernand !


13.  Les mots de mes entrailles

 

Oh, vous parler de ma Corbière,

les vignes, le village… la mer,

des nuits où le cœur à l’envers

et l’amour à fleur de paupière

 

la pleine lune d’automne

vous chavire et vous emporte

sur le dos râblé des comportes,

contre le sein d’une vigneronne…

 

oh, vous parler de ma Corbière,

du drapeau rouge de nos hommes,

de Marx, des idéaux, des fantômes,

de nos fusils en bandoulière,

 

du fenouil au bord des talus,

de Dieu qui ne fait plus recette,

de nos histoires de braguette,

de notre sang chaud, des faux-culs,

 

de nos bigotes, « pauvrôtes »,

de l’abbé qui fait ce qu’il peut

pour sauver nos âmes de miséreux,

de l’excès de vin, du manque de flotte,

 

des siestes que l’on fait chez nous

les jours où le soleil est « branque »,

des poètes, des saltimbanques,

des braves, des fols et des fous…

 

oh, vous parler de mon pays

n’est pas pour en faire réclame ;

ne croyez pas que je m’y pâme,

ni m’en gargarise aussi !

 

mais lorsque tout est compliqué,

les nuits où la lune ne luit,

quand les étoiles sont assoupies,

que les cieux sont tristes à pleurer…

 

mon pays, en échappatoire

chausse alors ses souliers de clown ;

et je redeviens bien « pitchoun »

au feuilleton de ma mémoire !

 

Prenez mes mots comme ils viennent

– le poète n’écrit ce qu’il veut ! –

ma plume devient celle d’un vieux,

croyez bien que parfois elle me peine !

 

que chacun fasse ce qu’il peut !

j’ai fini par prendre conscience

qu’une bonne dose de patience…

mais ne ferai ici point d’aveu !

 

que mon âme m’impose un nouveau couvre-feu,

malheureux,

j’écrirai mes entrailles…fusse encore en hébreu !

 

je poétiserai dur et sec ;

et malheur à qui voudrait me clouer le bec !


14.  Le Carla 1 ; un bonheur ordinaire

 

Un été ordinaire,

un dimanche ordinaire,

un sentier ordinaire

sous des pins ordinaires,

des pignes et des pignons,

des aiguilles de pin,

de la résine aux troncs,

des vignes sous le vent

et du thym, ordinaires,

quelques écureuils roux

sur les pins, ordinaires…

 

et tes yeux dans mon âme,

et ton cœur dans mes mains,

ridés,

comme s’il suffisait

de prier les étoiles

pour recouvrer aux cieux

les paradis perdus

d’une peau pigmentée

de couleurs écarlates !

 

Des gens qui se suivent

des paniers aux bras,

habillés de rires

et de chapeaux de paille

enrubannés de joie,

le cœur chaud, ordinaire,

les cigales chantant,

les oliviers dansant

sous le soleil brûlant,

le ciel bleu ordinaire,

les zigzags des enfants

et le train-train allant

au pas lent des grand’mères,

les hommes haletants

de Jaurès à Pouchkine,

le rosé sur le dos

et les bidons de rouge,

les pains gris en travers,

les saucisses, les pâtés,

les gâteaux et les crèmes,

la blanquette de Limoux,

les croquants de St-Paul,

le millas du pays,

les amis du village

et les autres d’ailleurs,

romarins et fenouils

comme une haie d’honneur

et la rivière à sec

d’un juillet ordinaire…

 

et tes yeux dans mon âme,

et ton cœur dans mes mains,

ridés,

comme s’il suffisait

de prier les étoiles

pour recouvrer aux cieux

les paradis perdus

d’un esprit vivifié

de pensées écarlates !

 

Des poèmes et des chants,

des histoires d’avant,

anecdotes ordinaires

enjolivées parfois

de couleurs et d’émoi

d’un patois ordinaire,

un banquet ordinaire

pour fêter le plaisir

d’être encore sur terre,

rien de bien officiel,

à la bonne franquette…

 

et tes yeux dans mon âme,

et ton cœur dans mes mains, ridés,

comme s’il suffisait

de prier les étoiles

pour recouvrer aux cieux

les paradis perdus

d’un amour tourmenté

d’idylles disparates !

 

La journée qui s’émiette,

le soleil qui décline,

le jour qui fuit, ordinaire,

la troupe qui revient

en grappes singulières,

les bidons allégés,

les crèmes et les pâtés

disparus, engloutis,

le jour anéanti,

quelque enfant endormi,

ses zigzags avalés,

les grand’mères, les chapeaux,

les tables, les tréteaux,

les beaux écureuils roux

et le vent au repos

sous un soir ordinaire ;

des pignes et des pignons,

de la résine aux troncs…

 

et tes yeux dans mon âme,

et ton cœur dans mes mains, ridés,

forts d’avoir traversé,

insoumis, ce miroir

bâtant pavillon noir

de la vie, en pirates !

 

1 Chapelle de Notre Dame du CARLA : jour de pèlerinage annuel le lundi de Pentecôte.

15.  Affaire d’état

 

Nous n’avons jamais, que je sache,

aussi loin qu’aille mon esprit,

– même sous l’emprise du grenache –

préféré de leurs deux ganaches

celle de Jaurès à Jésus Christ !

 

On nous taxe d’anticléricaux

parce que sur le toit de l’église,

les racines dans le chêneau,

hors de portée des communaux

un figuier blanc monseigneurise !

 

Au fil des mois l’arbre s’étiole

et compte au village cent amis.

Certains l’affublent d’une auréole,

mais il n’est là que la parabole

d’une télé de sacristie …

 

la populace, que voulez-vous,

y voit un signe de l’au-delà ;

si fol qu’il soit, devenu fou,

Dieu peut apparaître partout,

même figuier au bord d’un toit !

 

mais les autres, bien entendu,

pour qui Dieu n’est un végétal,

crient haro sur « l’arbre verrue »

qui a bien jeté son dévolu

sur l’édifice communal !

 

Nous n’avons jamais, que je sache,

aussi loin qu’aille mon esprit,

– même sous l’emprise du grenache –

préféré de leurs deux ganaches,

celle de Jaurés à Jésus Christ !

 

mais on nous taxe de socialistes,

de communistes et de bandits…

j’en ouïs qui parlent de marxistes,

d’Antéchrist, de panthéistes,

de je-m’en-foutistes aussi !

 

« Comme les femmes en venaient aux mains,

en réunion extraordinaire

nous décidions, forcés, contraints,

qu’à quatorze heures, le lendemain,

nous descendrions le libertaire

 

et le planterions sur la place,

afin que ses adorateurs,

le cantonnier, le garde-chasse

et les grisettes de la paroisse

cohabitent à nouveau sans heurt. »

 

Ainsi va la vie au village ;

quand le vent souffle de coté

il « tréboule » les âmes sages

et quand il se tait, c’est l’orage

qui « tréboule » les excités !

 

Si ma plume se rit de tout

c’est qu’elle est poète, voilà tout…

et par l’affaire, « non concernée » !

 

N’étant ni maire, ni curé,

– je pense que vous l’aviez deviné –

aux deux je voue mon amitié !


16.  Le menhir de Malves-en-Minervois

 

Etait-ce dans une autre vie,

en quelque rêve d’aujourd’hui,

était-ce propice à la saison,

aux fruits de l’imagination ?

 

Je ne sais plus, je ne sais pas.

Assis sur des billots de bois,

les braies lacées, les guêtres humides,

je les ai vus face à leur druide !

 

La grande ourse déclinait déjà,

l’hiver paraissait aux abois,

la paix semblait emplir leurs yeux.

Tous, le nez levé vers les cieux,

 

cherchaient me semble- t-il un chemin.

Leur druide, bâton à la main,

piquait Vénus et de longs chants,

je ne sais gais ou suppliants

 

ricochant aux branches des chênes

emportaient les joies ou les peines,

le quotidien en Minervois

d’une peuplade de gaulois.

 

Carte postale, souvenir,

comme il vous plaira de choisir ;

histoire de vous rafraîchir

la mémoire, allez au menhir !

 

il est à Malves-en-Minervois,

passez par Trèbes et c’est tout droit,

là demandez « ja o sé trapa

la peira ponchuda ficada 1 » !

 

Je les ai vus, ils étaient là

en rangs sur des billots de bois,

guêtres humides et braies lacées ;

je les aurai presque touchés !

 

1 Demandez alors où se trouve la pierre pointue, plantée en terre.

17.  L’Alsou à Labastide

 

La rivière, aujourd’hui, traverse le village

comme par obligation… certes, par habitude…

sans rire ni chanson, noire de solitude,

oubliant le temps de ses chers papillotages,

 

sans le moindre poisson, sans clapotis, sans bruit ;

file sans flâner sous les piles du pont vieux

les jours ou Râ s’amuse, se laisse aller un peu ;

les eaux ne dansent plus leur jeunesse bénie !

 

Au moulin, le cresson, qui ondulait le soir

quand les nymphes revêtaient leurs habits de gala,

les reinettes zigzaguaient entre les nymphéas

et les araignées d’eau glissaient sur leur miroir,

 

a fui la belle saison, grignoté peu à peu

par ces algues aux longs doigts, gras, crochus et noirâtres,

et les martins-pêcheurs ne viennent plus s’ébattre

sur les rameaux des saules ; leurs nids demeurent sans œuf !

 

Sans élève l’école, sans cri le vieux préau,

sans pierre de savon sur les bords du lavoir,

sans bigote l’église, les jardins sans sarcloir,

les fils sans hirondelle, les vignes sans perdreau !

 

Ces hommes aux cheveux blancs, brandissant dans le soir,

lorsque les pierres du pont restituent à la fraîche

la chaleur d’un été sans arrêt sur la brèche,

le poing de la colère et vident leur crachoir

 

haineux contre une politique viticole

les oppressant sans cesse, les ruinant peu à peu,

ont fait à leurs chères pierres leurs derniers adieux,

et brandissent aux cieux leurs blanches auréoles !

 

La rivière ne connaît ici plus personne ;

plus de belle en juillet qui n’aille à sa fraîcheur

offrir sa peau dorée, les secrets de son cœur ;

même plus une libellule qui papillonne !

 

même plus de braconnier qui ne vienne la nuit

faire main basse sur un panier d’écrevisses,

qui n’impose à l’anguille son dernier supplice,

ne taquine – en réserve – la truite sans permis ;

 

On dirait que l’enfer a avalé la vie !

tout est mort, disparu ! mais une aube viendra

poser sur la rivière de nouveaux cris de joie ;

Labastide renaîtra sous d’autres coloris,

 

 la bonne humeur, alors, jaillira aux fontaines,

la rivière retrouvera ses vieux instincts,

les martins-pêcheurs connaîtront d’autres festins…

 

hélas, je sentirai poindre la mort prochaine ;

mais je partirai libre, allégé de mes peines !


18.  Pour rien

 

Je suis passé par la chapelle

où Gladys priait autrefois,

les mains croisées sur le missel

et les yeux rivés sur la croix ;

 

Gladys implorait, à genoux,

toute la noblesse des cieux ;

pour rien,

car jamais l’un de ces ripoux

n’exauça le moindre de ses vœux !

 

Combien de jours et de semaines,

sur ces malons de pierre humide

elle fit trace de sa peine

de larmes sillonnèrent ses rides ?

 

Dieu (Père et Fils), Marie, Joseph,

Saint Antoine, toute la cohorte

des anges ailés de la nef…

pour rien !

même si Gladys était forte,

 

même si Gladys était belle,

même si ses dix-huit ans hurlaient,

même si Gladys portait en elle

quelque bâtard, comme ils disaient,

 

sa place était avec les siens,

aux champs, au chaud des cheminées,

à préparer comme il convient

la paillasse du futur bébé !

 

Pour rien Gladys n’aurait souhaité

que son rejeton eut pour père

un saisonnier, un feu follet !

mais l’amour frappe à sa manière,

vous le savez…

 

sinon courrez le rattraper,

lancez les chiens et les rapaces,

creusez des pièges, faites brûler

tous les cierges de la paroisse ;

pour rien !

 

J’ai traîné ma vieille carcasse

où Gladys priait, à genoux,

pour retrouver un peu de grâce

auprès des femmes de chez nous.

 

Quand l’angélus donna le ton

elle mit sa couronne de houx ;

son monde alors était si flou

qu’elle sauta par-dessus le pont ;

pour rien !

 

La grande noblesse céleste

n’ayant pas daignée faire un geste,

les innocentes au cœur de pierre

mirent Gladys et bâtard en terre ;

c’est tout !

 

Je passe devant la chapelle

pour m’en aller cueillir du houx,

mais comme là rien ne m’interpelle

jamais je ne tire les verrous ;

au ciel on se moque de nous

et ma maigre foi bat de l’aile ;

de la famille machin je m’en fous

je ne suis plus de la clientèle !

 

Un jour la chapelle tombera !

quant aux prières de Gladys,

Vade rétro, De Profundis,

d’un rien

le lierre les recouvrira…

 

c’est la seule loi, ici bas !


19.  Vertiges

 

En haut, les nuages bouffis

glissaient lentement vers la mer,

d’en bas ne montait pas un bruit ;

des bouffées de stress et pas d’air

 

pour ces gens debout au soleil,

brillants comme des matadors,

tous le front en sueur, pareils

à de frais condamnés à mort !

 

et celui que l’on préparait,

aux mollets rugueux et tremblants,

harnaché comme ces mulets

que l’on attelait aux brabants !

 

et l’autre qui suivait derrière,

gris comme le cul d’une lessiveuse,

porté fièrement volontaire

pour flirter avec la faucheuse !

 

Cette passerelle si étroite,

la vallée dans un trou sans fin ;

les pieds, les dos et les mains moites…

puis l’élastique à mille brins…

 

une hésitation… mais trop tard

« Hurlez donc pour vaincre la peur ! »

pardonnez ce cri goguenard,

mais sauter d’une telle hauteur

 

– tant la vue en vaille la chandelle –

suspendu par les pieds, merci,

si Dieu m’avait donné des ailes

certes, je vous aurai suivi !

 

Lorsque je vois votre ganache

une fois l’élastique tendu,

fidèle au plancher des vaches,

je demeure…

comme de bien entendu !


20.  Voyage en Périgord

 

    La pluie grave d’octobre fouettait la vitre suiffée de notre diligence et l’échine des quatre percherons fumait abondamment. Sur le carreau opposé, la cape du cocher déversait un filet d’eau ininterrompu, que le vent s’amusait à guider en zigzags. La côte était longue, difficile, interminable ; les chevaux peinaient. Quelque hennissement rebelle trahissait le silence ; le silence des sous-bois en automne ; un silence parfait mais pesant.

   Si le feuillage multicolore des châtaigniers qui bordaient la route nous paraissaient en cette saison d’une rare beauté, l’endroit était cependant réputé dangereux. Les forets environnantes abritaient quelques bandes de brigands qui s’évertuaient, en un plaisir inouï, à détrousser le premier venu ; celui qui devait emprunter la grande route, l’unique route, la route de Sarlat.

  La diligence ramenait chaque semaine quelque fermier, qui ayant vendu ses bêtes au marché du samedi, retournait sur ses terres, deux ou trois bourses de cuir gonflées jusqu’au lacet, pendues à la ceinture ; sous clinquants, sonnants et trébuchants parsemés de rares liards!

  L’endroit était si craint, que depuis quelques kilomètres le mutisme régnait à bord de notre voiture, excepté la musique de ces longs soupirs mélancoliques qui accompagnait parfois le hennissement des chevaux. A quelques sourires de circonstance, à de brefs grelottements, à cette atmosphère particulièrement lourde, cette moiteur étouffante qui étreignait les capitons du plafond, nos vareuses, nos âmes, nos esprits  et le cuir rouge de nos banquettes, nul écho malsain ne répondit à coup de coutelas de hache ou de gourdin.

  Bientôt, le galop des chevaux soulagés se fit plus rapide, la pluie haussa le ton, le vent battit les tempes du cocher, l’échine des percherons redoubla de fumée et la vitre d’en face connut de gigantesques zigzags. La forêt passée et ses brigands absents, la douceur hivernale s’installait dans l’habitacle, froide et humide ; quelque odeur animale nous parfumait les naseaux ; la vie était belle.

  Comme toujours en ces moments là, les langues se délièrent et paraissaient toutes avoir quelque chose à dire en même temps ; sauf une !

  Monsieur le Marquis de Sarlat prit la parole. J’écoutais et je rêvais.

  Assis face à moi, sur le bord de la voiture côté pluie et tournant le dos au sens de la marche, ce vieux Monsieur aux larges favoris de neige, rondouillard comme tous les notables de toutes les régions, trimbalait sous sa casquette à carreaux et ses larges côtes de velours, quelque chose de « British » ; quelque style d’Outre-Manche. Par habitude, il jetait à intervalles réguliers de brefs coups d’œil à sa montre à gousset, dont il ne semblait même pas regarder l’heure.

  Ce bon marquis se laissait emporter par de plaisantes anecdotes, au travers desquelles il passait en revue sa bonne vieille ville de Sarlat, qu’il affectionnait de toute évidence plus que tout au monde. La lune se partageait alors en mille morceaux pour se refléter à la belle saison sur les pavés des ruelles étroites, la hauteur et l’esthétique de la charpente des halles, unique ! …les fantômes de ces magnifiques maisons de la Renaissance, sa propre demeure où le lierre avait fini par dompter les grilles en fer forgé et s’attaquait à présent aux pieds des balcons, les vitraux aux plombages en relief et les fleurs à tous les niveaux.

  Monsieur le Marquis tuait le temps et tous lui portaient une attention particulière ; sauf une. J’écoutais et je rêvais. Quatre ou cinq quatrains de La Boétie me revenaient en mémoire. Si son « Discours de la servitude volontaire » me procurait quelques minutes d’égarement, un chapelet de nids de poules me ramena brusquement à la réalité en me brinquebalant entre le montant de la portière et « le chasseur » de Montpazier, mon voisin de droite.

  Drôle de type ; un solide gaillard qui devait porter à la table quelques dévotions particulières. Il profita de la situation et poursuivit la discussion. Sa passion, nous l’aurions devinée, nous entraînât dans les sous-bois environnants sur les traces de cerfs, de biches, de lièvres et de chevreuils. Moins raffiné dans le verbe que le marquis aux favoris de neige, lui aussi coiffé d’une saison identique, connaissait son sujet sur le bout des doigts et vouait tout autant à son pays un amour sans limite. Ce monde calme et rassurant qui croît sous les châtaigniers n’avait aucun secret pour lui. Les bandits de grands chemins, on pouvait en parler maintenant puisque, par bonheur, nous ne les avions vus et passés « leur côte » de prédilection, lui les avait croisés alors qu’ils rentraient ivres comme des douelles de quatorze. Chacun avait alors passé son chemin, comme si de rien n’était.

  Deux énormes oreilles de lièvre dépassaient de la gibecière par le côté, alors que par le haut et reposant sur le portemanteau une longue queue de faisan offrait un peu de couleur vive à la noirceur de notre diligence.

  Le chasseur de Montpazier parlait et sentait le sous-bois et tous lui portaient une attention particulière ; sauf une. J’écoutais et je rêvais.

  Face au chasseur de Montpazier et assise à côté de Monsieur le Marquis de Sarlat, Madame la Vicomtesse de Nerval. Assez mystérieuse et peu loquace, elle paraissait naviguer entre les eaux troubles d’un autre monde. J’avais bien entendu parler d’elle, mais ne la rencontrais que pour la première fois. Elle fumait. Il paraît que cette Dame passait ses journées à écrire des vers au cœur d’un jardin d’une rare beauté, bordant sa noble demeure, tout en haut du village de Nerval. On dit aussi qu’elle vivait entourée de poules, de pigeons, de canards exotiques que son regretté mari lui ramenait de ses expéditions. Madame la Vicomtesse était veuve depuis peu ; on dit aussi que ce veuvage semblait prémédité… allez savoir !

  En tout cas, mille feux illuminaient le soir son grand salon indien, attenant au jardin fleuri et au poulailler exotique ; elle recevait beaucoup et l’on y dansait paraît-il jusqu’à des heures tardives.

  Quelques rayons de soleil succédaient à la pluie. Les zigzags, sur la vitre d’en face, avaient disparus. Les chevaux semblaient être revenus à une allure plus raisonnable, mais leur échine fumait toujours autant. D’autres nids de poules jonchaient le chemin, se jouant de notre équilibre, mais nous nous en amusions.

  Monsieur le Marquis de Sarlat ronflait de ses sons les plus rauques, le chasseur de Montpazier trafiquait en sa besace, Madame la Vicomtesse de Nerval flottait toujours entre les eaux d’un océan de pacotille et j’admirais de magnifiques pigeonniers qui se dressaient, majestueux, de part et d’autre du chemin.

  Loin des habitations, afin de mieux cacher quelques amours clandestines, ces pigeonniers renfermaient de tendres secrets et suspendaient, splendides trophées, les cornes luisantes de quelques générations de maris abusés.

  Le père Clusot, abbé à Villefranche-du-Périgord, occupait la place entre Madame la Vicomtesse de Nerval et la vitre de droite, où le soleil qui l’incommodait avait chassé toute trace de zigzag. Il nous avait rejoint à Beynac-et-Cazenac. Dès qu’il avait pris place dans la voiture, bercé par le clapotis des chevaux et la fatigue de la nuit, l’abbé s’était adonné au sommeil des justes. Le pauvre homme arrivait de Castelnaud-la-Chapelle, où il entretenait, dit-on, une maîtresse aux atouts fulgurants. Le bon père faisait le voyage une fois par semaine, mais envisageait, d’après la rumeur, d’installer définitivement sa coquine en ses murs.

  Malgré ses pattes de sauterelle et sa peau sur les os, le saint homme dormait toujours et ne semblait ressentir sous sa noire soutane, ni le froid, ni les nids de poules, ni les jurons que lançait maintenant le cocher à ses bêtes. « – Bien le bonjour messieurs dames, bien le bonsoir messieurs dames » et les accents graves de ses longs ronflements, en ces termes se résument à peu près les seuls sons que l’abbé daignât nous porter.

  Face à lui, le sixième larron de la voiture était un gros joufflu, barbu, pourvu de moustaches dignes d’un général napoléonien et ne semblant aimer l’eau ni pour la boisson, ni pour la toilette. Cet homme, à l’air du reste très sympathique, portait allègrement un velours luisant de crasse, plissé sous une large ceinture de cuir noirci par quelques années de trop, qui empêchait assurément son ventre de passer par-dessus bord. Il était couvert d’une vareuse de toile, apparemment déchiquetée par deux ou trois chiens méchants et connu des autres sous le nom d’Alfred Sirven. Comme le bon père, lui aussi faisait le voyage régulièrement. Trois bourses gaillardes bosselaient l’intérieur de sa vareuse. Il passait à Sarlat de longues heures à boire et à s’amuser avec les filles de Madame Jeanne. Son couvert était mis à l’auberge, pourrait-on dire.

  Il vivait à Montcabrier, où il était l’heureux propriétaire d’une dizaine d’hectares de noyers. Il régentait une femme, six enfants, deux servantes, quatre ouvriers… et ses cinq ou six égéries de l’auberge de Sarlat, qu’il entretenait aisément. Il parlait avec le chasseur de Montpazier qu’il connaissait de longue date, avec lequel il semblait avoir de nombreuses affinités et tentait d’engager de temps à autres la conversation avec Madame la Vicomtesse qui se contentait de lui sourire de ses yeux vitreux. Peut-être dansait-elle toujours, entourée de volailles exotiques Le marquis de Sarlat déblatérait à nouveau ; je l’écoutais et je rêvais.

  Notre diligence s’immobilisa ; nous arrivions à Sauveterre-la-Lémance, mon terminus. Je venais de si loin qu’il fallut un moment pour que mes membres se désengourdissent. Les chevaux buvaient leur eau, le cocher son vin, la Vicomtesse ses rêves et la voiture sa boue. J’adressais donc mes compliments à la Dame, qui me souriait, saluais ces Messieurs et le cocher, puis mon bâton sur le dos je pris enfin le chemin de la Mayne-Longue-Basse. Je savais que Brigitte et Rémi m’attendaient et que l’âtre en mon honneur s’époumonait à attiser ses plus belles flammes. Je savais que les fourneaux rougeoyaient et que les carafes de vin perlaient sur la table. Je savais qu’après l’accolade tout commencerait enfin. Je savais que le soleil couchant plongerait la Mayne-Longue-Basse dans une demi-teinte, que seuls un Monnet ou un Poussin serait en mesure d’en retraduire les bontés. Je savais que les biches viendraient au petit matin boire la lumière dans le fond du pré.

  Je savais tout cela et bien des choses encore, mais je ne pensais plus à rien ; le canard qui se prélassait dans le fond d’une cocotte sur un lit de cèpes m’ôtait toute subtilité. La matière prenait le pas sur la conscience ; j’étais à la Mayne-Longue-Basse et rien d’autre n’existait !


21.  La vie « gitane »

 

Elle voit notre soleil briller

à travers les tripes de poulet,

elle lit que nous nous aimerons

dans les entrailles de poisson ;

la douceur devrait s’installer

d’après son vieux marc de café

et naissent dans sa boule de cristal

les douceurs d’un monde idéal ;

ses tarots viennent étayer

nos rêveries d’éternité

et ses astres tout en finesse

nous font de superbes promesses…

 

mais côté face ou côté pile

tout ici-bas est si fragile !

 

Aux jugements interstellaires,

à notre présent bien précaire,

à cette grande dévotion

que je voue à ses pouvoirs féconds ;

à nos désirs de vérité,

à pouvoir être à ses côtés

lorsque la pleine lune rayonne,

à son jupon qui m’enjuponne,

à ses dentelles qui m’ensorcellent,

à mon bout de choux, de ficelle,

ses cheveux noirs, ses yeux mésange

par-dessus la douceur d’un ange ;

à nos soleils qu’elle voit briller

à travers ses tripes de poulet,

à nos désirs, à nos passions

que livrent ses entrailles de poisson ;

à nos caresses, à nos hoquets

teintés de vieux marcs de café,

nos gémissements et nos râles

qui embuent sa boule de cristal ;

ses lèvres, le galbe de son dos

que ne mentionnent plus les tarots,

ses astres qui perdent le nord

aussitôt que je bois son corps…

 

à demain !

 

A demain je déclare ma flamme,

à l’avenir j’offre mon âme ;

que courant de nouveaux chemins

le ciel nous tienne par la main ;

que nos promesses soient tenues

et les maléfices vaincus !

 

Est-ce le rêve, est-ce la foi,

est-ce l’espoir, est-ce l’amour ?

Simple mortel ou troubadour,

qui sait ce qui tient l’homme droit…


22.  Bois la tisane des garrigues

 

Ferme l’armoire des souvenirs,

laisse moisir sur l’étagère

tes rires passés, tes prières,

tes fleurs, tes foires et tes soupirs ;

 

laisse dormir en paix, ma vieille,

ta culture, tes mots à propos,

tes bonnes manières, tout ce qu’il faut,

tout ce qui plaît à leurs oreilles…

 

 suspends tes acquis au vestiaire

et n’aie plus de crainte à partir ;

sache que la vie est éphémère

et les grands soleils à venir !

 

Roule – Princesse – dans les champs,

fais des chansons et des poèmes,

hurle aux quatre vents que tu aimes,

n’aie peur des pommes et des serpents,

 

grappille le raisin à la souche,

ouvre les robinets de buis

des grandes cuvées de l’esprit,

croque la nuit à pleine bouche…

 

suspends tes acquis au vestiaire

et n’aie plus de crainte à partir ;

sache que la vie est éphémère

et les grands soleils à venir !

 

Gueule sans cesse sur les tréteaux,

mets les deux pieds à l’étrier,

n’aie honte d’aller poing levé

devant leurs armées de crapauds ;

 

bois la tisane des garrigues,

passe les pinèdes et les mers,

roule une pelle à Lucifer,

apprends-lui à danser la gigue…

 

suspends tes acquis au vestiaire

et n’aie plus de crainte à partir ;

sache que la vie est éphémère

et les grands soleils à venir !

 

Retourne ensuite au vieux pays

te poser sur de jeunes branches,

j’irai courbé et barbe blanche

tournant cap et cul à la vie ;

 

viens sommeiller auprès de l’âtre

qui chauffera mes derniers jours

de calendrier, de calembours,

avant que la faux ne me coupe en quatre…

 

puis dans l’armoire des souvenirs

laisse-moi dormir sur l’étagère

parmi mes rires et mes prières,

mes fleurs, mes foires et mes soupirs !

 

les souvenirs, en décoction,

n’exaltent qu’après l’extrême-onction

les douceurs perdues de la vie !

 

Princesse, saute les barrières,

cours, vole, va…

va, car le bonheur est éphémère !


23.  Glaucome

 

L’année recommence, on attend

que le soleil sorte de l’étang ;

causons d’égalité des chances

au cœur de cette vieille France ;

 

Hugo prêche de faire ce qu’il faut

pour tenir la tête hors de l’eau …

souvenez-vous de Claude Gueux

qui tua son geôlier « parce que ! »

 

souvenez-vous de Claude Gueux

qui tua son geôlier « parce que ! »

 

On a beau coller l’expérience,

le rituel à la cadence,

par des cordelettes vérolées

nous sommes pieds et mains liés ;

 

puisque nous sommes une kyrielle

à dire que tout bat de l’aile…

souvenez-vous de Claude Gueux

qui tua son geôlier « parce que ! »

 

souvenez-vous de Claude Gueux

qui tua son geôlier « parce que ! »

 

Il va falloir dès à présent

être avec nous M’r le président,

avant que la dernière goutte d’eau

M’r ne fasse exploser le pot ;

 

nos enfants n’ont d’autre appétit

que de pouvoir assumer leur vie…

souvenez-vous de Claude Gueux

qui tua son geôlier « parce que ! »

 

souvenez-vous de Claude Gueux

qui tua son geôlier « parce que ! »

 

Notre justice a deux vitesses,

plus question de serrer les fesses,

on tient la trique entre les dents ;

unis nous irons vers l’avant !

 

Nous ne sommes d’aucune manigance,

d’obscurantisme, de violence ;

souvenez-vous de Claude Gueux

qui tua son geôlier « parce que ! »

 

souvenez-vous de Claude Gueux

qui tua son geôlier « parce que ! »

 

Nous savons crever les paillasses,

loger la balle en la culasse ;

comme le chantait si fort Ferré

nos armes sont vieilles et rouillées…

 

mais nous sonnons là le réveil,

voulons notre part de soleil…

souvenez-vous de Claude Gueux

qui tua son geôlier « parce que ! »

 

souvenez-vous de Claude Gueux

que l’on tua à petit feu !

 

L’année recommence, on attend

que le soleil sorte de l’étang ;

souvenez-vous de Claude Gueux

que l’on tua à petit feu…

 

souvenez-vous de Claude Gueux

qui perdit les siens pour bien peu !


24.  Epreuve funeste

 

Parfois la sieste est piquante,

gratinée dans ses rêveries ;

j’irai jusqu’à dire prenante

tant les songes ont leur liturgie !

 

Tout est codifié dans l’esprit ;

les images incohérentes

qu’on dissèque en psychologie

ne sauraient être innocentes !

 

Ainsi, allongé sur mon lit,

au calme, les volets en voûte,

sous le vent de quelque homélie,

je me suis trouvé sur la route

 

où passait un fier corbillard

orné de guirlandes crêpons

et de lampions de lupanar ;

un cortège de patachon !

 

Des nains agitant en tout sens

les clochettes de leur bonnet

bourraient à la gueule, d’encens,

leurs ustensiles qui voltigeaient !

 

Puis la chorale en minijupe,

un curé des plus babillards,

un grand soleil pour jeu de dupe

et de longs cantiques paillards…

 

enfin une traîne de gens

déguisés, maquillés, joyeux

brandissaient des portraits marrants

du défunt, triste scrofuleux !

 

Les pompons-girls firent la quête

et me remirent le magot ;

j’étais le héros de la fête

ne comprenant rien au chaos !

 

Mais lorsque s’ouvrit le cercueil,

que la dépouille en décapotable

de qui je portais le deuil

se fit alors reconnaissable,

 

je pris un véritable plaisir

à déguster mon rêve mignon

et ne pus malgré moi retenir

deux larmes et quelques jurons !

 

Allongé au fond du tonneau

dans le costume noir des félons,

celui qui avait osé tantôt

me refuser l’augmentation !

 

« Que le diable emporte le patron »

m’écriais-je à demi réveillé !

la sieste a parfois du bon…

sans pour autant exagérer !