Rss

Le Marinas est rentré (livre 3) 2004

   à Françoise, Flora,

   Michel et Cyril ;

   à la vie qui fleurit.


Mise en bouche

 

         Le civet de sanglier mijote à petit feu, la purée de marrons sera vite passée, le rouge de Serviès est tiré, j’ai donc un peu de temps pour vous présenter ce nouveau recueil que je placerai sous le signe du voyage.

  C’est sous un air de Thaïlande que je vous invite à démarrer cette «ballade » poétique.

  La montagne d’Alaric en sera la seconde étape. Suivront Fontiès, Montirat, Labastide, le hameau de Villemagne… mais tout cela vous connaissez déjà.

  L’été dernier n’étant pas si loin nous irons faire un petit tour du côté de la Méditerranée et nous emprunterons ensuite, histoire de faire un peu d’exercice, le G.R 10 qui traverse les Pyrénées de Cerbère à Bayonne, sur les traces d’Yves Larrégola.

  De là nous filerons respirer l’air de la Corrèze sur les coteaux de Brives-la-Gaillarde, au Peuch de Sadroc exactement, et nous prendrons l’apéro sous le figuier de Marie-Claude.

  Nous participerons aussi à quelque sauterie sur le Mont-Olympe d’où nous glisserons un tendre clin d’œil à Pénélope et son brave Ulysse ; Dame Carcas sera bien évidemment à nos côtés !

  Nous flânerons au retour sur les terres du pastel ; le Lauraguais.

  Le voyage terminé je pense qu’il sera l’heure de passer à table, car si le sanglier est meilleur réchauffé la purée de marrons ne joue pas avec le feu !

  Si les voyages «forment la jeunesse», ils donnent aussi grand appétit !

  Pour le reste il s’agit là de la troisième version du « Marinas est rentré », ce vent redoutable (que vous connaissez parfaitement puisque vous avez lu les deux précédents recueils), qui soulève à grand force les chapiteaux des forains de Krung Thep (Bangkok en tai), lors des marchés du mardi, et ce, tout le printemps ; enfin, le nôtre !

  Certes, ce malotru n’épargne personne !

  L’humour bien sur, l’ironie, l’amour et la fantaisie se glisseront entre les lignes, pour, je l’espère, votre plus grand plaisir !

  Merci d’être une nouvelle fois au rendez-vous ; je vous souhaite une excellente promenade et vous embrasse sur les deux joues !

J.G


Table des Poèmes

 

  1. Petit, l’air du soir est exquis.
  2. Bien content.
  3. La « Pelharote » de l’an 4.
  4. Danse au pas des sorcières.
  5. Nostalgies.
  6. Curé au village.
  7. Montirat qu’on croyait foutue.
  8. Rimailleur à Labastide.
  9. Labastide; au moulin de Gilbert.
  10. La carthagène de Roger C.
  11. Retour d’âge.
  12. Le poulailler de Simone.
  13. La dame au chien.
  14. Tracé de plume.
  15. Les petits pois sont de mer.
  16. Haïkus iodés.
  17. Songe de plage.
  18. Devinette pâtissière.
  19. Les splendeurs du P de S.
  20. La différence.
  21. Engagés virtuels.
  22. Pluies.
  23. L’Odyssée d’Eros.
  24. L’arbre mort de Bastan.
  25. Haïkus de pédaliers.
  26. Voyage cornélien.
  27. Qu’adviendra-t-il Tirésias.
  28. Ci et là.
  29. Lettre à mon âme.
  30. Fin de saison.

 


1. Petit, l’air du soir est exquis

 

Garçon du vent, fils de la terre,

de l’éphémère et du néant ;

fils d’un ciel gris de providence,

danse, l’air du soir est exquis !

 

Demain, tu seras  musicien,

ou tu couvriras de paroles

– pour des mélodies un peu folles –

des kilomètres de parchemin !

 

Oui, demain tu seras «artiste»

comme tous ceux qui ont souffert !

tu noirciras ce qui t’est cher,

tu chériras ce qui subsiste

au fond d’une âme martelée ;

 

ton courage naîtra de tes nuits,

ton talent des images qui fuient,

ton mérite d’une étincelle…

 

l’étincelle qui fait chavirer

par-dessus le bastingage

– quand l’amour part à l’abordage –

le cœur chatoyant et noué ;

 

car Cyril, tu seras artiste !

ainsi l’on fait le premier pas…

une fois tulipe, une fois lilas,

brave, généreux, fantaisiste !

 

Je hèle silencieusement

les cieux obscurs et les étoiles ;

là-haut est hissée la grand-voile,

va petit, car la vie t’attend !

 

Garçon du vent, fils de la terre,

Sujet muet de l’épilogue ;

fils de ciel gris, fraîche pirogue,

vogue, l’air du soir est exquis !


2.  Bien content

 

Un vieux plantait un olivier

dans la rocaille de son jardin,

à la sortie d’un patelin

que seule la misère connaît,

 

où ne viennent que les corbeaux,

le cri lugubre du grand vent,

quelques fidèles revenants

quand le soir ouvre ses tombeaux.

 

Le vieux plantait son olivier

dans la rocaille d’un jardin

où ne pousse que le chagrin

entre l’espoir et le fumier.

 

Tant que quelque force lui restait,

il enfouissait ses prières

sous une grosse motte de terre

et puis le travail terminé,

 

courbé sur sa canne de buis,

de sa vieille bouche édentée

le brave homme laissa échapper

le sourire de l’œuvre accomplie.

 

Un rayon de soleil perça

l’épaisse couche de nuages ;

Dieu devait lire son message.

Alors, le vieil homme se tourna,

 

se releva tant bien que mal,

sourit encore et se signa,

puis repartit à petits pas

près du feu lire son journal.

 

Les oliviers poussent aisément,

sans trop d’engrais, dans la rocaille ;

chez nous, c’est vrai, d’un peu de paille

on fait sa couche ; bien content.


3.  La « Pelharote 1 » de l’an 4

 

Nous étions là, main dans la main,

l’âme dans l’âme, le pied léger,

nous suivions le même chemin,

pieds dans les pieds, l’âme aux confins

de quelques songes enfantins.

 

Tous étaient là, tout était là,

Dieu, les sorcières et Attila,

les pierres, les arbres et les rois ;

notre paradis rayonnait !

 

Il suffit d’entrouvrir la porte,

après c’est le vent qui exhorte

les jeunes pousses, les feuilles mortes ;

tous vous reviennent et tout s’anime !

 

Il ne suffit que d’un regard

quand tous arborent le brassard

ensoleillé des pères peinards ;

d’un clin d’œil la nature exulte !

 

Le reste n’est qu’histoire ancienne ;

pour autant que je me souvienne

– on va – des bras de Melpomène

aux pitreries de Polymnie.

 

Le coquelicot, l’orchidée

vous précèdent sur le sentier ;

l’âme dans l’âme, le pied léger

nous inhalions la liberté !

 

Nous étions là, main dans la main,

nous suivions le même chemin,

unis dans l’unique dessein

de vivre,

 ivres d’un rien.

 

1 «  Pelharote » : Balade annuelle organisée dans les Corbières, le 3ème dimanche de juin, par J.G, au cours de laquelle poètes et non poètes peuvent exprimer leur art.

4. Danse au pas des sorcières

 

La terre était marquée, martelée tel le sol

des enclos à chevaux à la saison des pluies.

Je mettrai cependant à l’image un bémol :

les cavaliers, jamais, ne s’aventurent ici,

 

non que l’accès leur soit délicat, trop ardu,

ou que le point de vue ne vaille un grand galop,

mais clairière le jour, sous des chênes moussus,

d’autres chaînes à minuit leur glacerait le dos.

 

Car de rires stridents, de ferraille qu’on suspend,

– coassements apeurés des crapauds qu’on dissèque –

la sueur des rochers se change ici en sang

toutes nuits de sabbat et leur monde intrinsèque !

 

C’est à peine si la terre, ainsi martelée

par des chausses satins aux semelles de peau,

ose entrouvrir les yeux à la fraîche rosée,

craignant de voir pendus aux branches ses oripeaux.

 

Les sorcières ont chanté et tanné de battoirs

chaque carré de mousse ; les harpies officient !

le langage de leurs pas est un code d’espoir ;

ne qualifiez jamais leurs danses de frénésie…

 

elles invoquent ainsi les forces vives des cieux

et les prient de s’allier aux besoins de la terre !

Plus leur danse est rapide et leur menton hideux,

plus la clémence des cieux leur sera salutaire !

 

Je vous lègue mes terres pour les nuits de sabbat ;

je vous offre mon cœur, mon corps et mon esprit ;

dansez pour que demeurent aux enfers les rois

pour que brisant ses chaînes, l’homme s’ouvre à la vie !

 

Dansez toute la nuit, je serai là demain

pour enfiler mes pas au collier de vos nuits,

je suis J.Garrigou, votre cousin germain,

je suis du vieux village et ne vis qu’à demi.


5.  Nostalgies

 

J’allais avoir, enfin, le temps de revenir

sur ce roc émergeant d’une garrigue sèche ;

rocher des souvenirs où résonne à «la fraîche»

l’ode des jours heureux qui m’a tant fait frémir ;

aux portes de Fontiès, à deux pas du village,

un rocher grignoté par des vents insatiables

où l’on allait, jadis, rituel immuable,

embrasser le plein air et gober les nuages !

 

J’allais avoir, enfin, le loisir d’approcher

les cigales plantées dans l’écorce des pins ;

avec délicatesse, joindre alors mes deux mains

et voler leur musique pour vivre et pour danser

en l’honneur de ces jeunes qui ont quittés le village

emportant avec eux les larmes de l’adieu ;

de ceux pour qui Fontiès n’est qu’un bout de ciel bleu

à travers les brouillards d’un lointain paysage !

 

J’allais pouvoir, enfin, chausser les godillots

et suivre la rangée, goûter au raisin noble,

respirer le terroir, boire entier le vignoble,

redevenir enfin ce simple ecce homo…

l’innocent qui savait trouver le lièvre au gîte,

la perdrix au plus chaud des journées de printemps,

qui courait le jupon dans le soir rougeoyant,

apprivoisait les fées des terres interdites !

 

Si je déblatérais mes rêves les plus fous,

je pourrai à Fontiès domestiquer le monde !

mais si la vie se résumait à la faconde,

devant ces faux brillants, parterres de faux bijoux

je n’aurai pas pleuré en mettant pied à terre.

Fontiès a bien changée ; le clocher d’autrefois

fait tinter à présent qu’une cloche sur trois

et l’odeur de vinasse me parait étrangère !

 

De tous ces familiers que j’embrassais hier,

tout juste une poignée se souvient aujourd’hui ;

la chanson dit «qu’avec le temps, va, tout s’oublie»

que j’étais l’un des leurs au temps des vrais hivers.

Fontiès je t’aime encore, mais mon cœur est amer.

Au diable le rocher, la cigale, le raisin ;

au diable mon esprit qui fredonne à Toussaint

heureux comme Baptiste, ses éloquents paters !

 

Fontiès je t’aime encore, mais mon cœur est amer.


6.  Curé au village

 

Hier, après avoir fait l’amour,

Monsieur le curé a laissé

traîner ses caleçons de velours

estampés d’une croix dorée

sous un coussin du canapé ;

 

l’affaire put être sans effet

si leur mettant la main dessus

la bonne, qui dépoussiérait,

d’un seul coup d’œil les reconnus

et pesta contre le faux-cul !

 

Au village, comme partout ailleurs,

les bonnes sont pourvues de zèle ;

elles ont de la cuisse et du cœur,

au clergé sont toutes fidèles ;

chez nous, ce sont des bonnes modèles !

 

Mais qui avait donc pu passer,

la bonne se posa la question,

l’après-midi sous le curé ?

était-ce la Mathilde ou Suzon ?

d’où venait cette trahison ?

 

Bien sûr il fallait tendre un piège,

une toile ; jouer «l’araignée» !

dans le placard, rude stratège,

certes à l’étroit mais motivée

la bonne alla donc se cacher !

 

Le soir, quand la porte s’ouvrit,

alors que Monsieur l’abbé lisait

un peu l’évangile, beaucoup «Lui »,

par la serrure, elle vit entrer

Marjorie la femme du plombier !

 

La coquine, qu’on disait sans vice,

pendit ses dentelles – ça m’émeut ! –

à trois branches d’un crucifix,

puis à genoux sur le prie-Dieu

invita l’abbé dans son jeu…

 

le curé, futal aux chevilles,

elle jouissant en hébreu,

l’absolvait en criant : « Ma fille,

là je vais te faire un aveu :

ainsi la bonne n’éteint le feu ! »

 

A ces mots la porte du placard

s’ouvrit comme un coup de tonnerre

et la bonne, blessée, en pétard,

se jeta sur l’abbé, en colère,

le moulinant d’étrange manière…

 

si bien qu’ils projettent, je le crois,

au diable les cancans, ma mie,

de monter un ménage à trois :

le curé, la bonne, Marjorie ;

ce qui est commun aujourd’hui.

 

On dit que les bonnes sont simplettes ;

que Dieu me garde de juger,

pour l’amour j’ai vu des soubrettes,

certes incultes, mais déchaînées !

l’esprit ne fait prendre le pied !

 

Quant à la foi du cher abbé…

le corps en paix, l’âme sereine,

si vous croyez qu’il va se passer

de Jésus ou Marie-Madeleine,

vous me faites bien de la peine !

 

voyez les choses comme il se doit ;

la foi demeure mais ne se rend pas !


7.  Montirat qu’on croyait foutue

 

Il parait qu’à Montirat 1

« los omès son venguts fats ! »

 

en un grand feu de sarments

ils ont brûlé leur «présent»,

leurs soucis, leur manque d’argent,

des pneus et des contrevents,

des roses, des œillets, du chiendent,

leur soleil et leur Cers violent,

leurs rires, leurs amusements,

la Dépêche 3, l’Indépendant 3,

les Mémoires de Chateaubriand,

leur Clovis, ses hordes de Francs,

brûlé consciencieusement

leurs prières et leur monument

aux morts de la guerre de cent ans,

l’hypocrisie, les faux-semblants,

les promesses du gouvernement

et leurs brebis et leur dieu Pan !

 

Il parait qu’à Montirat

« los omès son venguts fats »

 

terminés les sacrifices,

bouts de ficelle et artifices,

tué le serpent d’Eurydice,

finis les charges de police,

la cruauté, les maléfices,

brûlé pain dur et pain d’épice,

jetés aux sarments le calice,

et les bonnets et les pelisses,

le sein des anciennes nourrices,

les cocardes de l’armistice,

les quatre saisons, leurs solstices,

bien sur leurs saintes bienfaitrices,

les sueurs et les cicatrices,

mondialisation et matrice…

puis, sur la braise d’immondices

ils ont fait cuire la saucisse…

 

puis ils ont bu comme des trous,

causé comme le font les voyous,

sans retenue et sans tabou…

oui, Saint-Antoine de Padoue

  Montirat mourait du mildiou !

à coup de fourches et de cailloux

ses braves ont arraché le clou,

fait sauter le moindre verrou…

certes,

mais Montirat demeure debout !

 

Après cette nuitée sauvage

l’ordre est revenu au village,

le mal a plié ses bagages ;

s’en est fini de l’esclavage !

 

Puisque le feu brûle au torchon,

et quitte à finir au violon,

j’emboîte par ma conclusion

le pas à la révolution !

 

1 Montirat : village de l’Aude
2 Los omès sont venguts fats (occitan) : les hommes sont devenus fous.
3 La Dépêche et L’Indépendant : journaux quotidiens.

8.  Rimailleur à Labastide

 

C’est l’heure où Labastide prépare ses vendanges,

l’été a fait son œuvre, la plume me démange !

je suis incorrigible quand septembre revient,

je hurle de plaisir, je siffle et me souviens…

 

je caresse le pampre qui refait ses chignons,

j’admire les remorques, en longues processions,

titubant de bonheur sur la route des chais ;

à poser le vers sur la comporte il me plait !

 

Je me souviens de ces banquets en bord de vigne,

des bottes alourdies quand Zeus porte la guigne,

des grappes bien charnues que Dionysos bichonne,

des soirées où Bacchus me lie à la bonbonne…

 

mais…

 

que je fais-je, là, à vous parler de cueillette,

à voir si vous tenez à l’endroit la serpette ?

mais que fais-je, là, à patauger dans la glaise,

à m’imaginer que le soleil est de braise…

 

Labastide est bien là, à quelques pas derrière…

je m’étais assoupi, au bord de la rivière,

à force de scruter le rouge du bouchon

qui attire les vachettes et fait fuir les poissons !

 

nous sommes en avril ; je suis donc hors saison !

vous parler de vendanges, ais-je pété les plombs ?

d’ailleurs, ceux de ma ligne doivent être si gros

que manier la canne est déjà un fardeau !

 

Avril,

 

c‘est l’heure où Labastide prépare ses agneaux !

l’hiver a fait son œuvre… je gribouille trois mots…

je suis incorrigible, dès que Pâques revient

la plume me démange et croque le quatrain !

 

Je voudrai en été faire quelque sieste,

mais voilà que les muses à toute heure me molestent ;

chuis un enfant perdu ; prions pour qu’à Noël

ne me vienne l’idée de monter un missel !

 

Noël,

 

C’est l’heure où Labastide allume ses flambeaux !

l’automne a fait son œuvre, à présent peu m’en chaut !

quand les braves s’en vont à la messe de minuit,

je suis incorrigible, j’écris, j’écris, j’écris …

 

est-ce la foi, l’illumination, la folie ?


9.  Labastide ; Au moulin de Gilbert

 

Au moulin de Gilbert

il y avait une fontaine,

quelques pieds de verveine

et des cieux grands ouverts

 

sur un monde si clair,

qu’il faut des yeux d’enfant

pour y pêcher dedans

les plus tendres éthers !

 

La rivière emmenait

au moulin de Gilbert

un merveilleux concert

de grenouilles et de paix,

 

de libertés aussi,

d’habitudes, peut-être,

et des senteurs champêtres

qui parfument l’esprit !

 

Au moulin de Gilbert,

le dos à la fenêtre

je voyais apparaître

au plus froid de l’hiver,

 

dans les flammes léchant

l’écorce du vieux chêne,

le sourire des reines

et de grands chevaux blancs,

 

tandis que mes aïeux

causaient à la veillée

de ces simplicités

qui rendent plus heureux !

 

Au moulin de Gilbert

on causait de la vigne,

lisait entre les lignes

des articles amers,

 

les propos faux et couards

des ministres d’alors ;

« Qui voudrait notre mort,

finirait au pressoir ! »

 

Mais nos vieux, les premiers

ont quitté cette terre

laissant à leurs affaires

leurs jeunes affairés !

 

Au moulin de Gilbert

la fontaine coulait

sans jamais se soucier

des caprices d’hiver !

 

Gilbert, sur l’écriteau,

mit que c’était à vendre ;

la clé était à rendre

aux murmures des eaux.

 

Dites donc à Gaston,

dites donc à Baro,

à Madeleine, en haut,

que nous les rejoignons ;

 

honneur à ceux d’antan !

Parfois je vois Gilbert

entre deux courants d’air ;

hier nous pousse en avant.

 

Sous les nouvelles tuiles

clinquantes du moulin

d’autres rêves enfantins

élisent domicile ;

 

là-bas, au grand soleil,

quelques pieds de verveine,

jeunes, tendres et sans peine

sonnent un nouveau réveil !

 

Dès que la lune luit,

je crois qu’entre deux rêves,

pour trois baies de genièvre

Gilbert rentre chez lui ;

 

« l’espace » vous échappe, la nuit !


10.  La Carthagène de Roger Carbonneau

 

Nous savons tous que bien des vices,

chez l’homme, s’en donnent à cœur-joie,

et ce serait d’ailleurs du vice

de vous dire que je n’en ai pas !

 

mais lorsqu’on écrit des poèmes,

les soirs où la muse ne vient pas

si la poétesse blasphème

il est vrai, le poète boit !

 

Si vous saviez tous les jurons

que Louise Labé brandissait ;

moi qui ne ponds que quelques «cons»

La Belle Cordelière enfilait,

 

pardonnez, mais il faut le faire,

tant de perles à ses chapelets

que vous en seriez cul parterre

s’il me prenait de les lister !

 

Hugo tâtait bien le jupon

pour que ses muses soient loquaces !

sous la jarretelle de coton

la rime, alors, gagne en audace !

 

Comme le haschich chez Baudelaire

quand l’inspiration lui manquait !

le résultat fut exemplaire

personne ne saurait le nier !

 

Quand Tristan Corbière plongeait

le nez dans l’absinthe trente fois,

ses vers, sur l’heure, se déliaient

et ses «Amours Jaunes» sont extras !

 

J’en citerai et des meilleures,

des qui chatouillent le palais ;

cent artistes hauts en couleurs

aux mœurs dissolues ; l’art parfait !

 

Sans tomber dans quelque névrose,

il faut être conscient du fait

et ne pas rejeter la chose

comme si du diable il s’agissait.

 

Nous savons tous que bien des vices

chez l’homme s’en donnent à cœur-joie ;

ce serait là un drôle de vice

que de vous dire : «Je n’en ai pas !»…

 

peut-être un seul, des plus sucrés,

chaud comme la terre du pays ;

un vice qui sait où me trouver

lorsque les muses sont au lit…

 

un qui déniche le sujet,

puis mêle le fond et la forme,

compte les strophes après les pieds

pour rester fidèle à la norme…

 

une auxiliaire bien précieuse,

car c’est d’une fille qu’il s’agit,

le corps de braise et vertueuse,

maîtresse du poète engourdi !

 

bien sûr, la dévoiler me peine

et j’en suis d’ailleurs tout penaud ;

mais pour moi c’est « la Carthagène »

de mon camarade Carbonneau !

 

Mettez-vous à la poésie !

quelques carafes sous l’oreiller

vous verrez donc la fantaisie

   poindre alors le bout de son nez !


11.  Retour d’âge

 

Si je ne m’en tiens qu’au langage

des maîtres mathématiciens,

certes,

si j’ai le double de son âge

c’est qu’elle a la moitié du mien !

 

mais nous allons main dans la main

par les ruelles du village,

doigts entrelacés, et sereins,

indifférents aux commérages !

 

Dieu sait qu’elles sautent de bon train,

les médisances dans le canton

de vignes vieilles en patelin,

de fenêtres en portillons !

 

tous faits et gestes sont pesés,

toute excentricité bannie,

toute parole analysée ;

le bon sens veille, sapristi !

 

Et moi qui prends une jeunette

pour ensoleiller mes vieux jours ;

qui conte à mon âge fleurette,

pire encore, qui lui fait l’amour !

 

quel exemple pour la jeunesse !

« Ils font ce qu’ils veulent après tout…

il ne la prend que pour ses fesses…

elle ne le veut que pour ses sous ! »

 

alors les rideaux s’entrebâillent

lorsque je la gobe en plein air,

les vieilles s’étouffent, les marmots braillent,

l’abbé récite ses paters !

 

Ainsi tourne encore le monde ;

la terre oscille comme elle peut

et je me fous si la Joconde

se fait encore la raie au milieu !

 

tant pis si je fais des envieux,

si l’on m’en bourre les tympans,

car,

depuis que j’ai retrouvé le feu,

j’ai rajeuni d’au moins vingt ans !


12.  Le poulailler de Simone ; ma tante.

 

Le cadenas de Simone,

celui «qui tient» son poulailler

à l’abri de pas indiscrets

et de «mimines» polissonnes,

 

n’a pourtant qu’une seule clé

que seule Simone chaperonne !

mais

diable, les voyous s’en tamponnent

et «raspent» toujours ses poulets,

 

tordent le cou de ses pondeuses,

ouvrent à ses belles lapines

et les clapiers et les terrines !

Simone est furax et songeuse…

 

mais que fait la gendarmerie !

«- Ma chère tante, elle dort la nuit…

et les voyous ont la vie belle ! »

 

Quand brille la lune, les poulets dorment

je parle de ceux en uniforme,

d’avant Sarco ; de ceux sans zèle !

 

à présent,

les flics font un travail énorme :

les procès-verbaux s’amoncellent ;

on traque la moindre bagatelle

depuis la nouvelle réforme !

 

c’est que,

Sarco met du cœur à l’ouvrage !

mais on troue toujours ton grillage

ma tante !

 

et là, le renard n’y est pour rien ;

ou les gitanes, ou le curé,

des amis bien intentionnés…

va savoir qui sont ces vauriens

 

qui narguent la maréchaussée !

reprends la technique des anciens :

le piège à loup pour ces coquins

et les poules seront bien gardées !

 

Le képi, c’est pas courageux,

çà reste pendu quand il pleut,

çà ne fait la ronde qu’au grand jour,

çà ce moque bien des basses-cours ;

 

çà n’est jamais là quand il faut

sauf s’il faut prendre quelques euros ;

le gendarme,

c’est sans pigment, c’est ordinaire,

et çà se plaint d’être impopulaire !

 

Rien ne va plus, faites vos jeux,

les poulaillers sont trop boueux !

tout passe, tout lasse et tout s’émousse,

 

que voulez-vous …

c’est le pays des poules glousses !


13.  La dame au chien

 

La dame au chien se promenait ;

la dame au chien, devrais-je dire,

offrait aux passants son sourire,

son chien, des crottes à leurs souliers !

 

Quant aux passants, ô tristes sires,

ils ne se souciaient que du temps

qu’il faut pour aller en marchant

vite du Bénin au Zaïre,

 

de Bram à Castelnaudary,

de l’Alaric 1  à la Fajeolle 2,

ou du vieux Blagnac à La Baule,

du vieux Trèbes au lac du Lampy,

 

ou bien du Sidobre à Graulhet,

ou bien de Nantes à Montaigut,

de Vérone à Honolulu,

du Géant vert chez les pigmés…

 

que sais-je !

 

je crois que la saison rend con !

plus personne ne rend les sourires,

l’esprit s’encombre de délires

et les souliers de déjections !

 

Pour moi, sur l’heure, la dame au chien

promenait en laisse une idée,

– par innocence ou par bonté –

rien d’humain… ni vraiment canin…

 

tiens,

une réflexion sur le temps,

quelque chose de contemporain :

«Où vont ces gens, main dans la main,

moutonneux, hagards et bêlants !»

 

La dame souriait toujours,

son chien roulait du «popotin»,

les gens flottaient sur le chemin…

et je rêvais encore d’amour !

 

Ainsi donc la philosophie

naîtrait à l’abri des regards,

de bon matin, sur les trottoirs,

d’une dame drôle, d’un chien bouffi ?

 

Ha, ha, ha, ha, ha, ha, ha, ha …

là, çà t’en bouche un coin, Socrate !

fais pas la gueule,

laisse donc les «cleps» lever la patte !

 

Alaric : Montagne d’Alaric (dans l’Aude).
La Fajeolle : Hippodrome de Carcassonne.

14.  Tracé de plume

 

« Ce sera un champion,

j’en mets ma main au feu ! »

à l’autre, un noir moignon

atteste que le vieux

 

d’un tel élan, naguère,

d’un coup du sort soudain,

d’un pari similaire

s’est fait rôtir la main !

 

« Le plus grand des chevaux !

j’en jouerai mon salaire,

ma tête sur le billot ! »

je pourrai vous distraire

 

de trente locutions ;

le vieux est passé maître

au jeu d’affirmations,

il faut le reconnaître…

 

mais s’il fut pris au mot,

si – parier ne fut un jeu –

mis à part quelques os,

qu’en serait-il du vieux ?

 

S’il baptise « champion »

de pauvres boute-en-train,

de trop lourds canassons

qui jurent que par le foin,

 

s’il n’a pas le nez creux,

lui sait comment on ferre !

pour lui, j’irai, parbleu,

remuer ciel et terre !

 

Jamais notre écurie

n’eut été un palace,

et nos chevaux bénits

par une telle grâce,

 

si cette nuit d’avril

il n’eut passé la porte

au terme d’un exil ;

d’une existence morte.

 

Il est homme au haras,

je dirai «le Bon Dieu !»

Le vent du sud, parfois,

met des larmes en ses yeux…

 

et je reste impuissant.

Un flot de souvenirs

balaie tout en passant ;

alors il veut mourir.

 

Lorsqu’un hennissement

chasse la brise maligne,

le voilà, doucement,

qui revient et se signe !

 

Oh, qu’il en a couru

chez nous des réfugiés ;

que de pleurs sont venus

tremper l’herbe des sentiers !

 

Je voulais écrire un

poème humoristique,

vous parler de quelqu’un

sous son aspect comique,

 

mais la plume parfois

trace un autre chemin ;

celle-ci, malgré moi,

picore au picotin…

 

ne laissant des chevaux,

de Pégase, de Bijou

qu’un court trait de pinceau,

juste un fil de licou !

 

mais sans être devin

 

je parie que demain

elle jettera le grappin

sur le fabuleux destin

d’Amiel le poulain !

 

« j’en mets ma tête à couper ;

vous verrez… pariez ! »


  15.  Les «petits pois» sont de mer

(chanson)

 

Je vous ai dit, voilà six mois,

que je n’aimais plus les petits pois ;

voici pourquoi :

 

Les petits «pois sont rouges»

comme les «olé ! », les «holà !»,

habillés d’or, d’écailles rouges…

comme les capes des corridas !

 

Je vous ai dit, voilà six mois,

que je n’aimais plus les petits pois ;

voici pourquoi :

 

Les petits «pois sont scies»,

d’autres «petits pois sont marteaux» ;

j’ai bien la phobie des outils…

moi, «chuis»  pas fais pour les travaux !

 

Je vous ai dit, voilà six mois,

que je n’aimais plus les petits pois ;

voici pourquoi :

 

Les petits «pois sont chats»,

moi, je hais les miaulements ;

je préfère les poissons chiens qui aboient ;

les poissons chats sont trop collants !

 

Je vous ai dit, voilà six mois,

que je n’aimais plus les petits pois ;

voici pourquoi :

 

Les petits «pois sont volants»,

moi, j’ai toujours eu le mal de l’air ;

à tous les bancs de poissons volants

je préfère mon rocking chair !

 

Je vous ai dit, voilà six mois,

que je n’aimais plus les petits pois ;

voici pourquoi :

 

Les petits «pois sont lune»,

nouvelle lune ou croissant ;

ce n’est  pas que j’ai quelque rancune

mais tous les petits pois sont chiants !

 

Je vous dirai peut être dans six mois,

pourquoi je n’aime pas les fèves ;

d’ailleurs, tous les féculents me crèvent…

mais nous verrons çà la prochaine fois !

 

ou bien peut être dans un an

je vous ouvrirai mon carnet rose ;

je vous dirai que je n’aime pas les glands

parce qu’ils me brisent menu les choses!

 

la, la, la, la, la, la, la, la, la…


16.  Haïkus iodés

 

La mer est de vent,

Le sable fouette la peau ;

Violences orchestrées.

 

Bleuté de la mer,

Blancheur de la grand-voile ;

Rougeurs sur le dos.

 

Le père est à l’eau,

Le fils aligne ses tours ;

Le Saint-Esprit dort.

 

Maman tricote,

Papa lorgne la bonne ;

Solstice d’été.

 

Haïkus de mer

Tombés sur la glacière ;

Dive méditation.

 

Boule au chocolat

S’enfonçant dans le sable ;

Nouveau chaud et froid.

 

Le bas fin vêtu,

Le haut bronzant nu ;

Incompatibilité.

 

Lueur de jetée,

Poissons de crépuscule ;

Pêcheur de lune.

 

Lamparo en mer,

Soleils de contrefaçon ;

Mort préméditée.

 

Moutons entassés

Sur un pré de sable chaud ;

Brebis égarées.


17.  Songe de plage

 

De la proue d’un voilier quelque songe anodin

libéré de ses fers par vingt jours de congés,

bénissant les courants et le mois de juillet,

tire sa révérence, vissant son galurin.

 

Ce songe fuit le jour où tout sera fini,

où il faudra revenir vers le point zéro,

quitter le sable fin et la chanson des eaux

pour à nouveaux subir, appliquer, obéir.

 

Quand la lune poindra il montera à bord,

abandonnant sa cache, où, fouetté par la mer,

la peau martyrisée et le cœur à l’envers

il n’aura eu de cesse de changer de décor.

 

Il sera loin, demain, regrettant son élu

qui poursuivra le but, brave et bon, solitaire ;

et le songe entêté voit s’éloigner la terre,

et puis verse une larme… et l’essuie… et salut !


18.  Devinette pâtissière

 

Comme tout rimailleur parachevant son œuvre,

qui voudrait être LU, LU de la tête aux pieds,

je glisse entre vos doigts, succulente couleuvre,

j’habite votre esprit par mes saveurs sucrées.

 

Au fond de vos palais, je tapisse de nacre

les vestiges sacrés des moments d’exception ;

à l’instant opportun, sans bruit, sans simulacre,

je transporte vos sens par delà la raison.

 

Puis, je viens parcourir pas à pas vos entrailles,

y semant goutte à goutte mes extraits de douceur ;

vous devenez voyou et je deviens canaille

et nous vainquons ensemble vos diables intérieurs.

 

Les lueurs tamisées par vos paupières mi-closes

font alors scintiller les étoiles d’argent

de quelque voie lactée bordée de lauriers-roses

et vous passez vainqueur à l’huis du firmament.

 

Tel un poétillon parachevant ses rimes,

qui voudrait être LU, LU de la tête aux pieds,

 

je suis ?

 

Je suis un « PETIT LU », une galette en soi,

qui dépose à vos lèvres ses arômes subtils,

puis, son œuvre accomplie fond dans l’anonymat.


19.  Les splendeurs du PEUCH de SADROC

 

C’est ici que l’eau de la terre

jaillit au pied d’un chêne bleu ;

ici, pas le moindre réverbère

mais des étoiles plein les cieux…

 

des champs, re des champs et des bois,

des fleurs et des vaches et la paix,

des puzzles d’ardoise sur les toits,

des bougies sur les cheminées…

 

un collier d’orties sous le chêne.

Si d’aventure, cependant,

le crépuscule vous emmène

à marcher nu-pieds dans le champ,

 

vous y verrez le ver luisant

veillant les rires d’autrefois,

haute sentinelle hors du temps

priant son Bon Dieu en patois…

 

un patois de roc et de vent,

de folle avoine, de luzerne,

de contes, de secrets, de chants

et de veillées à la lanterne.

 

Vous êtes au Peuch de Sadroc !

L’aube, au grincement des charrois,

au pas des bœufs ou des chevaux,

au chant des coqs, au cri des oies,

 

vous prend à l’âme, vous transporte

au travers d’heureux souvenirs,

– visages que la raison exhorte –

éphéméride du plaisir.

 

Clapotant en père tranquille,

Le Maumont lace ses lacets

allant nonchalant à la ville ;

laissons la rivière flâner…

 

Marie-Claude a dressé la table

sous les ramures du figuier,

offrant au chêne inconsolable

quelques chapelets de baisers ;

 

puisqu’il est l’heure de déjeuner,

alors je remets le bouchon

sur la Corrèze et l’encrier

implorant haut votre pardon…

 

mais j’irai pêcher sous la lune,

– si les vers ne sont pas couchés –

toutes vos splendeurs ; sans rancune ;

à plus, toute mon amitié !


20.  La différence

 

Vous avez donc choisi ce thème,

Mademoiselle, pour la soirée :

« la Différence » ; sujet que j’aime !

sans hypocrisie, ni blasphème…

comment devrais-je l’aborder ?

 

Philosophiquement peut être !

mais il me faudrait faire entrer

par la porte ou par la fenêtre,

– dans l’espoir de les compromettre –

quelques grands noms, vingt sacs d’idées…

 

et bien sur étayer les unes,

citer les autres, par respect,

coller à chacun sa chacune,

offrir à chacun sa tribune…

vite patience me manquerait !

 

Par le discours le plus classique,

sur le divan jaune de Chappier

je hurlerai, fier, et sans risque

que l’un acquiesce et l’autre bisque :

« La différence, faut accepter ! »

 

Tout cela n’est que balivernes ;

déjà tout est dit, tout est fait !

raisonneurs des temps modernes

sachez pour votre gouverne

Socrate y laissa la santé !

 

Ces sujets ne sont que ciguë !

en rire serait de mauvais goût,

débattre donne la berlue ;

vous n’aurez pas mon point de vue !

à moins que je joue mon va-tout…

 

Vous avez donc choisi ce thème,

Mademoiselle, pour la soirée :

« la Différence » ; sujet que j’aime !

accepteriez-vous un poème…

forme subtile et déguisée

 

de la raison et de l’idée ?


21.  Engagés virtuels

 

 Aux ruines, aux enfers

qui naissent en jouant,

au bruit de vos Panzers

laboureurs triomphants,

 

engagés volontaires

des batailles d’écran,

héros de fausses guerres,

virtuels conquérants…

 

souvenez-vous du temps

où résonnait la botte

au pas de l’allemand ;

puis des compatriotes…

 

« les nôtres », côte à côte

pour sauver la patrie !

des « autres », croques-notes,

à Londres ou à Vichy !

 

puis de celles sans âge

qui tenaient la maison,

la vigne, le village,

l’espoir et la raison !

 

de ces belles sans fard,

portant en bandoulière

le dernier étendard,

le lard et les prières !

 

souvenez-vous du temps

où l’on cachait la vie,

où le nouveau printemps

arrivait sans bougie !

 

Revoyez un instant

la maison familiale

et le calme pesant

précédant les vandales…

 

les lapins qu’on cachait

dans la chambre du haut,

le jambon qui pendait,

les fèves, les artichauts

 

et la grosse radio,

qui diffusait le soir

l’étrange concerto

des secrets de perchoir !

 

« – Ici Londres, ici Londres… »

«  – ici, c’est Montredon,

nous allons vous répondre…

mais c’est de la fiction ! »

 

Engagés volontaires

des batailles d’écran,

héros de fausses guerres,

virtuels conquérants…

 

cliquez donc sur « bonheur »,

le site est excellent ;

paroles d’ordinateur…

la vie ne dure qu’un temps !


22.  Pluies

 

La pluie ne cessait de tomber ;

inlassablement sa musique,

architecture machiavélique,

lessivait la haute vallée.

 

Le fleuve, nerfs à fleur de peau,

telles ces hordes de sauvages

emportait tout sur son passage…

wisigoths, vandales, ostrogoths !

 

Billots de châtaignier en tête,

carcasses de vie et broussailles

décidèrent de faire ripaille

fêtant dignement la tempête.

 

C’est ainsi que sous le pont vieux

s’agglutinèrent toutes épaves ;

c’est alors que les rats des caves

dans ce théâtre moyenâgeux

 

vinrent danser, l’air triomphant,

hisser le drapeau des victoires,

emporter au creux des mâchoires

le blé, l’orge, l’agneau bêlant !

 

Jadis, sous l’arche du pont vieux

coulait l’amour, paisiblement ;

j’y baignais triomphalement ;

ses murmures m’étaient délicieux ;

 

l’orage m’offrait une trêve.

Voguant sur quelque compromis

j’aimais piquer au flan la vie ;

j’étais son plus brillant élève !

 

La vie se glissait dans mes nuits,

me dorlotait, j’étais son ange !

l’enfance chantonnait ses louanges ;

« Innocence, je gobais tes fruits ! »

 

Et puis l’enfance vous filoute,

fait une boucle, rentre au pays,

relève aux fers ses ponts-levis ;

l’ombre du fardeau vous déroute…

 

alors c’est la pluie qui revient,

mais ses cliquetis mélodieux

font scintiller sous le pont vieux

les grappes d’or et de raisins,

 

le fleuve a remis à la mer

ses fagots noirs et la gangrène,

les saisons de vide et de peine ;

troussé les poches à Lucifer !

 

Le vrai visage de l’amour,

sous l’arche ondule et jouit ;

quelque ancien parfum reverdit

et tout scintille aux alentours ;

 

les rats gagnent leurs basses-caves,

le soleil partout est radieux…

 

le corps, seul, semble être plus vieux ;

l’âme, affranchie, quitte l’esclave !

 

que diable draine l’horizon ?

 

Aux prochaines inondations

l’homme gagnera la raison !


23.  L’odyssée d’EROS

 

Eros va quitter ses lapins,

ses nuits de harpes éoliennes,

toutes songeries quotidiennes…

Pyrène ôte ses escarpins !

 

Les soies blanches des baldaquins

flottent au vent de la montagne,

et dansent au mât de cocagne

les espérances du coquin.

 

Eros chausse ses godillots,

bourre de sucre sa besace,

donne du miel à ses audaces,

ajuste son sac sur le dos,

 

liste, reliste une fois encore

– afin de n’être démuni –

tout son nécessaire de vie :

lacets, feu, pâtes, sémaphore.

 

Eros cherche enfin le repos,

sous un toit d’étoiles filantes

et les promesses affriolantes

de quelques vieux rêves d’ado.

 

Demain, Pyrène, à ses côtés,

ouvrira ses bras, ses entrailles ;

au creux d’une couche de paille,

les mailles de son déshabillé.

 

Alors, heureux d’avoir dressé

les diables enragés de son âme,

il reviendra près de sa femme

le teint brunâtre et libéré,

 

retrouvera ses vieux lapins,

ses nuits de harpes éoliennes,

d’autres songeries quotidiennes…

mais ses rêves seront divins !

 

Allez, Dieu vous réclame pèlerins !


24.  L’arbre mort de Bastan (Pyrénées)

(d’après une photographie d’Yves Larrégola)

 

On dirait qu’il trône,

à l’écart du sentier,

roi d’un peuple fantôme,

translucide ou discret.

 

Tout autour, les couleurs

en parfaite harmonie

témoignent des valeurs

inhérentes à la vie ;

 

lui, trône, indifférent,

fier et majestueux,

sans se soucier du temps,

de son tertre venteux.

 

Un arbre défeuillé,

un squelette à vrai dire ;

squelettique et taillé

du meilleur et du pire…

 

enraciné à souhait,

quasi indestructible,

plein d’excentricité,

ferreux, incombustible !

 

Il sert, je le suppose !

il sert – bois lisses et mûrs –

quelles gens, quelle cause ?

ne sais, mais il est pur…

 

il prie, soyez en sûr !

voyez, il parle aux cieux,

les yeux bordés d’azur,

les bras bien écartés !

 

Il dût en sa jeunesse

être bon, respecté,

débordant de sagesse

et force humilité ;

 

le vent dans son feuillage

dût alors marier

bruissements et ramages ;

la forêt dût danser !

 

tout autour, les couleurs

en parfaite harmonie

durent reprendre en cœur

de longues mélodies !

 

Mais il est là, debout ;

les autres sont partis.

Il pliera le genou

sa mission accomplie !

 

Il veille, pour l’instant,

à l’écart du sentier,

« l’arbre mort de Bastan »,

que l’homme

a immortalisé !


25.  Haïkus de pédaliers

 

 Princesse d’azur

Tronquant les éléments ;

La Petite reine.

 

Gloire à étapes,

Elévation colorée ;

Echelle à barreaux.

 

Applaudissements

Pour la petite reine ;

Fidèles sujets.

 

Echappées perdues

Sur les routes de France ;

Le jeu de Yo-Yo.

 

Aube nouvelle,

Enfourchant la machine ;

Refrain de coureur.

 

La voie impose,

Le braquet démultiplie ;

Transes de la vie.

 

Bleu, blanc, rouge… jaune,

Distinctions officielles ;

Hissez les couleurs.

 

Jaja à moto,

Manège des hélicos ;

« vélociraptor ».

 

Supporter du tour,

Bière, chocolat, télé ;

Effort inhumain.

 

Amstrong ronronne,

Devant Voeckler picote ;

Matou et souris.


26.  Voyage cornélien

 

    Enfer, paradis, purgatoire …

allez conter à d’autres vos histoires !

 

  A la fois fascinant, fantasque et truculent, tel fut le monde qui m’accueillit, l’espace d’une nuit.

  Je ne sais quelles en furent les raisons ; Arès vint me chercher, Era me ramena ; je partis de mon lit et je m’y réveillai, le souvenir intact comme si l’on eût voulu, au terme du voyage, me glisser un message. Pourquoi donc à mon âge et de ma condition… inutile question.

  Mes tempes battaient fort. J’avais pour l’occasion forcé sur le nectar, dont l’alcool coulait tiède dans du miel de Tolède et j’avais le cafard des âmes hébétées. Avais-je voyagé, réellement ? Voici que le doute s’installait à présent.

  Pourtant, les plateaux d’ambroisie suspendus sous les treilles, dont les ceps émergeaient de la salsepareille ondulaient dans l’air parfumé du soir et les feuilles de vigne  parlaient de l’une à l’autre.

  Des filles étaient nues, vêtues d’un rien ou bien de peaux de bêtes et tous semblaient heureux que je sois de la fête.

  Un vol de colombes, un aigle, une chouette, un cheval, une biche ; un trident, une harpe, un carquois, un casque et des sandales ailées, une masse, la foudre, de la roche de mal, de la poudre de bien ; mille autres choses simples ; j’avais été convié au sommet de l’Olympe.

 Transfert des plus cornéliens, nous étions quelques rares mortels, poètes, ménestrels à assister au banquet que donnaient en notre honneur les douze olympiens.

  Les filles dénudées étaient donc des servantes. Elles proposaient les mets au gré de l’assistance ; jeunes, embijoutées, affriolantes ; quelques mise-en-bouche des plus classiques, du nectar en carafes et des toasts d’ambroisie ornés d’une pique ou plutôt d’un trident en plastique dont chacun se plaisait à féliciter Poséidon, dieu de la mer, pour son humour excellentissime, original et châtié.

  Entre deux buis grimpants, dans le fond du jardin, sur le trône, enfin sur son trône, Zeus, dieu du ciel et maître des dieux, l’air absolument ravi, comme ce santon au regard hagard que l’on pose à Noël sur le toit de la crèche, semblait avoir perdu la raison, quand soudain, jouant avec la foudre comme un vieux grenadier faisant parler la poudre, illumina les cieux d’une multitude d’éclairs fluorescents ; ce qui fût extraordinaire ! Certes, Zeus gatouillait déjà. L’aigle qui sautillait à ses pieds, au plumage reluisant, à l’air niais, semblait également prendre son pied.

  Era, femme de Zeus, déesse du mariage et de la jalousie lui parla d’un patois que le bougre compris sans dessein, ce qui mit fin à ses pitreries ; si l’orage grondait, à travers la mégère il finit d’éclater.

 Alors, Hadès, dieu du monde souterrain, des enfers, fit tourner les platines. Au son de ses béguines, les servantes dénudées firent hoqueter leur nombril, par-là même sautiller nos sourcils ; la soirée se dessinait sous de plaisants profils. Sur le coup des trois plombes, Hadès, faisant couiner ses vinyles de musique d’outre-tombe acheva de mettre le feu et nous fumâmes pour le coup quelques herbes du Lavandou mêlées à de la pâte de coing d’Epidaure ; pétard des plus classiques, que l’âpreté du coing améliore.

  Sur la pelouse, au pied des projecteurs, Héphaïstos, dieu des forgerons, caressait sa femme, Aphrodite, déesse de l’amour, d’une douce façon. Aphrodite dévêtue n’eut cure de l’assistance et préféra battre le fer tant qu’il est chaud…no comment.

  Quant au bon Arès, dieu de la guerre, il cherchait – un coup dans l’aile –   querelle à d’autres «empégués» notoires, braves larrons en foire, tandis que les étoiles blanches montaient drues dans l’obscurité revenue.

 Athéna, présidant d’ordinaire aux destinés de la guerre, offrait prestement ses charmes, ses envies et sa bonté à quelques braves qui du reste acceptaient volontiers. Ainsi casqué et cuirassé comme aux jours de parade, martinet au passant, ni pour la croix d’honneur, ni tout autre médaille, l’amour ne me dit rien qui vaille !

  Allongé sur des bordées de jeunes roses trémières, son arc en bandoulière, Sieur Phoebos Apollon, dieu du soleil et de la poésie, composait, lyre en mains, quatre rimes pour sa sœur, Artémis. Déesse de la lune et de la chasse, d’ailleurs couronnée d’un diadème surmonté d’une lune, la pauvre Artémis buvait de ses yeux de bécasse, comme du petit lait les quatrains de frérot ; Dieu que c’était beau ! Les autres eurent tôt fait de bâillonner Apollon et de le ligoter, arc, lyre et capuchon aux branches d’un figuier. La biche d’Artémis finit à l’hémistiche de manger son maïs, puis l’on mangeât la biche à la fin du quatrain et l’on fit un tennis entre les tamaris.

 Quelqu’un sonna, Héra ouvrit.      Entrèrent, bras dessus, bras dessous deux énergumènes soufflant à tue-tête dans des langues de belles-mères, l’un portant un chapeau et des sandales ailées, tenant un bâton entrelacé de deux serpents, l’autre attifé d’une peau de panthère et coiffé de feuilles de vignes. Le premier était Hermès, dieu des commerçants, des médecins et des voleurs, ce qui me parait être à peu près la même chose, l’autre, Dionysos, dieu de la vigne et du vin. Tous deux arrivaient d’une dégustation en cave particulière du côté de Corinthe ; cave que Dionysos avait officiellement inauguré l’après-midi même ; fonction divine oblige !

 Bref, les plateaux d’ambroisie terminés et jetés aux quatre coins du jardin, les filles dénudées aux soins des miséreux, l’alcool qui coulait tiède dans du miel de Tolède ; l’orgie était totale. J’avais ma foi noué de nouvelles amitiés, tutoyé quelques-unes des servantes zélées et commençais enfin à me sentir chez moi, lorsque précisément, le terme est adéquat, c’est au fond de mon lit que je me réveillai ; mille regrets !

  La fête fut grandiose sous la voûte des cieux !

 Certes, l’homme est bien peu de choses… mais le dieu ne vaut mieux !


 27.  Qu’adviendra t’il, TIRESIAS ?

 

Dame Carcas, vieille salope,

par-dessus bord tu as jeté

le dernier porc qu’il nous restait,

et le tricot de Pénélope ;

 

désormais nos espoirs sont vains !

Charlemagne emporte le gras,

les pucelles, les grappes de lilas ;

Pénélope, le feu s’éteint !

 

Les fileuses sonnent le glas ;

le roi d’Ithaque pêche à Messine,

et ville après ville cheminent

la peste noire, le choléra.

 

Ulysse reviendra, peut être !

le soleil fera sa trouée ;

alors Argos viendra japper ;

la bise de mars nous pénètre.

 

Entre les tours de Carcassonne,

les massacres en ribambelles

font fi du gel et de la grêle ;

à tue-tête une folle sonne !

 

sonne, sonne, sonne, sonne,

Dame Carcas, triste salope !

qui bandera l’arc, Pénélope ?

Faut-il que vous soyez si connes ?

 

Reste-t-il du gras au torchon ?

L’une se donne et l’autre attend ;

quand l’une se donne à Satan,

l’autre espère, scrutant l’horizon !

 

Un mât s’en revient d’outre-tombe ;

en descend un gueux ; c’est un roi !

Dame Carcas lève les bras

et le pauvre Argos en succombe !

 

Carcassonne pleurera longtemps

ses ciels d’été et ses outrages.

Le guerrier contera ses voyages

et Pénélope ses printemps.

 

Sous ses toitures grisonnantes

la cité hisse les couleurs ;

les amandiers bleus sont en fleurs,

le sénéchal lisse ses bacantes !

 

Pénélope et Dame Carcas

ainsi rangées des corbillards,

les dieux recouvrent le cafard…

 

honneurs au trépas, gloire aux veuves !

faudra t’il de nouvelles épreuves ?

 

Dis, qu’adviendra-t-il, Tirésias ?


28.  Ci et là

 

Les blés du lauraguais

fixent sur les coteaux

leurs nuances dorées,

la paille des chapeaux.

 

Ci et là,

quelques gerbes de chaume

qu’on ficelle de jonc,

font revivre ces hommes

sur le pas des maisons,

 

le béret décoré

par des traces de vie,

dont la pelure d’ivraie

sous l’azur resplendit.

 

C’est l’été qui sourit

et le Midi frisonne ;

l’accordéon, petit,

joue pour ceux qui moissonnent !

 

Au cœur de ce théâtre

« Ohé bateliers ! »

glisse un serpent verdâtre :

le canal de Riquet.

 

Le jour va pas à pas ;

on dirait qu’il s’amuse

à trimbaler le bât

à travers les écluses !

 

ci et là,

heureux propriétaire

du chemin de halage,

un cygne débonnaire

vient t’ouvrir le passage.

 

C’est l’été qui sourit ;

midi vient de sonner,

l’accordéon, petit,

joue pour les mariniers !

 

Mais une histoire tragique

plane sur Avignonet ;

une histoire d’hérétiques,

d’inquisiteurs tués…

 

les blés du lauraguais

se souviennent encor

des fagots de bûchers,

de l’odeur de la mort !

 

ci et là,

le sol garde en mémoire

quelque pape «Innocent»

conserve ses grimoires

cousus d’or et de sang.

 

C’est l’été qui sourit.

Ici, l’on tourne la page ;

l’accordéon, petit,

joue pour ceux qui ont la rage !

 

Aujourd’hui l’éolienne

remplace le cyprès ;

faudra bien qu’on parvienne

à calmer ces timbrés !

 

ci et là,

quelle que soit la saison,

il fleurit sur les crêtes

de nouveaux moinillons,

espèce d’anachorètes,

 

dieux de science-fiction,

qui brouillent le paysage

d’étranges vibrations ;

cylindrage sauvage !

 

C’est l’été qui sourit

et le Midi innove !

l’accordéon, petit,

fait sourire les chauves !

 

Enfin, sur le bassin

de Castelnaudary,

petit,

si tu vois un bambin

qui court après la vie,

 

un « ado » bien trop sage

confiant un beau bateau

de papier, un message,

au bon vouloir des eaux…

 

sourit lui, parle-lui

du soleil et des blés,

des moulins, de la vie

qui gueule en lauraguais

 

car ce pauvre enfant pleure

au plus profond de lui ;

son bateau n’est qu’un leurre,

en son âme luit la nuit !

 

pourtant le jour sourit,

le lauraguais rayonne ;

l’accordéon jouit

la moisson sera bonne !

 

Les blés du Lauraguais

tressaient sur les coteaux

les nuances dorées

d’un nouvel écheveau ;

 

ci et là,

je n’avais que treize ans

quand Castel m’accueillit ;

faut croire que les enfants

n’aiment pas changer de vie…

 

même si l’été sourit…

– n’aiment pas changer de vie –

j’étais au pensionnat,

il y a trente ans déjà.


29.  Lettre à mon âme

 

 Chaque coquelicot

qui pigmente les blés

est un rouge sanglot

qu’un nuage a tombé ;

chaque nuage en fleur

que la bise déroute

sème au hasard ses pleurs

sur nos âmes, goutte à goutte.

 

Les grappes d’amarante

accrochées aux rochers,

le langage des menthes,

les elfes, les cyprès,

l’églantier à l’affût,

les bordées d’orchidées,

notre temps révolu,

mes amours, envolées…

que de coquelicots

parsemés dans les blés ;

de rougeâtres sanglots

que pour toi j’ai versés !

 

La ronde des nuages,

le manège des tourments,

les nuées de vieux anges,

les automnes d’antan,

les régiments d’ajoncs

et la chaleur épaisse,

les froufrous, les chignons,

nos nuits enchanteresses,

la cabane à refaire,

les murettes à tomber,

nos couches à défaire,

nos serments à jamais…

 

fini ;

je boucle le voyage !

 

On dit qu’en chaque lys

sommeille un souvenir,

que la corolle d’iris

dévoile l’avenir…

et les tresses fleuries

des diseuses d’aventure

offrent à qui veut la vie

le bleuet et la mûre !

 

Tiens,

du creux de son ruisseau

la violette interpelle

les notes d’un flûteau

qui filent à tire-d’aile ;

à l’abri du talus

les boutons d’or déplient

pour deux cœurs éperdus

l’étincelant tapis !

 

oh,

la folle avoine, qui

n’a de cœur ni d’esprit,

danse seule la nuit

sur d’obscures mélodies !

ici, le brin de thym

fait se courber l’échine

du vulgaire dandin

qui niaisement chemine !

 

ah,

la jonquille, bien sûr,

lève le nez aux cieux

proférant vers l’azur

ses tendresses à Dieu ;

la bruyère, là-bas,

recueille quelque étoile

saisie par le frimas

dans sa course fatale…

 

alors je m’époumone

sur le blanc pissenlit

pour que mes vœux jalonnent

les voies du paradis !

 

adjugé ;

je boucle le voyage !

 

Je boucle le voyage

et tu es loin de moi,

loin de ce paysage

qui fut tien autrefois !

 

Tout est là, en l’état,

aussi vrai «que nature»

prêt à prendre le pas

sur nos deux vies futures !

 

C’est dans cet écheveau

que je quitte la terre ;

je verrai Dieu, bientôt ;

je suis prêt… solitaire…

 

mais avant de partir

au pays de la faux,

permets-moi de t’offrir

cet ultime cadeau :

de rougeâtres sanglots

du pays enchanteur ;

 

«simples coquelicots !»

 

tu vois,

 

à présent peu m’en chaut

du langage des fleurs


30.  Fin de saison

 

Ce soleil qui tenait en moi la dragée haute,

m’incitant à livrer, au travers de poèmes,

mes sueurs de labours, mes larmes de bohème,

à glisser promptement la dernière anecdote,

 

à dévoiler ces terres où les anges, adorables,

tendrement enlacés sous les porches d’églises,

– las de n’avoir en poche qu’un chapelet de bises –

aspiraient au matin à cocufier le diable !

 

Ce soleil qui tenait l’encrier et la plume,

gérait mes insomnies et comptait mes syllabes,

m’insufflant un sonnet, à sa guise une fable,

disposant de mes nerfs, me taillant «un costume»,

 

me pressant à écrire – chroniqueur de l’âme –

sans soupir et sans eau, sans air et sans relâche ;

que dis-je, sans la moindre goutte de grenache !

me rôtissant le train de sa plus vive flamme,

 

exigeant que je crie mes plus maigres secrets

aux curieux entassés sur la place publique,

que je sois, sans vergogne, tant grossier qu’impudique,

généreux dans l’effort, empreint de pureté…

 

oui, ce soleil malsain que les justes réclament,

cet astre pernicieux, ce vautour anobli

par la putréfaction du poète maudit

dans sa glaise vautré, sans pain, sans vin, sans femme,

 

ce soleil délectable va sauter l’horizon

et les brumes joyeuses lui raviront la place ;

alors, heureux de ne plus entrevoir sa face,

j’habillerai ma vie de cent mille festons…

 

dont rien ne paraîtra à la nouvelle saison,

sinon qu’une étoile au revers d’un veston.

 

Tel un océan d’huile la tempête engloutie,

le poète en son trou, je vivrai mes folies.