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Demain, cette étoile lointaine (livre 5) 2016

Un mot gentil, un regard amical, une poignée de main sincère ; merci.

A tous les agents qu’il m’a été donné d’accompagner ces trois dernières années.


Mise en bouche

 

       Cette fois-ci, mon cher labadens… oui je me permets te nommer ainsi eu égard à Eugène Labiche, qui, dans « L’affaire de la rue de Lourcine » faisait, en 1857, de ce mot un terme générique pour désigner, avec la verve humoristique que nous lui connaissons, les camarades, les condisciples, les copains de pension ; de l’Institution Labadens en l’occurrence.

   Nous avons tellement rôdé la Corbière en tous sens ensemble, nous avons tellement mangé de sucre et de gras au fond de cuisines enfumées, tellement dansé, tellement collé de filles contre nous… nous avons, les nuits de pleine lune, pêché tellement d’étoiles, respiré tellement d’alcool des anges, bu, nagé, roulé, volé au-dessus du vignoble et des pinèdes que j’ai même l’impression que nous avons aussi partagé cette table en bois, tu sais, celle pourvue de deux encriers, l’un en haut à gauche, l’autre en haut à droite, avec la rigole pour le porte-plume… et la colle à l’amande amère dans le petit pot juste à côté !

   Alors oui, ce qualificatif de labadens me semble des plus adéquats, et tu vois, je me risquerai même à t’appeler « mon frère » tellement nous avons respiré le même vent de Cers, tu sais celui qui passe toujours entre le bonnet et le cache-nez quand il buffe comme un sauvage !

   Alors cette fois-ci, mon cher labadens, tu vas débuter la lecture par quelques textes plutôt légers, et même si la « cuque », la connerie du poète monte crescendo elle ne sera que relative pour cette fois.

   Sous les parfums d’un poème d’été je t’invite à marcher un peu dans les vignes, tu monteras jusqu’à la ruine en haut de la colline, si le cœur t’en dit tu feras le tour du lac de Nabeillou et de celui de Bouconne et tu iras prendre un bol d’air dans la garrigue. D’un coup de mobylette tu pourras prendre aussi la D114 et peut-être même m’y rencontreras-tu !

   Tu verras aussi que la ville n’y met pas du sien et que les citadins deviennent de plus en plus perdus.

   On parlera aussi d’amour, de la grande « Clémence » de Dieu, de la caissière du supermarché, des hiboux sur la rocade, du onze novembre, et de la camarde, qui, dans ce monde de dingue ne perd pas le nord.

   J’espère pouvoir venir à ta rencontre encore l’année prochaine si le ciel est clément !

  Je t’embrasse et te souhaite un très agréable moment en ma compagnie.

J.G


Table des poèmes

 

  1. Amalgame.
  2. Attendez-moi, je viens à vous.
  3. Eclosions.
  4. Le moment bienheureux.
  5. Le monde des prédictions.
  6. Un millier de baisers pour la môme de Junon.
  7. Un poème d’été.
  8. Vent d’ouest et incurie.
  9. Ma pauvre Lady MACBETH.
  10. Trêve au lac de Nabeillou.
  11. La haut… en bas.
  12. La balade autour du lac.
  13. De D3 à D114.
  14. L’enfant.
  15. Soixante-dix ans en partage.
  16. Au temps nouveau.
  17. Besoin de paix.
  18. Alphabet d’une perturbation.
  19. Mnémosyne toujours.
  20. Juste besoin.
  21. La grande Clémence de Dieu.
  22. Complainte cigalienne.
  23. Dis, grand-père…
  24. Le doute affreux.
  25. Une drôle de leçon.
  26. La caissière du supermarché.
  27. Vague à l’âme.
  28. Devant-derrière.
  29. Les entrelacs d’enfer.
  30. Une aube ordinaire fin quatorze.
  31. Le poète grognon.
  32. Parastase obligée.
  33. Le raisin et le ciste.
  34. Sur les pas de la maîtresse femme.
  35. Visite inattendue.

1.  – Amalgame

 

Taisez donc vos critiques, sinoques invétérés,

hypocrites, envieux, girouettes désaxées,

bouffons de l’hémicycle animés par la haine,

tristes carnavaliers des comédies humaines !

 

Cessez donc vos syllogismes, piètres censeurs,

rentrez vos griffes, il n’est là qu’affaire de cœur !

« rue du Cirque », n’est-ce point là un joli nom

pour y coucher les frissons de l’exaltation ?

 

Ne prenez à partie qui cueille la fleur sauvage

si vous broutez le chardon ou l’amour en cage,

et ne criez haro à ses tendres escapades

si vous vous livrez à de pareilles incartades !

 

il a pris sa moto pour aller faire un tour,

pour aller croquer une fine pomme d’amour !

pourquoi feriez-vous donc une affaire d’état

d’un simple désir de gourmandise ici-bas ?

 

J’aime le chocolat et me tiens à la rime !

croyez-vous qu’il m’en détourne, qu’il me sublime ?

Allons, ne mélangez sucrerie et fonction…

et cessez donc de raisonner comme des cons !


2.  – Attendez-moi, je viens à vous ! –

 

Attendez-moi, je viens à vous,

vous qui semblez croquer la vie,

la brioche par les deux bouts

dans l’insouciance et la folie !

 

Attendez, je brûle mes malles

où sur des duvets de poussière

dorment les vieilles Saturnales

du temps où j’allais l’âme altière !

 

Laissez-moi, d’un coup de balai,

pousser dehors ces hordes de maux

dont je fis si souvent les frais,

mes courbettes et mes oripeaux !

 

Patientez, je me débarrasse

de mon fusil, de mes trophées,

des os pointus de ma carcasse,

de l’or de mes livres sacrés…

 

je détruis mon garde-manger

et je vous rejoins à la hâte !

j’ai hâte d’être libéré

du doux fardeau du cul-de-jatte !

 

Je viens, j’ôte à l’éphéméride

les feuillets de l’aveuglement

et les images liées aux ides

cruelles du renoncement !

 

Laissez-moi poser un instant

le cul sur la paille moisie,

sur le fumier réconfortant

de ce que je crus être un lit !

 

Attendez-moi, je vous en prie,

patientez je ferme la porte

des brumes et de la non-vie ;

je barre le seuil aux feuilles mortes !

 

Ne partez pas, je suis en route !

comme il est dur de tout plaquer !

oh, chers amis, comme il m’en coûte

de partir sans me retourner…

 

j’accours soleil de mes vieux jours,

c’est dehors que la vie se meut !

et s’il est trop tard pour l’amour,

que je périsse par ton feu !

 

adieu !


3.  – Eclosions

 

Amis, allez, prenez un verre

la jonquille embrasse le coteau !

prenez un verre de renouveau

aux flots de l’attrape-nigaud ;

l’amertume n’est que passagère !

 

jamais le soleil ne se meurt ;

voyez le bouton d’or qui point

et les chants à brûle-pourpoint

du jour naissant et du serein !

n’entendez les mauvais prêcheurs !

 

dépliez vos âmes engourdies

par la mainmise de l’hiver ;

hissez-vous hors des courants d’air ;

prenez les tourments à revers

et faites étinceler la vie !

 

suivez ma plume prosélyte !

étendez aux premiers rayons

vos desseins et vos ambitions,

puis cueillez le rire à foison,

la rencontre et les marguerites !

 

allez par les sentes herbeuses ;

suivez votre instinct à roue libre ;

n’ayez qu’un temps, celui de vivre !

 de toutes couleurs soyez ivres ;

buvez à la saison joyeuse !

 

retrouvez-vous, retrouvez-moi ;

dansez sur le flot de mes rimes !

soyez l’avril des temps sublimes,

cueillez l’affect le plus intime…

 

au printemps nouveau, hosanna !


4.  – Le moment bienheureux

 

«O temps ! suspends ton vol ! » ou lâche-moi la grappe !

Je veux revivre encor ce moment bienheureux

où mon âme est passée tête par-dessus queue

au moment de l’agape !

 

Toi qui sais, Lamartine ; toi qui as vécu l’instant

où le cœur se sustentant d’un fil de ciel d’or

plane au gré des volutes d’une petite mort…

toi, frangin, me comprends!

 

Les autres, pressés, remontent alors sans cesse

leur montre à gousset pour appeler demain ;

pressés, peut-être, de prendre leur dernier train

dans un chant d’allégresse !

 

Mieux ; je veux qu’il revienne et m’emporte à nouveau

ce moment bienheureux et qu’il m’emporte aux nues

en une jouissance de pieds par-dessus cul

et pépiements d’oiseaux !

 

Qu’il m’emporte toujours vers la sphère mystérieuse

où l’on va nez ouvert pour en saisir le rare ;

et d’où l’on rentre ivre de la lueur des phares

et du son des berceuses !

 

Demain ne me plait guère, mais aujourd’hui me sied ;

« O temps ! suspends ton vol ! » que je boive l’extase !

Vois  la muse qui geint et l’éther qui s’embrase !

Vois mon âme exaltée !

 

Carpe diem ;

accède à ma requête et je serai comblé !


5.  – Le monde des prédictions

 

Vaut-il mieux s’adresser à Dieu ou à ses saints ?

devrais-je dire à l’un de ses porte-parole !

la Pythie, pour le coup, me semble sûre, mais folle,

en transes chaque fois qu’on hèle le divin !

 

la Sybille cause à la première personne ;

pour le coup, sa prophétie est originale,

mais il faut décrypter ses dires en diagonale

tant elle est délirante et tant elle raisonne !

 

L’une est bien fatigante et l’autre est un larbin ;

on dit que la Pythie est une douce vierge,

que Sybille a brûlé toutes sortes de cierges

mais que la sagesse coule au creux de ses mains !

 

la Pythie est posée, répond pour le grand Maître.

Sybille vous permet de tirer vos ficelles ;

élevé à une dimension surnaturelle

vous clamez en direct vos questions au grand Maître ;

 

elle serait le symbole de la révélation

tandis que la Pythie boit le jus hiérarchique !

Sybille, pour le coup, me paraît excentrique

mais je n’ai cure de la guerre des boutons !

 

Puisque l’une ne semble avoir de fantaisie,

l’autre une “je sais tout“, délirante, ambigüe,

je n’ai plus qu’à me prendre par la peau du…

et suivre mon chemin au gré de mes envies !

 

Sage, des prédictions désormais je fais fi !


6.  – Un millier de baisers pour la môme de Junon

 

Une étoile a traversé mon ciel et filé ;

pourtant il n’était là quelque étoile filante !

mais nul besoin ici d’être un grand hiérophante

pour faire montre d’une douce lucidité !

 

Une étoile a traversé mon ciel l’œil brillant

et ma nuit s’est teintée de longs voiles d’hélianthes,

comme ceux du soleil qui pourlèchent les menthes ;

une étoile est venue et partie en pleurant.

 

Dans sa course une étoile a traversé mon âme ;

quelque souffle céleste a truqué son chemin !

je n’ai pas eu le temps de lui prendre la main

que la nuit déjà répandait son encre infâme !

 

Quand le jour s’est levé sous des bruits de klaxons,

des nuages grisâtres et des raisonnements,

j’ai déposé sur les lèvres du firmament

un millier de baisers pour la môme de Junon.

 

J’ai vu le soleil se lever à l’horizon,

mais suis resté de marbre engourdi dans mes songes.

J’ai juste envie que ma rêverie se prolonge ;

j’irai plus tard boire aux trompes des orphéons !


7.  – Un poème d’été

 

Un poème d’été c’est un son de tambour

qui fait vibrer les filles, les étoiles et l’amour

dans des saveurs de pêches et des voix de violons ;

qui raconte l’eau fraîche, les fous rires, les plongeons

et dépeint les lampions, le désir, la musique,

les cocktails et la danse en un chant érotique !

 

Un poème d’été ça ne s’intuite pas ;

“le fond manque le moins“ et la rime a le droit,

assise sur le vers, de mener le tempo,

de prendre son pied en un gratis pro deo

juste pour le plaisir de braver l’interdit

et donner des couleurs flamboyantes au récit !

 

Un poème d’été ce n’est pas matériel ;

c’est un frisson d’extase qui nous tombe du ciel,

une essence qui se love au creux de notre âme

pour laquelle aussitôt on se fond et s’enflamme ;

c’est l’appel au bonheur ; c’est cette arche opportune

sous laquelle le soleil vient étreindre la lune !

 

Un poème d’été c’est un prénom qu’on grave

à jamais sur ses lèvres, et que ses lèvres boivent

et boivent encor le reste de leur éternité

sans jamais que le goût n’en puisse être altéré ;

un miroir, une palette de maquillage…

un poème d’été c’est un livre d’images !

 

En chercher l’auteur serait chercher pour des prunes ;

le poème d’été est une œuvre commune

qui se tricote maille à maille, en sifflotant,

sous les zébrures orangées du soleil couchant ;

pour peu que le bonheur soit enfin de saison,

le poème d’été prend un air de chanson !


8.  – Vent d’ouest et incurie

 

Les ronces ont envahi les pans de murs  brisés,

le toit s’est éboulé et les poutres se meurent.

Le bleu du ciel, maintenant, lèche la demeure

que léchaient autrefois des bouquets de fumée.

 

Une fenêtre a tenu tête à l’abandon,

ses rideaux sont en place et ses volets sont clos.

Alors que tout est désolation dans son dos

elle pique de fleurs ses longues oraisons…

 

et les orties florissent où jadis les glaïeuls

quillaient leurs crêtes raides en bouquets écarlates.

Des gravats, émergent le panier de la chatte

et la canne de buis qui soutenait l’aïeul…

 

tout le reste n’est que vent d’ouest et incurie.

Qui sait depuis quand l’herbe folle y règne en maître ?

Qui a vu dans l’enclos la dernière brebis paître ?

A quand remonte le dernier souffle de vie ?

 

Contre un monceau de tuiles j’ai appuyé mon sac

d’où je sors un morceau de saucisse et du pain ;

le nez levé aux cieux je prends mon quart de vin

et tire quelques fruits secs de mon bric-à-brac.

 

Au sol, sous des amoncellements de plâtras

j’entends battre le cœur de l’ancienne demeure ;

le vieux coucou y chante même son quart d’heure,

et des chevrons mêlés vient l’odeur des lilas…

 

et je ne peux me résoudre à quitter l’endroit,

reprendre, reposé, le sentier balisé ;

comme si la demeure m’avait adopté,

comme si j’étais enfin de retour chez moi !

 

Une lueur de flamme sous un chaudron râblé

me traverse l’esprit, des parfums et des voix…

était-ce ailleurs… une autre vie… était-ce là ?

Je remballe mes affaires, l’esprit désœuvré,

 

et je m’arrache aux griffes de ce ciel constellé.

Je reprends le sentier sous des nuages en pleurs.

Dans la plaine un arc-en-ciel cintre ses couleurs,

et la terre rougeâtre se colle à mes souliers.

 

J’ai changé de saison comme on change de tablier.


9.  – Ma pauvre Lady MACBETH

 

Les vignes à nouveau ont le ventre alourdi,

elles donneront bientôt naissance au vin nouveau ;

d’automne en automne elles engendrent la vie,

et la terre suinte jusqu’en haut du coteau.

 

Bien sûr, les rires d’antan ne retentiront

plus des charrettes bâchées et des souches en fête !

plus de repas sur l’herbe auprès du cabanon

et dans le ciel d’octobre plus la moindre comète !

 

Mais la vigne est généreuse avec ses enfants,

ceux qui vont aujourd’hui la boue à mi-mollets ;

elle donne ses fruits, elle donne son sang

sans se soucier des pleurs d’une époque tourmentée.

 

Peut-être intuite-t-elle un retour à la paix !

elle flotte, sans doute, sur le ru des saisons,

l’hiver vêtue de chanvre, l’été vêtue de braies

et de socques légers pour courir la région…

 

la région qui étend jusqu’à ses fumées noires

sur les longs fils d’azur pour les faire sécher

et remplace les vieux qui arpentaient les foires

par de jeunes cadors aux pantalons plissés !

 

Au Conseil Général on ne se souvient plus

de Marcellin Albert et des gueux de l’an sept !

on a comme qui dirait la tête dans le cul ;

leurs mains sont sales ma pauvre Lady Macbeth !

 

j’entends déjà l’eau des cuves que l’on nettoie,

j’entends déjà qu’on fait rouler des demi-muids ;

cette année, je le pense, le cru sera de choix ;

je vais casser la croûte et me joindre aux amis.


10.  – Trêve au lac de Nabeillou

 

Quelques chênes rouvres, six pêcheurs, dix canards,

trois anciens au pas lent causant têtes baissées

d’un temps désappointé, sur le dos de la digue,

 

deux limiers en bout de laisse, le cri d’un jars,

les feuilles tournillant en un flot d’air léger,

dans son monde aérien le choral d’un becfigue…

 

et la sérénité enveloppant l’endroit.

 

Des colverts en rase-motte au-dessus de l’eau,

au-dessus, plus encore, un soleil lumineux,

dans les bas-fonds du lac, des brochets, je suppose,

 

la noirceur des abîmes et l’étrange rondeau

de la folie des hommes et des rires du feu

dans l’immuable avancée des métempsychoses…

 

et les sueurs d’un temps où la glace domine !

 

Le ciel bleu en coupole et partout ses vitraux

dispensant ses balistiques étincellements

sur l’aria coutumière de mes alcools profonds ;

 

j’étais loin entre les planches d’un échafaud,

quand une énorme carpe en manque d’arguments

s’en remit en pleurant aux désirs d’un arçon…

 

l’homme est fier, son leurre brille de mille feux.

 

Mon leurre tinte alors à la cloche commune,

le mobile sans cesse vous rappelle qu’ici

l’heure n’est à flâner, la clientèle attend !

 

comme ceux qui s’en vont à la fosse commune

sans terminer la semaine, ce jeudi midi

je presse donc le pas, certes brinquebalant…

 

en bas Graulhet s’agite et Nabeillou sourit ;

que chacun se l’arrange, j’ai pris l’air aujourd’hui.


11.  – Là-haut… en bas…

 

Là-haut le vent riait comme à son habitude.

Il me chantait encore son éternel refrain,

tantôt joyeux entre les écorces des pins,

tantôt d’une noirceur des plus rêches et plus rudes…

 

mais les grandes gueules ont souvent un petit nez !

le sien est retroussé, quelques fois en trompette,

et je ne suis jamais inquiet lorsqu’il s’inquiète ;

depuis des lustres nous cohabitons en paix !

 

Dans les variations de son timbre de voix,

à petits pas, ma foi, je croquais le sentier,

non pas à la recherche de cèpes ou de fées

mais sur les traces d’une chimère de choix.

 

Hélas je ne peux être plus précis sur ma quête !

bien que je tienne en respect les superstitions,

pour l’avoir dit, je ne voudrais être marron,

ce qui serait quand même, avouez, des plus bêtes !

 

Le vent, qui connait tout, sait bien pourquoi j’arpente

la garrigue en tout sens, par toutes les saisons,

mais il garde mon secret dans ses bottillons

et nul n’en aura vent car il n’est sycophante !

 

En bas, entre les bâtisses et les jardins,

je savais que les autres allaient tête baissée

tant le poids de notre époque est lourd à porter…

et le vent qui emporte leurs rêves au lointain !

 

En bas, dans le vacarme, la vie n’est plus digeste ;

en bas, mon corps  se traîne comme une âme en peine ;

sous mon pont Mirabeau ne coule plus ma Seine

et je n’ai plus de patère où pendre ma veste !

 

Là-haut, le vent riait, comme à son habitude.

Il me chantait encore son éternel refrain,

tantôt joyeux sur l’échine des romarins,

tantôt d’une noirceur des plus rêches et plus rudes !

 

Dans les variations de son timbre de voix,

à petits pas, ma foi, je croquais le sentier,

non pas à la recherche de lièvres ou de bleuets,

mais sur les traces d’une chimère de choix.

 

Qui dois-je  prier pour qu’on entende ma voix ?


12.  – La balade autour du lac

 

Histoire de sortir le derrière du hamac

nous avions décidé de faire le tour du lac ;

les vacances ont ceci qu’elles sont abêtissantes,

aussi, prendre l’air frais et les senteurs des plantes

nous semblait être un exercice des plus sains

avant d’aller croquer le broutard au cumin !

nous marchions toujours main dans la main, d’un pas lent ;

d’un pas de juilletiste ou de convalescent !

 

Les joncs, épars, bordaient, comme de bien entendu,

les berges enracinées de la retenue

et les colverts allaient en bandes de copains

parmi les nénuphars et les touffes de plantain ;

l’eau laissait onduler ses gerçures légères

quand les oiseaux poussaient la chanson forestière

orchestrée par un pic sur un billot de bois,

et nous suivions, radieux, la rive de guingois.

 

Nous évoquions le broutard au cumin, les toasts,

puis, ne sachant par quel biais, l’aporie de Faust ;

oui, l’âme, vagabondant en de tels endroits,

amplement décalée allègue ce qu’elle perçoit,

aussi, nous respirions tant l’humus de l’esprit

que celui des fougères et des millepertuis !

il est de doux moments où tout vous appartient,

la terre et le ciel, l’amour, en un tournemain !

 

Bien. Naturellement, d’une éclipse de lumière,

(il est là métaphore), d’un buisson mellifère,

la lune et le soleil, d’un coup de cul rageur,

pieds par-dessus cap, dans l’exigence de nos cœurs

se sont frottés sur les trompettes de méduse ;

permettez de temps en temps que le corps s’amuse !

puis, pleins d’amour, nous avons repris le chemin

guidés par le fumet du broutard au cumin.

 

Quant à savoir pourquoi j’ai composé ces rimes,

sachez

que de toute anecdote la poésie se grime !


13.  – De D3 à D114

 

Je la prenais à longueur de temps cette route.

J’y buvais les voix et y croquais les parfums

d’êtres chers et de longs étés, hélas défunts.

Vous la conter m’apaise ; vous en parler me coûte.

 

C’est un ruban d’asphalte, gris, qu’un vieil artiste

avait imaginé dodelinant un brin

entre les souches de grenache, les jardins

et les arpèges en fleurs des accordéonistes.

 

Une chaussée qu’il avait crayonnée parfaite

pour que se croisent les chiens errants, les vélos,

les piétons, les voitures, les tracteurs, les tonneaux,

les troupeaux de chèvres, les pâtres et les poètes.

 

Une ganse de satin qui reliait, joyeuse,

la place d’un patelin à l’église de l’autre,

mêlant les chants de chasse et les patenôtres,

 les rêves d’interdits et les âmes songeuses.

 

Pour que tous aillent à l’ombre, le pas bienfaisant,

la chaussée traversait sa contrée paysanne

fleurie de boutons d’or, bordée de lourds platanes

sur lesquels les pies bâtissaient en jacassant…

 

quand des villages traversés, l’on percevait

des rires échappés de cognements d’outils,

et des encens d’oignon et de poulet rôti

le jour où le Seigneur laissait les femmes en paix.

 

Puis, des hommes penchés poussaient de part et d’autre

dans un décor de vignes et de rudes saisons…

comme sous les chênes poussent les champignons

et sur les stèles des églises les apôtres.

 

Je la reprends parfois cette route, assombri

par les amis au ciel et les arbres arrachés ;

certes, une route n’est faite que pour passer !

mais quand je pense comment a muté la vie,

 

je pleure et j’appelle, regrette… et puis j’écris.


14.  – L’enfant

 

Ce matin, la première bise de saison

a cinglé le tertre sans avertissement

– à l’image des hommes – pitoyablement –

sans laisser l’automne terminer sa chanson !

 

Sur la terre à nu j’avais gravé d’un bâton,

dans un splendide cœur nos prénoms enlacés,

puis dans sa rage la bise a tout emporté,

nos prénoms, le bâton, le cœur et nos frissons.

 

Le cœur se balançait au cou d’un petit chêne,

nos prénoms pleuraient sur de la bruyère en fleur

le bâton comatait dans toute sa raideur,

nos frissons frissonnaient d’une fièvre quartaine…

 

mais j’ai retrouvé l’herbe de notre nid encore

chaude de notre amour, couchée par nos ébats,

et je me suis assis sur ce ciel délicat

qui gardait en mémoire mon doucereux trésor.

 

Quand la bise a pris un peu de poil de la bête,

je suis redescendu du tertre en sifflotant

l’un de ces airs qui flottent parfois dans le vent,

nourrissant le grillon, la grive et le poète ;

 

l’homme est bel et bien un enfant, mi-dieu, mi-bête !


15.  – Soixante-dix ans en partage

 

Tant de soleils ont tout blanchi,

tant de pluies ont tout lessivées,

tant de grêlons ont rebondi

sur les lames de nos parquets,

tant de gelées ont racorni

le bout de nos souliers ferrés,

tant de boutons d’or ont fleuri

sur nos rêves d’égalité…

 

tant de progrès en peu de temps,

tant de vitesse, tant de violence,

tant d’espoirs, tant de différends,

tant de baisers, tant de démence,

tant de fêtes et tant d’absents,

tant de chardons dans la balance,

tant de pierres, tant de chiendent,

tant de sueurs et de souffrances…

 

tant de musiques sont passées,

tant d’amis lointains sont venus,

tant de fricots ont mijoté,

tant de chocolats ont fondu

et tant de verres ont tinté,

tant d’embrassades de bienvenue,

tant de nappes blanches ont flotté

comme des drapeaux de salut…

 

tant de lundis gris et cassants,

tant de souches à la rangée

tant de « boufanelles », de sarments,

tant de capelines ajustées

et tant de sourires brûlants,

tant de rouquettes à couper,

tant de raisins noirs et craquants,

tant de misère à supporter…

 

puis tant d’hivers et tant de bûches,

tant de langes épais étendus

sur de longs fils de fanfreluches,

tant de saucisse dépendue

et de pain volé à la huche,

tant de crucifix, de statues,

de laurier bénit et d’embuches,

tant de secrets dans le bahut…

 

tant de vendanges en chemisettes

tant de tombereaux attelés,

tant de biscuits et d’anisette

pour le repas sous le noyer,

tant d’anecdotes dans les assiettes,

d’abeilles dans les seaux sucrés,

tant de sécateurs, d’oreillettes

et de bonheur à partager…

 

et tant de valses pour lesquelles

nous avons couru à vélo

tant de chemins où la dentelle

coulait le long des caracos ;

au pédalier tant d’étincelles

et tant de frissons dans le dos,

non tant pour la fête charnelle

mais pour l’ivresse du tango !

 

Depuis nos jambes se sont tues,

on ne marche plus, on fait rouler,

et si notre monde exigu

de souvenirs est tapissé,

comme deux jeunes ingénus

on tue nos journées à s’aimer,

puis on sommeille confondus

en écoutant le vent chanter.


16.  – Au temps nouveau

 

Depuis quelques saisons ma ville joue les gros bras,

elle se prend pour ces hommes que pousse un vent du diable !

elle n’a plus de jugeote et c’est fort regrettable ;

au détour des ruelles elle impose sa loi ;

que fait Isabelle ?

 

le ciel ne déroule plus ses bleus veloutés,

le soleil sourit entre deux contradictions,

on doit aller sous un dictat de pollution ;

nos yeux, si hauts jadis, fixent aujourd’hui nos pieds ;

que pense Isabelle ?

 

suivant l’humeur, l’instant, les vieux amis reviennent

puis gagnent à nouveau leurs courants d’air rapides ;

tout se passe plus loin et tout devient hybride ;

soi passe encore derrière avec ses joies, ses peines ;

où est Isabelle ?

 

Isabelle patiente car Isabelle sait

que les bontés cachées demeurent immuables,

que la félicité au Coq d’Or à sa table,

que chaque jour accouche de multiples bienfaits !

Isabelle sourit !

 

et voici que peut-être les brumes s’éclaircissent…

et voici qu’on dirait que le beau temps revient…

en haut un arc en ciel des plus capitolins,

en bas des fontaines où coule une eau de mélisse !

Isabelle renaît !

 

les gens vont dans la rue sans cache-nez, sans haine,

et voici qu’à présent ils se saluent joyeux !

tous ont guéri, tous ont vaincu ces temps ombreux

et les rires côtoient les ancolies urbaines !

Isabelle rayonne !

 

Ah qu’il m’est doux d’écrire le bonheur retrouvé,

qu’il m’est plaisant de versifier le jour nouveau !

 

quels que soient la couleur et le nom du tableau,

à Isabelle avec toute mon amitié.


17.  – Besoin de paix

 

Chaque matin, à bicyclette,

elle longe les bords de Garonne ;

les rayons chromés papillonnent

et les papillons sur sa tête,

comme les lampions de la fête

brimbalent au rythme des chaconnes.

 

Sa robe flotte au vent tiédi

des marcs de café qui s’envolent

des terrasses du Capitole ;

candide elle mène son roulis

dans les parfums, les coloris,

les chorals de la métropole.

 

Puis un vol de pigeons traverse

son attention éparpillée ;

elle se recentre sur la chaussée,

et forçant un peu la vitesse

prend une venelle transverse

sous les rires du pédalier.

 

Elle serpente entre des piétons

pressés de n’avoir rien à faire

ou déjà le nez aux affaires ;

la ville est en pleine éclosion.

Puis elle accroche ses illusions

et son vélo au réverbère.

 

Chaque matin, à bicyclette,

elle boit l’air de la liberté ;

elle aime, avant de s’enfermer,

prendre la poudre d’escampette

sous le cagnard ou la tempête

puis elle va faire sa journée ;

 

sa journée.


18.  – Alphabet d’une perturbation

 

Un, le bruit de la ville avalant goulûment le hoquet des pigeons,

deux, les ballets de la pluie sur l’élasticité d’un extérieur fuligineux,

trois, le calme apparent d’un intérieur tranquille,

quatre, un chat lové dans un panier de château,

cinq, le vent jouant au cerceau dans les coursives…

et Nina, des arômes d’été sur des coussins d’automne.

 

Six, un paradis artificiel où domine le noir,

sept, un rai de soleil sur un faisceau de jour,

huit, la peau à nu du temps qui stoppe là sa course,

neuf, un univers tout neuf vernit l’immobilisme,

dix, la sueur coule sur les doigts longs de l’orage…

et Nina, des arômes d’été sur des coussins d’automne.

 

Onze, douze, treize et quatorze, la furie de la conjonction,

quinze, seize et dix-sept, le chant pantelant de l’orage qui s’exile,

dix-huit, les larmes de foudre à livre ouvert,

dix-neuf, je lis,

vingt, je pleure…

et Nina, des arômes d’été sur des coussins d’automne.

 

Vingt-et-un, le soleil lèche à nouveau les barreaux de la balustrade,

vingt-deux, la vie tape à la vitre, je n’ouvre pas,

vingt-trois, sur le livre ouvert perle un sanglot perdu,

vingt-quatre, le monde nouveau m’embrasse et disparaît,

vingt-cinq, Nina, mon rêve, court parmi les nuages…

vingt-six, l’hiver se love sur des coussins de deuil.


19.  – Mnémosyne toujours

 

Ce que femme veut, Dieu le veut ! … peut-être Hésiode !

 

De qui vint Mnémosyne ? Des entrailles d’une ode,

d’Ouranos (ciel étoilé), et de Gaia (la terre) ?

Qui l’enfanta pour nous, l’esprit ou la matière ?

 

Zeus et Clymène, pour Hygin, sans aucun doute !

 

Laissons-là ces palabres, ces clochers et ces joutes,

la voici douce et grave soutenant son menton,

la voila dans l’extase de la méditation !

 

D’âge mûr pour les uns, pour d’autres adolescente,

la lèvre dans les nues et l’œil dans la tourmente,

la coiffure enrichie de mille pierreries ;

pour Hölderlin, florale au cœur de sa Piérie !

 

Mnémosyne, reine des coteaux d’Eleuthère,

déesse de la mémoire, au docteur Vayr si chère

et l’âme du poète au soir des grands voyages

quand le Styx lève les brumes sur son rivage…

 

et la muse se presse à sa voix, à son sein,

le cronide jouit à ses nobles desseins ;

Mnémosyne encore, Mnémosyne toujours,

pour la vie, pour la mort, pour l’espoir et l’amour !


20.  – Juste besoin

 

J’ai juste besoin d’être

là-bas, auprès de toi,

d’ouvrir notre fenêtre

sur le ciel et les bois ;

où les pois de senteur,

l’été, exhaleront

le miel sous la tiédeur

d’un rougeâtre horizon ;

 

j’ai juste besoin d’être

là-bas, auprès de toi,

d’ouvrir notre fenêtre

sur un chien qui aboie

à deux cigales en scène

sur l’écorce d’un pin,

entremêlant leurs chaines

à leur joyeux festin ;

 

j’ai juste besoin d’être

là-bas, auprès de toi,

d’ouvrir notre fenêtre

sur les rires et la joie,

à l’éternelle saison

où le coquelicot

enlace le liseron

sur les cuisses du coteau ;

 

j’ai juste besoin d’être

là-bas, auprès de toi,

de fermer la fenêtre

et remonter les draps

sur ton corps groggy par

le vent de tes collines

et le discours piaillard

du geai des santolines ;

 

j’ai juste besoin d’être

là-bas, auprès de toi,

de fermer la fenêtre

sur l’âtre qui flamboie

sous des musiques vives

de tangos argentins,

jusqu’aux heures tardives

où se lève la nonnain ;

 

j’ai juste besoin d’être

là-bas, auprès de toi,

de fermer la fenêtre

ma bouche sur tes doigts

et mes mots dans tes mots

en un regard complice

et cingler aussitôt

vers les eaux du délice ;

 

j’ai juste besoin d’être

là-bas, auprès de toi.


21.  – La grande Clémence de Dieu

 

Je m’attendais à voir une maîtresse femme

qui gouvernait tout ça d’une poigne de fer,

un peu comme la Merkel, la Lepen, la Thatcher ;

une âme qui pète autant le feu que les flammes !

 

Je m’attendais, c’est vrai, à voir une matrone,

– ces êtres autoritaires que tout le monde craint –

une sacro-sainte parmi les sacro-saints…

mais ne trouvais, déçu, qu’une vielle bobonne !

 

Echevelée, livide au milieu des tempêtes 1,

un seau à une main, la serpillère dans l’autre,

courbée elle pompait des cercles asymptotes

d’eau bénite, en reniflant son soûl, la pauvrette.

 

Suis-je arrivé aux cieux une nuit de mouscaille ?

En tout cas la Clémence changée en Cendrillon

briquait le sol céleste, à genou, en haillons ;

comme au monastère les bleus de la moinaille !

 

Je pensais cependant que la femme du boss

occuperait un doux intérieur à l’écart

des bureaux de l’usine et rempli d’œuvres d’art,

avec trois cent fenêtres ouvrant sur le cosmos…

 

et qu’elle me recevrait, artiste de naissance,

des bagues plein les doigts, un Cognac à la main,

vantant les poèmes d’Homère… et les miens…

et me clamant de tête une poignée de stances…

 

que nenni ! force est de constater que ces gens

(le démiurge, la Clémence et leur millier d’enfants)

sont de simples gens, sans tralala, sans accent,

juste faits de grâce et de paix, d’envolement !

 

Rempli d’idées reçues comme bien des humains,

pensant qu’au Paradis, comme à l’UMP,

je  trouverais le staff cravaté, parfumé,

je tombais sur le cul ; ni cour ni souverain !

 

Je m’éveillais bien sûr au petit matin quand

les anges et les mésanges chantent sur le sureau ;

Clémence et Dieu, peut-être, pansaient leurs agneaux,

ma tête rêvait d’éden, mon ventre de croissants ;

 

j’enfilais mes frusques heureux d’être vivant

et beurrais mes viennoiseries en souriant.

 

1 « Echevelé livide… » : La conscience. Poème de Victor HUGO.

22.  – complainte cigalienne

 

Je n’ai pas entendu la première cigale

de l’année striduler sur l’écorce d’un pin,

les bourdons guincher sur les fleurs des romarins ;

je n’ai ouï les cloches des chaudes Lupercales,

 

ni le chant des vagues sur l’échine des brisants,

ni le rire insouciant des jolies estivantes

qui offrent à la mer leur croupe débordante,

ni les babines aboyeuses des cerfs-volants ;

 

pas encore perçu les premières vapeurs

de la vieille loco, qui, noble pétroleuse

vient moucheter l’été de sa toux généreuse,

ni le choral des blés dans toute leur blondeur ;

 

je n’ai pas entendu le rire des enfants

qui vont aux balançoires se tenant par la main,

ni les cloches, carillonnant dans le lointain,

annonçant l’union de deux êtres triomphants ;

 

ni trop perçu le bruit des couverts en terrasse

tant cette année le printemps nous fait espérer,

ni le chant des hirondelles en ce premier mai…

mais ouï à la manif tout un cheptel d’hommasses

 

qui se soucient plus du mariage pour tous

que du pain que nombreux doivent abandonner,

du quinquagénaire nouvellement licencié,

de l’envolée lyrique des taxes et des burnous !

 

Entendez-vous les cris de celle qu’on violente ?

Comment fermer l’oreille aux micmacs orchestrés

de l’artiste, du politique et du curé…

et le râle de celui qui meurt de mort lente ?

 

J’ai coupé la radio, j’ai éteint la télé,

j’ai quitté la joyeuse manif écœuré,

je ne sais pourquoi tant d’hommes marchent à côté

de leurs pompes et se trompent de lutte à mener…

 

si seulement la première cigale chantait

l’Internationale ou le Chant des Partisans,

dans les vignes ou le petit bois de Saint-Amand,

croyez-vous que le peuple cigalien suivrait ?


23.  – Dis, grand-père… –

 

Que penserais-tu de l’admirable merdier

si tu étais, grand-père, toujours à nos côtés,

si tu pouvais de tes Corbières Occidentales

nous siffler les refrains des grèves générales ?

Comment appréhenderais-tu le grand foutoir ?

Dans cet immense bordel, aurais-tu l’espoir

de retrouver enfin quelque saison clémente

où l’homme jouirait de concorde et d’entente,

où l’enfant réapprendrait de son banc d’école

à ne plus adhérer aux idées “Picrocholes“ ?

Quels seraient tes mots pour aiguillonner la foule

qui va de dos ronds en étranges culs-de-poules ?

Et comment analyserais-tu le progrès ?

Et que penserais-tu des vagues d’émigrés ?

Comment verrais-tu les hommes qui nous gouvernent

et de quelle grosseur verrais-tu nos gibernes ?

Comment t’y prendrais-tu pour sauver la nature

et pour foutre le feu aux bureaux de questure ?

Comment offrirais-tu la joie aux portefaix ;

dis, grand-père, comment graverais-tu la paix ?

Dis, grand-père, comment stopperais-tu la pluie,

l’égoïsme, la haine, l’ignorance et l’ennui,

et la peur et l’angoisse de périr à feu doux ?

Et comment écarterais-tu les gabelous ?

Que dirais-tu à ceux qui meurent de solitude,

à celui qui vit parce que toujours il exsude,

à la femme qui doit aller tête couverte,

qui n’a pour seule voie que celle de sa perte ?

Et quels maux réserverais-tu aux chefaillons

qui harcellent sans cesse des troupeaux de moutons ?

Dis, comment tordrais-tu le cou à l’injustice,

à la souffrance, au vice, à la fausse justice ?

 

Mille pardons grand-père de t’avoir réveillé,

toi qui connus la guerre et le ciel bleu d’été…

n’ayant sur terre personne qui me comprenne

je me suis permis de toquer à tes persiennes ;

s’il est quelqu’un là-haut qui connaît le chemin,

mettez-vous en route il faut façonner demain !


24.  – Le doute affreux

 

Nitrates, paracétamols,

perturbateurs endocriniens,

pesticides, séléniums,

bactéries, radioactivité…

 

«- chéri, prenez un verre d’eau du robinet ! »

 

bactérie Eschérichia coli,

antibiotiques, salmonelles,

dioxines, activateurs de croissance,

biocides, métaux lourds…

 

« – chéri, laissez-vous tenter par un succulent steak haché ! »

 

fongicides, herbicides,

nématicides, insecticides,

désherbants, phosphates,

xénobiotiques, tensioactifs…

 

« – chéri, consommez-vous vos cinq fruits et légumes au quotidien ? »

 

méthylmercure, dioxine,

polychlorobiphényles,

cadmium, plomb,

arsenic, organo-étains…

 

« – Chéri, que diriez-vous d’un poisson pour varier le menu ? »

 

particules, ozone,

oxydes d’azote,

dioxine de soufre,

ammoniac, benzène…

 

« – chéri, prenez donc un grand bol d’air frais ! »

 

Syphilis, condylome,

blennorragies, Chlamydia trachomatis,

mycoses, herpès, sida,

lymphogranulomatose vénérienne rectale…

 

« – chéri, le sexe est excellent pour le moral ! »

 

«  – Voyez-vous, amis, parfois je me demande si l’amour que me voue cette femme est des plus sincères… »


25.  – Une drôle de leçon

 

De montées de rouquettes en poussées de bourgeons,

de coulées de sève en nouvelles maturités,

de printemps en hivers, de labours en engrais,

du plus vert de la souche au plus noir du sillon

je traîne les démons de leurs facturations !

 

Depuis trois décennies tout est allé à feu,

à sang, à contresens et à rebrousse-poil !

plus de péniche ne glisse sur le canal !

à la Saint-Jean interdiction de faire du feu…

et les femmes du pays ont les larmes aux yeux !

 

Même les souvenirs semblent règlementés,

comme aujourd’hui l’alcool, et l’idée, et le vent !

tout est sous contrôle, impôts et truchements !

même l’argent dans le fond du porte-monnaie

et le sale temps qui dure encore cette année !

 

Les boutons-d’or n’ont plus de sucre et de senteur,

dans les caves on ne pend plus les mêmes outils,

les ceps ont même des allures de piloris,

la terre qu’on remue n’a même plus d’odeur

et l’on ne sait plus où sont les vieux sécateurs !

 

Assis sur le coteau, je contemple la plaine,

je m’emmerde, je pleure, ne reconnais plus rien ;

je crois qu’ils ont gagné, à présent c’est la fin !

je suis impuissant, sans pied, sans bras et sans haine

alors qu’ils manigancent en leurs soirées mondaines !

 

Eau, gaz, électricité… envolée sauvage !

crise, décadence, ou vol organisé ?

les salades, le lait, les patates et le blé…

et le béton aux quatre coins du paysage !

faut-il choisir la corde ou le train de passage ?

 

Et la violence encore, et l’agressivité,

et les jardins qu’on borde aujourd’hui de piquants !

mais vous aviez besoin de nous en d’autres temps !

l’hirondelle niche sous les toits éventrés ;

à quoi bon le servage dont vous nous infligez ?

 

De montées de rouquettes en poussées de bourgeons,

de coulées de sève en nouvelles maturités,

de printemps en hivers, de labours en engrais,

du plus vert de la souche au plus noir du sillon,

le “petit“ doit périr ; quelle drôle de leçon !


26.  – La caissière du supermarché

 

« Bonjour Madame… au revoir Monsieur… »

 

Es-tu celle qu’on croit, es-tu celle qu’on voit ;

es-tu celle sans âme, au sourire automate,

qui zippe, impassible, les grappes de tomates,

le champagne et les grandes boîtes de petits-pois ?

 

« Bonjour Madame… au revoir Monsieur… »

 

Es-tu la transparente que certains ne saluent,

le bigo à l’oreille, le nez dans leur panier ;

que d’autres, parfois, se plaisent à engueuler

parce qu’elle a mal saisi le prix de la laitue ?

 

« Bonjour Madame… au revoir Monsieur… »

 

Es-tu la sous-fifre du patron, du client,

d’un temps où bosser paraît être une pléthore,

de ceux avec qui par défaut tu collabores ;

le sous-ordre d’un système trop arrogant ?

 

« Bonjour Madame… au revoir Monsieur… »

 

Es-tu celle à qui, malgré l’horaire piquant,

on demande de taire tes intimes pensées ;

celle qui ne doit « être », mais seulement zipper

sans la moindre erreur de caisse et plaire au chaland ?

 

« Bonjour Madame… au revoir Monsieur… »

 

… ou es-tu cette femme aux rêves exubérants

d’un monde haut en couleurs, de fieffée liberté,

ou ce petit être aux dadas bien ordonnés

qui jamais ne pend son linge les jours de vent ?

 

Heureux qui passe à ta caisse deux mots gentils

et poursuit son chemin un sourire à la lèvre ;

– tant d’âmes sont ronchonnes, familières ou mièvres –

 

heureux qui pend un peu de respect au caddie !


27.  – Vague à l’âme

 

Puisqu’il fait gris, je poétise ;

je n’ai pas le cœur à la fête,

– gris dehors et gris dans ma tête –

mais n’irai jusqu’à l’épithète

qui anéantit, démoralise !

 

juste un coup de blues passager ;

il pleuvra toute la semaine

et vous devriez voir la dégaine

des passantes – bonnets mitaines –

qui se hâtent sur la chaussée !

 

un coup d’hiver supplémentaire,

un peu de froid sur les muguets,

sur la société délabrée,

les géraniums et mes pensées,

les chômeurs et les poitrinaires !

 

J’avais prévu d’aller roder

dans les forêts ou sur la plage,

– être foie-gras plus que potage –

changer un peu de paysage ;

j’avais envie de m’évader !

 

et si j’allais à parapluie,

à godillots et à foulard,

le pas léger, l’esprit peinard

par les traverses du hasard

cueillir un coin de ciel bleui ?

 

mais voici que la pluie revient

à grande gueule, en rangs serrés ;

si je ne peux me promener

je vais donc me déshabiller,

me pieuter et fumer un joint !

 

la messe est dite ; Amen !


28.  – Devant – derrière

 

Creuse est la nature pour qui va l’âme en peine ; fade !

ni légers ni pesants, les cieux sont invisibles !

ni fatiguant ni euphorisant, le vent est sans effet ;

sans appel la condamnation des cieux !

interlocuteurs sans visage du vide absolu ;

machinal est le pas et vague le regard ;

la colère pointe au nez ;

les cheveux en sueur ;

les maux en prières ricochent dans l’immensité ;

la fournaise s’emballe et la voix évacue ;

le pas lourd se fait lent ;

arrêt de la bête humaine !

 

réflexion !

 

qui, quoi, pourquoi ?

espère à présent !

repars, reviens, revis !

joue le jeu, le faux-semblant, le clair-obscur !

combien de temps ?

qui sait… renais,

 poursuis vaille que vaille !

devant c’est le printemps ;

beau temps !

derrière c’est l’enfer,

l’empreinte à Lucifer…

 

amer !


29.  – Les entrelacs d’Enfer

 

Eliane essaie d’ouvrir l’antre cadenassé

du monde de l’emploi ; un repaire secret

où montrer patte blanche ne suffit même plus !

où la porte est tapissée de CV moussus ;

 

une porte cachée par des feuillages obscurs

derrière lesquels s’imbriquent de larges murs ;

je dirais qu’ils sont là les entrelacs d’Enfer ;

un labyrinthe dont Dédale serait fier !

 

Puisque la porte  épaisse demeure infranchissable

Eliane sonde quelque brèche plus probable ;

pourvu qu’elle ne se perde en ce cosmos abscons

et qu’un soleil nouveau vienne à maturation !

 

C’est pour moi qu’elle crochète les verrous de l’insane,

pour que mes jours ne s’affichent en filigrane ;

quelle époque maudite où l’on mure ces voies

où l’on cueillait le vent et les fleurs autrefois !

 

Mais croyons aux signes ; en mes nuits noires Elpis

m’apporte en riant des brassées de myosotis ;

que la rosée toujours qui les fane au matin

ne soit que la couleur d’un fugace chagrin !


30.  – Une aube ordinaire fin quatorze

 

Sept heures du mat, les chouettes

de becs en culs sur la rocade

se mêlent, œil blanc et mine fade,

de la gomina sur la crête ;

 

elles ne vont au nid, elles en sortent !

faut fourrager vers et souris…

la vie est dure ces temps-ci,

les rocades longues et tortes !

 

Elles se suivent et se dépassent,

elles se klaxonnent et s’ignorent,

s’agglutinent puis s’évaporent…

et de lourds nuages s’amoncèlent !

 

Il n’est plus de loi, de raison

quand elles vont tous phares allumés ;

la chasse a ses priorités,

ses codes et ses oraisons !

 

Je suis prisonnier de la file,

des yeux brillent de tous côtés ;

me suis-je laissé enfermer

pour le feu d’une noire idylle ?

 

Suis-je la bête, suis-je l’humain,

suis-je l’oiseau, suis-je la proie ?

à sept heures on ne pense pas,

l’automatique a pris la main !

 

Puis le trafic devient moins dense,

le jour semble ouvrir l’œil enfin,

la bête rogne son coupe-faim ;

pour l’humain qui en a la chance,

heureux, lui boit sa décadence ;

nous sommes fin quatorze, en France.

 

Sept heures du mat, les chouettes

de becs en culs sur la rocade,

de Saint-Jean à Sainte-Livrade

vont… sans voir venir la tempête.


31.  – Le poète grognon

 

Elle voudrait un poème frais

qui parle des oiseaux, des fleurs ;

elle m’emmerde, je n’ai pas le cœur

à aller chiader la saulaie !

 

Il faudrait être romantique

du printemps à la Saint-Sylvestre,

aimant comme la brave Hypermnestre,

et toujours l’âme bucolique !

 

Elle voudrait un poème frais

quand Claire Chazal nous inonde

des pires atrocités du monde

et des tribulations des gays !

 

Je devrais, certes, pour l’agréer,

 lui brosser la douce clochette

du muguet, ou bien la fauvette

zinzinulant sur les pommiers,

 

ou bien l’ondine, un brin folâtre,

qui vient chatouiller le cresson,

ou les troglodytes mignons

sur les frênes venant s’ébattre !

 

Mais je n’ai cure de versifier

le rose et le bleu qui se mêlent

et les soupirs des damoiselles

que la rosée fait chanceler !

 

Je n’ai pas envie de tremper

la plume à l’encre romantique,

tant que Claire, machiavélique,

nous campe ainsi la société !

 

Elle m’emmerde et puis c’est tout ;

elle n’aura pas un mot de moi !

d’ailleurs, c’est l’heure du muscat,

des potes et de la soupe au chou ;

 

allez, zou !


32.  – Parastase 1 obligée

 

      Madame, mon Colonel, lors de la commémoration du onze novembre vous arguiez à la télévision, et à juste titre, que ces jeunes Poilus, hommes braves et courageux, ont perdu leur jeunesse en combattant pour notre pays. Permettez-moi de rajouter : fauchés dans leurs années de gloire par un conflit « d’intérêts » qui ne les concernait guère et au nom duquel ils furent tout simplement sacrifiés ; une espèce d’offrande au dieu INTERET, renouvelable à souhait, digne des grands moments notre histoire ancienne !

   Je ne peux, dès lors, m’empêcher d’élever aujourd’hui, en pensée, accolés aux monuments aux morts physiques, d’autres monuments à la gloire de notre jeunesse actuelle, dont personne ne veut, décédée psychologiquement, fauchée dans ses années de gloire par un conflit « d’intérêts » qui ne la concerne guère et au nom duquel elle est tout simplement sacrifiée ; une nouvelle offrande aux dieux INTERET et PROFIT, digne des grands moments de notre histoire ancienne !

  Madame, mon Colonel, lors de la commémoration du onze novembre vous arguiez, à la télévision, et à juste titre, que ces jeunes Poilus, hommes braves et courageux, ont perdu leur visage en combattant pour notre pays. Permettez-moi de rajouter : fauchés dans leurs années de gloire par un conflit « d’intérêts » qui ne les concernait guère et au nom duquel ils furent tout simplement sacrifiés ; une espèce d’offrande au dieu INTERET, renouvelable à souhait, digne des grands moments notre histoire ancienne !

   Je ne peux, dès lors, m’empêcher d’élever aujourd’hui, en pensée, accolés aux monuments aux morts physiques, d’autres monuments à la gloire de nos seniors actuels, décédés psychologiquement à la suite de licenciements économiques abusifs, fauchés dans leurs années de gloire par un conflit « d’intérêts » qui ne les concerne guère et au nom duquel ils sont tout simplement sacrifiés ; une nouvelle offrande aux dieux INTERET et PROFIT digne des grands moments de notre histoire ancienne !

  Madame, mon Colonel, lors de la commémoration du onze novembre vous arguiez, à la télévision, et à juste titre, que ces jeunes Poilus, hommes braves et courageux, ont perdu leur raison en combattant pour notre pays. Permettez-moi de rajouter : fauchés dans leurs années de gloire par un conflit « d’intérêts » qui ne les concernait guère et au nom duquel ils furent tout simplement sacrifiés ; une espèce d’offrande au dieu INTERET, renouvelable à souhait, digne des grands moments notre histoire ancienne !

  Je ne peux, dès lors, m’empêcher d’élever aujourd’hui, en pensée, accolés aux monuments aux morts physiques, d’autres monuments à la gloire de nos retraités actuels, décédés psychologiquement, fauchés dans leurs années de gloire par un conflit « d’intérêts » qui ne les concerne guère et au nom duquel ils sont tout simplement sacrifiés ; une nouvelle offrande aux dieux INTERET et PROFIT digne des grands moments de notre histoire ancienne !

  Je ne souhaite lister ici ces maux indélébiles qui poignardent quotidiennement l’âme de nos concitoyens. Je ne souhaite que l’on érige pour eux quelques monuments ou que l’on hisse pour eux quelque drapeau. Ce que je souhaite ardemment, c’est que des solutions soient apportées avant qu’il ne soit trop tard ; et les solutions existent.

  Il ne me semble nullement nécessaire d’argumenter sur les métaphores « ont perdu leur jeunesse », « ont perdu leur visage » et « ont perdu leur raison », car tous saisiront ici aisément le sens propre et le sens figuré de mon propos.

   Pour illustrer cette fâcheuse chronicité qu’ont nos gouvernants à utiliser les forces vives d’un pays comme offrande au dieu « Enrichissement », pardonnez-moi d’avoir usé de la parastase pour écrire cette pensée, mais elle me semble être la syntaxe la plus adéquate !

 

1 Parastase : duplication de phrases qui reprennent la même pensée.

33.  – Le raisin et le ciste –

 

Je la pendrai là-haut, pour la dernière fois,

ma veste, à un crochet planté entre deux pierres,

entre le fenestron 1 et l’ardent poêle à bois ;

là-haut, sous les tuiles épaisses de ma palombière…

 

un endroit où les ramiers se posent sans peur

du fusil, du chasseur ou du chat de gouttière !

un terre-plein sans guerre où poussent à la lueur

de la lune l’amour et les roses trémières !

 

Sur des croûtons aillés, au fond de la soupière

quelques rimes al dente attendront patiemment

de poser le cul sur la table monastère

et de jacasser sur un bout de papier blanc…

 

mais ce soir-là, après avoir pendu la veste,

après avoir roulé près des braises du poêle

du tabac et lu la une du Manifeste,

sur le toit viendra se poser une autre étoile.

 

Le vent se lèvera, les arbres frémiront,

un courant-d‘air froid passera par la serrure ;

ce sera l’heure de ma dernière chanson

et je partirai loin sans cheval ni voiture.

 

Mais j’avoue, doux amis, ne pas être pressé ;

ma palombière a besoin de quelques travaux

et je ne puis partir vers des cieux enchantés

sans avoir usé de la scie et du pinceau !

 

Vous viendrez un jour, là-haut, me rendre visite

et tout en flânant près des aubépines en fleurs

vous comprendrez pourquoi le raisin et le ciste

depuis la nuit des temps sont mes porte-bonheur.

 

1 Fenestron : de l’occitan, signifiant petite fenêtre.

34.  – Sur les pas de la maîtresse femme

 

Comme le faisaient, jadis, en terre Occitane,

ceux qui à demi nus allaient à contre-jour,

il ne me reste plus qu’à attendre le jour

où viendra me quérir cette maîtresse femme,

 

entoilée, encapuchonnée d’un noir soyeux,

que l’on suit sans un mot à travers la colline,

pieds nus, sans sentir la ronce et la sauvagine ;

la suivre jusqu’à croiser enfin le Bon-Dieu…

 

parcourant l’ultime garrigue sans effort,

sans entendre, plus bas, les clameurs de la ville,

soulagé de fardeaux, libéré d’inutile,

de joies artificielles, de pleurs, de corridors !

 

Maîtresse femme dont la faux luit sur l’épaule ;

que m’importe puisque tous mes soleils ont fui,

puisque mes chevaux ont quitté mes écuries,

que de la cave au grenier tout n’est que vérole !

 

Je vous laisse mes ruines, vous qui n’avez jamais

levé le petit doigt, fait brûler de l’encens,

essayé une fois d’abonder en mon sens ;

vous qui allez sans voir et qui marchez en biais !

 

N’ayez même plus de souvenir à mon nom !

je n’ai jamais vécu, ne vous ai pas connus ;

exception faite des braves, bien entendu,

que mon âme salue sous leurs vieux bourgerons !

 

Je la suivrai, docile, à travers la colline,

peut-être une larme à l’œil en passant ces thyms

que je mis à la bouche comme un texte au lutrin ;

respirant au dernier pin la térébenthine !

 

Je la suivrai, ému, au son du dernier vent,

à la couleur du dernier éclair de saison,

puis j’attendrai, sagement, à califourchon

sur la branche la plus haute d’un flamboyant

 

la venue de la fleur aux parfums apaisants,

et nous profiterons, libres, de chaque instant !


35.  – Visite inattendue

 

Mercredi soir, après dîner, j’avais jeté

mon corps, un crayon noir, deux feuilles de papier,

(il en est ainsi quand je sens naître la fibre)

une idée assez folle et un brin de temps libre

sur les velours anthracite du canapé.

 

J’enfilais des perles à mes colliers de quatrains,

plutôt humoristiques d’ailleurs, quand soudain

d’un pommeau de canne on vint toquer à la porte.

Soupirant à l’idée que l’affaire était morte,

je posais là l’histoire, les rimes et le sous-main…

 

croyez qu’être coupé en pleine inspiration

vous file les abeilles autant que le bourdon !

Le pommeau de la canne toquait à nouveau.

J’ouvris. Comme l’eau de pluie versait du chéneau,

je fis vite entrer mon hôte  dans le salon !

 

La coule et la cuculle noires comme chagrin,

les spartiates… je crus voir un bénédictin…

un moine égaré sous cette averse battante !

que nenni, la faucheuse, la vieille diligente

venait bien me quérir en plein alexandrin !

 

Percevant sous sa capuche son teint blafard,

comme il se doit j’ouvris grand les portes du bar

et lui versais, comme il se fait en Amérique,

un scotch sur de la glace, alcool emblématique…

chez nous accompagné de fritons de canard !

 

Comprenant que je dus terminer l’épigramme

avant de m’en remettre à elle corps et âme,

posant dans le fond d’un fauteuil club son derrière

elle m’accorda une demi-heure supplémentaire.

Elle prit le remontant, je repris le cinname.

 

Voyant qu’elle prenait goût au scotch et au musqué

et qu’elle rêvait d’un autre verre dans le nez,

pour satisfaire les douces envies de la vieille,

brave comme le pain, je lui offris la bouteille

et forcément la vieille finit par s’ivrogner !

 

Puis elle se mit à rire si fort dans sa barbiche

qu’elle stoppa les muses courant sur l’hémistiche ;

je crus alors que mon heure était arrivée !

que nenni, la vieille, hilare, alors s’est levée

et titubant s’en est allée ; noire godiche !

 

L’écho me ramena que nous étions amis

et qu’elle reviendrait dans quelques décennies

voir si mon épigramme est enfin terminée.

Il va de soi que j’aurai du scotch, du musqué,

un poème sur le feu, de la glace pilée…

 

et mes textes garnis de lapsus-calami !