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« Candèla de Pluèjo » troubadour de légende. 2000

PRIX SPECIAL DU JURY

 Concours de la Société des Poètes et Artistes de France Languedoc – section recueil – 2000.


Aux peuples opprimés ;

parce qu’une poignée d’hommes fortement cautionnée peut toujours, des jardins de Paris à l’autre bout du monde, disposer à sa guise du droit de vie et du droit de mort.


Le mot de l’auteur

 

  Si « Candèla de Pluèja » n’a jamais vécu ailleurs que dans mon esprit, j’éprouvais depuis fort longtemps, par le biais de son existence imaginaire, le désir de relater en rimes les événements de la croisade contre les Albigeois.

  Peut-être parce que cette période de haines, de persécutions et de massacres est toujours omniprésente en chacune de nos villes, chacun de nos villages, chacun de nos lieux-dits du Midi, en chaque recoin de garrigue, en chaque clairière, en chaque âme, en chaque esprit !

  Peut-être parce que de nouvelles périodes de haines, de persécutions et de massacres nous viennent régulièrement… mais surtout parce qu’à l’aube du siècle nouveau l’expérience n’a pas servi !

  Si aujourd’hui les quatre coins du monde sont à feu et à sang, en 1209 ce même feu prenait en Languedoc. La croisade dura quinze ans. Quelques volutes de fumée s’envolent encore des entrailles d’Occitanie.

 

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  S’il retrace dans un souci d’exactitude certaines scènes de l’histoire du Languedoc tel qu’historiens les ont officialisées, cet ouvrage n’est en aucune manière à vocation historique. Evoquant la période de la Croisade contre les Albigeois il est un recueil de récits poétiques mêlant les faits historiques aux libertés du roman.

 

Sources :      « La croisade contre les albigeois 1209 – 1249 »
Pierre BELPERRON  (Paru à la Librairie Académique Perrin 1983).

Le parcours de Candèla de Pluèjo

 

       Bernat, de son véritable nom, naquit le 25 novembre 1186 dans l’une de ces masures de bois et de torchis accolées à la muraille nord-ouest du château de Termes. Termes, en Languedoc, était alors une place forte de l’une des quatre vicomtés Trencavel (Albi, Béziers, Carcassonne, Razès); celle de Carcassonne. Le bourg était dénommé : « Les Mattes ».

  Son père, Jean « des Mattes », était bûcheron. Sa mère, Jacotte, aidait dans sa tâche Pierre Marti l’intendant du château. Tous trois servaient les seigneurs Guillaume et Olivier de Termes, maîtres du lieu.

  Très tôt son éducation fut confiée à l’abbé Raynaud de Lauquet, de l’Abbaye de Lagrasse, auprès duquel il apprit, entre autres, la rhétorique, la musique… et l’art du braconnage. Il fut un élève très consciencieux. Plus tard, l’habileté qu’il vouera aux « sciences amoureuses » sera l’une des grandes fiertés de son maître, quelque peu volage… si l’on en croit les on-dit du moment.

  Quoi qu’il en fut Raynaud de Lauquet l’emmenait dans tous ses déplacements : du Termenès au Razès, du Razès au Carcassès et du Carcassès à la mer. Dès leur retour, doté d’une grande éloquence, à la lueur d’une chandelle Bernat régalait les siens des récits de ses voyages. Les jours de pluie il passait de longs moments avec ses amis et leur contait la vie des gens « d’ailleurs ». C’est ainsi qu’il prit de « ceux de Termes », qui n’avaient pour horizon que les forêts environnantes, le surnom de « Candèla de Pluèja », en occitan, « Chandelle de Pluie » en français.

  Ô combien mérita-t-il cet honneur !

  Ce surnom de « Candèla de Pluèja » devait résonner de Termes en Italie, d’Aragon en Aquitaine, et sous les pavillons des plus beaux navires retentirait entres Corbières et Orient, entre les Mattes et la liberté.

 

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Le 15 août 1203 les seigneurs Guillaume et Olivier donnèrent un grand festin pour fêter la fin des moissons.

  La ripaille était de coutume à Termes au moins quatre fois l’an et regroupait dans le château toute la population des Mattes avec qui leurs seigneurs entretenaient des rapports privilégiés.

  A leur table bon nombre d’invités de marque. Ce jour-là, parmi les Dames se trouvaient Anne de Ribaute, Bertrande de Minerve, Brunissande de Cabaret, Alix de Montréal et Jehanne de Montlaur qui n’avait d’yeux que pour Candèla maintenant âgé de dix-sept années. Jehanne en avait vingt… et son mari, Rogier de Montlaur, quarante-neuf.

  Raymond-Roger de Trencavel, Bertrand de Saissac, Pierre-Roger de Cabaret et Rogier de Montlaur partageaient la table des seigneurs. Ripaillaient avec eux un moine nommé Boson, l’abbé de Saint-Hilaire, Bertrand de Podio, abbé de Saint-Papoul, reconnu cathare, l’Abbé de Saint-Michel de Lanès, ami des hérétiques, et le chapelain de Rieux-en-Val qui avait commis le péché de chair avec la fille du seigneur des Escarcoffes.

  Dans la salle, tour à tour, les troubadours Albaret de Sisteron, Lo Mongé de Montaudon, Raymond de Mireval, Peire Vidal de Tolosa et naturellement Candèla de Pluèja, grandement apprécié, vinrent égayer la soirée.

  Nina Sanch, le célèbre montreur d’ours était de la partie, tout comme une bande de jongleurs nains menée par le grand Pistolèta.

 

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  A l’automne de cette même année 1203 Candelo de Pluèja prit les sentiers de l’aventure et demeura quelques jours chez Rogier et Jehanne de Montlaur où il fit la connaissance de Guillemette de Requi, sœur de Rogier. De Montlaur il passa par Carcassonne, voyagea longuement dans les quatre vicomtés Trencavel et entama le printemps 1204 à la cour de Raymond VI de Toulouse.

  Il y passa l’été puis prit la direction de l’Aragon. Après une courte halte dans le château de Roger-Bernard, seigneur de Foix, il rejoignit la cour de Pierre II d’Aragon vers la fin de l’automne.

  Il y fut reçu d’une manière fort plaisante, sa réputation de fin troubadour l’ayant quelque peu précédée.

  Il se lia d’amitié avec Marie de Montpellier, l’épouse du roi, qui fut conquise par la manière dont Candèla exerçait l’art du trobar. Le trobar fut un mode d’expression lyrique, fondamentalement laïque, qui choisissait comme thème essentiel l’amour humain.

  Marie de Montpellier le garda à ses côtés le plus longtemps possible et si elle ne fut sa maîtresse, elle fut de toute évidence une domna comblée.

  Si la domna paraissait être la muse du troubadour, elle était en réalité bien plus que cela. Celui-ci l’appelait « mi dons », mon seigneur, marquant ainsi la supériorité et la toute-puissance qu’il lui reconnaissait. Il attendait d’elle le meilleur et le pire, tout entier soumis à son pouvoir. Pour l’honneur que le troubadour rendait à la domna, le mari de celle-ci (bien souvent le seigneur des lieux), lui offrait le gite et le couvert, une bourse de pièces d’argent, et dans le cas où l’art du trobar était porté à son paroxysme cela pouvait aller jusqu’à des vêtements de luxe et même un cheval !

  A la cour de Pierre II Candèla eut l’immense plaisir de rencontrer Peire Cardenal et Aimeric de Perguilhan, tous deux troubadours.

  Il quitta l’Aragon après le 15 septembre de l’an 1204 et revint à Montlaur où Jehanne l’espérait impatiemment depuis le décès de Rogier, son époux, le 26 juin.

  Guillemette fut incontestablement sa maîtresse mais l’amour qu’il éprouvait pour Jehanne en fit sa nouvelle domna ; si bien qu’il resta au domaine jusqu’à la mi-août 1205.

  Le Bon Dieu le rappelant auprès de lui, en ce 13 août 1205 l’abbé Raynaud de Lauquet partit pour d’autres cieux. Pour pleurer son maître Bernat des Mattes passa quelques semaines entre les murs du château de Termes.

  Aux alentours du 26 septembre il quitta Termes pour Montpellier. Rappelons ici que les troubadours se déplaçaient sans cesse pour exercer leur art. Malgré l’amour qu’ils vouaient à leurs domnas ils ne restaient à leurs côtés que quelques semaines, quelques mois tout au plus !

  On ne sait hélas qui fut sa nouvelle domna mais de toute évidence son « protecteur », ainsi qualifiait-on le mari de la domna, fut un homme extrêmement généreux. Candèla quitta la cité au mois de janvier 1206 sur la croupe d’un magnifique cheval qui remplaçait maintenant son vieux canasson, une bourse de sous sonnants et trébuchants pendue à la taille, une cape terre de Sienne sur le dos, taillée dans les plus beaux tissus d’orient, et une pièce d’or des plus scintillantes pendait à son cou.

  Il gagna Agde d’où il embarqua pour l’Italie sur le bateau d’un marchand qui partait en Turquie.

  La dernière escale de Candèla de Pluèja fut à Rome. Des états pontificaux il rejoignit la Lombardie où il exerça l’art du trobar dans le marquisat de Montferrat. Une fois de plus notre troubadour fit une forte impression et la cour de Boniface de Montferrat le récompensa à sa juste valeur.

 Boniface de Montferrat fut appelé à de hautes fonctions pendant la quatrième croisade et reçut le royaume de Salonique où il mourut en 1207 en combattant les Bulgares.

 Auprès de ce grand seigneur Candèla fit la connaissance d’Elias Carel, célèbre troubadour périgourdin, et devinrent d’excellents amis.

  Il revint en Languedoc au printemps 1207. Là, c’est chez la douce Alix de Montréal que l’on retrouvera sa trace et ce dut être en avril puisqu’il fut présent à l’une des célèbres joutes oratoires qui opposaient les cathares aux Chrétiens.

 Ces grandes joutes oratoires du mois d’avril opposaient, à Montréal, les missionnaires de Saint Dominique aux cathares Pons Jourdain, Arnaud Otthon, Benoît de Termes, diacre cathare de Carcassonne et futur évêque du Razès, et Guilhabert de Castres évêque cathare de Toulouse.

  Quelques jours après, Candèla assista, dans l’église de Fanjeaux, à « l’épreuve du feu » ; feu dans lequel furent jetés le parchemin catholique et le parchemin cathare. Celui des cathares se consuma doucement tandis que celui de Saint Dominique sauta des flammes et par trois fois alla brûler l’une des poutres du plafond, à six mètres de haut, sans jamais se consumer… que chacun voit le Midi à sa porte !

  Le 14 janvier 1208, Pierre de Castelnau, légat du pape Innocent III, sera assassiné, en Provence, sur les terres de Raymond VI de Toulouse.

  Ce sera l’étincelle qui mettra le feu aux poudres ; le début de cette  guerre fratricide que l’on dénommera plus tard « la Croisade contre les Albigeois ».

  Notre troubadour reviendra alors à Montlaur et s’y installera définitivement. Cependant, à la manière d’un reporter de guerre il suivra les armées au plus près afin de relater les évènements avec circonspection.

  Au travers de ses quarante textes je vous invite, à présent, à retrouver cette période de l’histoire qui achoppa notre culture méridionale. Une histoire pour laquelle se développe aujourd’hui un véritable engouement.

 

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  Le 25 août 1210 Dame Jehanne enfantera d’Aimeric, qui ne s’intéressera pas à l’art du trobar mais qui secondera Guillemette aux affaires du domaine.

  Le 14 septembre 1211 Rosemonde fera son entrée dans la famille ; elle épousera en 1228, le fils d’un armateur juif, d’Agde.

  Enfin, Arquetta agrandira le cercle familial en mars 1213.

  Comme Azalais de Porcairagues, Arquetta sera l’une des premières « trobairitz » (féminin de troubadour).

  Arquetta de Montlaur sera appréciée par toutes les grandes cours d’Europe sous le pseudonyme « Arquetta d’Alaric ».

 

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  Un an, jour pour jour, après la prise de Montségur, le 16 mars 1245 Candèla de Pluèja décédera, de vieillesse, sûrement, à l’âge de cinquante-neuf ans. Dame Jehanne le trouvera allongé dans l’écurie dormant du sommeil des justes. Conformément à ses dernières volontés il sera enterré face à la Montagne d’Alaric, la lyre auprès de lui.

  Dame Jehanne le rejoindra à la fin du printemps 1245.

  Guillemette les avait précédés de quatre années. Le domaine, qu’elle avait dirigé avec la plus grande intelligence après le décès de son frère Rogier de Montlaur, le 26 juin 1204, donne encore aujourd’hui des vins extrêmement réputés… dont je ne saurais vous conseiller un verre pour accompagner votre lecture !

 

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  L’écriture de « Candèla de Pluèja » me prit suffisamment de temps pour croire en son existence et aimer son parcours à travers le moyen-âge. Peut-être, un autre jour, vous ferais-je de plus amples confidences sur celui qui devint mon troubadour de légende, mon ancêtre et mon ami.


La croisade contre les albigeois d’après Candèla de Pluèjo

 

  Ce sera incontestablement l’assassinat de Pierre de Castelnau, légat du pape Innocent III, ce 14 janvier 1208, qui déclenchera la colère, l’indignation de l’église.

  La détermination de sa Sainteté à extirper les hérétiques de « son monde catholique » allait emprunter le chemin de misère, qui, par la lutte armée nous éloignerait à grands pas de ces joutes oratoires, dans lesquelles jamais il n’y eut ni vainqueur ni vaincu.

  

J’ouïs encore, au creux

de mes vignes natales,

ce long cri douloureux

précédant le scandale.

 

Transpercé par l’épieu

d’une pensée rivale,

sur les terres du Bon Dieu,

au pays des cigales

Pierre de Castelnau

ne put voir le visage

du cavalier bourreau

à l’étrange message ;

 

il en fut vraiment trop !

 

Adieu les beaux langages

de Saint-Gilles, tantôt,

les serments et les gages…

les gages de bonne foi

et la foi du mensonge !

 

Tous des chiens qui aboient

à l’ombre des beffrois

torturés par leurs songes !

 

La charrette bâchée

et les chevaux de ferme,

le frère ensanglanté

et les drapeaux en berne,

 

piteusement s’éteint

la lueur, la lanterne ;

l’étincelle du matin

mit le feu aux luzernes !

 

Adieu Légat du monde,

Fontfroide et Maguelonne

seront bien moribondes !

 

Mais de Rome ou Narbonne

quelle sera la plus féconde ?


  Ayant d’autres affaires en cours, le bon roi Philippe-Auguste pressé par le pape d’intervenir militairement en Languedoc ne se souciait guère des problèmes que pouvaient rencontrer d’une part, sa Sainteté, pour lequel il ne livrerait bataille sur ses propres terres méridionales, d’autre part, Raymond VI, son cousin, beau-frère du roi d’Aragon, beau-frère du roi d’Angleterre… et premier seigneur des terres du Languedoc.

  La situation était réellement compliquée !

 Si l’hérésie posait un problème d’unité spirituelle à sa Sainteté Innocent III, elle ne dérangeait guère Philippe-Auguste ; en tout cas, pour l’instant !

 Raymond VI ménageait les uns et les autres ; la diplomatie était en pleine effervescence et les bulles fusaient sur les chemins de la royauté.

 

Je loue ta vaillance, ô mon roi

Philippe-Auguste de France,

d’aller quérir aux sournois

ces terres qui résonnent et flamboient

aux saveurs des réjouissances !

 

Les allemands et les anglais

nous oppressent sans cesse,

et toi, bon roi, près des armées,

toujours le pied à l’étrier

tu guerroies dans l’allégresse !

 

D’autres terres, oubliées

aux confins du royaume,

ocres, rousses, ensoleillées,

si belles, si jeunes sont livrées

à la proie des fantômes…

 

les prêtres s’y sont éteints

et le pape grommèle !

Écoute l’homme qui geint !

La femme et l’enfant sont empreints

 de dévotions nouvelles !

 

Les corneilles s’entassent

pour écouter les discours !

Raymond VI se prélasse

et les vers de paillasses

grouillent dans les faubourgs !

 

Que vivons-nous à présent ?

A quand l’heure des sacrifices ?

Combien de temps infamants,

de nuitées, de jours effrayants ?

 

Sous de mauvais auspices

Frère Castelnau a péri !

 

Que seront nos sévices ?


  Devant la menace pressante d’une intervention militaire organisée par sa Sainteté Innocent III, Raymond VI contacte son neveu, Raymond-Roger de Trencavel, vicomte de Béziers, d’Albi, de Carcassonne, du Razès et vassal du roi d’Aragon, en vue d’établir un plan de défense commun.

  Aucune entente n’est possible, Raymond-Roger refuse.

  Pense-t-il que cette intervention ne sera dirigée qu’à l’encontre de Raymond VI, se sent-il à l’abri derrière son suzerain ?

 Alors, Raymond VI, l’excommunié, décide de se réconcilier avec l’église en se soumettant à son autorité ; ce qui fut fait le 18 juin 1209 à Saint-Gilles du Gard, dans l’église même où est enseveli frère Pierre de Castelnau.

 

Dominique de Guzman

s’époumone en vain !

Pourquoi donc ses enfants

suivraient le même chemin ?

 

A Saint-Gilles, où j’étais,

tout fut hypocrisie !

Raymond VI paraissait

atteint d’amnésie

et le légat Millon

d’une poignée de verges

prit bien haut ses fonctions

sous les lueurs des cierges !

 

Le comte torse nu…

ce fut fort amusant !

Une corde pendait

au cou du pénitent…

les évêques grimés

assuraient la pression ;

ce fut donc la levée

de l’excommunication !

 

Par l’odeur de sa terre

Raymond retrouva

une allure plus fière,

ses fiefs et ses états.

Il jura à l’église

toute obéissance

et poussa la surprise

à allouer sa puissance

de manière énergique !

 

« Du pays de l’arbouse

il traquerait l’hérétique

jusqu’au cœur de Toulouse » !

 

Toulouse

qu’il gagna sur le champ.

 

Mais le pape n’est dupe

et le croit-il vraiment ?


  Si Philippe-Auguste ne voulut intervenir personnellement dans les affaires du Midi il autorisa cependant les seigneurs et les barons du Nord à se croiser pour la noble cause. Ce qui fut promptement mené sous la houlette du pape Innocent III.

  L’armée ce concentra à Lyon d’où elle se mit en marche vers la Saint Jean d’été, le 24 juin de cette année 1209.

 

Quand de mes hautes Corbières

mon âme aventurière

devinait dans le lointain

 

des voilures blanchâtres,

de fines coques d’albâtre,

et buvait des chants marins,

 

quand les vagues mourantes

se faisaient suppliantes

et me tendaient la main,

 

quand près de l’abbé de Lauquet

dans de chaudes vapeurs d’été

je courais cent monts et ravins,

 

jamais,

 

jamais mon cœur ne battit

aussi fort de toute ma vie

que cet étouffant matin !

 

Etait-ce là l’un de mes rêves,

était-ce une poussée de fièvre,

une nuitée de mauvais vins ?

 

Des centaines de tentes,

de drapées qui serpentent

et cent mille fantassins !

 

Sur les rives du Rhône

brillaient mille dragonnes

aux ceintures des pèlerins !

 

Des épées et des haches,

des heaumes sous des bâches

et des visages bien distincts.

 

Je vis, prêts à la besogne,

le Grand-Duc de Bourgogne

et le sénéchal d’Anjou

harnachés pieds et cou !

Puis, le Comte de Nevers,

de Saint-Paul, des fanions bleus et verts,

des seigneurs, des barons,

tous convaincus du bien de leur mission !

Puis vint Simon IV de Montfort…

des terres saintes… et dès lors,

 

au creux de mon oreille

le vent de ma Corbière

glissa trois mots malins ;

 

Dame Jehanne m’espérait

à l’autre bout du chemin.


  Les grands seigneurs ecclésiastiques et laïques marchaient en tête, entourés de vassaux et de chevaliers, suivis de hauts barons et leurs suites, et pour boucler le cortège venaient quelques seigneurs provençaux. D’autres chevaliers se rajoutaient à la troupe sur son passage, comme une multitude de pèlerins désireux de gagner leurs indulgences sous la protection d’hommes en armes.

  Ainsi se composèrent les forces qu’Innocent III avait levées pour combattre l’infidèle ; l’infidèle qu’ils trouveraient tout d’abord entre les murailles de Béziers, ce 22 juillet 1209, jour de la Sainte Madeleine, sainte à laquelle l’église de la ville est consacrée…

 

Je ne sais s’ils se souviennent

de la voie Domitienne

qui relie Nîmes à Port-Vendres,

mais très tôt ils durent la prendre

car ils fondirent sur Béziers,

   terre de Raymond-Roger

vicomte de Trencavel,

protecteur des ménestrels,

des hérétiques et du plaisir

de tendre ses lèvres à l’élixir,

au miel, aux figues à la chaleur ;

Béziers, « la cité du bonheur » !

 

Accompagné d’une trentaine d’hommes

Raymond-Roger partit à Carcassonne,

tandis que les bourgeois, pressés,

creusaient profond les fossés.

 

L’armée croisée planta ses tentes

et prit quelques heures de détente

sur la rive gauche de l’Orb

où elle implanta son état-major.

 

Ensuite, ce fut le désastre !

 

Abandonnant leurs rêves bleuâtres

sur les pierres grises et rêches

pour décocher quelques flèches

aux ribauds qui tournaient en ronds

dans les herbes fraîches du pont,

les biterrois saisirent l’un d’entre eux

et le massacrèrent comme un gueux !

Les autres ribauds ripostèrent

et dans la confusion pénétrèrent

dans la ville massacrant

hommes, femmes et enfants !

 

Vingt mille morts, folie et rage !

– torrents de sang et pillage – !

A Béziers, prise de panique,

ils ont passé tant d’hérétiques

par la lame que de chrétiens !

 

qu’honneurs soient rendus aux siens !


  Par Homps, Saint-Frichoux et Trèbes les croisés gagnèrent les murailles de Carcassonne que le massacre de Béziers avait traumatisée… et qui préparait ardemment la riposte.

 

Carcassonne est magnifique !

Les juifs y sont nombreux et puissants !

La vie y est prolifique !

Le blé, l’olive, le raisin blanc,

les poteries et le commerce,

les bourgeois et les pèlerins…

et les senteurs qui bouleversent

à chaque saison le coquin !

 

Raymond y accumule les vivres

et les greniers sont contenants !

Les grandes périodes de givre

n’ont jamais vu le sol à blanc !

Innocent III peut envoyer

des corbeaux grimés en légats,

on pourra faire face à l’armée,

ici, pendant de nombreux mois !

Les murs furent consolidés

avant l’un d’août, où la poussière

annonçait de loin les croisés.

Le temps ne fut à la prière,

il fallut charger les remparts,

et que chacun y prenne son poste !

Il fallait hisser l’étendard !

Il fallut tisser la riposte !

 

Le trois ce fut le bourg du nord

qui essuya les premiers assauts ;

ils prirent le plus faible d’abord.

Le quatre, au sud, croyant pourceaux

ils furent accablés de grêle…

d’une grêle de pierres et de traits ;

par tous les saints qu’elle fut belle

la défense des assiégés !

Les pierrières et les mangonneaux,

les trébuchets battaient murailles,

une chatte croula sous des billots ;

Carcassonne jamais ne tressaille !

Le huit une muraille s’écroule

et quelques poignées de croisés

s’en prennent alors à la foule ;

la haine foule les pavés !

Des tours roulantes on construisit

pour faire plier la cité

à l’intérieur de laquelle les puits

commençaient à s’assécher…

 

Pierre d’Aragon accourut,

tenta en vain quelque dialogue ;

quinze jours ils avaient tenus…

l’été, lui, n’avait pas voulu !

 

Alors la ville fut mise à sac

et le butin fut bien gardé…

non par des hommes du bivouac

mais par évêques et chevaliers !

 

Le conseil croisé décidait,

sur l’approbation du légat,

que Simon de Montfort recevrait

la belle Carcassonne de droit !


  Après ces deux victoires sur les ennemis de la foi, Simon de Montfort alla recevoir la soumission de Castres.

  A son retour, le Duc Eudes de Bourgogne, resté à Carcassonne, le pressa de réduire Cabaret où de nombreux hérétiques logeaient dans le château de Pierre-Roger.

 

J’aurais envie de sourire

malgré la tragédie qui vient

de s’abattre sur les miens,

car il est bâti, aux confins

de ces terres que l’on déchire,

une forteresse que j’admire

et dont il pourrait en cuire

à Simon d’y croire festins !

 

La Termes de mes jeunes années…

mais encore Cabaret, Minerve…

car voici autant de réserves,

d’idées, de forces que l’on préserve

à l’abri de murs escarpés

et dont un siège de plusieurs années

ne suffirait à souffler !

– ô Termes, Cabaret, Minerve ! –

 

Mais le duc Eudes de Bourgogne

et Simon ne résistèrent,

par des sentes de sang et de poussière,

d’aller s’enquérir d’une guerre

sans peur, sans doute et sans vergogne !

Ceux du pays de la cigogne

voulurent Cabaret la première !

 

Ami de tous les hérétiques,

Pierre-Roger, le seigneur,

homme de bravoure et de cœur,

se battait avec tant d’ardeur

que la bataille fut féerique !

Devant cette défense héroïque

Il fallut que Simon abdique !

 

Sa quarantaine terminée

Eudes de Bourgogne repartit.

Le reste de l’armée le suivit,

leur temps étant accompli…

et puis leurs terres les attendaient !

 

Simon et quelques chevaliers

à Carcassonne espéraient

que le pape donne signe de vie…


  Le gros de l’armée repartit laissant à Simon et ses fidèles le soin de continuer l’œuvre entreprise.

 Le manque de troupes ne dérangeait aucunement ce guerrier téméraire et courageux, qui, de juillet à septembre traqua l’hérétique sans relâche.

  La bataille de Cabaret, quant à elle, termina la « première » des croisades.

 

Béziers et Carcassonne,

filles d’une même vicomté

à l’âme autochtone,

par le fil de l’épée

avaient perdu leurs clés.

 

D’autres trouvèrent plus sage

de faire leur soumission.

Non par leur esprit volage,

mais par le jeu de la raison

ils s’offrirent à Simon.

 

C’est ainsi que l’on perdit

Saverdun et Limoux,

Fanjeaux où l’hérésie

poussait sur les cailloux !

– le diable chez les fous ! –

 

Même Esclarmonde de Foix,

– cette femme que j’admire –

dut quitter Mirepoix !

Je ne pourrais décrire

mon cœur que l’on déchire !

 

Jamais Raymond-Roger

de Foix, ce grand seigneur,

ne voulut attaquer…

lui qui ne connait la peur !

Pourquoi ce déshonneur ?

 

Sans une résistance

Simon vola Lombez ;

il obtient jouissance

d’Albi sans prouesse !

Pourquoi tant de paresse ?

 

Les quatre vicomtés

de Trencavel sont à lui !

Tout paraît terminé

lorsque Raymond-Roger périt,

dit-on, de dysenterie.

 

Au cachot du palais,

le dix novembre de cet an

Trencavel s’éteignait.

Les obsèques, cependant,

furent dignes de son rang !

 

Les troupes dispersées

dans les places conquises

Simon ne put aller

sur nos terres à sa guise

sans le soutien de l’église !

 

La résistance s’organisa

et des révoltes éclatèrent.

Quarante châteaux, cahin-caha,

repris aux vents de la colère

pavoisèrent à nouveau leurs bannières !

 

Au pays du genièvre

Rome s’arque boutait,

et la poussée de fièvre

que l’Occitanie connaissait

avait l’odeur du camouflet !


  En mars 1210 Simon rejoignit son épouse à Pézenas, la comtesse Alice, qui lui emmenait des renforts.

  A leur retour vers Carcassonne Simon profita de ses nouvelles forces pour délivrer la garnison du château de Montlaur, assiégée par « l’infidèle ».

 

Ma plume tremblote

et ne peut arriver,

par son encre, à lier

les lettres qui sanglotent ;

cette nuit, la hulotte

s’arrêta d’hululer.

 

Dame Jehanne sauve

et Guillemette en pleurs,

à Montlaur la terreur

courait par les alcôves

et l’odeur de guimauve

laissait place à la peur…

 

car tous furent pendus ;

même Aubin, de Lacamp !

– Aubin de mon sang ! –

car tous furent perdus

en sauvant leur pain blanc !

 

Il n’y eut de bataille

la mort tomba du ciel !

Au nom d’un éternel

dieu de feu ou de paille,

l’on fit cent funérailles !

 

Maudits soient les Montfort

arrogants et criminels !

 

Maudits soient les Montfort ;

y-a-t-il quelqu’un au ciel ?


 De retour à Carcassonne Simon marcha sur Alzonne, Bram, le Minervois et le pays de Foix où il rencontra les comtes de Toulouse et de Foix, en présence du roi d’Aragon.

  Leurs discussions n’aboutirent pas.

  A la demande des bourgeois de Narbonne, victimes des « sorties » fréquentes de Guillaume de Minerve, Simon alla début juin assiéger le château de ce dernier, de par sa situation impossible à quérir par la force.

 

A l’est, face à la barbacane,

Simon fit installer son camp.

Aymeri III, Vicomte de Narbonne,

au nord tenait l’autre versant.

Une troupe de croisés gascons,

que l’archevêque d’Auch avait pourvu,

en un troisième bataillon

à l’ouest tenait l’autre issue.

Les croisés français s’implantèrent

au sud, bouclant le tour de ville.

Des mangonneaux, une pierrière…

la stratégie était habile !

 

Le bon Guillaume, entre ses murs,

avait bien entassé des vivres…

quel eut été ce brin d’azur,

ce miracle qui le délivre ?

Alors qu’en bas la garnison

se gorgeait comme une reine,

la faim, la soif eurent raison

du château la septième semaine.

 

Guillaume négocia sa peine.

 

Le vingt-deux juillet douze cent dix,

Il obtint la vie sauve pour ses hommes !

Sur le donjon, un crucifix

apposait la marque de Rome.

Les croyants firent leur soumission

et les parfaits eurent le choix

délicat entre l’abjuration

et le bûcher qu’on prépara.

 

Ne reniant leur religion,

vifs,

au nom d’un dieu qu’ils refusaient

cent quarante cathares périssaient !


 Au mois d’août Montfort reçut quelques croisés picards et un imposant détachement de bretons.

 Il décida alors d’aller assiéger le château de Termes, troisième place forte de la vicomté des Trencavel.

 

L’horizon, à l’aurore,

se pare de rouge sang ;

les nuages de la mort

se font éblouissants.

Voici qu’après Montlaur

le vacarme incessant

des chariots de Montfort

bourdonne sous le vent

de ma terre d’enfant ;

mon âme souffre encore !

 

Je me presse au château

où se blottissent les miens.

A l’onde du ruisseau

de mes premiers matins

je vais remplir mon seau

et boire le divin,

défendre mon drapeau,

tenir entre mes mains

l’honneur du suzerain

et l’avenir du château !

 

Ici, Raymond de Termes,

les gens et les vassaux,

les yeux sur la citerne

espèrent enfin que « l’Eau »,

cette eau qui nous gouverne

ne fasse point défaut,

qu’une pluie régulière

emplira les tonneaux,

que l’éternel fléau

mourra chez les sorcières !

 

Sous l’effet des pierrières

qui bombardent déjà

le premier mur d’enceinte

du bourg vole en éclats.

La résistance est fière

et la riposte n’attend pas !

Les flèches et les pierres

pleuvent et Simon doit,

quand Guillaume le combat,

assurer ses arrières !

 

Pierre de Cabaret

attaque jour et nuit ;

surgissant des forêts

Il écrase l’ennemi !

La tour du Termenet

assiste le proscrit !

Les pierres et les traits

jettent le discrédit.

Termes s’enorgueillit

et Simon est inquiet !

 

Mais le siège devient long

et l’été est très chaud.

Raymond, sur son piton,

sait qu’il manquera d’eau.

Il part en discussions

avec un Simon bien palot…

Guillaume « accepterait »

de quitter le château,

lorsque tomba bientôt

la pluie tant espérée !

 

Dans les rangs des croisés

bien des hommes comprirent

qu’il fut vain d’insister…

quand cette pluie fit luire

l’espoir chez l’assiégé !

Quand ils ouïrent la lyre

et les chants de gaieté

plus rien ne put suffire,

eux ne « savaient » souffrir…

et ne voulurent rester !

 

Mais une troupe de lorrains

vint soutenir Simon.

D’étranges pèlerins

venus en garnisons.

Ce fut pour nous la fin.

Leurs machines en action

bravèrent le ravin !

Devant tant d’exactions

nous suivîmes Raymond

fuyant de bon matin.

Ayant élu taverne

les rats grouillaient dans la citerne !

 

  Le siège dura quatre mois ; il se termina le 22 novembre, jour de la sainte Cécile.

  Surpris dans notre fuite bon nombre d’entre nous furent massacrés.

 Raymond fut arrêté et jeté dans la tour « Roger de Trencavel », à Carcassonne. Il y resta plusieurs années et y mourut. Termes fut donnée au seigneur Alain de Roucy, ami fidèle de Simon de Montfort. Jean et Jacotte des mattes, mes parents, furent parmi les victimes.


  Après Termes, Coustaussa et Puivert (qui fut la résidence d’été des Trencavel, célèbre pour ses cours d’amour et qui vit la présence d’Aliénor d’Aquitaine), Simon reprit presque tous les châteaux qu’il avait perdus.

  Raymond VI, quant à lui, depuis sa réconciliation avec l’église, à Saint-Gilles, n’avait pris aucune mesure contre les hérétiques. A la suite d’attitudes bien maladroites de sa part envers le pape, les légats et Simon, il fut excommunié une seconde fois le 6 février 1211 à Montpellier.

  De nouveaux renforts arrivèrent au printemps de la même année auprès de Simon qui décida d’assiéger Cabaret.

  Inquiet de subir le même destin que Termes, Raymond-Roger livra le château et échangea son prisonnier, Bouchard de Marly, cousin de Simon, contre la vie sauve pour les siens et d’autres terres en remplacement.

  Simon accepta et partit sur le champ quérir la ville de Castres.

 

Chez Dame Guiraude de Laurac

chacun y trouvait le bon pain ;

chacun venait remplir son sac

de repos, de fête et de vin ;

Dame Guiraude, « la cathare »,

faisait des murs de Castres un gîte,

qui, sous l’accent des cithares

vivait au rythme des marmites !

 

Lorsque Simon porta le drame,

Aimery de Montréal

(frère de la gente dame)

vint défendre cet idéal !

Mais Simon chassait l’hérétique

et rien ne devait l’arrêter !

Il alla au plus pratique

et fit construire le pont qui devait

lui permettre de gagner la ville,

en douze cent onze, le trois mai.

Il n’eut point bataille facile

malgré ses pierrières qui crachaient !

 

A l’abri des projectiles,

par un souterrain dont l’accès

fut sous les murailles de la ville,

on vit chaque nuit l’assiégé

aller incendier les machines

et piquer au flanc le croisé…

lorsque à la fumée d’églantine

le souterrain fut embrumé.

L’évêque Foulques, de Toulouse,

se battait au rang des croisés…

quant au Comte de Toulouse,

on ne sut trop ce qu’il pensait !

 

Il fut pris quatre-vingt chevaliers

que Simon voulut voir pendus

mais qui par le fil de l’épée

finalement furent perdus.

Dame Guiraude, au fond d’un puits

fut jetée vive par des fous

de croisés qui dans leur folie

comblèrent le trou de cailloux !

 

Quatre cent parfaits et parfaites

finirent en un nouveau bûcher !

Castres connaissait la défaite

et tout le midi la pleurait !

Ce dernier reculait sans cesse

devant les renforts qui venaient

à chaque printemps cueillir l’ivresse

au pays des ex-libertés !

 

Mais l’hérésie, pour autant,

ne pliait sous le poids de Rome !

Qu’il en faudrait des arguments

pour faire ici changer les hommes !

 

L’homme du midi est un roc,

comme l’est sa terre du Languedoc !


  Château par château Simon enleva l’Albigeois et marcha sur Toulouse où le comte Raymond VI rassemblait ses troupes.

  Simon attaqua la ville le 17 juin 1211 mais ses assauts furent repoussés.

  La résistance était active ; le siège s’avérait trop long et trop difficile ; Simon leva le camp.

  Il alla dans le pays de Foix, ne s’attaqua pas au château du comte Roger-Bernard mais fit ravager les cultures, arracher les arbres et les vignes.

 Il passa ensuite par Cahors et vint avec de maigres troupes se réfugier à Castelnaudary où il se prépara à combattre Raymond de Toulouse.

 

Devant les grands préparatifs

auxquels Raymond se livrait

Simon comprit que ne tarderait

à venir l’instant décisif

où enfin ils s’affronteraient !

 

Pour n’être victime d’un siège

Il choisit Castelnaudary

où il combattrait l’ennemi

au pied du château, dans la plaine,

avec ses forces affaiblies.

 

Quand Raymond fut sous les murailles

les gens du bourg ouvrirent leurs portes,

mais bien qu’on lui prêta main forte

il ne fit plus qu’un feu de paille

et l’armée de Simon fut la plus forte…

 

bien qu’à trois contre un, cependant,

le Comte s’en allait combattant !

 

Quand les renforts des croisés

arrivèrent en vue de Lasbordes

ils tombèrent alors sur la horde

des hommes de Raymond-Roger

de Foix qui semèrent la discorde !

 

Simon courut porter son aide

et se battit si vaillamment

qu’en trois minutes, sur le champ

il fallut que Foix concède

la victoire à plus méritant !

 

Si Raymond VI avait eu l’âme

plus guerrière que celle des ânes,

ce fut à Castelnaudary

qu’il dut relever le défi !

 

Parce qu’il ne sut jamais vraiment

de quel côté soufflait le vent,

Raymond perdit et trop souvent

la face et les gens du pays !


  Le pape avait approuvé la substitution des terres des Trencavel par Simon de Montfort, mais attaquer le comte de Toulouse, cousin du roi de France et, rappelons-le, beau-frère du roi d’Angleterre et d’Aragon le gênait énormément.

 Il ne devait fâcher Philippe-Auguste dont il avait besoin pour combattre l’anglais Jean sans terre et l’empereur allemand Otton.

  De plus, par une bulle d’août 1211 notre roi Philippe-Auguste écrivait à sa sainteté en lui rappelant que les terres méridionales étaient de sa suzeraineté et qu’il n’entendait pas que l’on en dispose sans lui !

  Pendant que la diplomatie jouait à tire d’aile Simon prit l’Agenais où il gagna le siège de Penne-d’Agenais le 25 juillet et celui de Moissac le 8 septembre 1212.

  Il entra dans le Comminges puis en octobre dans le Couserans.

 Avec le Toulousain, le Rouergue, le Quercy et les quatre vicomtés des Trencavel Simon était désormais partout !

  Raymond VI alla solliciter l’aide de Pierre II, roi d’Aragon, qui après plusieurs mois d’intense activité diplomatique auprès d’Innocent III rejoignit Toulouse à la mi 1213.

  Simon allait devoir affronter le comte de Toulouse, mais aussi Pierre II d’Aragon, grand roi de la chrétienté qui s’est magnifiquement illustré contre les maures, en Espagne.


  Averti par son service de renseignements que l’armée Aragonaise se préparait à attaquer la garnison de Muret, en ce 10 septembre 1213, Simon se mit en route et pria la comtesse Alice de lui envoyer tous les chevaliers possible… et promptement !

  Il fit une halte pour la nuit à Saverdun et rejoignit Muret le lendemain dans l’après-midi.

  Pendant ce temps l’armée de Pierre II et Raymond VI se préparait à attaquer la ville.

 

Combien de toulousains

arrivèrent pressés,

combien de miliciens,

combien de gens à pieds,

combien de gens en armes

qui voulaient en finir ?

 

Les guerriers du soleil

lancèrent leur assaut !

Jamais on ne vit pareil

ordre sous nos drapeaux,

tant, que la garnison

courut vers le château

au rythme des frissons

qui picotaient leur dos !

 

Quant au creux de la plaine

Pierre II s’installait ;

au pays de la faîne

les dés étaient jetés !

Il laisserait Simon

 entrer dans le château

et puis le charançon

il tuerait au plus tôt !

 

Alors, aux endroits de choix

furent disposés les engins.

 

La stratégie du roi

libèrerait enfin

de l’odeur des soutanes

nos terres occitanes !

 

La stratégie du roi

annonçait le déclin

de Montfort et des droits

d’un quelconque dieu romain !

 

Terre de tolérance

n’est point terre de France ;

à chacun son destin !

 

_________________________________________________________

 

En ce onze Simon passa

les portes de la ville

d’une manière si tranquille

qu’on crut un temps de paix !

Mais une fois dans les murs

ses hommes réclamèrent

de percer le cratère

purulent des impurs !

Simon remit au lendemain,

cela fut plutôt sage,

les élans sauvages

dont étaient pourvus les siens.

Les Evêques, d’autant plus,

tentant une nouvelle fois

d’emmener le bon roi

à plus simple quitus !

 

Dans la troupe des coalisés

le Comte Raymond proposa

d’attendre que l’armée croisée

exécute le premier pas,

de telle façon qu’à l’arbalète

ils n’auraient qu’à les repousser

dans le château où la disette

les forcerait à abandonner !

Son idée fut tant interprétée

comme une lâcheté certaine

que le Comte alla se réfugier

sous sa tente, l’âme en peine.

 

Déjà les pierrières crachaient

sur les murailles ennemies !

Simon, à la tête de l’armée,

lança d’abord la cavalerie :

Guillaume de Contres au premier corps,

Bouchard de Marly au second,

le troisième fut pour Montfort…

et la défaite… pour l’Aragon.

Aucune tactique ne semblait prévue

chez Pierre II dont chaque baron

menait sa guerre convaincu

d’être victorieux de Simon.

 

Mais le roi Pierre fut accablé

de tant de coups qu’il s’abattit.

 

L’armée du pape, à Muret,

tuait le roi des insoumis !

Ce fut un vent de panique

qui gagna le camp toulousain !

De milliers de corps impudiques

je fus le malheureux témoin.

Simon alla relever

la dépouille du roi vaincu

et gagna l’église pour remercier

son dieu d’avoir bien voulu

 

cette victoire inattendue.


  Après la bataille de Muret et l’incessant clapotis des chevaux de guerre sous les émulations du vent chacun révisa la situation.

  Innocent III nomma le cardinal Pierre de Bénévent nouveau légat et lui confia la mission de ramener, sous une bannière catholique flambant neuve, la paix sur les terres méridionales.

  Par les ordres de sa sainteté Pierre de Bénévent freina les élans de Simon de Montfort qui laisserait Toulouse indépendante.

  Ce fut alors que l’on entendit prononcer le nom de Philippe-Auguste, roi de France, jusque-là absent de cette sanglante histoire du midi.

 Vainqueur à Bouvines et à la Roche aux Moines de Otton de Brunswick et de Jean sans Terre, tous deux désormais excommuniés, il décidait maintenant d’envoyer son fils, le Prince Louis, pour voir ce qu’il se passait sur cette terre aux confins du royaume de France.

  A cette annonce Raymond VI quitta Toulouse pour l’Angleterre où son beau-frère Jean sans terre lui offrait asile et protection.

 Simon profita de l’aubaine pour occuper le Château Narbonnais, place forte de Toulouse, et fit démanteler les murailles de la ville.

  Le Prince Louis repartit début juin 1215 et le roi attendit du pape la confirmation de Simon sur ses terres gagnées en Languedoc.

  A Melun, le 10 avril 1216, Philippe-Auguste, roi de France, fit Simon « comte de Montfort » et établit la suzeraineté de la couronne de France sur les terres du Languedoc.

  La boucle paraissait bien bouclée et la bataille de Muret semblait avoir réglée le sort du Midi.

  Candèla de Pluèja, installé à Montlaur se laissa aller à quelques états d’âme.

 

Haine des religions,

guerre des politiques,

complainte des passions

à la rime tragique…

à l’heure catholique

s’achève la saison.

 

De la main hérétique

se fera la moisson,

et l’orge de Montlaur,

le vin doux des coteaux,

le flot des boutons d’or

enivrant les chevreaux

auront leur renouveau !

 

Dame Jehanne s’endort.

Des transes de son corps

fuient des rêves de mort

brandissant dans l’effort

leurs faux et leurs flambeaux,

les bruits d’arrière corps,

les galops de l’élite,

les ripailles du renfort,

les bûchers qui crépitent !

 

Et les larmes versées,

et les coulées de sang

entre les amandiers,

et la coulée du temps,

et l’âme des enfants ?

 

Seuls les nuages

semblent avoir trouvé la paix !

Aujourd’hui l’arbre tremble

au fond de la foret ;

quand viendra le pourfendre

la cognée du français ?

 

Haines des politiques,

guerre des religions,

étrange poétique

que la malédiction !

 

Languedoc fut en verve

et Languedoc s’endort !

 

Que n’eût jamais ma plume,

sous le ciel du Midi,

à décrire l’infortune

de pareille tragédie !

 

A l’œil du catholique,

au nez de l’hérétique,

les bonheurs, je présume,

de Montlaur sous la brume,

invitent à servir

mais non point à tarir

les soleils à venir…

 

si toutefois

soleils à venir il y a !

 

_________________________________________________________

 

Ah, comme auprès de ces gens

humble seigneur je suis ;

vagabond insouciant

aux mille plumeries !

 

Mais seigneur à deux âmes

et je n’en possède qu’une

comme le bœuf ou l’âne,

ronde comme la lune

qui sans cesse à Montlaur

prend le parfum des thyms

et inonde mon corps

d’encre épaisse et de vin,

de la danse des cyprès

sous le vent des garrigues

et d’un gourmand bouquet

d’amandes et de figues !

 

Ah, comme auprès de mes gens

leur serviteur je suis ;

leur éternel enfant,

la souris du logis !

Les soleils et l’amour

que me porte Montlaur

mille fois valent au jour

plus que cent pesées d’or !

 

Mon ambition est grande

et si Dieu me réclame

un matin sur une lande,

loin des terres occitanes,

que mon corps, lui, finisse

à deux pas sous la terre

du sol de nos bâtisses,

ma lyre en bandoulière

à Montlaur « l’occitane »

où Jehanne a saisi mon âme…

à Montlaur des Corbières

d’où montent mes prières !


  Puisque l’histoire du Languedoc nous laisse ici quelques instants de répit, permettez-moi d’insérer au creux de l’œuvre de Candèla de Pluèja quatre textes qui démontrent la règle suivant laquelle les troubadours écrivaient « l’amour courtois », alors dénommé « fin amor ».

  Dans le premier de ces textes le troubadour se voulait toujours « soupirant », dans le second « suppliant », dans le troisième « amoureux » et au fil du quatrième le ton était aux « remerciements ».

  Voici quels furent ces mots que Candèla écrivit à Jehanne de Montlaur, entre 1208 et 1210.

 

Pourrais-je remercier,

un jour, comme il se doit,

sa majesté le roi

des vents et des forets

qui vint mener à moi,

au creux de la vallée,

les parfums de beauté

d’une fleur dont l’éclat

déposa sur mon cœur

les louanges d’autrefois,

tant de cristaux de joie,

de vie et de chaleur ?

 

Pourrais-je remercier,

un jour, le vent d’amour

qui posa dans la cour

du seigneur Olivier

la dame qui allait

faire éclore mes tourments,

mourir de languiment

par ses mille attraits ?

 

Et voici qu’à l’instant,

bercé par les senteurs

de ce monde enchanteur,

les sueurs, belle enfant,

mouillent mes sentiments

et glacent mes entrailles

de pensées si canailles,

que je n’ose pourtant

vous saisir par la taille,

céder à mes élans !

Et l’amour incessant

qui sous vos yeux m’assaille

a tant de bon en lui

que je ne puis chasser

ce désir d’enlacer

les flammes de l’envie !

 

Aux supplices du temps,

entre vos mains, ma domna,

j’abandonne mon âme

éternellement !

Il ne peut être pire

qu’une grâce ennemie ;

acceptez-vous, ma mie,

d’acquiescer le sourire,

le sourire, Dame Jehanne,

qui comblerait ma vie ?

 

Dame Jehanne, ma mie,

qui comblerait ma vie !

 

_______________________________________________________

 

Au cœur de vos murailles,

Jehanne,

je souffre mille feux !

 

Je bois et je mangeaille

auprès d’un bon seigneur,

mais toutes ces saveurs,

mais toutes ces ripailles

n’amoindrissent mes pleurs !

Auprès de votre corps,

Jehanne,

mon âme rêve de paix !

 

Ne laissez point au dehors

cette force fragile,

ardente et si docile

qui pourrait chez la mort

élire domicile !

 

Au creux de votre charme,

Jehanne,

ma lyre se blottirait

 

et changerait vos larmes

en perles de rosée

que nous irions semer

par les jardins de Parme,

les rives et les prés !

 

Aux bois de vos humeurs,

Jehanne,

Je me ferai oiseau…

 

un peu merle siffleur,

un peu le gai pinson,

et prendrais aux buissons

les baies de la douceur

que nous dégusterions !

 

Au cœur de vos murailles,

Jehanne,

j’implore votre amour !

 

Auprès de votre amour,

Jehanne,

j’implore votre charme !

 

Au creux de votre charme,

Jehanne,

j’implore vos humeurs !

 

Aux bois de vos humeurs,

Jehanne,

je supplie votre amour

d’entendre la prière

que chante à la manière

d’un appel au secours,

un pauvre troubadour !

 

________________________________________________________

 

Au gré de ces chemins

qui poussaient mon destin

vers le soleil levant,

fouetté par les vents

de quelque enchantement

mon âme s’extasiait !

 

Mais les nuits, bien trop froides,

ternissaient mes aubades

et je pensais à vous !

Le thym et l’amadou,

en moi, comme des fous

battaient la chamade !

 

Que devient tout le reste

quand la clarté céleste

allume ses flambeaux

sur l’onde d’un ruisseau,

invitant les oiseaux

à picorer l’ivresse ?

 

Je rêvais de Montlaur

et le doux réconfort

que je trouvais, ma mie,

au fond de ma folie

reflétait les trésors

des traits de votre corps !

 

Je ne puis aujourd’hui

affronter d’autres nuits

loin de votre chaleur

car périrait mon cœur

dans l’atroce douleur

d’une lente agonie !

 

Jehanne, ma douce amie,

acceptez-vous ma vie ?

 

________________________________________________________

 

Sur la rive d’un verger

vivait un olivier.

Sur un lit de pervenches

il tenait en ses branches

les clés d’or de la vie.

 

En une grâce infinie

ses feuilles et ses fruits

de l’aube à l’aurore

dansaient

et dansaient encore !

– marbrures de pourpre et de soie –

 

Le vent était si froid

qu’à l’abri de ses bois

je trouvais la chaleur ;

une tendre lueur

 venait à mon secours !

 

Je lui offris, pour toujours,

mon plus ardent amour

en recouvrant son tronc

d’une poignée d’ajoncs

et jurais à jamais

 

par notre sainteté

– roi des arbres fruitiers –

de caresser ses branches,

le cœur dans les pervenches,

jusqu’au jour où privé

de vie je partirai

vêtu d’étoffe blanche,

vers l’immense verger

de l’île de l’éternité !

 

ô combien je vous embrasse,

ô combien, ma domna, je rends grâce

à vos doux yeux d’amande

d’avoir agréé ma demande

            car dès lors je vais en été !          


  « Languedoc fut en verve et Languedoc s’endort » dit à juste titre notre troubadour. Le réveil du Midi viendra de la Provence au début 1216 où le jeune Raymond VII et son père viennent de débarquer de Gênes.

  La soif d’indépendance des seigneurs provençaux, bridés par les hommes de Simon de Montfort, font qu’ils vouent leur fidélité aux Raymond : Marseille d’abord, puis Salon, Avignon, Tarascon, Pierrelatte…

  Devant tant de reconnaissance Raymond VII prit « la succession » de son père et entama une reprise de possession du Marquisat de Provence.

  Raymond VI alla solliciter le secours du jeune roi Jacques d’Aragon, fils de Pierre II mort à la bataille de Muret en 1213.

  Les bourgeois de Beaucaire décidant d’offrir au jeune Raymond la ville et la garnison, celui-ci entra dans les murs. Devant une vigoureuse sortie du sénéchal Lambert de Limoux, qui tenait la ville pour Simon de Montfort, Raymond VII se décida à faire le siège du château.

  Guy et Amaury de Montfort, le frère et le fils de Simon, rassemblèrent leurs troupes, pressèrent Simon qui revenait de France avec cent vingt chevaliers soldés et tous rejoignirent Beaucaire pour attaquer la ville et la libérer de l’emprise des Raymond.

  Guy et Amaury arrivèrent le 4 et Simon le 6 juin de cette année 1216.

 

Je ne sais si Beaucaire,

où je n’eus l’occasion

de poser mes affaires

pour la fête aux lampions,

eut un jour tant de joie

et de cris de colère

qu’eurent ces poitrinaires

en trucidant leurs oies

sous les portes cochères…

 

pour ne parler que d’elles,

car même les bossus

vinrent chercher querelle,

les pieds plats, les tordus !

La ville, en haleine,

se ralliait à Raymond ;

un si jeune garçon,

de dix-neuf ans à peine,

défiant le Sieur Simon !

 

La Provence toute entière

débarquait par le Rhône !

On ne vit plus fière

allure que ces matrones

et leurs hommes piquant

le flan de leurs vaches,

aiguisant leur moustache,

s’offrant, tels de nobles gens,

à l’ultime tâche !

 

Et leurs bœufs et leurs porcs,

leurs moutons, leurs canards,

leurs chapons, leurs trésors,

leurs modestes étendards !

Sans omettre les barriques

de vin de Ginestet

faisant de nos civets

d’excellents catholiques

au fond de nos gosiers !

 

Sus aux hommes de France ;

que la fête commence !


  Simon, courageux, mais en position nettement plus inconfortable que celle dont jouissait le jeune Raymond VII, se préparait une fois encore à faire triompher la croix blanche de Rome de la croix rouge et or du Languedoc.

 

Payant cher des vivres

parvenant à pincées,

encore grisé et ivre

des victoires passées

Simon ne sentit point

que la brise tournait,

qu’elle virait au coin

d’une terre martelée !

 

Le sept il attaquait !

La résistance fut fière

et tellement ancrée

au cœur des lavandières

qu’il ordonna alors

de construire des machines,

ces machines de mort

qui sans cesse tambourinent !

 

Tandis que ses « mineurs »

grugeaient la muraille,

le bélier dévastateur

percutait nos entrailles,

ils furent étouffés

sous un déluge d’étoupes

soufrées et enflammées

par Raymond et sa troupe !

 

Simon n’avançait pas

et comptait les semaines.

Le château, aux abois,

en était aux extrêmes

lorsque Raymond VI apparut

fortement escorté

de « routiers » aragonais.

Simon dut négocier.

 

La capitulation fut signée le 24 août 1216.

 

Pour sa pauvre garnison

il obtint la clémence…

mais sous un vent de saison

hostile à l’homme de France !


  Sa sainteté Giovanni LOTARIO, de la famille des comtes Di Seigni, élu 176ème pape le 8 janvier 1198 sous le nom d’Innocent III, mourut le 16 juillet 1216.

  Il put emporter dans la tombe l’espoir que l’hérésie albigeoise était vaincue. Elle ne le serait réellement que par la monarchie Capétienne, héritière des Montfort et des Raymond.

  Honorius III, consacré le 24 juillet 1216, succéda à Innocent III. Il lança la cinquième croisade qui avait été décidée par son prédécesseur lors du concile de Latran et soutint également la croisade contre les albigeois.


  Simon revint donc vers Toulouse où il se heurta aux sanglantes émeutes des bourgeois.

  A la Toussaint il alla marier son second fils à Tarbes, en profita pour assiéger vainement le château de Lourdes et fut de retour à Toulouse pour Noël.

  De là il partit en Ariège où il se livra le 6 février 1217 au siège du château de Montgrenier appartenant au fils de Raymond-Roger de Foix. Par manque d’eau et de vivres celui-ci capitula le 25 mars. Après avoir accordé la vie sauve au seigneur et aux siens Simon rentra à Carcassonne d’où il partit pour la Provence où Raymond VII s’installait solidement.

  Raymond VI revenait de Cerdagne, et se joignirent à lui, sur son passage, le comte Roger-Bernard de Foix, Roger de Comminges et bien de braves chevaliers encore. Le 13 septembre 1217 ils passèrent la Garonne sous les acclamations de la population toulousaine.

  Informé par la comtesse Alice de cette nouvelle situation Simon regagna à toute hâte la cité comtale.

 

Ah, qu’il est bon d’ouïr,

au soleil du Midi,

le pas tant étourdi

de l’ennemi s’enfuir !

 

Mais que lui reste-il

au coin de la ruelle

sinon de faire la belle,

lutter et bien mourir ?

 

Toulouse en colère

vaut plus que grognements

d’un Dieu fort mécontent ;

que rage et tonnerre !

 

Et l’on tua ici,

l’on massacra là-bas

ceux qui ne trouvaient pas

le raccourci béni

qui menait aux jardins

de la comtesse Alice,

aux sourires des nourrices,

aux joies et aux festins !

 

Partout d’autres remparts

poussaient comme des fleurs !

Les toulousains, en cœur,

tissaient leur étendard !

« Hissez les palissades

et creusez les fossés ! »

 

Que de riches ouvriers,

de seigneurs, de malades !

Tant de femmes et d’enfants ;

chacun trouvait à faire,

à refaire, à parfaire ;

Toulouse allait chantant !

 

Toulouse était rageuse !

Toulouse belliqueuse !

 

Toulouse, courageuse,

semait ses jours heureux !

 

______________________________________________________

 

Simon fut accueilli

aux sons de la tempête,

aux carreaux d’arbalètes,

à la finasserie

des flèches et des dards,

des pierres de nos frondes,

aux cris de l’inféconde,

à la haine du soudard !

 

Il attaqua, rive gauche,

le bourg Saint-Cyprien

où gueuses et vilains

ont si fière caboche

que leurs pierrières crachaient ;

ils dressaient mangonneaux,

accrochaient leurs rameaux

aux bois des trébuchets !

 

C’est d’Auch, d’Auch leur alliée

que parvenait l’intendance

qui redonnait confiance

à la troupe des croisés !

 

Pour nous, heureusement

l’hiver hissait ses voiles !

Montfort, sous sa toile

espérait le printemps !

 

Raymond fit assiéger

le Château Narbonnais,

on graissa les harnais,

on brava le danger,

on affuta les piques

et chacun avait froid…

 

sauf Honorius III

et ses bulles diplomatiques !

Il ne porterait guère

plus qu’un coup de gourdin,

n’ébranlerait le toulousain

à l’âme fort guerrière !

 

________________________________________________________

 

Aux alentours de Pâques

arrivèrent des renforts

au seigneur de Montfort

qui tripla les attaques.

 

On tua dans les fossés,

au pied des palissades,

dressa des embuscades

et trancha mains et pieds

jusqu’à la Pentecôte

où vint le jeune Raymond !

 

Adieu mon beau Simon !

Que la bannière qui flotte

à vingt pas sur la ville,

te soit la plus hostile

et demeure mon blason…

 

si telle puisse triompher la raison !


  La bataille continua sans pitié jusqu’au 25 juin 1218 où une pierre heurta si violemment le heaume de Simon de Montfort qu’il s’effondra sous les murailles de Toulouse.

 La pierrière, que construisit un charpentier de Saint-Sernin, était servie par des dames, des femmes mariées et des pucelles.

  L’œuvre de Simon s’écroulera avec lui mais facilitera la tâche du roi à annexer le Languedoc à la France.

 

Mais il pleuvait tant

de haine et de pierres

que toutes tes prières

ne suffirent pourtant

à ton Dieu pour faire face

à ces femmes en colère !

Et pour ta foi sincère

il ne te rendit grâce !

 

Adieu grand Montfort !

Par un vent de disgrâce

emporte ton audace

au royaume des morts !

 

Tu ne fus le plus fort !

 

Par respect pour ton courage,

je livre cette page,

car l’homme aurait bien tort

et serait bien infâme

à salir ta dépouille

et jeter aux gargouilles

les restes de ton âme !


  Dans le camp des français l’ardeur des combattants et l’envie de poursuivre l’œuvre de Simon commençaient à faire défaut.

 Raymond VII profita des élans de solidarité dont faisaient preuve les seigneurs environnants à la suite de sa victoire et reconquit les domaines enlevés par Montfort.

  Le pape ordonna alors à tous ses évêques, par une bulle du 11 août 1218, de prêcher la croisade. Il pressa Philippe-Auguste, roi de France, d’envoyer une armée et réitéra ses demandes le 5 septembre, promettant au roi le vingtième des revenus du clergé.

 La comtesse Alice implora également le secours du roi. Ainsi, au mois de mai le Prince Louis se retrouva à la tête d’une armée qu’il conduisit dans le Midi en empruntant la route de l’Ouest.

 Profitant d’enlever à son tour les places reconquises par Raymond, Amaury de Montfort, fils de Simon, alla à la rencontre de l’armée royale qu’il rejoignit à Marmande.

 Marmande, de laquelle j’ouïs encore les cris de déchirement d’une population qu’on massacra jusqu’à la dernière âme qui vive, comme on le connut à Béziers, en 1209 !

 Hommes, femmes et enfants ; ici périrent cinq mille occitans !

 

Vingt évêques et trente comtes

allaient tuer, sans la moindre honte,

servis par six cent chevaliers

et plus de dix mille archers,

des gens dont la seule vergogne

était, à contrario des cigognes,

de préférer le temps clément

qui fut en pays occitan !

 

Tous vivaient à Marmande

et Dieu voulut en faire offrande

au pape son plus fidèle ami ;

si fidèle qu’on ne le contrarie,

pardi,

dans ses désirs d’annihiler

l’hérétique de ses sentiers

qu’il voulait garder aussi blancs

que l’âme de ses fidèles croyants !

 

L’assaut fut d’une rare violence.

Les nôtres n’eurent aucune chance,

sur le fil des armes tranchantes

coulait la mort, aux plaies béantes !

Les chairs, le sang et les cervelles

aujourd’hui encore me harcèlent !

Les troncs, les membres, les corps ouverts,

tous, tous vous dis-je ont souffert !

 

Tous vivaient à Marmande

et Dieu voulut en faire offrande

au pape, son plus fidèle ami ;

si fidèle qu’on ne le contrarie,

pardi !

 

Les âmes gisaient dans le sang

et les torrents de la terreur

versaient tant de cris et de pleurs

que l’homme qui me porta l’histoire,

si honnête qu’on put le croire,

larmoie et toujours tremblote

à chaque mot, à chaque note !

 

Dieu a-t-il perdu la raison ?

 

Au nom de quelle trahison

fit-il de l’homme un moribond ?


  L’armée royale du Prince Louis, Amaury de Montfort et le cardinal légat Bertrand arrivèrent devant Toulouse, le 16 juin 1219.

  Le troisième siège de la ville alors commença.

 

Certes, ils bloquèrent la ville

mais leurs attaques vigoureuses

n’eurent le moral de nos gueuses,

pas plus que celui de leurs filles !

 

Nos gens, de face ou de biais

allaient sans la moindre lacune

tuant même Jean de Béthune

le vieil évêque de Cambrais.

 

Le premier août, le prince Louis,

argumentant sa quarantaine

prit la décision soudaine

de regagner son doux pays.

 

Pour ses consuls, si téméraires,

la vaillance de ses bourgeois

et tous les occitans de droit,

un grand merci fut nécessaire !

 

Raymond s’y employa vivement

faisant supprimer aussitôt

divers droits et quelques impôts !

 

Qu’adviendrait-il maintenant ?

 

Languedoc ainsi libéré

en ses quatre coins fit la fête !

 

Mais a-t-on arrimé la charrette

de cette nouvelle sérénité ?


  Quand Raymond VII fut maître en son pays, le catharisme, terré jusque-là, refleurit.

  Les cathares cachés au fond des forets les plus épaisses et pour certains entre les murailles de Montségur recommencèrent à vivre au grand jour et se livrèrent à leurs rites plus aisément.

  C’est ainsi que les parfaits purent reprendre dès 1222 / 1223 leurs prédications. Les évêques allèrent à nouveaux sur le dos de leurs mules parcourir leurs diocèses en tous sens.

 

Je ne sais si nous sommes,

par quelque enchantement,

redevenus ces hommes

dont il y a si longtemps

le sol de nos garrigues

était encore peuplé,

où pour seule fatigue

nous voulions juste aimer,

 

ou si la désolation,

en ses champs de batailles,

pressa tant de citrons

au cœur de nos entrailles

qu’elle nous laissa l’amertume

pour unique héritage

oubliant à la brume

les désirs de notre âge !

 

Bonshommes et archidiacres

allaient en procession ;

au pays du massacre

étrange disproportion !

 

C’est le porc qu’on élève

et qu’ensuite on abat,

c’est une forte fièvre

qui ne guérira pas

mais contre laquelle, pourtant,

le corps lutte encore,

lutte désespérément !

 

Puis l’âme implore le temps !

 

Les maisons des parfaits

ouvrent à nouveaux leurs portes

et les communautés

sont chaque jour plus fortes !

A Fanjeaux, à Laurac,

à Castelnaudary,

tous se mouillent au lac ;

au lac des flots maudits !

 

Quand Montségur, sur son roc,

chante au vent des montagnes

c’est tout le Languedoc,

en cœur, qui l’accompagne !

 

Le son de l’angélus

n’est point belle musique !

Garde donc, Honorius,

tes douze airs liturgiques !


  En effet, la situation était pratiquement revenue au point de départ ; rien n’avait évolué d’une manière significative: ni la diplomatie, ni la stratégie des états généraux, ni la détermination de nos valeureux soldats.

 Seules les années parcouraient leur bonhomme de chemin et tous commençaient à apercevoir l’horizon de leurs dernières années.

 C’est ainsi que notre bon roi Philippe-Auguste partit le premier le 14 juillet 1223, suivit au mois d’août par Raymond VI de Toulouse âgé de soixante-six ans.

 Après Innocent III et Simon de Montfort tous les protagonistes de cette croisade contre les albigeois laissaient la place aux plus jeunes.

 Parmi les rares troubadours qui laisseraient une trace de ces hommes hors du commun, Candèla de pluèjo écrivit ces quelques rimes…

 

au roi :

 

Le royaume de France

pleure aujourd’hui pour toi

ô mon seigneur, mon roi,

et dans l’indifférence

les nuages du chagrin

passent au grand galop,

tous blancs… ni froids ni chauds…

sans se soucier des romarins,

des champs de coquelicots…

ils passent sans dire mot !

 

Pourtant, moi je te pleure

comme je pleurais Simon,

ton fidèle compagnon,

mais si la mort est un leurre,

alors bon vent à tous

mes frères de combat,

mes ennemis de droit !

Alors riez donc vous tous,

riez vous qui n’êtes plus là,

riez donc du trépas !

  

________________________________________________________

 

à Raymond VI :

 

Ah, si tu avais eu l’âme

plus dure que celle des ânes

cent fois au cours de ta vie

tu dus relever le défi…

alors que nez au vent

tu parcourais, hésitant,

ces terres faussement chastes ;

un domaine si vaste,

où les fleurs les plus belles

ont le cœur si rebelle

qu’elles n’obéissent plus

qu’au désordre des vertus !

 

Mais, Raymond de Toulouse,

le pays de l’arbouse

avait besoin d’un homme

qui comprenne l’automne,

et qui laisse, tranquille,

venir le vent fertile

comme tu sus le faire,

qui laisse l’apothicaire

au fond de son échoppe

préparer au cyclope

les potions de l’orgueil

qui soigneraient son œil,

sa jambe ou sa cervelle,

dans laquelle, pêle-mêle,

les gens d’Occitanie

chantent et versifient…

vivent leurs émotions !

 

Merci à toi, ô Raymond,

d’avoir juré, craché,

car depuis, à jamais

le Midi sera havre de paix !


  A Reims, le prince Louis surnommé « Le Lion », fut sacré roi de France, le huitième de la dynastie dite des Capétiens directs, en 1223.

  A son roi, Amaury de Montfort céda tous ses droits en février 1224, tant il lui fut impossible de garder ses états dans un Languedoc à nouveau sous la domination de Raymond VII.

  Ce dernier fut avec ses complices solennellement excommunié.

 Devant les garanties du pape qui visaient à ne disputer nullement les terres du Midi au roi Louis VIII s’il parvenait à les conquérir, celui-ci prit la croix contre les cathares le 30 janvier 1226.

 Par la route de l’est, longeant le Rhône comme le firent plutôt les Barons du Nord sous la houlette d’Innocent III, la grande armée royale s’avançait en Provence et comptait gagner la Toulousaine où elle exterminerait l’hérétique, prendrait possession du Midi tout entier mettant un terme à ces longues années de guerre.

  N’oublions pas que l’on se bat depuis maintenant 17 ans et que si les occitans ont un immense besoin de paix, les Français, de leur côté, n’ont plus la motivation de Simon de Montfort !

  Mais « être » de l’armée royale et participer à cette pieuse tâche réunit cependant autour de Louis VIII une foule considérable, qui, harnachée de la tête aux pieds, avance… sous la protection de Dieu !

 

Ainsi venait la fin.

 

La France toute entière

harnachée et fière

piétinait nos lupins

et levait la poussière

tant de lieues au lointain

qu’il fallut tout un matin

à la mouche truffière

pour trouver son chemin !

 

Je dis… cinquante mille…

mais je suis en dessous

du nombre de ces fous

orgueilleux qui défilent !

Messire a bon gout

et ses gens jubilent !

 

Ah pauvres imbéciles,

« Grands seigneurs », croyez-vous

à l’occitan docile ?

 

Si la venue du roi

fait courber la tête

et trembler la luette

du pied-mou, c’est son droit !

 

Au terme de conquête

jamais notre œil ne larmoie !

Sus aux chiens qui aboient !

 

Quant aux jours de disette,

bientôt l’on festoiera !


  Après avoir été conviée à traverser la ville d’Avignon la grande armée du roi Louis VIII trouva les portes fermées.

  Avignon, la plus fière des cités de Provence ne s’inclinerait devant son roi ; comme Toulouse elle résisterait, confiante en ses hommes, confiante en ses murs !

  Alors le siège commença à l’aube du 10 juin 1226.

  Avec une victoire à Avignon, réputée inexpugnable, « ce serait toute la Provence qui se soumettrait à l’autorité royale ! » pensait le bon roi. Pour l’instant cette victoire n’était acquise, loin s’en fallut !

 

Ce ne fut point les coups,

même s’ils furent violents,

que vous garderez en vous

de cet évènement

mais plutôt la malice

du soleil du Midi

qui poussa loin le vice,

l’humour et l’ironie

de déposer dans la troupe

sainte des assiégeants

une « oule » dont la soupe

affligeait le gourmand

de cette maladie

qu’on nomme dysenterie !

 

Certes, je me réjouis,

mais de fausse gaieté

car le malheur d’autrui

ne profite jamais !

Nombreux ces malheureux

périrent sous nos murs ;

vaillants guerriers, si pieux,

hardis contre l’impur !

Tout l’été ils luttèrent

contre l’innommable fléau

mais jamais leurs prières

ne guérirent leurs maux

sous les murs d’Avignon

qui dorait son blason !

 

Mais encore une fois

les vivres vinrent à manquer.

 

Avignon, par le roi

chaque jour harcelée

était telle une souricière

dont le chat, besogneux,

finassait par derrière

d’une ruse de bout de queue,

attendant, bien placé,

que la souris se jette

en ses griffes acérées

qui vite en feraient fête !

 

Contre le roi de France

qui peut avoir sa chance ?


  Les Avignonnais durent capituler le 9 septembre de l’an 1226 mais Louis VIII perdit là trois mille hommes, dont trois cent chevaliers !

  Face à cette victoire de l’armée royale, les cités, prises de peur se soumirent les unes après les autres.

  Le roi quitta la Provence et se rendit à Toulouse. Arrivé devant la ville, las par l’épidémie qu’il avait lui aussi contracté à Avignon et la saison étant déjà bien avancée, puisque nous étions on octobre, il décida de remettre le siège à l’année suivante.

  Il gagna l’Auvergne, passa à Clermont le 26 octobre et s’arrêta le 29 à Montpensier terrassé par son épidémie.

  Le roi Louis VIII mourut le 3 novembre.

 Humbert de Beaujeu, lieutenant du roi, resta en Languedoc pour commander les troupes laissées sur place afin de maintenir la paix.

  Raymond VII profita de l’hiver 1227 pour contre-attaquer.

 Raymond II Trencavel, fils du vicomte Raymond-Roger, reprenait quant à lui Limoux et le Razès.

 Ugolino de Anagni, allias le pape Grégoire IX, qui succédait maintenant à Honorius III, pressa Blanche de Castille, épouse de Louis VIII et régente du royaume de France pendant la minorité de son fils le futur roi Louis IX (plus connu sous le nom de Saint Louis), d’envoyer au plus vite des renforts à Humbert de Beaujeu pour entretenir la paix établie.

  Les évêques s’employaient à maintenir leurs cités dans l’obéissance et les abbés servaient d’intermédiaires. Ceux de Lagrasse, Saint-Gilles et Pamiers étaient pourvus d’une activité intense et persuasive. Pour preuve, à deux pas de Lagrasse les seigneurs Bernard et Olivier de Termes, faidits réputés courageux, solliciteraient l’archevêque de Narbonne et l’évêque de Carcassonne auxquels ils feraient leur soumission à l’église, le 21 novembre 1228.

 Une fois encore le Midi perdait de son audace. Les dés étaient maintenant jetés et la situation serait irréversible.

  Le grand Raymond ne put rassembler à ses côtés les seigneurs et les villes du Languedoc ; il ne put donc lutter d’une manière énergique contre l’incrustation française. Il décida de stopper cette guerre inutile et d’offrir à son tour sa soumission au roi de France et à l’église.

  Il fut décidé que les parties adverses se rencontreraient à Meaux où fut élaboré un traité entre décembre 1228 et janvier 1229 : « Outre sa fidélité au roi de France et à l’église, outre le fait de payer la dîme à diverses abbayes et de prendre la croix dans un délai de un an pour la terre sainte, Raymond s’engageait solennellement à remettre sa fille en mariage à un frère du roi et à purger le pays des hérétiques, sans omettre ses parents, ses vassaux et ses amis ».

  A Paris, le 12 avril 1229, jour du jeudi saint, le traité fut approuvé par le jeune roi Louis IX et la réconciliation fut proclamée.

 Le Languedoc faisait maintenant partie intégrante du royaume de France.

 Avec la perte d’indépendance du Languedoc la culture occitane s’éteindrait peu à peu diront les uns, ou contribuerait à l’unité d’un grand pays diront les autres.

  Quant aux rimes de Candèla de Pluèjo…

 

De Montlaur, de Limoux,

de Fanjeaux ou Laurac,

qui peut derrière sa houe,

 

de Laurac, de Fanjeaux,

de Montlaur ou Limoux

être si foldingo ?

 

De Limoux, de Montlaur,

de Fanjeaux ou Laurac,

qui peut croire encore ?

 

De Fanjeaux, de Laurac,

de Montlaur ou Limoux,

Montredon, Conilhac,

de Toulouse ou Gaillac

qui peut croire que la France,

pour des générations,

donnera la cadence

aux sons des mirlitons ?

 

En deçà des folies

seule l’Occitanie

des seigneurs et des gueux,

quoi qu’en disent les dieux,

sait fleurir ses cithares

ou accoucher ses lyres

d’un joyeux tintamarre

de soleil et de rires !

 

Ah non, que la Camarie,

en ses gorges obscures,

trucide la mariée

qui se pare d’injures !

 

Languedoc est né

de la sueur des hommes,

gardons-le, par pitié,

de Paris ou de Rome !


  La fille de Raymond VII fut solennellement fiancée à Alphonse de Poitiers, frère du roi de France. En septembre 1229, Raymond rentra en Languedoc ; La question politique était réglée.

  A noter qu’il fut décidé par la papauté que la cité toulousaine serait dotée d’une université pourvue de quatre maîtres en théologie, deux en droit canon, six maîtres es arts ainsi que deux régents de grammaire.

  La question religieuse, quant à elle, était toujours posée et demeurait à affiner.

 En octobre de la même année, Romain de Saint-Ange, légat du pape, réunit un concile à Toulouse pour établir les règles de conduite à tenir afin de faire respecter dans son intégralité le traité de Meaux.

  Quarante-cinq canons furent édictés pour purger le pays de l’hérésie et y conserver la paix… des âmes.

  La saison de la chasse à l’hérétique s’ouvrait à nouveau, pendant laquelle, « chasseurs et braconniers » seraient plus motivés que jamais.

 Grégoire IX fit appel aux frères de l’ordre des dominicains pour assurer l’inquisition permanente des hérétiques. Il informa en avril 1233 le roi de France et tous les prélats de sa décision. Il confirmait en même temps l’établissement de l’université de Toulouse et lui conférait les mêmes droits que l’université de Paris.

  Des hérétiques condamnés délivrés par la foule, d’autres fuyants vers le château de Montségur ou la Lombardie, d’autres cachés par de « grandes familles », un immense conflit opposait maintenant le peuple aux inquisiteurs.

 

Tel le renard au bois

l’hérétique est traqué ;

à vivre aux abois

l’homme est condamné ;

alors il se déplace

de clairière en clairière

laissant pour seule trace

ses mantras de prières.

 

Sur les terres Trencavel

le vent de la Corbière

caresse cent autels

et draine cent lumières…

rayons de tolérance,

haine de l’envahisseur,

complicité, bienveillance,

force, amour et pudeur !

 

Certes, le catharisme

est peut-être une erreur ;

certes, le non conformisme

est peut-être un honneur !

 

Quand à ces sénéchaux

ou ces viguiers du roi,

fonctionnaires bestiaux

abusant de leurs droits,

de Narbonne à Albi,

de Toulouse à Béziers,

en un zèle infini

pillent et font exécuter !

 

De fausses accusations

aux amendes extorquées,

des sentences maison

aux mille simagrées

c’est le peuple qui souffre,

qui perd sa dignité ;

l’amertume s’engouffre,

les âmes vont éclater !

 

Les bâtons

quitteront les ruisseaux !

Les épées

sortiront des fourreaux !

Les lances

perceront à nouveau !

Le pays

a besoin de repos !

 

Si Montlaur a promis

d’ajourner la récolte,

fuis donc, triste ennemi,

le jour de sa révolte !


  La révolte mûrit et c’est par le jeune Trencavel, Raymond II, qu’elle éclata en 1240.

 Raymond VII, étant dépossédé par le concile général, ne semblait donc pouvoir assurer les liens de cette révolte.

 Trencavel réfugié en Aragon auprès du roi Jacques, qu’il secondait dans ses combats en Espagne, décida alors de reconquérir les domaines de ses pères.

  Devenu chef des faidits et de tous les seigneurs dépossédés, il quitta le Roussillon où ses troupes étaient concentrées et entra en Languedoc.

  Il entama la reconquête de « ses terres » par celles des Corbières occidentales et repris quelques châteaux dont celui de Termes, aidé dans sa lutte par le seigneur Olivier en personne.

  Le 7 septembre 1240, alors qu’il était âgé de trente ans, il arriva en vue des murailles de Carcassonne…

 

Que sont deux cent chevaliers

face à la France entière ?

Le combat opposerait

dames fées et sorcières

car tout était consommé,

volontés et prières.

 

Guillaume des Ormes assiégé

où Trencavel assiégeant

sous les hourds, les mantelets,

comme sur les flots frémissants

de l’Aude, en amont bloquée

par des rêves d’enfant ?

 

Lorsque le onze octobre

survint l’armée royale

ce fut bien inutile

de lui chercher querelle

et fort malhabile…

 

l’histoire nous le rappelle !

 

Il fallut quitter la ville ;

sus à ton joug, infidèle !

 

Que le languedocien,

par cet acte, face sien

d’avoir été, d’être et de rester

fidèle à ses idées !

 

Car l’homme d’Oc est ainsi fait,

obstiné comme un roc !


 Trencavel avait échoué, Raymond VII se perdait en d’inutiles transactions diplomatiques et l’hérésie, toujours florissante, se riait de quelque automne précoce.

  L’opposition à l’inquisition engendrait la violence, tel l’assassinat de trois inquisiteurs à Cordes.

  Celui de Guillaume Arnaud, inquisiteur à Toulouse, ainsi que des dix hommes qui l’accompagnaient à Avignonet, ce 28 mai 1242, veille de l’ascension, fut l’assassinat qui toucha le plus l’opinion publique et dont les répercutions furent des plus importantes.

  Pierre-Roger de Mirepoix, l’auteur de ces assassinats, vivait à l’abri des murailles de Montségur. Perchée sur son piton rocheux la citadelle était difficile d’accès et découragerait surement les français de vouloir s’y attaquer. A l’intérieur, outre un bon nombre d’hérétiques se trouvait le haut commandement de l’église cathare.

  L’enquête ayant prouvée que les meurtriers résidaient à l’intérieur de ces épaisses murailles les représentants du roi décidèrent de détruire cette place forte de l’hérésie. Ainsi, la question religieuse serait à son tour complètement réglée et la France du sud serait enfin parée des couleurs de Rome.

 

Mais l’oreille de Rome

n’aime la voix de l’homme

qui ne chante ses psaumes !

 

Une citadelle impure

qui bat de l’échancrure ?

 

Ah, que l’on se rassure,

Hugues d’Arcis viendra

et sonnera le glas,

l’heure du trépas

de tous ces assassins,

marchands de faux divin,

usurpateurs, crétins…

 

et j’en passe de bien bonnes

que l’on dit haut à Carcassonne

chez les larbins du trône…

 

« Montségur périra

quand Dieu le décidera !

patati patata…

repatati, repatata ! »

 

Quant aux inquisiteurs,

excellents orateurs

morts dans la puanteur

de leurs âmes moribondes,

que leur zèle immonde,

à jamais se morfonde

au pays des vertèbres !

Qu’en trois danses funèbres

ces bourreaux gisent

aux bas-fonds des ténèbres !

 

________________________________________________________

 

Au printemps de l’an quarante-trois,

au nom du Père, au nom du Roi,

le sénéchal d’Arcis trotta

planter au pied de la forteresse

ses toiles de tente, ses promesses

et les graines de la tristesse.

 

Il fit construire une tour roulante,

une chatte à gueule béante

qu’il fit progresser sur la pente

aussi vite que le souffle du vent

bien que l’assiégé soit virulent,

qu’il combatte inlassablement !

 

Bien qu’au lointain, dans la plaine,

l’on donnait en chaque domaine

des vivres pour plusieurs semaines,

bien que les cordes et les paniers

sans cesse sur le mur coulissaient

pleins de saveurs et de bonté,

l’un d’eux porta la trahison !

 

L’un deux retourna ses haillons

arborant le mortel blason

de quelques croisés qu’il soulevait

comme les pions d’un échiquier ;

en somme… un jeu de société !

 

Las de la fade odeur du sang

qui les gênait depuis un an,

à Montségur, les paysans

introduisirent par la seule faille

que devait avoir la muraille

la mort, ses fers et ses tenailles !

 

Ce fut la nuit du premier au deux mars 1244.

 

__________________________________________________________

 

Assis contre le mur,

 

rêvant à cet azur

qui battra la mesure

au son d’une vie nouvelle,

d’une vie parallèle,

d’une vie dans laquelle

seul le bien triomphera,

deux cent cathares, ici-bas,

allaient connaître l’au-delà…

 

partir,

partir pour l’autre monde !

 

Abjurer ou mourir,

choisir comment périr,

voter sans s’abstenir ?

 

Laisser l’esprit aller

et jeter au bûcher

le reste… le corps souillé !

 

Au pied de la pente

les braises ardentes

furent, je pense,

exemptes de divinité.

 

A  moins que…

ou…

 

ou suis-je possédé

par la naïveté !


 Malgré le coup porté à Montségur l’hérésie continua à courir les sentiers du Languedoc, qui, pourtant sous la terrible répression des inquisiteurs ne semblait guère décidé à abandonner la doctrine cathare.

 Quand à Raymond VII il alterna ses désirs de poursuivre les hérétiques et d’inhumer son père en terre sainte.

  Il alla saluer le roi Saint-Louis qui s’embarquait le 25 août 1248 pour l’Egypte, à Aigues-Mortes.

  Raymond VII devait ensuite rejoindre son roi en Orient mais il remit son départ à l’année suivante, trouvant la saison trop avancée. Avait-il réellement envie de se croiser ?

  Il revient à Aigues-Mortes en 1249 où il va faire ses adieux à sa fille et à son gendre Alphonse de Poitiers qui emmènent, ce 26 août, des renforts importants au roi, mais la fièvre l’envahit et il reprend sa route difficilement. A Pris, près de Rodez, il doit s’aliter et prévoit de mettre de l’ordre en ses affaires. Il se confesse à un ermite puis à l’évêque d’Albi accouru sur place.

 Le 13 septembre il fit son testament, reçut l’extrême onction et mourut le 27 septembre 1249, à l’âge de cinquante-deux ans.

 

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  La langue de Candèla de Pluèjo, l’occitan, demeurera en ses états jusqu’au milieu du XVème siècle, le français étant jusque-là une langue étrangère.

 

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  Cette date du 13 septembre 1249 marquera la fin de l’indépendance du Languedoc.

 

adieu !