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Le Marinas est rentré (livre 2) 2002

à Eliane DOUBLET,

merci de faire de ta demeure, le premier vendredi de chaque mois, ce lieu convivial où la poésie et la chanson, bras dessus-bras dessous nous font oublier les vicissitudes de la vie ;

avec ma tendre affection ;


Mise en bouche

 

         Nietzsche a raison, l’expérience est une « affaire qui tourne » sur la grande roue de la vie et qui revient irrémédiablement au point zéro à chaque tour de roue !

  Seul problème, nous ne profitons jamais de son passage pour corriger nos erreurs… et la voilà repartie ; tant pis ! Tout tourne car tout est rond, partout, naturellement rond, nécessairement rond, universellement rond ! L’espace est rond, les étoiles sont rondes, la terre est ronde, le vin est rond, le parfum est rond, l’amour est rond, la femme est ronde, son sein est rond et lourd, naturellement lourd, nécessairement lourd, universellement lourd !

  Nietzsche a raison, la grande roue de la vie est ronde et lourde !

  Tout en haut, sur la coiffe de la grande roue, trône le monde des envies, des désirs, l’espoir, la force et le courage, la solidarité, l’amitié et les arts ; c’est le monde des caresses !

   Du toit de la grande roue le « Marinas 1 » vous salue !

  Au plus bas de la grande roue trône l’empire des lacunes : l’eau, la terre, l’air et le feu ; les composants ultimes de la réalité : le coton et la limaille, le bâton et le baiser ; c’est le monde des paradoxes !

  Des chausses de la grande roue le «Marinas » vous salue !

Nietzsche a raison, le  «Marinas » est partout, naturellement partout, nécessairement partout, universellement partout !

  Déjà Noël !

  La grande roue parachève un autre tour laissant dans ses traces son lot de barbaries, de frontières, de dieux et de politiques virtuels et de fiertés de bas étages. Cependant elle décore minutieusement sa coiffe, de lierre, de houx et de roses qu’elle lie respectivement de fils d’or, de lasers et de guirlandes électriques.

  C’est la période de l’année où le monde des caresses s’accouple au monde des paradoxes dans la liesse générale ; alors l’année nouvelle aura le loisir de mettre bas ses portées de Gorgones ! Méduse, Euryale et Sthéno changeront en pierre ceux qui oseront les contempler et se liquéfieront au moment d’enfiler la « chemise à sarmenter 2 », travail certes trop pénible et bien dégradant pour des Gorgones !

  Naturellement entre les chausses et la coiffe de la grande roue tout n’est que vigne ; vigne nécessairement, vigne universellement ! Sur son tapis de rouquettes écrues l’homme taille ses ceps.

  Après le cerf la vigne perd ses bois ; tout est un, unique et indivisible ; l’homme le sait !

  Du milieu de la vigne le « Marinas » vous salue !

  Il hurle, il chante, il danse ! L’homme est pareil au vent ! Pousses-t-il la roue ou la subit-il ? Nietzsche, là est la question !

 

Marinas : Nom donné au vent marin dans la région des Corbières ; voir recueil précédent.
2 Chemise à sarmenter : Chemise épaisse, en toile de coton, que revêtent les vignerons lors du ramassage des sarments, pour éviter qu’ils ne se déchirent leurs vêtements.

J.G


Table des Poèmes

 

  1.  Le second pas.
  2. Les lettres de l’arbre alphabet.
  3. Passent l’automne et le vin blanc.
  4. Au pays de ma Lorguaise.
  5. Etat de choc.
  6. Sous son amas de tôles.
  7. A l’instant T.
  8. Les amants de l’hiver.
  9. Les sirènes de Labastide.
  10. Je viendrai douce brune.
  11. Ma nuit.
  12. Le papillon d’Hélène.
  13. Poudré d’or et de satin bleu.
  14. Julie (Jean-Paul Pujol).
  15. Les confidences de Julie.
  16. A la jeunesse de Fontiès-d’Aude.
  17. Les chemins du ciel.
  18. Le dernier automne.
  19. Qui vivra, verra.
  20. La guitare à Margot.
  21. Métaphore maritime.
  22. Le meuble à épices.
  23. La recette.
  24. Pourquoi la vache qui rit, rit.

1.  Le second pas

 

Vous voici revenues à l’antre des poètes,

la taverne où se lovent et l’amour et la mort

sur des couches de rimes, en un fringant décor ;

où la vérité, nue, pousse la chansonnette !

 

Vous voici revenues au bastion de la paix,

la demeure où l’esprit prime sur la matière !

vous voici revenues, tracas en bandoulière !

jetez au caniveau vos brides et harnais !

 

Vous voici revenues pour de fraîches partances

au pays illusoire de vos brûlants désirs,

au présent, sans passé et sans autre avenir

que l’envie de cueillir la fleur de jouissance !

 

Vous voici revenues, sereines, et attentives

aux murmures du vent qui flatte les persiennes,

au vieux souffle d’antan qui rudoie l’éolienne ;

à toutes ces pulsions que le texte enjolive !

 

Voici venu le temps des extases cycliques ;

vous changerez de vie, d’habitudes, de lit,

vous hélerez les cieux, braverez l’interdit,

assouvirez vos fantasmes métaphoriques !

 

Vous voici en un cercle d’amis, de copains,

où l’on vous tend la main ; ici, tous vous comprennent !

n’ayez d’appréhension, passez sous l’halogène,

parlez avec votre âme, votre cœur et vos mains !

 

Dans « la soie et le feu », ainsi naît le poète

au plus fort de la nuit, de tout entendement !

si mes sources sont sûres ? … bien évidemment !

dans « la soie et le feu » que traînent les comètes !

 

Sortez donc vos plumes qu’elles fassent trempette,

puis clamez haut vos vers, vos rimes à tue-tête !

« tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin elle se pète… »

tant va la vie, chéries, que chaque instant se fête !


2.  Les lettres de l’arbre alphabet

 

A ceux qui disent qu’en se baissant

on ramasse, tout simplement,

une fois qu’elles sont mûres et tombées,

les lettres de l’arbre alphabet

 

je profère un holà sonnant !

pour les champignons seulement

on peut aller à pleins paniers

courir les tertres et les forêts !

 

mais pour les lettres, c’est différent !

seul, le poète va devant,

et dans le creux de son tablier

les enfile en longs chapelets,

 

les sélectionne, les bichonne,

les multiplie, les additionne,

les groupe en mots, puis en idées…

c’est qu’il y passe la soirée…

 

il en brûle de la chandelle

à aligner chaque voyelle,

et à lister chaque consonne

pour que son texte enfin bourgeonne !

 

 parfois même, il s’endort dessus

avant même d’avoir conclu…

mais lorsqu’il revient à la terre,

après son ailleurs solitaire,

 

sa cueillette au sein de trois rimes

exalte un parfum si sublime,

qu’adieu sa nouvelle soirée

l’homme retourne à ses pensées !

 

alors, la femme du poète

guette son retour de cueillette ;

les enfants pleurent et tous ont faim ;

ils n’ont – qu’un vers – entre leurs mains !

 

si quelques lettres étaient bien mûres,

on en ferait de la confiture ;

s’il trouvait un énorme « i »,

on en ferait un beau rôti !

 

elle se signe, lui fait le nègre,

chez les poètes on est bien maigre !

mais un jour le succès viendra

avec la viande, le chocolat,

les jours heureux, et cætera !


3.  Passent l’automne et le vin blanc

 

Les caves ont refermé leurs portes

les alcools de marc envolés,

la pluie étanche les comportes,

le mourvèdre le fond du gosier,

le vent emporte les amours mortes,

l’état le reste de monnaie…

 

pour lui la saison recommence ;

ses muses, blotties sur l’oreiller,

murmurent à nouveau la romance

des nuits blanches et des feux-follets !

 

Qui se douterait au village,

que derrière un châssis de bois

ébranlé par le grand âge,

l’orage et les éclats de voix,

un illustre inconnu voyage

au gré des nuages, sans visa ?

 

pour lui la saison recommence ;

ses muses, blotties sur l’oreiller,

murmurent à nouveau la romance

des nuits blanches et des feux-follets !

 

Ne clochez pas, ne toquez plus

et ne cherchez en la demeure

les muses au lit de l’ingénu,

ses errances ne sont qu’intérieures,

peu à peu son esprit le tue ;

sa propre existence est un leurre !

 

pour lui la saison recommence ;

ses muses, blotties sur l’oreiller,

murmurent à nouveau la romance

des nuits blanches et des feux-follets !

 

Vautré dans son cocon d’images,

heureux, fier, poisseux, mal rasé,

sans haine, sans fusil et sans âge,

lui le sage, l’illuminé,

dépeint ces tendres paysages

vers lesquels je t’emporterai !

 

pour lui la saison recommence ;

ses muses, blotties sur l’oreiller,

murmurent la nouvelle romance

des nuits blanches et des feux-follets !

 

Enfin

le poète ouvrira sa porte,

les alcools de marc fleuriront ;

tu verras passer les comportes

lourdes de rires et de chansons ;

juste une saison sera morte…

alors belle, nous nous marierons !


4.  Au pays de ma lorguaise

 

Les bois d’oliviers torsadés,

la terre rouge des « Rougon 1« ,

les murettes échevelées

se faufilant vers l’horizon…

voici quelque toile posée

sur la cheminée du salon ;

plus loin

les lavandes pour les savons,

 

un muletier coiffé de paille,

un rosier près du cabanon,

au lointain voyez les murailles

de Sainte Victoire 2 et Gonfaron 3 ;

l’artiste est certes en accordailles

avec la forme, avec le fond,

mais,

la Provence ainsi, « c’est couillon » !

 

la mienne boit un autre bouillon !

 

Jeannot Bonnelli vient de Lorgues 3,

j’entends le bruit de son cyclo !

Sainte Anne 4 est aux premières orgues,

aux Salettes 5 mes volets sont clos !

Saint Ferréol 6 boude les orgues,

lui trouve aussi qu’il fait bien chaud !

là,

c’est la Provence des matinaux !

 

J’ai bien lu Mistral et Giono,

Pagnol, Daudet, toute la clique,

à Cotignac 3 bu le pernod,

à Saint-Antonin 3 la barrique…

mais quand à me lever presto

et avoir la forme olympique,

oh,

vous êtes fadas, ou ironiques ?

 

Ah,

si l’oncle Borsi, à cheval,

passait me prendre, c’est une idée,

coiffé du chapeau provençal,

peut-être bien qu’après manger

ce serait d’un rythme infernal

que j’attaquerais la journée…

enfin, si le cheval voulait, hé !

 

Moi, le soir je suis épuisé « té »;

après la soupe au pistou,

les ortolans, les anecdotes,

la Bénédictine à grands coups,

avec Paulette c’est la belote !

bien sûr je n’ai jamais d’atout,

Sissous ne joue qu’à la parlotte

et ça finit qu’on s’asticote !

là,

c’est la Provence qui chuchote !

 

Saison qui vient, saison qui fuit,

penser à ceux qu’on aime apaise !

« fan », souvent je les réunis

lorsque la grisaille me pèse ;

à chacun son lot de soucis !

« vail », demain je rentre au logis ;

Hé ?

me blottir contre ma lorguaise !

 

  1. Rougon : « Les Rougon Maquard » Emile Zola.
  2. Sainte Victoire : Montagne de Provence.
  3. Gonfaron, Lorgues, Cotignac, Saint-Antonin : Villages Varois.
  4. Sainte-Anne : Chapelle construite en 1646 sur la commune de Lorgues, « pour apaiser le courroux du ciel ».
  5. Les Salettes : Hameau situé sur la commune de Lorgues.
  6. Saint-Ferreol : Quartier de Lorgues.

5.  Etat de choc

 

Le soleil déclinait sur les toits des pinèdes et l’azur rougeoyait comme ces soirs d’été où les enfants s’en vont dans les courants d’air tièdes écouter les cigales et leur âme chanter !

Ce soir, mon âme hurlait et crevait, solitaire ; j’avais depuis le temps appris à vivre seul ; l’amour ne m’accordait que le strict nécessaire ; mes muses gisaient à six pieds sous le tilleul !

J’écrivais autrefois et comptais les syllabes pour ne pas que mes strophes, comme les chaises de paille, dès le premier usage ne s’en aillent bancales ! d’encre noire et de mots je troussais la grisaille…

je savais tout d’Hugo, Baudelaire, Francis Jammes et Verlaine et Rimbaud ; j’humais Maïakovski ! j’aimais Louise Labbe qui déclarait sa flamme, Ronsard et les roses de toutes frénésies !

Le soleil déclinait au-delà des pinèdes, je marchais droit devant à travers la garrigue, les bras levés aux cieux je quémandais de l’aide, aux enfers, au Bon Dieu comme à l’enfant prodigue !

Lorsque le monde se dérobe sous vos pas, lorsque tout fout le camp, le ciel vous abandonne, lorsque vous portez la misère à bout de bras, l’obscurité vous oppresse et vous empoisonne,

où trouver le bonheur, où noyer son chagrin ? Poésie m’a quitté, mes pages restent blanches ; l’adjectif a volé mes sacs d’alexandrins, ces vers que je gardais pour de prochains dimanches ! 

l’idée s’en est allée, le verbe a disparu ; seule une métaphore que j’avais évincée à quelque clou rouillé jubile, suspendue ! mes strophes ont fait la belle en un fin chapelet !

Mais si l’amour, demain, sur le pas de ma porte décidait, fanfaron, d’entrer en mon logis, qui marierait alors le temps des feuilles mortes et l’été revenu, en des rimes choisies ?

Quelle âme toquerait alors à ma porte de buis sinon la camarde, ou la grêle, ou l’ennui ? A moins que déroutées par une forte pluie, ne surgissent trois muses égarées dans la nuit !

Le soleil déclinait au-delà des pinèdes, sur des coquelicots je m’étais assoupi ; mais bon sang, j’ai compris ! sur des coquelicots je m’étais assoupi ! – à mon sens, l’eau de vie devait être bien raide ! –

Mille Dieux, si demain je peux encore écrire, dans l’abreuvoir, j’irai, à la pêche aux délires !


6.  Sous son amas de tôles

 

Depuis qu’elle se repose

dans le fond du hangar,

la charrette oubliée,

 

qu’il doit être grandiose,

et prenant, et bavard

son rêve d’éternité !

 

Tous l’ont abandonnée

sous son amas de tôles,

sans un mot, presque nue,

 

même le vieux, qui l’aimait,

sous ses belles paroles

le progrès est venu !

 

La charrette s’en fout,

le vent raconte tout

sous les tuiles disjointes ;

 

il a bien du bagout,

la charrette sait tout

et la terre chuinte !

 

Les oiseaux viennent quand

il faut être à l’abri

de l’orage ou des chats ;

 

l’homme y vient rarement,

il n’est là que des nids

et la charrette à bras !

 

La lune dit que quand

la vieille a trépassée

les jeunes ont tout vendu…

 

c’est la vie, c’est navrant,

l’un a besoin de blé,

l’autre a les doigts crochus !

 

Il paraît qu’au dehors

elle serait perdue,

les chemins ont changés ;

 

même encore plus fort,

on ne connaîtrait plus

le cri des charretiers !

 

La vérité, crie-t-on,

aurait quitté la lande

pour de nouvelles gens…

 

que chez nos vignerons

plus personne ne scande

de rougeâtres slogans !

 

mais le phylloxéra

n’est jamais revenu,

au moins c’est déjà ça !

 

Marcelin Albert a …

mais on ne se souvient plus

qui était ce gars-là !

 

A la propriété

c’est automatisé ;

comme dans l’esprit des gens !

 

tout est robotisé,

et faut plus déconner

sinon viennent les agents !

 

même l’humour s’est tari !

l’accordéon aussi,

eh, faut être à la page !

 

mémé, le samedi,

« se déchire »: ecstasy,

musique de sauvages !

 

Tout ne va pas si mal,

sous les poutres rongées

par d’affamées termites

 

le vent lit son journal,

quelques tuiles ont glissées,

le feu de Dieu crépite !

 

L’eau de la mer est chaude.

Tiens, dans les Pyrénées

Amstrong gagne le tour !

 

Ma charrette, dans l’Aude,

a vue passer Bobet…

à Trébes, dans le faubourg !

 

Et si elle prenait l’air,

pour de bon cette fois,

derrière un âne au trot ?

 

ni Bush, ni Tony Blair,

un âne ou un mulet, ma foi,

non pas un bourricot !

 

Il paraîtrait qu’Eole

pour entrouvrir sa geôle

aurait mis le paquet !

 

écartez donc les tôles,

attelez la carriole

si vous voulez aider !

 

Depuis qu’elle se repose

dans le fond du hangar

la princesse oubliée,

 

qu’il doit être grandiose,

et prenant, et bavard

son rêve de liberté !

allez, hue !


7.  A l’instant T

 

Un regard, un sourire, un tempo ;

deux visages, de nouvelles fragrances,

juste assez pour entrer dans la danse

et laisser s’entremêler les mots ;

 

pour ces deux le désir est intense !

– l’attirance a scellé ses appeaux –

déjà, leurs frissons à fleur de peau

murmurent une nouvelle romance…

 

sous une pleine lune d’été.

 

Il voit papillonner en ses yeux

des nuées d’oiseaux multicolores !

il les cueille d’un filet tressé d’or ;

à chaque oiseau il épingle un vœu !

 

Elle pêche au fil de son discours

ces vieux adjectifs échevelés

qui peuplent les tirades d’été,

gorgés d’envie, de folie et d’humour…

 

sous les strass d’une nuit étoilée.

 

Ils sont libres et se cherchent et s’épient ;

ils s’amusent et se rient des nuances

de leurs garde-fous, de leurs avances ;

ils savourent le pain blanc de la vie !

 

Il est sûr que le moment viendra

où leurs doigts fins s’entremêleront !

sans un mot, complices ils s’offriront

un baiser de miel… alléluia…

 

dont la pleine lune se délectera !

 

L’amour, toujours s’agrippe à ses chances ;

ils s’aimeront c’est manifeste !

les paroles, la musique et le reste,

pour eux tout est écrit d’avance !

 

la fête alors prend fin, peu à peu,

personne ne les a vu s’enfuir ;

elle a senti son corps frémir

quand sont venus les mots audacieux…

 

Hosanna, au plus haut des cieux !

 

Tout s’épouse sous de nouveaux éthers ;

leurs boutons ont glissés un a un,

le Paradis libère ses parfums

et leur jardin d’Eden est ouvert !

 

– Ce n’est qu’une rencontre d’été ! –

 

ce n’est qu’une rencontre d’été ;

qui sait si l’amour demeurera

sous leur lune les nuits de sabbat,

si leurs éthers vont s’évaporer

ou si quelque licorne viendra les chercher ?

 

Inutile d’épiloguer,

l’amour se consomme à l’instant « T » !

 

Allez, ne vous mettez pas Martel en tête,

l’amour, vous le savez, picore à chaque assiette !


8.  Les amants de l’hiver

 

Deux feuilles esseulées

s’agrippent aux rameaux ;

le goût du vin nouveau

a rejoint les nuées

 

d’étourneaux et de grives,

de becs-figues, de culs blancs ;

la chouette, hululant,

a rejoint sa solive.

 

La fenêtre du bas

regarde encore la vigne

où désormais s’alignent

les ceps, le vent, le froid.

 

La bise fait danser

les fenouils, téméraires,

les thyms, à ras de terre,

s’agglutinent goutte au nez

 

et les gargouilles chantent,

crinières aplaties,

de vieilles mélodies

funestes, lancinantes.

 

Les cyprès sont courbés

au gré de la bourrasque ;

l’eau, dans le creux des vasques,

est prise et pailletée…

 

un merle vient y boire,

mais que nenni, salut,

le chat est à l’affût,

l’oiseau au purgatoire !

 

Un lièvre, grimaçant,

d’un carré de garrigue

entraîne dans sa gigue

un « farou » haletant…

 

le chasseur court derrière

rivé sur l’objectif,

mais le lièvre est plus vif

et fuit la gibecière !

 

La fenêtre du haut

veille une armée de ceps,

cohortes de bois secs,

soldatesque au repos.

 

Déflagration soudaine,

le lièvre… un ami…

mais qui donc perd la vie,

la perdrix, quelle aubaine !

 

L’escalier est de bois;

de grosses planches à vrai dire ;

une brosse à reluire

y perdrait son sang-froid !

 

filons donc jusqu’aux cieux !

tenons-nous à la rampe,

chaque jour qui décampe

nous laisse un peu plus vieux !

 

Un piton descellé,

son fil de fer tordu,

un insecte suspendu

à la toile d’araignée…

 

mais la bâtisse est saine

c’est moi qui vous le dis !

il est d’un crucifix

qui rend l’âme sereine !

 

Puis un dernier regard,

un adieu au vignoble ;

oh, les gens sont ignobles

et le vent si gueulard !

 

Plus une âme qui vive,

la vigne est squelettique,

cependant mirifique

à la saison tardive !

 

Deux feuilles esseulées

s’agrippent aux rameaux…

mais son corps est si chaud ;

là, je dois vous laisser…

 

ses dentelles abdiquent

et ses seins, triomphants,

réclament sur l’instant

ma prose poétique…

 

mots doux, en chapelets,

cheminement profond,

caresses et frissons,

romance saccadée…

 

minutes égrenées,

alcôve du plaisir,

saison du revenir…

 

poème terminé!

 

Il faut se revêtir,

s’enlacer et partir.

Que l’hiver fait souffrir

lorsque l’on doit s’aimer

cachés!


9.  Les sirènes de Labastide

 

Elles portent la croix sur le visage,

elles sont toutes nées au village,

des fleurs ornent leurs mèches jais ;

 

des coquelicots au corsage,

le corps de feu, l’esprit volage,

ainsi, je les ai retrouvées !

 

Sentir les essences de naguère,

fuir les artifices, les chimères,

retrouver mes primes instincts,

 

le pied lourd et l’âme légère

je suis venu fouler la terre

qui longtemps m’a donné le sein.

 

« Pays de vignes et de festins,

laissez passer le pèlerin ! »

A la fontaine de jouvence

 

j’ai bu dans le creux de mes mains,

mouillé la nuque, pris le chemin

qui ramène l’homme en enfance ;

 

après le pont vieux, c’est tout droit !

le chant des belles était en moi,

mille fois j’ai fait le voyage !

 

mais les vieux ne parlaient patois,

comme si je n’étais plus chez moi,

Labastide semblait d’un autre âge !

 

En approchant de la rivière

j’ai retrouvé sur les pierres

quelques initiales gravées,

 

sur les nuages quelques prières,

et parsemées dans la bruyère

quelques larmes fossilisées.

 

En pleurs, j’ai écouté l’aubade

que livre sans fin la cascade

à de vieux spectres incandescents,

 

aux souvenirs qui se baladent

le cœur chaud les pieds dans l’eau froide,

baignés de rires d’adolescents ;

 

elles étaient là, sur le rocher !

j’ai repris place à leur côté

comme si je n’étais parti,

 

puis avec elles j’ai plongé

dans les eaux chères du passé,

Labastide reprenait vie !

 

Elles n’ont pas la moindre ride

mes sirènes de Labastide

sous les eaux vives du moulin ;

 

elles n’ont pas la moindre ride

mes sirènes de Labastide ;

à l’âme le temps ne prend rien !


10. Je viendrai, douce brune

 

Une table de bistrot,

une cascade de mots,

un ange qui passe…

 

une table de bistrot,

une cascade de mots,

deux anges face à face ;

 

Une table de bistrot,

une cascade de mots,

un éclat de fête…

 

une table de bistrot,

une cascade de mots,

la lune et deux poètes ;

 

Une table de bistrot,

une cascade de mots,

l’un vide ses poches…

 

une table de bistrot,

une cascade de mots,

deux essences se rapprochent ;

 

Une table de bistrot,

une cascade de mots,

l’envie fait son chemin…

 

une table de bistrot,

une cascade de mots,

l’artifice serait vain ;

 

Une table de bistrot,

une cascade de mots,

s’offrir à l’inattendu…

 

une table de bistrot,

une cascade de mots,

jouir de l’inconnu ;

 

Une table de bistrot,

ni cliché ni photo

les mots sont dérisoires…

 

une table de bistrot,

ni cliché ni photo

Cythère est leur histoire ;

 

Une table de bistrot,

ni cliché ni photo

l’esprit va dénudé…

 

une table de bistrot,

ni cliché ni photo

deux âmes alitées ;

 

Une table de bistrot,

ni cliché ni photo

où terminer la nuit ?

 

une table de bistrot,

ni cliché ni photo,

bien tard pour les folies !

 

Deux anges, un statu quo,

ni cliché ni photo

le voile indien emporte

 

la table de bistrot,

la cascade de mots,

la nuit ferme ses portes ;

 

Si la prochaine lune

m’offre un coin de plume,

des étoiles plein les cieux…

 

je viendrai douce brune

à travers nuits et brumes

et je prierai ton Dieu !


11. Ma nuit

 

Cette nuit-là je n’ai pas dormi ;

les soudards sur le mur de ronde

mêlaient à mes stances le bruit

de leurs paillardises immondes !

 

les festoiements battaient leur plein ;

le butin était prestigieux !

vautrés dans la boue et le vin

les wisigoths étaient heureux.

 

Les torches éclairaient la muraille

sur laquelle dansait la vie

tandis que l’ombre des ripailles

offrait les tendres coloris

 

des flambées et des chants divins.

Mais qui prétendrait aujourd’hui

qu’Alaric ne croyait en rien ?

et ses hommes croyaient en lui !

 

Buvant au cornet d’élixir

tous sur l’épaule me tapaient

comme s’ils voulaient adoucir

 le mal qui ce soir me rongeait !

 

Cette nuit-là, je n’ai pas dormi ;

mon havre de paix t’attirait ;

seule ton image m’a suivi

et la pleine lune s’est voilée.

 

Au paradis ondulatoire

des nuits de thyms et de lucioles,

Toulouse, blonde, en robe noire

ne s’est blottie sur mon épaule…

 

alors les soudards se sont tus,

le mur de ronde s’est écroulé

et solitaire, j’ai « mourus »

comme un enfant abandonné.

 

Métamorphose de la vie ?

seul un grand papillon de nuit,

fier, redoublait d’acrobaties !


12.  Le papillon d’Hélène

 

Croyez-vous que je me promène ?

amis, je rode l’âme en peine…

je recherche ce tendre amour

que je connus au petit jour !

 

Alors si frêle, bien imprudent,

lourd, immobile, somnolent

sous l’aile avant de sa voiture,

croyant jouir du doux murmure

de la nature j’allais terminer moribond

en un sandwich gravier-goudron !

 

Croyez-vous que je me promène ?

Amis,

si par hasard vous rencontriez Hélène,

dites-lui que je suis sans voix

pour l’attention qu’elle me porta,

pour ses parfums qui m’accompagnent,

pour tous les châteaux en Espagne

que je vis au creux de sa main,

pour contempler jusqu’à demain

la valse de ses cheveux blonds,

ouïr la tendresse du pardon,

m’enivrer d’azur en ses yeux,

vivre

le souvenir d’un jour heureux !

 

Ma vie se résume à quelques semaines,

juste assez pour briser mes chaînes ;

mais dix semaines sont un bail

lorsque l’on est un butterfly !

 

Amis,

vous qui probablement croiserez Hélène

faites en sorte qu’elle se souvienne

qu’il est des roses en boutons,

des épines gorgées de poison,

des autos… et des papillons !


13.  Poudré d’or et de satin bleu

 

Seize heures, je quittais le bureau,

la pluie stoppait son scénario,

le soleil baignait l’horizon

de rose tendre et mon veston,

narguait, ballant, à bout de bras,

l’hiver qui fuyait à grands pas.

 

L’hiver fuyant offrait sans peine

à ces jours de fin de semaine

quelque tempo particulier :

une envie de tout embrasser,

un besoin d’épouser le monde,

une insouciance vagabonde !

aux premiers rayons de soleil

mon âme et mon cœur sont pareils

à l’onde vive des torrents,

fougueux, enragés, frémissants !

 

Hiver échu, marché conclu,

douces jonquilles je vous salue !

Ma ceinture à peine bouclée,

la voiture toujours à l’arrêt,

amis, quelle fût ma surprise

de voir, là, sur le pare-brise

un grand papillon de banlieue

poudré d’or et de satin bleu,

paré de superbes antennes

lissées vers l’arrière, à l’ancienne,

pourvu de la Légion d’Honneur,

si l’on en croit les trois couleurs

– magnifique décoration –

qu’il arborait sur son veston !

 

Coléoptère distingué,

bouton du haut juste défait,

dépenaillé, pas impudique,

cet animal fort sympathique

clignait d’un œil, de l’autre, puis

jouait de l’aile… et me séduit !

 

Comme le font tous les copains

je fis un signe de la main

lui prouvant mon admiration,

mais un peu brusque dans l’action

je mis en route l’essuie-glace,

qui, plus rapide que vorace

mâcha ses ailes, traîna son tronc,

ses antennes, ses décorations,

laissant de la bête du bon Dieu

seule une trace de satin bleu

et son corps écrasé gisant

sur mon pare-brise gluant !

 

certes, ce put être un pinson,

une moinelle pour ses moinillons

qui d’un coup de bec l’emporta ;

la mort a ses raisons d’état !

 

De deux autres coups d’essuie-glace

je fis disparaître la trace.

Tandis que l’auto démarrait

le remord fut vite estompé.

 

Faites ce qu’il faut de l’anecdote,

oubliez là, prenez en note…

notre cœur a ceci de bon,

qu’il ne pleure plus les papillons !


14.  Julie (Jean-Paul Pujol)

 

Je ne sais pas si Julie jouit,

Quand j’ouïe Julie,

Qu’on joue au lit,

Quand je l’entends crier :

« Hardi ! Vas-y Kiki ! T’es un génie ! »

 

Est ce qu’elle feint complaisamment

La folie douce des amants ?

Les mots qu’elle dit sont si troublants,

S’ils sont pas vrais, c’est très méchant ;

Et puis c’est pas bien élégant

De me fair’ croire que ch’suis épatant,

Un vrai champion, un superman,

Si c’est ment’rie, si c’est du flan.

 

Pourquoi que ch’uis dubitatif,

Pas sûr de moi, presque fautif,

A suspecter le positif

Qu’elle m’adresse quand elle me griffe ?

Nos ébats sont si intensifs,

Un véritable exploit sportif,

Ch’uis pas du genre expéditif

A tirer un coup d’bite hâtif.

 

Les filles que j’ai connues avant

N’avaient pas ce tempérament,

Et si elles prenaient leur pied pourtant,

C’était sans bruit, sans tout c’ramdam ;

Elles devaient pas m’aimer autant

Que je me dis, c’est évident,

Basta les questions à trois francs !

Elle est fol’ de moi, c’est patent !

 

Ch’uis allé voir les aut’s amants

Qu’elle reçoit assidûment,

Leur demander  négligemment

S’ils avaient droit aux compliments ;

Tous ont les encouragements

Pareil que moi… c’est débandant !

Et je ressasse mon tourment,

Tout seul dans mon coin, comme un gland.


15.  Les confidences de Julie (réponse J.G)

 

Aux cantonniers, Jean-Paul,

j’en ai roulé des pelles !

aux cuisiniers, Jean-Paul,

j’ai roulé des gamelles !

 

aux mecs les plus moches

j’ai roulé des galoches ;

aux mecs les plus malins

j’ai roulé des patins ;

avec les plus menus

j’ai joué du pointu ;

j’ai bien sûr embrassé,

mordu et caressé…

 

j’ai caressé leur torse,

leurs biceps, leur amorce ;

j’ai perdu la raison

mes doigts dans leur toison ;

dans la soupe au gingembre

j’en ai touillé des membres

puis me suis rassasiée

aux nectars de l’été !

 

avec les dents, garçons,

vous ôtiez mes jupons !

 

à poil ou demi-nue

j’ai fait ce que j’ai voulue ;

ma vie sous l’édredon

ne fut que délectations !

un chapelet de fêtes

entoure ma couette,

mais,

promis, juré, craché,

jamais, au grand jamais

pour assouvir ma faim

je n’ai triché, n’ai feint,

n’ai simulé l’orgasme…

fourni plus d’enthousiasme

qu’il faut au naturel

pour recouvrer le ciel !

 

dans les plus beaux accords

j’ai joué de mon corps

et je me suis donnée

debout, penchée, couchée…

puis, sans salamalec

j’ai mis la flûte au bec ;

j’ai sauté sur l’occase…

oh, j’ai connu l’extase !

sans paraitre ironique

je connais la musique !

 

j’ai roulé de la hanche,

m’en suis payé des tranches ;

ornée de dentelles

j’ai joué la femelle ;

pigmentée de paillettes

j’en ai tourné des têtes

oui, c’est vrai, j’ai séduit

jusque tard dans la nuit…

 

mais au petit matin,

alors ivre de câlins

j’ai remballé mes strass,

mes strings, mes falbalas

et filé chez Midas !

 

à présent j’ai du pot ;

 

à présent j’ai du pot,

c’est toi que j’aime Polo !


16.  A la jeunesse de Fontiès d’Aude

 

Je cours vite, je gueule et je bois,

« chuis » toujours le premier à table,

je « textote » sur mon portable,

fais l’amour trois ou quatre fois…

de file, cela va de soi !

 

non non mesdames, je vous en prie,

il est un temps pour chaque chose !

ce soir vous auriez porte close

car l’heure est à la poésie,

non à de perverses fantaisies !

 

J’aime la guitare, j’aime les mots,

j’aime

rouler ma clope au coin du feu,

j’aime

la Carthagène, le pot au feu,

j’aime

le thym d’Alaric, les escargots,

j’aime

parler patois aux parigots !

 

que voulez-vous, « chuis » du village ;

de Fontiès-d’Aude, exactement !

j’ai tanné mes cuirs sur le banc

face à la poste, j’avais votre âge,

des courants d’air plein le plumage !

 

Puis « chuis » parti gagner la croûte ;

parfois le soleil brille loin !

là-bas, j’ai mis de l’embonpoint…

si quelque étoile vous envoûte,

faites comme moi, prenez la route !

 

Certes, j’ai mis de l’embonpoint

et comme les autres le poil blanc,

mais « chuis » de retour à présent…

alors comme vos vieux, les copains,

tutoyez-moi, c’est bien plus sain !

 

Vouvoyer serait mélodieux,

mais

à Fontiès on a tous quinze ans !

parlez branché, causez verlan,

ayez pitié d’un vétéran…

les gars,

cessez de m’appeler Monsieur !


17.  Les chemins du ciel

 

A Pédro San Miguel

quelqu’un l’aurait confié

comme un cadeau du ciel ;

et Pédro a pleuré.

 

Grand Dieu qu’elle était belle

ce soir de flamenco !

Pédro ne voyait qu’elle

l’amour est un fléau !

 

Elle n’attendrait que lui

la fougueuse espagnole !

il a changé de vie,

sa musette d’épaule.

 

Il faisait mal voir

le Pédro « d’autrefois »

sur son agenouilloir

pour la première fois !

 

puis Pédro est parti.

En passant la montagne,

 sûr qu’il nous a maudit !

que Sainte Marie l’accompagne !

 

Faut pas jouer avec

l’amour à « qui perd gagne »

faut pas claquer du bec

pour les dames d’Espagne !

 

 La « Huerta de Valencia » l’accueillait bras ouverts. Les citronniers en fleurs le rendaient presque heureux. Le vent, oisif, profitait de la venue du « naïf » pour se distraire un peu, poussant entre les orangers la complainte de Maria-Dolorès. Les amandiers jouaient des bois, comme au philharmonique, les coquelicots, en tenue d’apparat, se trémoussaient dans les courant d’air chauds. Quelque vieux moulin édenté s’évertuait à diriger l’ensemble mais Pédro San Miguel n’entendait que son cœur ; Maria-Dolorès déjà Pédro se meurt !

  La « Huerta de Valencia », ses cordées de primeurs tutoyant l’horizon, rectilignes, multicolores, le cri rauque des maraîchers qu’il savait autrefois, les saveurs de saison par-dessus les ridelles des charrettes à bras…

  Valencia, « Lonja de la Seda » (la halle de la soie), les rouleaux de tentures, les croisillons d’étoffes, les étals, les teintures, les forains haranguant les femmes des badauds, les longs filets d’huile d’olive rance, les fleurs suspendues aux tresses des déesses, le patchouli à tous les étages, les morues entassées dans leurs caisses de bois, les sardines mêlées au rire de la foule, les guitares si gaies que Pédro n’aimait plus ; Maria-Dolorès ton Pédro est perdu !

  A Pédro San Miguel quelqu’un aurait confié, comme un cadeau du ciel, que peut être à Séville… et Pédro a marché.

  Les rives du Guadalquivir transpiraient à cette heure. Des barques en tous sens cherchaient à s’amarrer. Des marins sans pompon transportaient sur l’échine un quotidien modeste fait de rêves grandioses. L’harmonica, le soir, épouse l’horizon ; nul ne peut dire ici l’époque ou la saison… l’Andalousie a ceci de magique !

  La tour de la Giralda, splendide sentinelle, avertirait Pédro des pas de Dolorès !

  Sept jours, sept nuits, sept lunes si muettes ; le silence livré aux chocs des castagnettes !

 Adieu bel Alcazar, adieu place d’Espagne… Espagne des tourments, de la désillusion!

  Maria-Dolorès, d’amour et de passion !

  A Pédro San Miguel quelqu’un aurait confié, comme un cadeau du ciel, que peut être à Grenade… et Pédro a marché.

  La Siéra Nevada étalait là son ombre, lourde, imposante, si fade pour le corps, si morne pour l’esprit ; depuis si longtemps les rois maures avaient fuis !

  L’Alhambra souriait. Le soleil dans le « Patio des myrtes » offrait ses particules de lumière et de feu à quelque Dolorès, finement dévêtue, mirant son corps brunâtre aux reflets du bassin. Belle enfant. Mirage soudain ; espoir hautain !

  La gourde de Pédro n’était plus que quincaille. Son esprit, livide, demeurait insensible à toute matière, à toute lumière, à tout extérieur ; tout juste ressentait-il les affres du malheur !

  La seule « Reconquista » qui lui rendrait la vie… Maria-Dolorès !

  Maria-Dolorès, pourquoi est-tu partie ?

  A Pédro San Miguel quelqu’un aurait confié, comme un   cadeau du ciel, que peut être à Cadix… et Pédro a marché.

  Le flamenco tapait aux portes des tavernes, la jeunesse du port riait aux temps bénis, les baisers nourrissaient le halo des lanternes, partout la nuit engendrait la vie. Maria-Dolorès demeurait introuvable. Pédro perdait espoir ; s’il rendait à présent son âme usée au diable ?

  Une robe rouge à volants noirs dentelés, un ruban ensoleillé fleuri de rêves éloquents, un son de claquettes, les planches du petit théâtre d’été sur lesquelles rouillait le clou de sa destinée, un sourire et des yeux prometteurs, voilà les seules traces que Pédro poursuivait nuit et jour !

  Ni à la pinacothèque, ni à la corrida ; ni sous les oliviers figés sur les tableaux, ni dans le dernier souffle de ce dernier taureau qui tombait d’un seul bloc dans l’arène des fous… pas le moindre parfum, la moindre voix, la moindre présence ; seul trônait un vide immense ! Des banderilles sanguinolentes luisaient à l’antre de ses yeux.

  Maria-Dolorès, l’amour est donc un jeu ?

  A Pédro San Miguel quelqu’un aurait confié, comme un cadeau du ciel, que peut être en Castille… que peut être à Madrid… et Pédro a marché.

  Sur la « Plaza Mayor », Pédro à bout de forces se rappela « trente-huit », la guerre civile, les violents combats, les bottes des soldats, les coups de crosses au front, les visages tuméfiés, les ordres “d’el Caudillo” !

  Pris de violente fièvre il s’écroula soudain. Une silhouette s’approcha, lui releva la tête; Pédro, la vue troublée ne distingua qu’une paire de petites sandalettes de corde.

  De l’eau fraîche ruisselait à présent sur son visage ; il but une gorgée, esquiva un geste malhabile mais ne put parler ; Maria-Dolorès avait les traits tirés !

  La « Huerta de Valencia » l’accueillait bras ouverts. Sous la baguette de quelque vieux moulin édenté, les citronniers, les orangers, les amandiers  jouaient un air calme, triste, apaisant à la fois. Les ramures en fleurs lui montraient le passage, le ciel apparaissait, clair, bleu comme un ciel d’enfance. Le cœur des maraîchers en chorale extraordinaire se tut et Pédro disparut dans la lumière blanche.

 

A Pédro San Miguel

un vieil ange aurait dit

qu’il est un coin de ciel

qu’on nomme « Paradis »…

 

et Pédro a souri.

 

Maria-Dolorès lui ferma les yeux ; enfin Pédro San Miguel était un homme heureux !


18.  Le dernier automne

 

A travers sa vitre embuée

elle boit la pluie de la grand-rue ;

à présent les trottoirs sont nus,

c’est l’automne qui paie la tournée !

 

Quand on est vieille et fatiguée,

quand ses pieds font la sourde oreille,

quand le vieux temps vous ensommeille

l’eau bénite se boit à gorgées !

 

C’est le cliquetis dans les flaques

qu’elle affectionne, paupières closes ;

quand on est triste, faut pas grand-chose !

quand on est triste, un peu patraque,

 

les premières notes qui viennent,

les seules musiques qui passent

on les accroche, on les enlace,

on les embrasse, on les malmène…

 

puis, comme les perles de buée

elles glissent le long du carreau

et rejoignent au caniveau

les cliquetis de la chaussée !

 

Les saisons prennent, une à une,

les cœurs, les vies, les vieilles vestes,

les souvenirs et tout le reste ;

même la couleur à la lune !

 

Même l’esprit passe à la meule ;

le jour prend tout, la nuit le reste,

l’un s’en fout et l’autre proteste,

et les saisons font ce qu’elles veulent !

 

Devant sa fenêtre embuée

le soleil éclaire la grand-rue ;

l’habitude prend le dessus

le nez à la vitre collé !

 

Devant une vitre embuée

son dernier automne sévit ;

certains diront que c’est la vie ;

je serai le seul à pleurer !


19. Qui vivra, verra

 

Sous la mine de Cécile

une esquisse révèle

de vieux carrés de tuiles

et des nids d’hirondelles

 

accrochés aux mansardes,

suspendus aux greniers,

quelques chats qui musardent,

des lézards aux aguets

 

et l’Autan qu’on entend

si l’on prête l’oreille

à ce croquis chantant,

au feuillage des treilles !

 

Sur les murs ombragés

des pans de chèvrefeuille,

des corolles butinées

dans le bas de la feuille !

 

Cécile a paraphé

d’un soleil de saison

et de gens enjoués

sur le pas des maisons !

 

Elle suit une idée ;

elle pousse jusqu’au bout

ses désirs, sa fierté

à tourner les verrous,

 

à lever les loquets

sur un fringuant village ;

un «oui» d’éternité

pour un doux mariage !

 

Elle lutte et se bat

pour que demain conserve

un bien être ici-bas ;

ses dessins et sa verve

 

font que demain, sans doute,

bien des générations

– voyageurs en déroute –

béats d’admiration

 

sous les charmes d’un Blagnac

au clocher polyglotte,

suspendront là leurs sacs,

leurs bâtons et leurs bottes !

 

Je crois en toi, Cécile,

et soutiens ton combat ;

parole d’évangile ;

 

qui vivra, verra !


20.  La guitare à Margot

 

Moi qui pendais à l’élastique,

toi qui venais de la grand-rue,

seraient-ce nos rondeurs angéliques

qui firent qu’à l’instant on se plut,

ou cette étincelle magique

qui brille à l’œil de l’excentrique,

ou quelque sourire entendu ?

 

c’est dans le fond de la boutique

brave Margot, qu’on s’est connus !

 

Depuis ce jour, inséparables,

au vent d’ouest nous donnons le « La »,

toi qui me taquine le râble,

moi qui me presse contre toi ;

incorrigibles, infatigables,

au fil de chansons délectables

nous bravons l’hiver et le froid ;

 

nous mêlons les dieux et les diables

et l’amour emboîte nos pas !

 

Brave Margot je suis au chaud,

contre ton sein j’ai fait mon nid ;

ton pied posé sur le barreau

du tabouret je perds la vie ;

quand se lèvera le rideau,

que l’on balaiera les faisceaux

de lumière sur nos cœurs acquis

 

serre-moi fort, brave Margot,

puis mène-moi en Paradis !

 

Si le public, avec ferveur,

reprend tes textes enjoués,

gratte mon ventre de bon cœur,

Margot, fais leur voir qui tu es !

et si le public aguicheur

soudain te jetait mille fleurs,

tresse pour moi un long collier,

 

un long bijou haut en couleurs…

j’ai quelque housse à décorer !

 

C’est dans le fond d’une boutique,

brave Margot, qu’on s’est connus ;

nous étions vingt sur l’élastique,

vous étiez mille dans la rue…

 

tu fus la belle et moi l’élu !


21.  Métaphore maritime

 

Au début, c’est comme la mer

qui sert et dessert ses couverts,

le rocher que l’eau vient fouetter,

le va et vient de la marée ;

 

le corps balancé par la houle,

l’envie de sortir du vieux moule,

c’est l’âme qui beugle et confirme,

l’excentricité qui s’affirme ;

 

le mousse vient d’avoir dix-sept ans

et mord son rôle à pleines dents ;

« Monsieur » se lance à la rescousse

de l’irlandaise à mèches rousses !

——–

Plus tard, les bateaux sont à quai ;

le vent du large s’en est allé.

L’île manque un peu de confort,

ses matelots sont ivres-morts…

 

mais après les cris de détresse,

– « Hissez-haut la voile maitresse,

marins, les alysés s’éveillent! »

c’est alors la course aux merveilles ;

 

le mousse vient d’avoir cinquante ans

et mord son rôle à pleines dents;

le loup de mer se dévergonde

pour la nordique à mèches blondes !

——–

Et puis les saisons se succèdent,

Colomb s’endort, mais Archimède

relativise plus qu’il n’en faut

son arthrose et son mal au dos ;

 

les chaluts sont à la réforme ;

il faudrait tout mettre à la norme !

la rousse et la blonde à l’auberge !

le vieux mousse a soixante-dix berges…

 

mais du plus loin de la jetée

son plaisir est de voir passer

les nouvelles embarcations

remplies de mousses et de jurons…

 

qui sous la ligne de flottaison

 traînent les eaux du temps passé.


22.  Le meuble à épices

 

Sur le perchoir se juchent

menthes et serpolets ;

dans la cage à perruches

ni plume ni sifflet,

ni merle ni canari ;

derrière la moustiquaire,

désir folliculaire,

seule l’épice sourit !

 

A côté des saucisses,

pendu au « ficélou »,

notre meuble à épices

rouille comme un vieux clou ;

il est là, on le bade,

on l’ouvre avec doigté ;

s’il fallait manger fade,

sûr, ça nous crèverait !

 

Messagerie subtile

aux accents des tropiques,

étranges volatiles

mi plantes, mirifiques ;

sauces, civets, coulis,

fougasses anisées,

l’esprit fleurdelisé

nous ouvre l’appétit !

 

A côté des saucisses,

du chaudron à ragoûts,

notre meuble à épices

n’est un sujet tabou ;

il est là, on le bade,

on l’ouvre avec doigté ;

s’il fallait manger fade

sûr, ça nous crèverait !

 

Moulu multicolore

– piment, poivre, safran –

notre volière honore

chacun des continents ;

dans la cage de bois,

seule oiselle caquète

la plume du poète

qui prend son doux repas !

 

A côté des saucisses,

des bocaux de saindoux,

notre meuble à épices

n’est pas en acajou ;

il est là, on le bade,

on l’ouvre avec doigté ;

s’il fallait manger fade

sur, ça nous crèverait !

 

Un air de mandoline

épice mes quatrains,

allèche mes babines

de coriandre, de thym ;

dans la vie, dans l’assiette,

l’exotisme à pincées,

sûr, fait s’énamourer

tant les pieds que les crêtes !

 

A côté des saucisses,

il est ainsi chez nous,

notre meuble à épices

n’a jamais de verrou ;

il est là, on l’entrouvre

en toute liberté,

puis le soir on le couvre

avant de se coucher !

 

Si la nuit on se lève

sans faire le moindre bruit,

c’est la faute au genièvre

et au pili-pili !

 

comme dit mon pépé :

« Dans la vie rien ne vaut

de manger « et pisser » » !


23.  La recette

 

Tu souhaites entrer dans le métier…

tu voudrais être comédienne…

tu cherches un conseil avisé

et peu de chaînes te retiennent…

 

Si la nature avait voulu,

si le destin l’avait permis,

je serais parti; j’aurais couru,

alors traversé cent pays…

 

cueilli l’iris et l’orchidée,

le bleuet, le coquelicot,

et nuit et jour j’aurais chanté

pour les étoiles et les oiseaux !

 

Tu souhaites entrer dans le métier…

tu voudrais être comédienne…

tu cherches un conseil avisé

et peu de chaînes te retiennent…

 

Je n’ai été qu’un vagabond,

un gentilhomme ou un voyou ;

le théâtre est une prison,

le ciné bourré de verrous ;

 

mais sous le loquet martelé

de la patience et l’apparat,

se cachent les baisers volés

aux lunes rousses des sabbats !

 

Tu souhaites entrer dans le métier…

tu voudrais être comédienne…

tu cherches un conseil avisé

et peu de chaînes te retiennent…

 

changes de cap, bois aux fontaines,

gobe les cieux… Alléluia !

harangue l’étoile lointaine,

sème l’amour aux plis de tes draps,

 

mais s’il plaît au souffleur, pour toi,

de donner déjà la réplique,

sache que chacun porte sa croix,

qu’elle se nomme trac ou critique !

 

Tu souhaites entrer dans le métier…

tu voudrais être comédienne…

tu cherches un conseil avisé

et peu de chaînes te retiennent…

 

J’ai hurlé aux loups et aux diables,

mais à l’heure de l’élixir

j’ai retrouvé ma place à table

et je n’ai cessé de mourir !

 

Je voulais être comédien,

de ceux qui meurent par plaisir !

la comédie touche à sa fin

je ne digère plus l’élixir !

 

Tu souhaites entrer dans le métier…

je te propose, belle, un marché:

tu veux une place de comédienne,

donne tes vingt ans… et prends la mienne !


24.  Pourquoi la vache qui rit,rit ?

 

                    Il était une fois, en pays de Gascogne, terre natale du bon roi Henri et du preux D’Artagnan, terre de la poule au pot, du foie gras de canard, du canard rôti, du canard confit, du canard bouilli, du canard farci, du manchon de canard, du cou de canard aux morilles, du magret de canard, des abats de canard, du cassoulet au canard, de la garbure au canard, du délicieux canard d’un sucre trempé dans de l’eau de vie… d’Armagnac, cela va de soi, du canard bleu W-C et cætera…

 

  Il était une fois, disais-je, en pays de Gascogne, terre natale du bon roi Henri et du preux D’Artagnan, terre de la poule au pot, du canard sous toutes ses coutures, de l’eau de vie d’Armagnac: l’Armagnac 2 étoiles, l’Armagnac 3 étoiles, l’Armagnac 4 étoiles, l’Armagnac 5 étoiles, l’Armagnac en bouteilles ventrues, l’Armagnac en tonnelets râblés, l’Armagnac en barriques dodues, l’Armagnac au petit déjeuner, l’Armagnac au dîner, l’Armagnac au souper, l’Armagnac au biberon, l’Armagnac dans les cours d’école, l’Armagnac au bureau, l’Armagnac au chantier, l’Armagnac dans les maisons de retraite et cætera…

 

  Il était une fois, disais-je, en pays de Gascogne, terre natale du bon roi Henri et du preux D’Artagnan, terre de la poule au pot, du canard sous toutes ses coutures, de l’eau de vie d’Armagnac et des comtes d’Armagnac dont le comte Bernard VII d’Armagnac, beau-père du duc Charles Ier d’Orléans, devint après l’assassinat du duc Louis Ier d’Orléans, par Jean Sans Peur, le chef de la maison d’Orléans durant la guerre de cent ans… et sous Charles VI et Charles VII , avant que le conflit ne prenne fin avec le traité d’Arras en 1435, les comtes d’Armagnac qui se sont opposés aux principaux alliés des Anglais: les Bourguignons. et leurs célèbres chars à bœufs, dont il me serait aisé de vous donner la recette authentique du bœuf bourguignon, que ma famille tient dans le plus grand secret, de par une alliance gasconne « Jean le Bon, d’Auch », et non « jambon d’Auch » comme certains Bourguignons le criaient le jour de la bataille de ladite ville en guise de provocations. Je vais donc ici vous livrer un secret de famille: dans la cocotte, verser l’huile, quand elle est chaude, faire colorer 800 gr de jumeau ou de macreuse coupé en morceaux, ajouter les oignons en cubes et les carottes en bâtonnets, saupoudrer de farine en tournant dans le sens des aiguilles d’un cadran solaire, assaisonner, ajouter l’ail écrasé, le bouquet garni et le vin rouge dont il est préférable de le flamber avant, puis 2 verres d’eau, fermer la cocotte, cuisson 60 mn, puis servir dans un plat creux parsemé de persil haché avec des pommes de terre vapeur…

 

  Il était une fois, disais-je, en pays de Gascogne, terre natale du bon roi Henri et du preux D’Artagnan, terre de la poule au pot, du canard sous toutes ses coutures, de l’eau de vie d’Armagnac, des comtes d’Armagnac et du bœuf Bourguignon vaincu à 10 contre 1 sur les coteaux d’Auch, un autre trésor, parente très éloignée du bœuf Bourguignon: la vache Gasconne !

 » Sur la montagne brille ses cornes, dans la vallée sa cloche sonne… elle n’est pas conne, elle est Gasconne! », suivant la célèbre chanson de Jean-Paul Pujol troubadour à Blagnac. Une bête admirable, délicieuse à contempler sur ses verts pâturages d’estive, promenant avec grâce sa longue robe claire… mais ô combien délicieuse en rumsteck, en filet, en contre-filet, en paleron, en aiguillette, en culotte, en string, en bavette, en onglet, en aloyau, en plat de côte, en salière, en gîte, en blanchet, en tendron, à la grille, à la broche, au four, à la poète et cætera…

 

  Il était une fois, disais-je, en pays de Gascogne, terre natale du bon roi Henri et du preux D’Artagnan, terre de la poule au pot, du canard sous toutes ses coutures, de l’eau de vie d’Armagnac, des comtes d’Armagnac, du bœuf Bourguignon vaincu à 10 contre 1 sur les coteaux d’Auch, une belle vache Gasconne à la robe beige clair, qui riait, qui riait, qui riait… eleison…  En fait elle s’esclaffait de rire comme s’esclaffaient sur les pales mousserons, qui se cachent dans l’herbe verte des prairies, les bouses qu’elle semait à intervalles irréguliers au gré de la luzerne, du foin et des granulés (non transgéniques évidemment) qu’elle ruminait placidement à l’ombre des fruitiers !

 

  Et dire que la vache qui rit, rit quand elle bouse ! ah la « farnosa 1 » !

  le sussiez-vous, amis ?

  Quelle vacherie !

 

1 farnosa: mot occitan qui signifie littéralement « barbouillée », mais qui dans l’esprit occitan se traduit ici d’une manière amicale et humoristique par « sale » .